take the fender to the red car and hit the road to nowhereland

Le coupé rouge que je pense être une Nissan Skyline est garé au bout de la rue, dans son alignement de sorte qu’on l’aperçoit depuis la sortie de la gare. On m’avait dit d’amener la Fender jusqu’à cette voiture rouge que je ne pouvais pas manquer. Je pense que c’est la première fois que je vois cette voiture à cet endroit là. Je connais assez bien le quartier et je l’aurais déjà remarqué. La rue étroite qui pointe vers elle nous laisse le temps de l’approcher. La clef est dans ma poche et la guitare Fender Stratocaster Vintera bleue turquoise dans sa housse noire sur mon dos. Il n’y a personne autour de la voiture, seulement quelques passants qui ne détournent pas le regard, perdus dans leurs pensées. Le modèle doit dater des années 70 mais elle est très bien entretenue. La couleur rouge est tellement vive que la peinture ne doit pas être d’origine. Elle a certainement être repeinte. L’intérieur de cuir noir que j’aperçois à travers la portière avant est également impeccable. J’enfonce sans plus attendre la clef marquée d’un ’R’ rouge dans la serrure de la portière et celle-ci s’ouvre immédiatement sans résistance. Je place d’abord la housse de guitare sur les places arrières plutôt étroites, puis m’assois derrière le volant. Il est plus petit qu’à ma première impression et l’assise est basse. Le siège avant est moins ferme que je ne l’imaginais pour un coupé. Le cuir est abîmé par l’usure à différents endroits. Devant le pommeau de vitesse, un lecteur de cassettes est enclenché. Il n’en sort cependant aucun son. La boîte de la cassette est posée en vrac sur le siège passager avec d’autres papiers, des morceaux de partitions brouillonnées et des feuilles de textes incomplets et raturés à plusieurs endroits. Sur cette boîte de cassette, la photographie d’un visage de femme en faïence en grande partie cassé et fissuré m’interpelle. A l’arrière, Il n’y a rien à part la Fender que je viens de déposer. J’ai envie de la sortir de sa housse pour la laisser respirer et prendre part entière de l’habitacle de la Skyline. Il est 14h30. Il fait une vingtaine de degrés dehors et le soleil est seulement gêné par quelques nuages. Je fais deux ou trois tours de manivelle pour ouvrir la vitre et laisser un fin courant d’air entrer à l’intérieur. Le réservoir est plein. Le moteur est plus bruyant que je l’imaginais ce qui me pousse à augmenter de deux crans le son du lecteur de cassettes laissant s’échapper les premières notes de guitares. Je m’engage sur la rue principale puis sur la grande avenue qui me fait monter sur l’autoroute après une petite dizaine de minutes. La puissance de la machine rend la conduite aisée. L’autoroute est quasiment déserte ce qui m’étonne d’abord beaucoup. L’autoroute est à moi, le temps est à moi, direction le Nord. Le rock alternatif qui se diffuse dans l’habitacle m’est inconnu mais m’attire beaucoup. Il m’accompagnera pendant quelques temps dans la solitude de l’habitacle. L’air est clair et la lumière hivernale forte. La sortie de chaque tunnel éblouit au point où on a l’impression de perdre tout contact avec le réel pendant quelques secondes, le temps que notre œil et nos sens se réhabituent à la lumière solaire qui nous frappe. Ces quelques secondes d’évanouissement sensoriel donnent à l’atmosphère vaporeuse de la musique que j’écoute une présence toute particulière. Il me semble même que les accords de guitare que j’écoute proviennent de la Stratocaster posée sur les sièges arrières. Les sons circulent dans l’habitacle et se mélangent dans une harmonie qui est difficile à décrire. J’aimerais que l’éblouissement à la fin des tunnels soit plus long et intense. À l’entrée du 19ème tunnel de l’autoroute, le déclic sec du lecteur de cassette sonne la fin du onzième et dernier morceau de l’album. J’étais tellement envoûté par les sons de guitares que je n’avais pas remarqué la trame musicale qui évoluait derrière et qui prend maintenant de l’importance. Cette trame lente, répétitive et floue me saisit tout d’un coup par son omniprésence et accapare toute mon attention. Les nappes instrumentales qui la composent sont pleines de mystères, communiquant des images d’un monde cosmique qui nous enveloppe mais dont on a du mal à en saisir la substance. On se croirait dans un rêve éveillé. La consistance des choses me paraît moins certaine alors que l’éblouissement de la fin du 19ème tunnel accentue cette perte sensorielle. Il n’y a plus de boîte de cassette de femme au visage de faïence cassée sur le siège passager, la guitare Fender à l’arrière s’est évaporée. Les contours de l’habitacle du coupé rouge se confondent maintenant avec les traînées de lumière au fur et à mesure qu’on approche de la sortie du tunnel. Le crescendo de la trame instrumentale sourde et le flux de lumière émettent désormais une puissance supérieure à mes capacités sensorielles. Je ne me sens plus en mesure d’atteindre mon but. Mais quel était il? Je viens peut-être de l’atteindre en cet instant.

