初詣2◯22


アケオメ
コトヨロ
2〇22

Nous n’avons pas failli à notre habitude de regarder Kōhaku Uta Gassen sur NHK (NHK紅白歌合戦) cette année, sauf que cette fois-ci, j’ai l’impression que nous l’avons regardé plus assidûment que d’habitude. Nous l’avons en fait regardé depuis le début, ce qui arrive rarement, tout en commentant presque chaque intervention. Mari nous fait remarquer qu’on a bien vieilli pour regarder Kōhaku aussi religieusement, mais je pense plutôt que c’est Kōhaku qui a rajeuni. On restera sur cette dernière constatation. La plupart des artistes ou groupes qui se produisaient sur les scènes du Tokyo International Forum ne m’intéressent pas beaucoup musicalement, mais l’important n’est pas là. L’intérêt est plutôt de prendre la température de la scène musicale mainstream japonaise. NHK est certainement loin d’être à la pointe des nouveautés et des dernières tendances mais il y a quand même quelques efforts notés d’années en années, par exemple l’étrange représentation plutôt sombre d’ailleurs de Mafumafu. Il faut noter donc que l’émission était filmée au Tokyo International Forum à Yurakuchō cette année, plutôt qu’au NHK Hall de Shibuya qui est actuellement en rénovation. Certaines représentations étaient quand même filmées là bas. Ce qui était particulièrement intéressant, c’est que le Forum était utilisé dans sa quasi totalité: la grande salle du Hall A contenant un maximum de 5,000 personnes, mais également le long espace oval sous les élégants mâts métalliques blancs que j’ai déjà pris en photo et montré sur ce blog. Ikura de Yoasobi chantait par exemple en descendant les escalators dans cet espace. La scène du Hall A était élégamment décorée par des compositions florales de Makoto Azuma, dont j’ai également déjà parlé plusieurs fois. On a tout de suite reconnu son style. Mon intérêt principal était de voir et d’écouter Tokyo Jihen interpréter le morceau Ryokushu (緑酒) du dernier album, devenu un des morceaux les plus populaires du groupe. Le groupe était habillé en kimono, comme l’année dernière, ce qui n’avait rien d’étonnant. Le final voyait Tokyo Jihen inondé d’une neige de confettis. Il y en avait trop mais ça n’avait rien d’étonnant non plus car Sheena nous avait prévenu dans une émission spéciale diffusée sur NHK le 29 Décembre 2021. L’émission musicale de quarante minutes dédiée à Tokyo Jihen s’intitulait Sōshū (NHK MUSIC presents 東京事変 総集) et voyait le groupe visiter les locaux de la chaîne de télévision en pleine préparation de Kōhaku. Tokyo Jihen avait en fait déjà participé à une émission spéciale sur NHK intitulé Gatten (ガッテン) le 10 Juin 2021 dont j’avais parlé précédemment et pendant laquelle ils avaient interprété Ryokushu sous une pluie de confettis au final. Lorsqu’ils rencontrent le personnel en charge de la mise en scène lors de cette émission du 29 Décembre, on voit Sheena Ringo renouveler cette demande de confettis au final et on lui promet qu’il y en aura beaucoup, à la manière des passages sur scène du chanteur Enka Kitajima Saburō. Ces confettis reprennent l’image des fleurs de cerisiers s’envolant dans les airs qu’on pouvait voir dans la vidéo de Ryokushu. L’OTK savait donc qu’il y aurait une pluie de confettis, mais j’étais loin d’imaginer qu’il y en aurait autant. Sheena et le groupe se sont changés trois fois de tenues pendant l’émission et celle qu’on retient est la dernière, habillée en skateuse avec sac à dos NASA et skateboard à la main. Le skateboard est d’ailleurs un élément récurrent du monde visuel de Sheena Ringo. On le voyait, toujours le même avec un dessin de glace au chocolat et un autocollant ARIGATO, sur la scène de Music Station pour l’interprétation de Gunjō Biyori (群青日和) avec Elopers, dans une scène de la vidéo de Arikitarina Onna (ありきたりな女), ou sur un visuel de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~). Le compte Twitter de Shane les répertorie sur un tweet et cette tenue de skateuse, qui est en fait une version alternative de la tenue de l’époque de l’album Sports, inspire les illustrateurs comme ce dessin ci-dessous. Lors du final sur la photo de droite, on voit Sheena entourée de la chanteuse Enka Sayuri Ichikawa et de Hoshino Gen (Ukigumo est également le guitariste de son groupe).

