街の声は届かない

Hatsune Miku (初音ミク) observe le carrefour de Shibuya avec ses grands yeux mais n’entend pas la foule qui grouille à travers les vitrages du magasin Tsutaya où elle se trouve prisonnière. J’aime me promener régulièrement dans les rues encombrées de Shibuya car on y voit régulièrement ce genre de grandes affiches prenant d’assaut toute notre attention visuelle. La photographie que je préfère de ce billet est la dernière montrant un étrange halo lumineux. Il m’a d’abord surpris avant que je comprenne de quoi il s’agissait. J’ai bien sûr tout de suite pensé à la présence d’un esprit qui aurait voulu communiquer avec moi de manière visuelle, mais je me suis rendu compte qu’il s’agissait tout simplement de la réflection de la lumière du soleil dans un miroir routier de forme arrondie. Ce petit effet de lumière inattendu contribue en tout cas à la poésie urbaine que je recherche en marchant sans cesse dans les rues de Tokyo.

Hitsuji Bungaku (羊文学) vient de sortir un excellent nouveau single intitulé Koe (声), qui confirme encore une fois tout le bien et le respect que j’ai envers ce groupe, qui continue à tracer sa route en poursuivant son style sans se faire perturber par les influences du moment. Le morceau commence doucement par des accords de guitare acoustique accompagnés par la voix de Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) qui transmet comme toujours une tension palpable. La vidéo où l’on voit Moeka assise dans l’habitacle fermé d’une voiture étrangère est très belle. Elle transmet un sentiment d’isolation où les voix de la ville qui l’entoure sont inaudibles. Cette voiture est une superbe Mustang noire, ce qui m’a beaucoup surpris et même un peu amusé car j’avais justement eu l’idée d’utiliser une Mustang noire pour les images de la série photographique imaginaire entourant le groupe Lunar Waves dans mon billet « dans une réalité parallèle proche du chaos« . A noter que j’avais créé ces images avec la Mustang noire et publié ce billet avant la sortie de la vidéo du single Koe de Hitsuji Bungaku, ce qui constitue une coïncidence très intéressante voire un peu troublante. Hitsuji Bingaku a annoncé il y a quelques jours un nouveau concert au début du mois de Mai 2025 dans la salle Toyosu Pit avec le groupe Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ), dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog. Ce concert s’intitule Japon Vol.1 Hitsuji Bungaku x Ging Nang Boyz (じゃぽんVol.1 羊文学x銀杏BOYZ) et fête l’anniversaire des dix ans de la salle, que je connais d’ailleurs déjà pour y avoir vu le groupe Tricot pour la première fois. J’ai tenté ma chance pour obtenir un billet mais il me faudra attendre le résultat de la loterie qui devrait tomber dans quelques jours. J’ai fait ma demande de billet dans les dix minutes qui suivaient l’ouverture de la billetterie, mais j’imagine que les places vont être difficiles à obtenir vu le succès de Hitsuji Bungaku. Le single Koe se trouve par exemple en deuxième position du classement hebdomadaire Tokio Hot 100, et sert de thème pour un drama télévisé intitulé 119 Emergency Call (119エマージェンシーコール). Bien qu’ils soient pleinement rock, la perspective de voir des groupes aussi opposés que Hitsuji Bingaku et Ging Nang Boyz m’attire en tout cas beaucoup.

Je découvre ensuite le groupe downy (ダウニー), qui n’a rien à voir avec une marque de shampoing, car il s’agit d’un groupe post-rock japonais. La formation se compose de six membres: Robin Aoki (青木ロビン) au chant et à la guitare, Yutaka Aoki (青木裕) également à la guitare, Kazuhiro Nakamata (仲俣和宏) à la basse, Takahiko Akiyama (秋山隆彦) à la batterie, SUNNOVA (サンノバ) aux claviers et samplers et finalement le producteur d’images et VJ Zakuro (柘榴). Le morceau intitulé Eclipse (日蝕), que je découvre, ressemble à une longue complainte. Robin Aoki répète les mots Hazeru yōna Rasen (爆ぜる様な螺旋), signifiant « Spirale explosive », d’une manière obsessionnelle comme s’il était possédé par cette spirale à laquelle il fait référence. La vidéo contribue au sentiment très étrange qui entoure ce morceau tout à fait fascinant. J’apprends que le groupe apporte beaucoup d’importance aux images, ce que l’on comprend bien par la présence permanente d’un producteur d’images au sein du groupe. Celles-ci ont été construites avec l’assistance de intelligence artificielle, ce qui se remarque très vite car les transformations d’images ne sont pas naturelles. Je comprends tout à fait l’intérêt de l’intelligence artificielle quand il s’agit de concevoir des vidéos que l’on aurait beaucoup de mal à créer de manière « artisanale ». Il faut une évidente inspiration pour pouvoir guider l’IA vers ce genre de compositions d’images. Je pense que les débats sur l’utilisation de l’IA ne se posent plus vraiment lorsqu’on crée ce genre d’images qu’on ne pas l’habitude de voir.