(裏1)

Les hasards ont fait que j’ai pris cette photographie du visage inquiétant de Richard D. James sur deux de ses albums de la deuxième partie des années 1990 peu de temps avant l’annonce de la réédition de l’album Selected Ambient Works, Vol. 2 de Aphex Twin. Cet album déjà énorme car durant 2h32m ressort en version augmentée. Je ne suis pas sûr de m’y replonger, mais je découvre en tout cas le nouveau single intitulé #19 sorti dans la foulée. Il ne s’agit en fait pas tout à fait d’un nouveau morceau car il était apparemment déjà présent sur la version vinyle du dit album. Il y avait bien déjà un morceau #19 sur Selected Ambient Works, Vol. 2 mais cette autre version est complètement différente. Soit Aphex Twin brouille volontairement les pistes, soit c’est moi qui me mélange les pinceaux. Le ’nouveau’ #19 se compose d’une longue plage de 10 minutes, répétitive et mouvante jusqu’à réussir à nous hypnotiser si on veut bien lâcher prise. Les nappes électroniques lentes sont floues, sombres mais teintées par moments de halos lumineux. J’ai toujours pensé que la musique d’Aphex Twin, qu’elle soit ambient comme ici ou plus expérimentale, était conditionnée par les expressions de son visage sur les albums… I care because you do (1995) et Richard D. James (1997) mentionnés un peu plus haut. On ne sait jamais vraiment si on a affaire à un génie créatif ou à un artiste qui se moque un peu de nous. La vérité se trouve peut-être un peu entre les deux, mais j’y pense particulièrement en écoutant ce morceau #19. Écrire cela ne m’empêche pas de l’écouter à répétition car cette ambiance m’inspire.

(裏2)

Je ne suis pas sûr que le modèle Stratocaster Vintera II en version bleue turquoise était vendu au magasin Fender Flagship Tokyo d’Harajuku, mais j’ai regardé avec une grande attention la variété de modèles présentés, notamment la série Stratocaster. Je n’étais jusqu’à maintenant jamais entré à l’intérieur, même si ça me démangeait depuis longtemps. Je pense que j’avais un peu peur qu’on arrive trop facilement à me convaincre de ré-acheter une guitare. Le design intérieur a été conçu par Klein Dytham Architecture. Tout y est très clair et spacieux, assez loin du bazar visuel des magasins d’instruments de musique d’Ochanomizu. Le magasin couvre plusieurs étages et l’escalier vaut à lui seul le détour car ses murs sont couverts de photographies de musiciens japonais ou étrangers portant bien sûr une ou plusieurs guitares de la marque. Je reconnais quelques têtes comme celles du groupe Number Girl avec Shutoku Mukai (向井秀徳), Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) et Kentarō Nakao (中尾憲太郎). Je n’y ai par contre pas trouvé Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ), Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ), a子 ou Chiaki Satō (佐藤千亜妃) malgré les très belles séries de photographies prises pour la marque par Hirohisa Nakano (中野敬久). Le dernier étage du magasin ressemble à un musée exposant une longue série de guitares vintage avec le nom du musicien ou de la musicienne à qui la guitare appartenait. On croit deviner à cet étage un petit salon donnant sur une grande baie vitrée, mais l’accès est fermé au public. J’imagine que des interviews doivent se dérouler à cet endroit.