J’étais assez surpris ensuite de voir Hiroko Yakushimaru (薬師丸ひろ子) sur scène. Elle n’a pas interprété le morceau que j’aime du film Sērā-fuku to kikanjū (セーラー服と機関銃, Sailor suit and machine gun), dont je parle décidément souvent (trop) sur ce blog, car Ukigumo chantait notamment ce morceau sur le concert Hyakkiyakō 2015. L’autre bonne surprise et moment attendu de Kōhaku était de voir sur scène Daiki Tsuneta avec son groupe Millenium Parade accompagnés par Kaho Nakamura au chant pour interpréter le morceau U du film d’animation Belle (竜とそばかすの姫) de Mamoru Hosoda. La représentation sombre avec des musiciens masqués a du inquiéter quelques spectateurs. J’étais aussi particulièrement intéressé de voir BiSH participer pour la première fois à Kōhaku, d’autant plus qu’elles ont annoncé la séparation du groupe à la fin 2022. C’était certainement l’interprétation la moins réussie de Kōhaku et même AiNA avait du mal à chanter juste. En fait, je n’ai jamais entendu une interprétation correcte de leur part dans une émission télévisée. Je pense aussi qu’elles ne devraient pas s’obstiner à chanter le morceau Promise The Star, qui doit certainement avoir une valeur émotionnelle pour le groupe, mais qu’elles t’interprètent jamais très bien. Pour en avoir le cœur, j’avais regardé une émission musicale passant dans la nuit sur NHK montrant un mini-concert de BiSH sans public à Fukuoka et j’avais trouvé leurs interprétations tout à fait correctes. Peut-être s’agissait-il du stress du passage Live dans une émission très regardée. Mais bon, ça fait déjà un petit moment que j’attendais leur passage à Kōhaku et je suis tout de même content que ça se soit produit. Et il y avait l’intervention de Fujii Kaze (藤井風) qui était censé interpréter son morceau Kirari (きらり) seulement à distance, mais qui apparaît soudainement sur scène en pantoufles touffues vertes en se mettant à jouer au piano. Je ne connais pas très bien Fujii Kaze à part ses morceaux connus passant à la radio et je n’ai à priori pas d’attirance particulière pour sa musique. Il est ceci dit considéré comme un des jeunes talents. Je dirais même qu’il y a une certaine insolence dans son talent naturel. Les fans de Sheena Ringo et Tokyo Jihen le plébiscitent d’ailleurs pour une éventuelle collaboration, car il a interprété à plusieurs reprises sur sa chaîne YouTube des morceaux de Sheena Ringo et Tokyo Jihen: Marunouchi Sadistic (丸ノ内サディスティック) au piano seulement et en version chantée, et Nōdōteki Sanpunkan (能動的三分間). Ses interprétations sont excellentes et je parie qu’il y aura une collaboration cette année. Enfin, l’émission passe très vite et m’a dans l’ensemble plus intéressé que les autres années. La nouvelle année se fait proche et on se prépare déjà à aller au sanctuaire dans la nuit et le froid, avec comme récompense un verre d’amazake (pas de vin chaud comme sur les pistes de ski).

