櫻のち晴れ

Les fleurs de cerisiers sont éphémères et c’est ce qui fait toute leur beauté. Le plaisir a été de courte durée à Tokyo cette année et je n’ai pu saisir qu’une matinée de week-end pour marcher une nouvelle fois en direction de Naka-Meguro, après un premier essai sous la pluie. Le cerisier de la maison de la chanteuse Misora Hibari sur la troisième photographie est toujours magnifique. En descendant vers la rivière, la foule est de retour mais je n’y resterais pas longtemps. Les photographies de cerisiers en fleurs à Tokyo s’arrêteront là. A l’heure où j’écris ce billet, les fleurs de cerisiers ont déjà complètement disparues, envolées par les bourrasques de vent et la pluie. J’aurais aimé écouter la musique qui va suivre en regardant les fleurs de cerisiers s’envoler, loin de la foule, car on y trouve une même délicatesse, mais je ne l’ai découvert que quelques jours plus tard.

All this time, we were only what we dreamed, and all those dreams were true but we never really knew.

Depuis la disparition de Ryuichi Sakamoto (坂本龍一), on entend régulièrement des morceaux de sa composition à la radio. Ce soir là, on y passe le morceau Chronic Love (クロニック・ラヴ) interprété par Miki Nakatani (中谷美紀) sur son album Shiseikatsu (私生活) sorti en 1999. Je suis tout de suite happé par la beauté et l’élégance de cette musique electro-pop et par la voix de Miki Nakatani chantant en anglais. Je connaissais Miki Nakatani en tant qu’actrice, mais je n’avais pas saisi qu’elle avait également eu une carrière de chanteuse et sorti trois albums produits par Ryuichi Sakamoto. L’album Shiseikatsu est composé, arrangé et produit par Ryuichi Sakamoto. Il y joue également du clavier. Le détail qui m’attire inévitablement est d’entendre que SUGIZO de LUNA SEA y joue même de la guitare sur quelques morceaux dont Chronic Love dans une version réarrangée par rapport au single, Frontier (フロンティア) qui ouvre l’album et l’avant dernier morceau all this time (dont sont extraites les quelques paroles ci-dessus). J’étais très loin d’imaginer une association pareille et une telle beauté conceptuelle dans cet album. Parmi les treize morceaux, on trouve de nombreux moments instrumentaux sur lesquels Ryuichi Sakamoto expérimente différents sons électroniques se mélangeant avec des sons de la vie quotidienne et des brins de voix de Miki Nakatani. J’adore le dixième morceau intitulé Leave me alone où elle cuisine et se fait déranger par le téléphone, quelque peu agacée car elle doit se lever tôt le lendemain matin pour travailler, mais reste tout de même polie. Ce sont comme des scènes d’un film d’art et essai mélangées avec les sons inventifs et les nappes sonores de Sakamoto. Les trois morceaux principaux Frontier, Chronic Love et Fetish sont parmi les plus remarquables de l’album, mais la délicatesse du deuxième Amadare (雨だれ) et la beauté expérimentale des sons sur le huitième Automatic Writing, par exemple, me laissent sans voix. Avec toujours la voix de Nakatani comme extraite de différentes situations de sa vie privée, comme le suggère d’ailleurs le titre de l’album. « Kitanai na… » (quel désordre!) chuchote t’elle sur le morceau Automatic Writing parlant à elle-même comme si elle inspectait des yeux son appartement mal rangé. C’est une œuvre conceptuellement intéressante et musicalement très belle. Miki Nakatani devait avoir environ 22 ans à cette époque et c’est en fait son dernier album. C’est à cette époque également qu’elle jouait le rôle de Mai Takano dans la série de films Ring et Ring 2 d’Hideo Nakata. Elle a tourné dans de très nombreux films et séries télévisées. J’avais déjà parlé ici de la série Followers de la photographe et réalisatrice Mika Ninagawa (蜷川 実花) sur NetFlix dont elle jouait le rôle principal et qui avait d’ailleurs lancé la carrière d’une autre jeune actrice-chanteuse Elaiza Ikeda (池田エライザ). De Miki Nakatani, j’ai également le souvenir de l’avoir vu invitée à une émission de la NHK, habillée d’un kimono, pour présenter le concert classique du Nouvel An à la Philharmonie de Vienne. Son mari, Thilo Fechner, y est en fait violoniste. L’album Shiseikatsu est une excellente surprise mais on ne le trouve étrangement pas sur iTunes. Je pense qu’il doit également être difficile à trouver en CD d’occasion.