(裏3)

Après avoir maintes fois écouter le single Angel, dont j’avais parlé dans un billet précédent, je reviens vers le rock du goupe irlandais NewDad en écoutant l’album Madra dans sa totalité. L’album de 11 morceaux est excellent de bout en bout, et c’est un vrai bonheur de l’écouter dans son intégralité. Il ne s’agit que de leur premier album mais on sent déjà une grande maturité. De nombreuses émotions nous traversent en écoutant cet album, à l’image de la mystérieuse photographie de couverture montrant un visage de femme en faïence en grande partie cassé et fissuré. L’album possède une certaine immédiateté car on se laisse très facilement accrocher par les mélodies de guitare et les refrains chantés par Julie Dawson, mais la beauté mélancolique et vaporeuse de l’ensemble se révèle un peu plus après chaque écoutes. Cette musique rock alternative m’a inspiré en partie le texte du début de ce billet.

体験は無限

Je n’avais pas fait l’expérience de la marche entre Shibuya et Shinjuku depuis de nombreuses semaines. J’y trouve étonnamment à chaque fois des nouvelles choses à photographier comme si mon focus visuel changeait à chaque fois. Je n’avais par exemple par remarqué jusqu’à maintenant le faciès robotisé du building de la première photographie. Peut-être est-ce la lumière du soir qui change ma perception et me fait découvrir de nouvelles choses. Cette lumière du soir se reflétant sur les vitrages d’un nouveau building posé sur la nouvelle rue reliant l’avenue Meiji et le parc Shinjuku Gyōen m’attire également. Sur la dernière photographie, nous sommes dans le centre de Shinjuku devant le building MetLife Shinjuku Square décorée d’une grande illustration de l’artiste japonais originaire de Kanagawa, Hogalee. Cette œuvre a été créée en conjonction avec l’exposition de l’artiste intitulée Entanglement qui a lieu dans la galerie Kana Kawanishi dans le quartier de Koto. Le titre de l’exposition fait référence au ’quantum entanglement’, où intrication quantique en français, qui est un phénomène dans lequel deux particules forment un système lié et présentent des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare. Ce concept s’applique pour cette exposition dans le fait que des illustrations liées sont présentent dans deux espaces distants l’un de l’autre. Mais je ne pense pas que les illustrations en elles-mêmes se modifient les unes par rapport aux autres, car ce dessin sur le building de Shinjuku reste tout à fait statique.