Le lendemain, le 1er Janvier 2022, le rythme de la journée était très lent et on se décide comme d’habitude assez tard à aller au sanctuaire de Hikawa (氷川神社) et de Konnō Hachimangu (金王八幡宮) à Shibuya pour y faire les premières prières de l’année et pour y récupérer le goshuin spécial du premier de l’an. On évite pour le moment la foule à Meiji Jingu. Mon carnet est presque terminé et il faudrait que je le scanne et le montre sur Made in Tokyo. Comme tous les ans à cette même période, l’hésitation m’a gagné de continuer ou non ce blog pour une nouvelle année. L’hésitation me gagne à chaque fois qu’il faut payer l’abonnement annuel du hosting et du nom de domaine, en me demandant si tout ceci est vraiment nécessaire pour moi et pour les autres (les visiteurs occasionnels ou réguliers). Mais j’ai bien l’impression que je suis reparti pour un tour. 終わらせないで me dit une petite voix dans ma tête.

J’attendais également une annonce de Tokyo Jihen dans les premières heures de 2022, mais on a seulement reçu une carte de bonne année, celle ci-dessus avec une version alternative sur le site web du groupe. Le 1er Janvier 2020, Tokyo Jihen avait annoncé sa re-formation, le 1er Janvier 2021 était l’annonce du nouvel album. Je pensais qu’on allait avoir la confirmation d’une tournée, même online, mais ça n’a pas été le cas. On sait que le groupe a envie de tourner, du moins c’est ce que j’ai compris dans l’émission récente Sōshū sur NHK, et je n’ai pas l’impression qu’ils aient envie de s’arrêter tout de suite. La condition sanitaire actuelle étant pleine d’imprévus, ça semble toujours compliqué de s’engager dans une tournée nationale.

Pour me réconforter un peu, je pars en visite au Tower Records de Shinjuku car je sais qu’on y montre les tenues de la vidéo de Hotoke Dake Toho (仏だけ徒歩). Je prends les quelques photos ci-dessus, que je ne montre pas sur Twitter cette fois-ci. J’aime beaucoup ce médaillon de tête de chat que porte Sheena dans cette vidéo. Il ne ressemble pas vraiment à un de ses trois chats qu’elle montre de temps en temps sur Twitter ou sur Ringohan: Tekuno (テクノ), Jung (ユング) ou Moses (モーゼ). On sait que Sheena aime donner des noms de personnalités aux choses, mais j’en suis moins sûr pour les animaux. Je crois reconnaître Moïse et le psychanalyste suisse Carl Jung pour deux des chats, mais je suis moins sûr pour le troisième appelé Techno ou Tekuno (peut-être choisi pour son origine de l’antiquité). Entre les skateboards et les noms de chats, il y a beaucoup de mystères à résoudre. Le cadeau de nouvelle année (さえずり) de Ringohan que j’ai reçu il y a quelques jours n’arrange rien pour ce qui est des mystères. Il s’agissait de cinq cartes de tarot estampillées du logo de Tokyo Jihen avec des inscriptions en allemand. Il me faudra étudier un peu plus en avant la question, mais c’est exactement cela qui est intéressant.