oublier les cerisiers (6)

Je termine cette série en six épisodes sur les cerisiers en fleurs. Ils se font plus rares au fur et à mesure que l’on avance dans cette série. Nous sommes sur les trois premières photographies à Ikejiri Ohashi, sur le toit en pente de la jonction d’autoroutes métropolitaines. Un jardin en hauteur appelé Meguro Sky Garden (目黒天空庭園) couvre le toit. J’avais déjà parlé et montré ce jardin dans le ciel dans un billet de Juillet 2017. Il n’y avait pas grand monde dans ce parc à cette époque et j’en parlais comme d’un jardin secret. Il n’a plus grand chose de secret maintenant. À proximité de la jonction, une illustration déchirée posée sur les portes noires coulissantes d’un garage me rappelle le visage de David Bowie. Le vieux bâtiment juste à côté porte le nom de Warszawa, alors je me dis qu’il doit bien s’agir de Bowie, en référence au morceau de son album Low de 1977. Je réécoute du coup ce morceau et mon préféré de cet album, Subterraneans, à la beauté que je qualifierais d’extra-terrestre. Warszawa est en fait un espace de galerie disponible à la location pour des expositions. Et la Golden Week touche déjà presque à sa fin, me donnant encore un bon paquet de nouvelles photos à montrer sur Made in Tokyo, le beau temps de ces derniers jours nous ayant encouragé à sortir de Tokyo…

un Fuji rouge au bord de la rivière

Ce billet avec cette sélection de photos est le dernier que j’avais gardé dans mes brouillons depuis plus d’un mois. J’ai pris beaucoup de photos ces deux derniers week-ends mais elles sont encore précieusement conservées sur la carte mémoire de l’appareil photo sans les avoir transférées vers l’ordinateur. J’en oublierais presque ce que j’ai pris et les endroits où je suis allé. Comme sur une pellicule de film argentique, on oublie ce qu’on a pris en photo lorsqu’on la fait développer des mois après, et la surprise est d’autant plus grande. Ceci me rappelle que j’ai justement une pellicule en cours depuis de nombreux mois, peut-être même plus d’un an, et je n’ai strictement aucun souvenir de son contenu. Une idée aurait été de prendre toutes ces photos et ne les développer au fur et à mesure que 20 ans après. L’impact visuel que l’on doit éprouver en découvrant ses propres photographies 20 ans après les avoir prises doit être surprenant, si on compare à l’impact de voir une photographie d’un lieu qu’on vient juste de traverser la journée même. Faire reposer des photographies dans un billet en brouillon pendant plus d’un mois a l’intérêt de se laisser le temps nécessaire pour se questionner sur la qualité des photos que l’on veut montrer. Je l’ai déjà mentionné auparavant mais l’interêt que je peux trouver dans certaines photos que je montre n’est certainement considéré que par moi-même, et tant mieux si d’autres y trouvent également un intérêt ou, au mieux, une certaine poésie.