J’avais parlé du groupe Hakubi dans un billet récent et c’est un vrai plaisir de les retrouver sur un autre très bon single intitulé Another World (もう一つの世界) (Alt ver.). Le morceau Another World a une composition rock puissante en guitare assez classique, mais immédiatement convaincante. On y retrouve toujours cette passion que la chanteuse Katagiri (片桐) arrive merveilleusement bien à nous transmettre par son chant. Elle s’engage complètement dans son interprétation et ce genre d’implication sans retenue me plait toujours beaucoup. La vidéo remplie de neige est de saison car les tempêtes de neige sont annoncées sur une bonne partie du Japon. La vidéo a été tournée à Shibetsu (士別) à Hokkaido sur une colline appelée Hitsuji to Kumo no Oka (羊と雲の丘). Je me dis que cet endroit aurait été également idéal pour une vidéo de Hitsuji Bungaku.

Le morceau Spica par Suichu Spica (水中スピカ) est une autre belle découverte rock. Suichu Spica est un groupe de math rock originaire de Kyoto mais actuellement basé à Tokyo. Il se compose de quatre membres: Chiai (千愛) au chant et à la guitare, Takehisa Noguchi (野口岳寿) à la guitare, Jun Uchida (内田潤) à la basse et Ryoichi Ohashi (大橋諒一) à la batterie. Ce long morceau, sorti en Décembre 2024, nous transporte pendant plus de 7 minutes vers d’autres horizons. L’approche très mélodique du chant de Chiai se mélange vraiment bien avec l’instrumentation math rock. Cette association un peu typique d’une mouvance pop avec un morceau qui pourrait très bien être instrumental est vraiment exquise. C’est un morceau superbe en touts points, tout comme peut l’être la vidéo tournée dans une forêt profonde. Pour terminer, je retrouve le groupe Yuragi (揺らぎ) dont j’ai souvent parlé sur ces pages et qui est pour moi une valeur dans le petit monde du rock japonais à tendance Dream pop et Shoegaze. Miraco chante en anglais sur le morceau Our, extrait de leur troisième album In Your Languages. Le rythme de la batterie et des guitares est très marqué donnant une certaine tension qui est contrebalancée par la voix de Miraco qui dégage une mélancolie touchante. Et quand le rythme s’apaise, on est accompagné par une guitare acoustique qui nous apporte un peu de répit avant un déchaînement de guitares proche des sons alternatifs américains des 90s. Que de superbes morceaux dans cette série musicale rock!

不可欠歩行

Ces rues, plutôt inhabituelles pour moi, se trouvent près de Jiyūgaoka dans l’arrondissement de Meguro. Je reviens de la vallée de Todoroki (等々力渓谷) et je me rends compte que je n’ai pas encore montré de photos de cet endroit. Mes séries s’inscrivent la plupart du temps dans un ordre non chronologique car la séquence des billets est plus importante pour moi que la chronologie, vu que mes textes ne s’inscrivent pas dans l’actualité du moment. Quand je le peux, j’aime alterner les billets purement architecturaux avec ceux de paysages urbains, en général plus désordonnés et accompagnés de recommandations musicales. Après avoir aperçu une étrange maison de béton aux angles affûtés, je suis pendant quelques secondes une dame en noir avant de bifurquer rapidement vers une rue longeant la voie ferrée. Le centre de Jiyūgzoka n’est pas très loin et je le traverse rapidement pour m’en échapper après avoir retourné le bonjour à Arale placée sagement dans une vitrine à côté de bottes Louis Vuitton. La résidence d’acier et de verre sur la dernière photographie est intéressante car le balcon est traversé par endroits par un grand arbre. Un homme est assis sur un des balcons et je le vois déjeuner à côté de cet arbre traversant. Je l’envie quelques instants car ça doit être agréable de manger dehors avec une vue dégagée sur la rue.