渋谷ウォーク❺

Lorsque le mois d’août démarre, je me demande à chaque fois comment je vais l’aborder sur ce blog. Les chaleurs estivales actuelles font qu’il est très difficile de marcher dans les rues pendant la journée même en se levant très tôt. Je plains parfois les sportifs olympiques qui doivent faire des exploits sous une chaleur pareille. Nous avons beaucoup aimé regarder les épreuves de skateboard street et de BMX free style. Ce sont des nouvelles disciplines olympiques qui valent le coup d’oeil. On souffre à leur place quand ils ou elles tombent brusquement au sol après une acrobatie ou quand on les voit sous la chaleur d’Ariake sans aucune ombre pour les protéger. Mais à l’écran, ils ne semblent pas montrer de désagréments envers ces conditions météorologiques. Ils sont certainement trop concentrés sur l’acte à accomplir. 1 minute de compétition est pour certains et certaines la concrétisation d’années d’entrainement intensif. Hier soir, nous sommes retournés dans la nuit faire le tour en vélo du stade olympique. On ne peut que difficilement approcher le stade en voiture à cause des barrages de police, donc le vélo est une bonne option. Je connais maintenant assez bien le trajet qui nous permet de longer au plus près le stade, mais il est gardé comme une zone militaire. On voit d’ailleurs des forces d’auto défense à l’intérieur de l’enceinte. L’année dernière au mois d’août, nous avions passé une nuit dans le nouvel hôtel proche du grand stade, ce qui m’avait permis de prendre quelques photos. Il y a maintenant une grande grille qui sépare l’hôtel du stade. On ne peut entendre que les sons des compétitions d’athlétisme qui se déroulent ce soir là. Le bruit du pistolet nous indique le démarrage d’une course et nous incite à reprendre le chemin du retour. Devant le musée olympique, une longue file d’attente s’est formée devant les anneaux olympiques. Ils sont pourtant installés là depuis longtemps, mais la foule ne s’y presse que maintenant pour les prendre en photo, même tard le soir. Je ressens moi-même cette attirance soudaine car je suis venu voir ces anneaux olympiques à vélo au moins trois fois depuis le début des compétitions. Je pense qu’on essaie du mieux qu’on peut de s’imprégner de l’ambiance olympique, mais l’événement donne tout de même le sentiment d’être un peu lointain, comme s’il se passait dans un Tokyo parallèle. Je pense qu’il y aurait là matière pour une histoire à la Murakami Haruki. Sans prétention aucune, ceci me rappelle que je devrais utiliser ce mois d’août pour essayer d’écrire des textes de fiction en continuant avec un nouvel épisode de l’histoire de Kei ou en imaginant un autre Tokyo parallèle comme je l’avais fait il y a quelques mois. L’inspiration ne se commande malheureusement pas. L’année dernière au mois d’août, j’avais fait une série photographique en dix épisodes intitulée Manatsu (真夏), le plein été. Il y avait autant de photos que de katakana dans l’alphabet japonais et chaque billet était accompagné d’une note musicale. Peut-être devrais-je reprendre un modèle similaire cet été. Ou peut-être devrais-je simplement continuer cette série appelée Walk (ウォーク) dont j’ai déjà écrit quelques épisodes.

Sur les photographies de ce billet, nous sommes dans le centre de Shibuya. Les trois premières photographies sont prises dans le quartier Udagawachō, qui a gardé un désordre ambiant qui se fait de plus en plus rare dans Shibuya. Les choses vont changer très certainement et je viens ici régulièrement pour voir à quelle rythme le décor urbain se modifie. Les priorités de changement sont pour l’instant axées sur la gare, mais on note déjà des tentatives de normalisation à Udagawachō depuis l’installation de la grande tour Abema. Le grand mur de graffiti à l’arrière que je prends souvent en photo a par exemple été entièrement repeint en blanc. Comme il est un peu à l’écart de la rue principale, je pressens qu’il serra de nouveau pris d’assaut par les graffeurs à moins qu’il ne soit maintenant surveillé par des caméras vidéo. Dans le quartier, je remarque des petits tableaux posés à la sauvette. Ils montrent des visages et des corps en noir et blanc mais marqués de quelques couleurs. J’imagine qu’il s’agit d’une exposition de rue en mode guérilla comme on peut le voir régulièrement à Shibuya. L’agence d’idoles alternatives Wack s’était d’ailleurs fait une spécialité d’envahir les rues de photographies des membres de l’agence à l’occasion de la sortie d’un nouvel album ou à l’occasion d’événements particuliers. BiSH, le groupe le plus populaire de l’agence, sort d’ailleurs un nouvel album dans quelques jours le 4 août. Ce sera peut être l’occasion de nouveaux affichages, il faut que je surveille les rues de Shibuya.