Il y avait initialement quelques photographies supplémentaires sur ce billet, mais j’en ai retiré plusieurs pour ne conserver que celles ci-dessus prises principalement le long de la rivière Meguro, mais également à Udagawachō à Shibuya. La première photographie est prise près de la grande jonction Ikejiri-Ōhashi. On aperçoit les portions d’autoroutes en hauteur juste avant leur plongée dans l’énorme jonction. Ces portions d’autoroutes se superposant passent au dessus de la grande route 246 qui elle-même traverse la rivière Meguro. Cette accumulation de voies superposées rend cet endroit visuellement intéressant, mais j’aime en fait surtout l’insecte vert dessiné sous le pont au niveau de la rivière. On le devine à peine, car il n’est pas immédiatement visible depuis la rue. A quelques mètres de cet insecte, deux engins mécaniques sont installés dans la rivière. J’imagine qu’ils sont utilisés pour nettoyer la rivière, mais on peut se demander comment ils ont été déplacés à cet endroit là. On ne le voit pas sur la photographie, mais deux grues sont disposées juste à côté. Un peu plus loin, plus près de Naka Meguro, je retrouve la mosaïque du Mont Fuji rouge de Invader s’inspirant directement du Gaifū kaisei (凱風快晴) de Katsushika Hokusai. La dernière photographie nous fait revenir à Shibuya dans le quartier de Udagawachō. Quand je passe dans ce quartier, je jette systématiquement un œil au magasin de disques Manhattan Records, car un des murs du building est toujours décoré d’un graph élaboré, et celui-ci change régulièrement. Il y a trois ans, on pouvait y voir un avion de chasse à tête de requin. Cette fois-ci, il s’agit d’un grapheur venant lui-même dessiner sur ce mur.

Dans le billet précédent, je mentionnais le livre de photographies éponyme de Mika Ninagawa sorti en Octobre 2010. Au moment de l’écriture de ce billet, j’avais recherché si ce livre était disponible sur Mercari et avait trouvé une version à un très bon prix. Je l’ai reçu le lendemain. La rapidité de réception dépend de celle de l’envoyeur mais on atteint dans ce cas là une rapidité digne d’Amazon. J’avais même reçu le photobook avant d’avoir fini l’écriture de mon billet. Ce livre est un sacré pavé de 352 pages, avec en préface une interview de Mika Ninagawa avec Daido Moriyama. Ce livre n’était en fait pas publié au Japon et il est en anglais, mais je l’avais quand même vu en librairie comme je le mentionnais dans mon billet précédent. Il s’agit en quelque sorte d’une rétrospective du travail photographique de Ninagawa, mélangeant photographies de fleurs et portraits de personnalités, comme Chiaki Kuriyama ou Anna Tsuchiya (qui jouait le rôle principal dans Sakuran, le premier film de la photographe), entre beaucoup d’autres. L’impression papier met bien en valeur les couleurs extra vives des photographies de Mika Ninagawa. Parmi les personnalités photographiées, je mentionnais dans le billet précédent une photo de Sheena Ringo (椎名林檎), que je montre ci-dessus. Elle est accompagnée sur cette photo par les acteurs Shun Oguri (小栗旬), Lily Franky (リリーフランキー) et Kenichi Matsuyama (松山ケンイチ). Cette photo est tirée d’une série montrée dans le livre magazine (mook) sorti en Novembre 2006, Kaze to Rock to United Arrows (風とロックとユナイテッドアローズ). Il s’agissait apparemment d’une collaboration avec la marque de vêtements United Arrows. Je n’avais pas acheté de livres de photographies depuis longtemps et ça m’ouvre l’esprit de le voir posé sur la petite table du salon et de le feuilleter progressivement tous les soirs.

オートマチックで遡って

Retour automatique dans les rues de Meguro que je n’ai pas encore épuisé, loin de là. Je marche cette fois-ci en direction de Yūtenji mais je m’égare volontairement en route. Les rues y sont étroites et denses. Une de mes hantises est de rentrer par erreur en voiture dans ce quartier et d’y resté coincé. J’y viens de toute façon en général à pieds ou à vélo. Ces rues me sont cependant connues. Je retrouve près de Kami Meguro une illustration de rue représentant une fleur symétrique que j’avais déjà photographié auparavant. J’avais également photographié Il y a plusieurs années les baleines et la pieuvre dessinées sur un muret près du sanctuaire Hachiman-jinja. Je tombe sur ces illustrations de rues par hasard. Je sais à peu près où elles se trouvent sans pourtant connaître le lieu exact. J’ai ce sentiment de flou géographique à chaque fois que je marche dans les rues de Meguro, mais je me perds rarement car il suffit de descendre les pentes pour gagner la rivière qui me ramènera vers Naka-Meguro. J’aime beaucoup ce genre de quartiers, certes très résidentiels, car on a l’impression de ne jamais les connaître vraiment.