Dans les rues de Shibuya, je suis toujours attiré par le personnage appelé Uyu (si je ne me trompe pas) dessiné par l’artiste Fuki Committee. Il faut dire que ces stickers sont vraiment nombreux dans les rues de Shibuya et il faut vraiment le vouloir pour ne pas les remarquer. Le message « ダメよ。ゼッタイ。 », faisant référence à une interdiction stricte, m’a toujours intrigué car on ne connaît pas la nature de cet interdit et on peut imaginer plein de choses. Ce message d’interdiction n’est en fait pas lié à un sujet précis mais fait plutôt référence à toutes les règles imposées dans le système social japonais. En ce sens, c’est un message assez similaire à celui de Wataboku dans ses illustrations de personnages féminins portant toutes sortes de panneaux d’interdiction sur leur visage. On peut soi-même imaginer de quel interdit Fuki fait référence sur ces autocollants de rue. En tout cas, un des interdits est celui de poser des autocollants sur les murs des espaces privés ou publics. J’imagine que l’artiste a dû avoir, de temps en temps, quelques problèmes avec les autorités locales. Je suis toujours surpris de voir ce genre d’artistes présenter leurs œuvres dans des galeries car c’est comme s’ils montraient à visage découvert, au grand jour. Une petite exposition intitulée Slap’n Run dans la galerie America Bashi près de Yebisu Garden Place présentait en fait des illustrations de Fuki Committee en collaboration avec deux autres artistes de rue: makersspace et VLOT. J’ai souvent vu leurs autocollants collés dans les rues de Tokyo. J’y suis passé très rapidement un soir de week-end pour apprécier leurs œuvres murales se mélanger les unes avec les autres. Le personnage aux oreilles de lapin de VLOT prenait par exemple le visage de la fille dessinée par Fuki. Les blocs pixelisés de makersspace venaient se mélanger avec les personnages des deux autres artistes.

Pour terminer en musique, je reviens vers la musique de macaroom avec deux morceaux, mugen (無限) et hong kong, sur un album sorti l’année dernière intitulé inter ice age 4. L’idée m’est venue d’écouter le morceau hong kong car je m’y suis justement déplacé quelques jours cette semaine. Le morceau mugen a cette beauté subtile typique de macaroom, qui n’exagère rien mais arrive à toucher à des sentiments profonds. Ces deux morceaux me font ensuite revenir vers d’autres plus anciens du groupe, comme celui intitulé Mother, dont j’avais déjà parlé sur ce blog. L’envie de réécouter la voix d’Emaru et les compositions d’Asahi me reviennent régulièrement, notamment le sublime morceau Tombi (sur l’album Swimming Classroom), qui reste inscrit dans ma liste, longue peut-être, des meilleurs morceaux de musique electro-pop japonaise. Je pense que la vidéo joue aussi sur l’appréciation que j’ai du morceau.

On pourrait écrire des pages et des pages sur l’importance des visuels et des vidéos. Je suis par exemple particulièrement déçu de voir Daoko utiliser une vidéo animée créée par Intelligence Artificielle pour le dernier morceau Mr. Sonic de son nouveau groupe QUBIT. On a déjà vu des centaines de fois ce type d’imageries génériques se transformant à l’infini. Il n’y a rien de spécifique à l’univers de Daoko ou de ce groupe, à part peut-être une vague ressemblance des visages. Le morceau en lui-même est loin d’être mauvais mais ne révolutionne rien. Ça ne m’empêchera pas d’aller découvrir l’album du groupe, mais je trouve que cette vidéo est un faux pas et j’ai l’impression qu’on lui a fait remarquer sur les réseaux sociaux. On est loin de la qualité de vidéos comme celle d’Onaji Yoru (同じ夜) et celle grandiose de Step Up Love (ステップアップLOVE) par Yuichi Kodama avec le génial Yasuyuki Okamura (岡村靖幸). Et en parlant de l’importance des visuels dans notre appréciation musicale, Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) de Hitsuji Bungaku (羊文学) en parlait justement dans une interview récente par Seiji Kameda (亀田誠治) sur la radio J-Wave. Elle disait qu’elle choisissait souvent la musique qu’elle allait écouter en fonction des couleurs des pochettes des albums. Je ne pouvait pas manquer cette interview, d’autant plus qu’elle a confirmé que Hitsuji Bungaku jouait bien des reprises de Tokyo Jihen, en particulier Gunjō Biyori (群青日和) à ses débuts. J’ai été particulièrement intéressé et satisfait par sa sélection musicale pour l’émission avec d’abord XTAL d’Aphex Twin (sur Selected Ambient Works 85-92), puis Date with IKEA de Pavement (sur Brighten the Corners), Amai Kaori (甘い香り) de Cocco (sur l’album きらきら), Pretender de Winter (sur Supreme Blue Dream) et finalement le morceau GO!!! du groupe qui sera présent sur le nouvel album. Ce sont des groupes et artistes que j’aime et écoute, à part Winter que je ne connaissais pas mais que je vais chercher à découvrir. La présence d’Aphex Twin me surprend mais Kameda y ressent une inspiration dans la musique de Hitsuji Bungaku, dans les chœurs peut-être ou dans cette inspiration de monde flottant. XTAL est en tout cas un superbe morceau que je me mets à réécouter maintenant. L’émission étant sponsorisée par une grande marque automobile, Moeka parle des morceaux qu’elle aime passer en voiture. Elle ne conduit pas mais c’est elle qui construit les playlists lors de virées avec ses amis. Il faudrait qu’elle les publie quelque part.