Le nouvel album de BiSH s’appelle GOiNG TO DESTRUCTION et se composera de quatorze morceaux dont plusieurs sont déjà sortis. Je ne suis pas sûr d’acheter l’album en entier mais je reste assez curieux d’écouter ce que va donner l’ensemble. Je me suis en fait déjà procurer sur iTunes trois morceaux de ce nouvel album: STAR qui est déjà sorti il y a plusieurs mois mais dont je n’avais pas encore parlé ici, STACKiNG et in case… qui sont sortis plus récemment. Ce sont loin d’être les meilleurs morceaux du groupe mais ils n’en restent pas moins très efficaces. Ils n’ont en fait pas énormément d’originalité et sont très fidèles au style de composition musicale de Kenta Matsukuma (松隈ケンタ) au point où on se demande si on ne connaît pas déjà ces morceaux. Comme pour AiNA avec son album solo qui faisait intervenir Kameda Seiji aux arrangements, le groupe aurait intérêt à inclure un peu de sang neuf dans le processus créatif. Après plusieurs écoutes de ces morceaux, je suis surpris moi-même d’y revenir. Il reste au groupe cette ferveur vocale immuable qui finit par être communicative et par me convaincre. Le chant est comme toujours principalement mené par AiNA, Chichi et Ayuni qui ont les voix les plus fortes et remarquables. Ayuni a comme toujours la voix la plus disruptive mais j’aime beaucoup sa manière agressive de chanter qui vient à chaque fois bousculer la dynamique des morceaux. Le groupe est beaucoup plus convaincant sur leurs albums que lors de leurs interventions télévisées où j’ai l’impression qu’elles hésitent à pousser leur excentricité vocale. C’est pourtant ce qui fait tout l’interêt de leur musique. Les quatre captures d’écran ci-dessus proviennent d’une petite vidéo introductive de ce nouvel album. J’aime beaucoup le fait que cette vidéo est clairement inspirée de la vidéo du morceau Honnō (本能) de Sheena Ringo. Bien que les six membres de BiSH ne soient pas habillées en infirmières comme dans Honnō, elles sont tout de même habillées de blanc et on les voit casser des vitres à mains nues comme Sheena pouvait le faire sur Honnō. Il n’y a absolument aucune ressemblance entre les premiers morceaux que je connais de leur nouvel album et la musique de Sheena Ringo, mais on sait que AiNA est influencée par Sheena et qu’elle a d’ailleurs déjà repris quelques morceaux d’elle. Comme AiNA est souvent en charge des chorégraphies du groupe, elle est peut-être également à l’origine de cette vidéo inspirée de Honnō. C’est seulement une supposition de ma part. Comme je le dis souvent, ce type de liens d’influence m’intéressent beaucoup.

Pour revenir aux photographies de ce billet et sans pour autant toutes les décrire une à une, je veux quand même mentionner que la quatrième correspond à des toilettes publiques dont le design est conçu par Kengo Kuma. Elles font partie du projet Tokyo Toilet remplaçant une à une les vielles toilettes publiques de l’arrondissement de Shibuya par des nouvelles toutes conçues par des architectes ou designers différents. J’avais déjà montré celles transparentes par Shigeru Ban ou celles dans les jardins publics près de la gare d’Ebisu par Fumihiko Maki ou Masamichi Katayama. Celles conçues par Kengo Kuma se nomment A Walk in the Woods et on peut les trouver dans le parc Nabeshima dans le quartier résidentiel huppé de Shoto. L’utilisation du bois est très distinctif du style actuel de Kengo Kuma. On reconnaît son style au premier coup d’oeil. La photographie suivante dans ce billet montrant une façade bleutée est également prise dans ce même quartier de Shoto. Cette photographie m’amuse car on y voit à la fois un élégant et discret petit dessin de papillon avec une signature et une mention en anglais seulement « We call Police ». Il n’est pas rare de voir ce genre d’avertissement dans un anglais pas forcément incorrect grammaticalement mais plutôt flou ou approximatif. J’imagine que le message signifie qu’il est interdit de faire des graffiti sur le mur, comme en général un premier graffiti en appelle d’autres.