Je continue mes découvertes musicales par morceaux plutôt que par albums avec les quatre titres dont je montre les couvertures ci-dessus. Je ne pensais pas que je pouvais aimer la musique d’Aimer, mais j’aime en tout cas beaucoup le morceau intitulé Chikyugi (地球儀), peut être parce qu’elle l’interprète en collaboration avec Vaundy. Ce morceau est présent sur son sixième album Walpurgis sorti en Avril 2021. Aimer est originaire de Kumamoto dans le Kyūshū et est apparemment admiratrice de la musique de Sheena Ringo et Utada Hikaru, si on en croit sa fiche Wikipedia. Sa voix husky a un certain mordant que je ne lui soupçonnais pas et s’accorde bien avec celle de Vaundy. Vaundy compose les musiques et produit ce morceau. Il compose à chaque fois des morceaux qui me plaisent car ils savent garder une certaine élégance même s’ils sont résolument pop. Et je dirais même que j’apprécie le morceau Omokage qu’il a composé pour le trio Milet, Aimer et Ikuta Lilas (幾田りら ou encore Ikura, du groupe Yoasobi) réunies pour l’émission The First Take sur YouTube. Les trois ont des voix très différentes mais qui se marient très bien entre elles. Elles ont toutes les trois des voix assez exceptionnelles, Milet a notamment une voix étonnante, et elles représentent en quelque sorte la nouvelle génération des chanteuses pop japonaises. Le morceau est un peu trop « pop » pour moi, mais les voir chanter en s’amusant sur la vidéo est très réjouissant. Cette chaîne The First Take arrive vraiment à « extraire » le meilleur des artistes qui s’y produisent. Et pour revenir à Vaundy, vu le succès de son dernier single Odoriko (踊り子) qui est premier au classement hebdomadaire de la radio J-Wave depuis quelques semaines, j’ai du mal à comprendre sa non-présence à l’émission Kōhaku de la NHK LE 31 Décembre.

Je ne pensais pas revenir aussi rapidement vers Quruli, mais les hasards des listes de fin d’année sur les meilleurs singles et albums de 2021 m’y replongent pendant quelques minutes que je répète très souvent dans ma playlist personnel. Le morceau I Love You du dernier album de Quruli intitulé Genius Love se trouve à la onzième place de la liste des singles japonais 2021 sélectionnés par le site The Glow. Le morceau a une structure simple et est immédiatement accrocheur. Je pense que la voix de Shigeru Kishida joue beaucoup dans mon appréciation de ce morceau. J’y ressens comme un confort qui me donne maintenant envie d’explorer la discographie plus récente du groupe, alors que je n’ai découvert pour l’instant que les trois albums les plus anciens. Sur cette même liste, on trouve un morceau du groupe D.A.N. intitulé NO MOON, sur un album du même nom sorti en Octobre 2021. Je savais pertinemment que j’allais finir par écouter la musique de ce groupe car je savais qu’Utena Kobayashi y participait, notamment pour y jouer de son instrument fétiche, le steel pan. D.A.N. est un groupe tokyoïte né en 2014 et composé de Daigo Sakuragi (櫻木大悟) à la guitare, voix et synthétiseur, Jinya Ichikawa (市川仁也) à la basse et Hikaru Kawakami (川上輝) à la batterie. Leur musique mélangeant sons électroniques et instruments est très atmosphérique. Je dirais même qu’elle est pleine de grâce, notamment par la voix exceptionnelle de Daigo Sakuragi, par moments androgyne ou proche du hiphop. L’ambiance qui se dégage de ce morceau est très prenante et je suis déjà certain d’aller à la découverte du reste de cet album. J’en parlerais certainement bientôt sur ces pages. Pour terminer, je reviens vers la musique de 4s4ki sur un morceau intitulé space coaster sur son nouvel EP Here or Heaven, sorti le 9 Décembre 2021. Le morceau a un beat électronique aggressif et la voix modifiée de 4s4ki répète le même motif vocal pendant toute la longueur du morceau, ce qui donne à ce morceau un côté expérimental et atypique que j’aime vraiment beaucoup. Je n’aime pas systématiquement tous les morceaux qu’elle compose mais je suis toujours très curieux d’écouter ces nouvelles créations.