Je reviens vers le groupe rock alternatif GO!GO!7188 avec les deux premiers albums Dasoku Hokō (蛇足歩行) et Gyotaku (魚磔), que j’écoute déjà depuis quelques semaines. Ils sont sortis en Novembre 2000 et Décembre 2001 respectivement. J’y reviens ces derniers jours et me replonge volontiers dans l’intensité inarrêtable et pleine d’urgence de cette musique rock indé. Rappelons que GO!GO!7188 est un trio, formé en 1998, originaire de Kagoshima dans le Kyūshū, qui a malheureusement arrêté ses activités en 2012 après huit albums studio. Avec Sheena Ringo originaire de Fukuoka, Miyuna de Miyazaki et GO!GO!7188 de Kagoshima, je me rends compte tout d’un coup que j’écoute beaucoup de musique des filles du Kyūshū. Yumi Nakashima (中島優美), surnommée Yū (ユウ) que j’évoque souvent ces derniers temps est accompagnée par Akiko Noma (野間亜紀子) qui se fait appeler Akko (アッコ) et par Takayuki Hosokawa (細川央行) se faisant lui appeler Turkey (ターキー). Akko est à la guitare basse et écrit les paroles, tandis que Yū écrit les musiques, joue de la guitare et chante sur tous les morceaux. Turkey est lui le batteur du groupe et la seule présence masculine à bord. Ils chantent tous les trois, mais c’est surtout la voix très distinctive et parfois haut perchée de Yū que l’on entend et qui nous entraîne dans les méandres des riffs de guitare. Le premier album Dasoku Hokō (蛇足歩行) est plein de fougue, qui va même crescendo jusqu’au morceau intitulé tout simplement Punk (パンク) ondulant en des phases lentes et d’autres soudainement rapides me laissant extatique. On y trouve l’instinctivité et l’énergie de la jeunesse, et une certaine légèreté malgré la densité des guitares. Chaque morceau est extrêmement efficace et ne laisse pas beaucoup de répit, à part le morceau central de l’album Koi no Uta (こいのうた) qui vient marquer une petit pause bien méritée. Écouter les onze morceaux de Dasoku Hokō (蛇足歩行) me donnent envie de continuer avec l’album suivant Gyotaku (魚磔) qui semble démarrer dans la continuité du précédent. On est dans la même atmosphère faite de guitares déferlantes et de batterie martelante sur ce deuxième album, même il me semble un peu plus mâture, ne serait-ce que par la présence d’un morceau comme Sakurajima (桜島). Il s’agit du morceau central de l’album prenant pour titre le nom du volcan encore actif à Kagoshima. C’est le morceau le plus étrange, ressemblant à un ancien compte sombre qui ferait peur aux enfants. « Ne vas pas nager dans cette mer noire » (海が黒いから泳ぐのをやめて) nous dit par exemple les paroles du morceau. Sur ce morceau comme sur les autres, on y trouve un grand sens mélodique qui rend cette musique très addictive. Je l’ai déjà dit auparavant, mais la voix et la manière de chanter de Yū, parfois empreinte de tonalités Enka, me fait revenir sur les albums de GO!GO!7188, que ça soit quand elle pousse sa voix jusqu’à ses propres limites ou qu’elle roule de temps en temps les « r » comme une ’mauvaise fille’. Il y a beaucoup de spontanéité dans cette musique qui reste dans l’ensemble beaucoup plus directe que le rock compliqué de Tricot par exemple. Le petit détail qui m’amuse est l’utilisation du mot « corn potage » dans un des meilleurs morceaux de l’album Gyotaku, A.M.7:30, me rappelant Tricot utilisant ce mot « potage » comme titre de morceau sur un de leurs albums. Je vais en tout cas continuer encore un peu la découverte progressive des autres albums, car j’ai besoin de ce rock là dans les oreilles en ce moment.