たった一度の人生ゲームさ

Alors que je mentionnais dans mon dernier billet mon intention de ne pas me concentrer sur le Tokyo insolite, je m’enfonce forcément, mais volontairement, dans la brèche avec quelques unes des photographies ci-dessus pour m’auto-contredire. Il m’arrive souvent sur ce blog d’avoir envie de faire le contraire de ce que je viens d’écrire, tout simplement parce que j’ai la liberté de le faire. Dernièrement, j’avais aussi abordé ce ‘Tokyo insolite’ en montrant ici et sur Twitter des photographies des toilettes publiques transparentes conçues par Shigeru Ban, pour deux petits parcs près de Yoyogi. Je me suis rendu compte que les deux photographies mises sur Twitter ont été reprises sur le site de Cnews le 18 Août, et par ricochet sur quelques sites parfois en anglais ou espagnol. Ça m’amuse d’ailleurs de voir comment le site de news propage des informations inexactes. Le site nous dit par exemple qu’il y a déjà cinq toilettes transparentes à Shibuya et qu’il y en aura bientôt 17, alors qu’il n’y en a que deux et que les autres toilettes ne sont/seront pas transparentes et ont des styles complètement différents (par des architectes différents d’ailleurs). L’article laisse aussi penser que ce projet couvre tout Tokyo, alors qu’il s’agit seulement de Shibuya.

Mais revenons aux photographies sur ce billet. Je connaissais ce King Kong en haut d’un bâtiment rose pour l’avoir déjà vu en photo quelque part mais je ne me souviens plus où exactement. On le découvre par hasard alors que nous partons à la recherche du sanctuaire Taishido Hachiman dans les zones résidentielles de Sangenjaya. Le gorille se trouve dans la rue commerçante principale de Sangenjaya, perpendiculaire à la longue route 246 qui passe à Shibuya et nous amènerait jusqu’à Numazu dans la préfecture de Shizuoka si on la suivait tout le long de ses 122.7kms. Le Maneki Neko et le lapin rose, tous deux gonflables, se trouvent à l’intérieur du sanctuaire Taishido Hachiman. On est surpris par la présence de ces objets insolites qu’on a, il faut bien le dire, peu l’habitude de voir à l’intérieur des sanctuaires, mais dont on ne peut ignorer la présence une fois qu’on les a aperçu. Il doit s’agir de la préparation d’un matsuri pour les enfants, car on voyait également un petit stand en cours d’arrangement juste à côté. Il y a un enclos avec un lapin à l’entrée du sanctuaire. Il est peut être involontairement le symbole de ce lieu. Il n’y avait personne dans le sanctuaire, à part la dame qui nous a donné le sceau Goshuin que nous étions venu chercher et dont je parlais précédemment. Le fait qu’il n’y avait personne dans ces lieux renforçait l’impression d’être observé par toutes choses, notamment par les 21 petits renards Inari (je ne prends pas en compte celui qui regarde à côté) qui sont en charge symbolique de garder l’enceinte du sanctuaire. Un peu plus loin sur la rue commerçante où se trouve le gorille sur le toit, on trouve un bâtiment rouge écarlate placé sur un espace triangulaire minuscule, qu’on pourrait sans aucun doute trouver dans le bouquin Pet Architecture de l’Atelier Bow Wow. Ce petit bâtiment, en plus d’utiliser l’espace de manière optimale, à la particularité d’avoir beaucoup d’ouvertures. Lorsqu’on le voit depuis la rue commerçante, notre regard traverse les parois pour voir l’autre rue en Y bordant le bâtiment. J’imaginerais bien pousser le concept, à la manière de Ryue Nishizawa ou Kazuyo Sejima de SANAA, en rendant ce petit bâtiment complètement transparent, en le couvrant entièrement de vitrages. La dernière photographie ci-dessus est également prise dans une rue à côté du gorille et il s’agit d’un restaurant de soba. La vitrine semble par contre refléter les intérêts cinématographiques du propriétaire avec ces figurines d’Ultraman, Kamen Rider ou encore Godzilla.