白黒になる東京 (2)

Le noir et blanc continue à gagner Tokyo sur les photographies de cette petite série de quelques épisodes. Elles sont prises dans des lieux différents avec l’objectif 40mm que j’aime utiliser en ce moment. J’y ajoute parfois des éléments d’architecture comme sur quelques photographies du premier épisode. Je n’avais pas mentionné dans le premier billet qu’il s’agissait sur la première photographie du musée d’art Watarium conçu par l’architecte suisse Mario Botta en 1990. La grande fresque composée de photographies de visages collées sur la façade du musée a presque entièrement disparu. Il ne reste que quelques traces de papier qui demanderaient à être nettoyées, mais le concept de cette œuvre était apparemment de voir comment elle allait se décomposer avec le temps. L’autre photographie d’architecture du premier billet de cette série montrait la petite maison futuriste Delta à Meguro par l’architecte Akira Yoneda d’Architecton et l’ingénieur de structure Masahiro Ikeda. Je passe de temps en temps devant cette petite maison qui a l’attrait de ne pas être trop connue, par rapport à Reflection of Mineral de l’Atelier Tekuto, dans un esprit futuriste miniature un peu similaire. J’y suis passé alors que la nuit commençait doucement à tomber et les lumières révélaient un peu l’espace intérieur. Il y a également des éléments d’architecture dans ce deuxième billet de cette série en noir et blanc. La première photographie montre une partie de la maison House in Nishiazabu construite en 2006 par l’architecte Ryōji Suzuki, dont j’avais déjà parlé pour une de ses œuvres les plus emblématiques, Azabu Edge, également située à Nishi Azabu. La tête robotisée de la troisième photographie provient du cinquième étage du building Spiral à Aoyama, conçu par Fumihiko Maki et dont je montrais déjà la terrasse située juste en dessous. En parlant de Fumihiko Maki, mahl montre sur son blog une belle série de photographies en noir et blanc du premier bâtiment de Fumihiko Maki au Japon. Il s’agit du Nagoya University Toyoda Memorial Hall. Sur la dernière photographie de ce billet, je montre une nouvelle fois la tour Heian 51 près de Naka-Meguro. Cette tour de béton conçue par Shin Takamatsu est plus sobre que celle d’Akasaka que j’ai été voir récemment. Elle n’en demeure pas moins élégante par sa finesse et ses ouvertures rondes futuristes.