I know you dream of snowfields, Floating high above the trees

Je traverse régulièrement à pieds le sanctuaire Toranomon Kotohiragu (虎ノ門 金刀比羅宮) dont l’origine remonte à l’année 1660. Une de ses particularités remarquables est qu’il se trouve encastré entre des hauts immeubles. Il partage son emplacement avec la tour Kotohira et une partie du sanctuaire est d’ailleurs située dans cette tour. Cette combinaison d’un sanctuaire et d’une tour moderne peut paraître assez atypique mais n’est pas particulièrement rare à Tokyo. Dans le cas présent cependant, on a vraiment le sentiment que la tour à optimiser l’espace utilisable sans trop porter atteinte à l’environnement nécessaire au sanctuaire. Un des grands torii du sanctuaire est par exemple situé à l’entrée du building et l’approche du sanctuaire est en grand partie couverte par celui-ci. On pourrait très bien retrouver cet entrelacement de sanctuaire et de building dans le petit guide jaune Made in Tokyo de Junzo Kuroda, Yoshiharu Tsukamoto et Momoyo Kaijima. Je continue ensuite ma marche en longeant en partie le parc Hibiya, que je traverse aussi assez souvent en ce moment sans pourtant le prendre en photo. Le Hibiya Chunichi Building (日比谷中日ビル), conçu par Nikken Sekkei et construit en 1973, se trouve devant une des entrées du parc. J’ai toujours été intrigué par l’ouverture horizontale et biseautée située à un angle du building. Quelle peut bien être la fonction de cette ouverture, elle ne semble pas utilisée actuellement. Le bâtiment est occupé par une agence de presse et je me suis même imaginé qu’on jetait depuis cette fenêtre les journaux aux passants qui souhaiteraient bien les recevoir, un peu à la manière de paperboy dans le jeu vidéo d’arcade des années 80. Mais tout ceci est très improbable et le mystère reste entier. Je rejoins ensuite Kyobashi où un matsuri se prépare. Une dame me dit gentiment en anglais que le matsuri ne commencera qu’à 15h. Je lui réponds en japonais et elle se trouve du fait tout embêtée. Depuis quelques années, on ne m’adressait jamais la parole en anglais car on ne me confondait pas avec un touriste pendant toute la période de la crise sanitaire, les touristes étrangers étant quasiment absents. C’est désormais beaucoup plus fréquent qu’on m’adresse la parole en anglais. Il n’y a rien là de vraiment désobligeant mais je viendrais presqu’à oublier que j’habite au Japon depuis maintenant 24 ans. L’avantage d’être pris pour un touriste est de pouvoir prendre tout et n’importe quoi en photo sous prétexte d’exotisme, sans attirer grande attention. Ça apporte un confort certain.