Ceci me rappelle que j’ai vu pour la première fois de ma vie un film de la série Godzilla, en regardant sur Netflix le Shin-Godzilla datant de 2016. En réfléchissant un peu, j’ai quand même eu le malheur de voir au cinéma en France la version américaine de Godzilla par Roland Emmerich datant de 1998, avec Jean Reno me semble-t-il. J’ai beaucoup aimé ce Shin-Godzilla, notamment pour son réalisme. Pas le réalisme du monstre bien entendu, mais celui des lieux. Tous les endroits empruntés et détruits au passage par Godzilla sont cités très précisément, de Kanagawa jusqu’à Tokyo. Godzilla arrive par les mers et entre d’abord sur les terres depuis la baie de Tokyo. On le voit évoluer dans sa première forme dans les eaux de la rivière Nomigawa près de Kamata et il déambule ensuite dans les rues de l’arrondissement de Ota que je commence à bien connaître. Il réapparaît ensuite un peu plus tard près de Kamakura juste à côté de Inamuragasaki (que je connais assez bien aussi). Tout en regardant le film, je prie pour qu’il ne remonte pas jusqu’au sanctuaire de Tsurugaoka Hachimangu où nous nous sommes mariés. Il se dirige ‘heureusement’ vers Tokyo jusqu’au centre, près de la gare historique. Je regarde le film en espérant qu’il ne démolisse pas trop de bâtiments en cours de route car je pense tout de suite au travail énorme de reconstruction qui sera nécessaire, mais c’est peine perdue vue la taille du monstre. De toute manière, à partir du moment où il commence à cracher du feu et à émettre des rayons lasers radioactifs de son dos ou de sa gueule, on comprend vite que la ville est entièrement perdue. La déconstruction de Tokyo est un thème récurent du cinéma fantastique japonais, depuis le grand tremblement de terre de Septembre 1923 qui avait presque complètement détruit la ville (par exemple, les destructions et reconstructions de Tokyo en Neo Tokyo dans Akira et en Tokyo-3 dans Evangelion). Un des intérêts du film est la manière dont il se concentre au début sur la gestion de la crise par les organismes gouvernementaux tout en insistant sur la lourdeur administrative de la prise de décision. On arrive assez bien à imaginer cette complexité administrative quand il s’agit par exemple de décider de quel organisme gouvernemental ce type de crise est le ressort, la gestion de crise engendrée par un monstre surdimensionné ne tombant pas dans les schémas classiques déjà préparés et testés d’un tremblement de terre par exemple. Le film ne manque pas d’un certain humour un peu piquant dans ces moments là, ou lorsqu’il aborde la nécessaire invocation de l’aide américaine qui veut bien sûr prendre le sujet en mains d’une manière un peu trop radicale. On a par contre un peu de mal à croire au personnage d’experte japano-américaine interprétée par Satomi Ishihara, dont l’accent américain forcé est à la limite du ridicule. Ses interventions me font quand même penser qu’il s’agit de second degré. Reste à voir maintenant si je tente la version originale de Ishirō Honda datant de 1954, qui semble être disponible sur Amazon Prime (mais pas sur Netflix).