Sur le dernier album Music (音楽) de Tokyo Jihen, Sheena Ringo évoque une personnification du Panthéon bouddhique appelée Mahāmāyūrī, dans la courte partie rappée du premier morceau intitulé 孔雀 (Kujaku). Kujaku désigne en japonais le paon qui est également le symbole utilisé par le groupe. Mahāmāyūrī, également appelée Kujaku Myōō (孔雀明王), est une reine du savoir représentée chevauchant un paon comme le montre les deux représentations ci-dessus. A gauche, il s’agit d’une peinture en couleurs sur soie sur un rouleau datant de la période Heian (794-1185) au 12ème siècle, exposée au musée national de Tokyo à Ueno. A droite, la photo montre une statue de 78 cm en cyprès hinoki créée par le moine bouddhiste Kaikei (快慶) à l’époque Kamakura (1185-1333) en 1200. Cette statue est la propriété du temple Kongōbu-ji (金剛峯寺) situé au Mont Kōya dans la préfecture de Wakayama et elle est exposée au musée Koyasan Reihokan. Mahāmāyūrī est une personnification pacifique vénérée au Japon pendant l’époque de Nara (710-794). Elle a le pouvoir de protéger des intoxications physiques ou spirituelles. Elle permet donc de protéger des poisons, comme par exemple des morsures de serpent. Comme je le mentionnais déjà, le lien entre le dernier album Sandokushi (三毒史) de Sheena Ringo et ce nouvel album de Tokyo Jihen devient tout d’un coup évident. Le terme bouddhiste ‘Sandoku’ utilisé dans le titre de l’album fait référence à trois poisons (l’ignorance, l’avidité et la colère) également représentés par trois animaux (le poulet, le serpent et le cochon) que l’on trouve visuellement montrés dans la vidéo du premier morceau de Sandokushi, Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚). Mahāmāyūrī, la reine paon, vient elle protéger de ces poisons. Sheena Ringo a mentionné quelques fois en interview et pendant l’émission Hanakin Night Ajito Nau que certains fans avaient déjà deviné le retour de Tokyo Jihen à la sortie de Sandokushi en 2019 du fait de l’utilisation de ce nom d’album à référence bouddhique. Il est vrai qu’en 2019, Tokyo Jihen se réunissait déjà en cachette pour composer des morceaux avant leur re-formation officielle. Pour nous éclaircir un peu plus sur ce lien, la vidéo du morceau Kujaku montre des petites statuettes de porcelaine Herend posées sur un tourne-disques (les mêmes que celles posées sur la table pendant l’émission Ajito Nau) représentant les trois poisons (serpent, poulet et cochon) et le paon. Il s’agit d’un trait d’union intéressant entre sa carrière solo et le redémarrage du groupe.

Parmi toutes les émissions radio et télévision que j’ai pu voir et écouter pour la sortie de leur nouvel album, l’émission spéciale Gatten! sur NHK le Jeudi 10 Juin était une des plus intéressantes, surtout pour les morceaux qui y étaient interprétés. Gatten! est une émission de vulgarisation scientifique abordant divers sujets touchant à la vie quotidienne, à la santé et médecine entre autres. Les sujets sont expliqués de manière amusante et ludique avec des expérimentations auxquelles les membres de Tokyo Jihen se sont fait porter volontaires malgré eux. Parmi les sujets de cette émission, l’animatrice posait la question de quelle était la manière la plus efficace de passer l’aspirateur, ou comment éliminer le gaz d’une bouteille de Coca Cola avant de l’ouvrir si on l’a malencontreusement secoué auparavant. Ce sont des sujets très anecdotiques et l’utilité de la présence du groupe est des plus discutables, mais ils se sont quand même bien prêtés au sujet, à part peut-être Ukigumo qui a toujours l’air de s’ennuyer sur les plateaux de télévision. Le sujet suivant, le plus intéressant, était une explication de comment naît dans notre cerveau le plaisir, Kaikan (快感) en japonais. J’aime beaucoup ce mot car il me rappelle une scène culte du film Sērā-fuku to kikanjū (セーラー服と機関銃) où l’actrice Hiroko Yakushimaru le prononce juste après avoir descendu à la mitraillette les membres d’un clan adverse de yakuza. Pour expliquer le mécanisme du plaisir dans notre cerveau, une image illustrée géante de la tête de Kameda était montrée sur le plateau avec une ouverture sur son cerveau pour laisser apparaître des petites capsules rondes et animés représentant la dopamine et l’endorphine. Cette petite présentation se déroulait sous le sourire parfois surpris des membres du groupe.