Il suffit que je dise que je n’écoute pratiquement plus que de la musique japonaise pour que certains des artistes anglo-saxons que je préfère se mettent à sortir des nouveaux morceaux. Je suis toujours très attentif aux dernières créations électroniques d’Aphex Twin car je suis rarement (jamais) déçu. Il n’a pas sorti de nouvelles musiques depuis 2018 avec le EP Collapse. Un nouvel EP intitulé Blackbox Life Recorder 21f/In a Room7 F760 sortira le 28 Juillet 2023 et le premier morceau Blackbox Life Recorder 21f est déjà disponible. On ne sera pas surpris par l’ambiance générale du morceau. Il s’agit bien, dès les premières notes, du style Aphex Twin et c’est exactement ce qui me plaît. Il y a toujours un savant mélange et dosage entre les mélodies et la destruction sonores. La superbe image de couverture très architecturale est signée Weirdcore. Les shoegazers ’historiques’ Slowdive viennent également de sortir un nouveau single intitulé Kisses, en avance de leur prochain album Everything is alive qui sortira le 1 Septembre 2023. On a le temps de l’entendre venir mais ça fait de toute façon six ans qu’on attend un nouvel album de Slowdive, le précédent album éponyme étant sorti en 2017. Ce nouveau Kisses est vraiment excellent surtout quand les voix des anciens amants Neil Halsteid et Rachel Goswell se mélangent entre elles, avec des guitares très spatiales qui envahissent tout l’espace. Trente années après leurs heures de gloire avec l’album culte Soulvlaki, Slowdive n’a rien perdu de son inspiration et ça fait beaucoup de bien. Une autre excellente surprise est la découverte d’un nouveau morceau du projet The Smile fondé par les deux membres de Radiohead, Thom Yorke et Jonny Greenwood, avec Tom Skinner à la batterie. Ce nouveau morceau intitulé Bending Hectic fait 8 minutes. Je pourrais m’arrêter là car on peut facilement imaginer la qualité du morceau rien qu’en annonçant sa longueur. Il commence doucement, axé sur la voix hantée de Thom et sur des notes atypiques de guitare enclenchant des décélérations étranges. Et puis, il y a un retournement de situation assez flippant qui donne la chair de poule. Le morceau part ensuite vers d’autres territoires plus violents et chaotiques. Émotionnellement, c’est très fort. Ayant récemment réécouté certains albums de Radiohead comme Hail to the Thief, Amnesiac ou le single Ill Wind, ce nouveau morceau arrive au meilleur moment possible. Il y a une dose de génie chez Thom Yorke. Je le pense à chaque fois que j’écoute sa musique à travers Radiohead ou ses autres projets.

walk as you mean to go on

Lorsque je retourne dans un lieu où je ne vais pas souvent, comme ici à Takadanobaba, j’essaie de bifurquer volontairement des rues que je connais déjà dans le but de découvrir des nouveaux espaces photographiquement intéressants. Mais il arrive parfois que je ne trouve rien d’intéressant à montrer. Au moment de la prise de photographie, on perçoit un intérêt dans ce qu’on est en train de voir, mais lorsqu’on laisse reposer ces photographies pendant quelques temps et qu’on y revient ensuite, il arrive que l’on ne soit pas convaincu soi-même de l’intérêt visuel de ce qu’on a envie de montrer. C’est exactement la réflexion que j’ai eu pour cette série ci-dessus. Alors que faire, ignorer ces photographies et les laisser abandonnées sur mon disque dur, ou tenter de les montrer au cas où une personne, au moins, y trouve un intérêt. C’est un dilemme qui se pose à moi de temps en temps, mais pas trop fréquemment heureusement. Je me sens souvent incapable de prévoir quelles photographies pourront intéresser les visiteurs. En fait, je ne me pose que très rarement cette question, sauf maintenant dans ce billet. Dans la série ci-dessus, je tourne en rond près de la gare de Takadanobaba, après avoir fait un tour au sanctuaire Ana Hachiman de Waseda. Je n’ai pas beaucoup de temps pour m’enfoncer très loin dans les rues, donc cette visite à la toute fin du mois de décembre resta superficielle sans que j’y trouve un point d’accroche particulier. Lorsque je montre une série de photographies, il y a, à chaque fois, une ou deux photographies (parfois plus) que j’aime particulièrement et qui me pousse à créer un nouveau billet. Il est rare que toutes les photographies que je montre dans un même billet soient intéressantes, mais elles interviennent pour dresser le contexte. Parfois, j’ai le sentiment que les billets de mon blog dressent continuellement un contexte, un paysage urbain continu dans lequel on vient traîner et se perdre (pour paraphraser un message qu’on m’a adressé dernièrement en DM sur Twitter). J’aime cette idée de créer une version parallèle de la ville à travers la multiplication de photographies de différents lieux. Comme dans une vraie ville, on y trouve des endroits remarquables et d’autres moins. On fait défiler les pages du blog comme on marche dans les rues de Tokyo jusqu’à trouver un paysage qui nous intéresse, nous attire et sur lequel on s’attarde quelques minutes. J’ai toujours vécu ce blog comme une représentation continue de Tokyo.