Gatten! était plusieurs fois interrompue par des séquences présentées par Izawa Ichiyō et intitulées Musica Piccolyno. Il s’agit de mini-épisodes consacrés à l’éducation musicale, tentant de susciter l’intérêt des enfants pour la musique. Il y avait une autre séquence, un peu plus intéressante à mon avis, intitulée Warau Yōgakuten (笑う洋楽展) et présentée par le mangaka et illustrateur Jun Miura (みうらじゅん) ainsi que par Hajime Anzai (安齋肇), illustrateur mais également musicien et “Soramimiste”. “Soramimiste” fait référence à l’émission de télévision Sora Mimi Awa (空耳アワー) sur la chaîne Asahi. Cette émission présentée par Tamori et son Tamori Club (タモリ倶楽部) recherchait dans des morceaux de musique étrangère des mots qui pourraient être compris comme du japonais. Je me souviens qu’on regardait souvent cette émission. Tous les exemples de ré-interprétation en japonais de paroles en anglais ou autres langues n’étaient pas tous extrêmement réussis, mais nous faisaient souvent rigoler. Une autre séquence de l’émission, Warau Yōgakuten, parle également de musique. Jun Miura et Hajime Anzai y parlent librement en regardant des vidéos musicales qu’ils commentent. Pendant cette émission en particulier, ils évoquaient le morceau Baba O’Riley en version Live des anglais de The Who. L’émission spéciale passait donc son temps à jongler entre ces séquences en montrant au passage une reproduction assez fidèle en marionnettes de Tokyo Jihen habillé des tenues blanches qu’ils portaient au moment de leur re-formation au début de 2020. Il doit y avoir des fans motivés à la NHK pour créer des marionnettes de cette qualité.

Et l’émission nous montrait bien évidemment des interprétations de quelques morceaux de Tokyo Jihen. Il y en avait quatre en tout: Eien no Fuzai Shōmei (永遠の不在証明) extrait du EP News, une inévitable reprise de Marunouchi Sadistic (丸の内サディスティック) de Sheena Ringo, et deux morceaux du dernier album: Ryokushu (緑酒) et Yaminaru Shiro (闇なる白). Le titre de ce dernier morceau m’inspire d’ailleurs le titre des billets de cette série photographique. Sur Marunouchi Sadistic, le groupe était habillé des tenues blanches inspirées de la marine que l’on voyait sur l’affiche de l’album Music, sur le toit de l’immeuble Sky Building à Shinjuku. Les tenues qui m’ont le plus impressionné sont celles de Ryokushu et de Yaminaru Shiro. Sur Ryokushu d’abord, ils étaient tous les cinq habillés en tenues complètes roses. Ça pourrait paraître ridicule pour la plupart des groupes qui s’imagineraient se vêtir ainsi, mais ça passe pour Tokyo Jihen. Certainement parce qu’ils nous ont habitué à toutes sortes d’extravagances vestimentaires sans que ça paraisse déplacé. J’aime assez quand ils partent vers ces folies visuelles et j’y trouve même un certain esprit Visual Kei dans le sens où leur apparence ne répond pas à une mode du moment, reste particulièrement unique et essaie de susciter une réaction auprès du public. L’apparence visuelle du groupe redevient plus ‘normale’ sur le morceau Yaminaru Shiro. La mise en scène est très intéressante. On voit Sheena assise avec une veste en cuir et des lunettes de soleil ronde devant un ordinateur portable Apple où la pomme est remplacée par un paon. Elle porte sur une de ses mains des armor rings, étendus par rapport à ce qu’elle portait à ses débuts. On voit qu’Izawa est très musclé et son entraînement journalier sera même le sujet de la vidéo YouTube Hanakin du Vendredi 18 Juin. Avec ses petites lunettes rondes et sa musculature développée, il me rappelle un peu le personnage de RanXerox de Liberatore. Kameda est lui volontairement très statique debout sur un bloc avec un regard de tueur. Cette mise en scène est la meilleure des quatre morceaux joués dans l’émission. J’essaierais de parler un peu plus tard d’une autre émission très intéressante avec Tokyo Jihen, Kan Jam dont la deuxième et dernière partie passera dimanche soir.

I’m nobody. Who are you? I’m the ocean.