J’ai beaucoup écouté l’album … I Care because You Do (1995) de Aphex Twin pendant les derniers jours de l’année dernière. C’est un de ces albums que j’avais loué au Tsutaya et écouté il y a un peu moins de vingt ans, sans que j’y accroche vraiment à l’époque. Je le réécoute maintenant avec une oreille nouvelle et je me demande vraiment pourquoi j’étais passé à côté tant l’ambiance y est prenante. On se laisse attraper dès le premier morceau Acrid Avid Jam Shred mais c’est vraiment le quatrième Icct Hedral qui change la donne pour moi. Aphex Twin n’a de scrupules à maltraiter l’auditeur avec des sons électroniques disruptifs. Ça fonctionne bien car il a le génie de marier parfaitement ces sons agressifs avec des partitions beaucoup plus symphoniques qui apportent de l’espace aux compositions. Mais dans ces espaces, les sons électroniques martèlent le cerveau sans répit comme des roquettes (par exemple, sur le troisième morceau Wax the Nip ou le septième Start as You mean to go on). Icct Hedral est angoissant. Le morceau fonctionne comme une matière vivante dont le cœur bat dans l’obscurité. Par moment, les crachotements du son nous font croire que cette matière vivante, comme un alien, essaie de communiquer. L’ambiance est cinématographique mais est certainement trop forte et imprégnante pour accompagner un film. Cette ambiance me fait penser à l’univers de H.R. Giger que je parcours de temps en temps dans les deux tomes de son ouvrage appelé Necronomicon. On trouve notamment dans ces livres les dessins qui ont inspiré la filmographie Alien et beaucoup d’autres œuvres qu’on hésite à regarder.

Dans la deuxième partie des années 90s, Aphex Twin cultive une image d’enfant terrible de l’électronique avec des morceaux comme Come to Daddy (1997) ou Windowlicker (1999) mis en vidéo de manière mémorable par Chris Cunningham. On trouve sur … I Care because You Do les prémices de cet esprit ‘mauvais garçon’ sur l’illustration de la couverture et sur un morceau comme Come on You Slags qui vient placer dans le flot musical des paroles obscènes. Tous les morceaux de l’album ne sont pas facile à l’écoute et j’ai particulièrement du mal avec le sifflement continu sur Ventolin, qui était pourtant le seul single de l’album. Tout ça pour dire qu’Aphex Twin prend un malin plaisir à casser les codes et bousculer les barrières. La deuxième parties de l’album revient toutefois vers des partitions plus calme, et on apprécie aussi cet aspect mélodieux et reposant chez Aphex Twin, que ça soient les morceaux Wet Tip Hen Ax, Mookid ou Alberto Balsam. Pour revenir sur Icct Hedral, il y a également une re-orchestration complète du morceau par Philip Glass qui vaut le détour. Le morceau y prend une toute nouvelle vie.

collapsing

Depuis très longtemps, même avant que j’habite au Japon, j’ai l’image d’un lieu en tête, mais cette image n’est pas précise et en fait très floue. Ce lieu me revient parfois en tête quand je marche en ville à Tokyo, comme un phénomène de déjà-vu. J’ai en tête cette image depuis, je pense, plus de vingt ans, avant ma venue à Tokyo. J’ai la certitude que ce lieu se trouve en ville et à Tokyo. Il s’agit peut être d’une image de Tokyo que j’ai vu en photographie sur un livre ou un magazine en France, ou dans un film. A cette époque où je rêvais de Japon, cette image a peut être nourri mon imaginaire et est peut être restée inscrite dans mon inconscient. Ce n’est pas une obsession car je n’y pense que de temps à autre, mais depuis que je vis à Tokyo, c’est comme si je recherchais sans relâche ce lieu à travers mes nombreuses marches en ville. Le problème est que ce lieu tient plus de la sensation que d’un lieu clairement défini. Il pourrait s’apparenter à un type d’espace qu’on pourrait trouver à différents endroits dans Tokyo, sans qu’il ait une appartenance forte avec un quartier précis. J’ai quelques certitudes sur certains aspects du lieu, mais également beaucoup d’incertitudes. Le lieu se trouve à priori au deuxième étage d’un immeuble ou d’une maison. Il n’est pas accessible directement depuis l’extérieur, protégé de la rue, mais en même temps proche de l’activité, des bruits et des voix de la rue. Un deuxième étage, comme un observatoire des activités urbaines, semble correspondre à mon image. Je ne suis pas certain s’il s’agit d’un lieu de travail ou d’un lieu de vie. Il me semble être entre les deux, peut être un lieu où on y poursuit une passion ou un hobby. Le lieu n’est pas spécialement confortable et me semble encombré de choses sans que cette image soit précise, comme des objets qu’on entrevoit à travers une vitre semi-opaque. Il s’agit certainement d’objets permettant la création de quelques chose, car je ressens ce lieu comme un espace de création. Ce n’est pas un lieu vide, il y a une certaine animation des choses dans ce lieu. La structure de l’endroit n’est pas simple car on devine de nombreux angles depuis l’extérieur, depuis un petit balcon sur lequel quelques plantes ont poussé sans entretien jusqu’à envahir la terrasse du balcon et empêcher son accès depuis l’intérieur. Cette image d’un lieu n’est pas un souvenir du passé mais un lieu du présent voire un lieu dans le futur. Il doit certainement inconsciemment représenter mes peurs et mes aspirations.

Deux ans après le Cheetah EP, Aphex Twin sort enfin un nouvel EP intitulé Collapse incluant cinq morceaux, dont T69 collapse dont je parlais auparavant, dans le style et l’esprit que l’on connaît de Richard D. James. C’est une bonne chose, car ces sons électroniques sont tout simplement beaux et percutants. Il y a une atmosphère et une intensité qui nous poussent à l’introspection. J’ai le même sentiment que pour Autechre que cette musique est une évolution avant-garde de ce que nos sens pourrait venir à accepter dans le futur comme un standard musical. Mais tandis qu’Autechre est parti depuis quelques temps vers des sphères insondables et qu’on a du mal à les suivre sans passer par une formation immersive des sens, la musique électronique d’Aphex Twin reste très accessible car elle ne renie pas la mélodie. Les mélodies, parfois aux sonorités Sud asiatiques d’ailleurs sur cet EP, sont par contre et bien entendu malmenées et sans cesse transpercées de minuscules cliquetis électroniques. Toutes ces notes et incursions électroniques sont extrêmement bien maîtrisées, c’est le génie d’Aphex Twin, mais donne également l’impression que les machines tentent de prendre le dessus, comme une intelligence artificielle qui apprend à auto-générer ses sons par tâtonnements. Il y a un côté anxiogène dans certains morceaux, mais ils sont rapidement contrebalancés par des pointes de lumières. Chaque morceau de ce EP a un déroulement imprévisible, ce qui rend l’ensemble extrêmement intéressant à l’écoute.