A l’arrière du Department Store PARCO à Shibuya, on pouvait voir affichés sur un des murs les portraits des membres de tous les groupes de l’agence Wack. On peut dire que les idoles alternatives de l’agence occupent le terrain à Shibuya ces derniers temps. La devanture du Tower Records affichent également en ce moment des grands posters des groupes BiS et PEDRO ainsi qu’une double affiche de BiSH et EMPiRE. À côté de ces multiples portraits parfois grimaçants et étrangement habillés de la même manière, une autre affiche nous explique qu’il s’agit d’un événement appelé School of Wack qui se déroulait au PARCO Museum sur un peu plus d’une semaine jusqu’au 31 Août. Sans vraiment comprendre de quoi il s’agit, j’ai l’impression que chaque membre des groupes passe du temps dans une petite salle fermée et bariolée comme une salle de classe vandalisée, pour y faire des jeux ou des gages devant un public très restreint derrière une vitre (à cause du corona virus). Je n’ai pas l’impression que des morceaux soient interprétés, donc cette organisation m’intrigue assez. Indépendamment de cette affiche et de cet événement, j’écoute pas mal de morceaux de groupes Wack en ce moment car je suis happé par leur énergie, mélangeant un certain esprit rock et un côté poussif pop qui m’attire malgré une répulsion initiale. C’est le cas du morceau にんげん (Ningen) de Carry Loose par exemple. Il me paraissait trop typé comme un morceau d’idole à première écoute, mais je tente tout de même une deuxième écoute en entier et me laisse prendre par l’urgence non-stop avec laquelle les quatre filles de Carry Loose mènent la marche. La voix de YUiNA EMPiRE (transfuge temporaire d’EMPiRE) est une épreuve au début, mais un peu comme pour AYUNi D sur BiSH, elle finit par apporter un contraste vocal qui donne de l’intérêt à l’ensemble et à la progression du morceau. En parlant d’EMPiRE, qui est à mon avis en phase ascendante, maintenant que BiSH est pratiquement devenu mainstream, j’ai appris à apprécier leurs morceaux que j’écoute beaucoup en ce moment. Je n’écoute pas leurs albums ou EPs en entier mais j’ai plutôt fait une sélection des morceaux qui m’intéressaient. Ma playlist se compose de quelques morceaux de leur premier album THE EMPiRE STRiKES START!!: FOR EXAMPLE??, Buttocks beat! beat!, コノ世界ノ片隅デ (KONOSEKAiNOKATASUMiDE) et アカルイミライ (Akarui Mirai), suivi de quelques morceaux du EP EMPiRE originals: EMPiRE originals, Dope et SO i YA, tout en écoutant quelques autres morceaux de leur dernier EP en date, notamment le morceau ORDiNARY. Les voix des membres d’EMPiRE sont dans l’ensemble plus uniformes que celles de BiSH, mais j’aime toujours quand il y a quelques dissonances (par exemple la voix de Mikina à la marque 2:20 sur FOR EXAMPLE??). Certains morceaux sont assez proches de ce qu’on connait de BiSH surtout quand ils prennent des sonorités rock, comme par exemple Buttocks beat! beat!. Les membres de BiSH font d’ailleurs des apparitions dans la vidéo tournée à Shibuya (comme souvent) faisant un clin d’oeil à la couverture de l’album FAKE METAL JACKET. Cette vidéo donne d’ailleurs une bonne idée du côté disruptif de cette musique, plutôt que le kawaii qui est en général associé à l’univers des idoles. Le kawaii ne m’intéresse pas beaucoup. Un des morceaux que je préfère du groupe est celui intitulé Dope, avec une manière vraiment particulière de chanter, comme une voix de fantôme sortie d’un ukiyo-e. Ce morceau avec I don’t cry anymore dont je parlais dans un billet précédent, m’a donné envie de fouiller un peu plus dans la discographie d’EMPiRE. Dans ma playlist, j’inclus également le dernier single intitulé 浪漫 (Roman) de PEDRO, le groupe de Ayuni accompagné de Hisako Tabuchi de Number Girl à la guitare. Je ne suis pas certain d’écouter son deuxième album en entier mais j’aime beaucoup ce morceau car elle ne pousse pas trop dans les aiguës. Mais, j’aime bien en général quand elle pousse la voix par passages dans les derniers morceaux de BiSH, notamment sur スーパーヒーローミュージック (Super Hero Music) ou TOMORROW. Ces deux morceaux sont extraits du dernier album LETTERS que je finis par apprécier même si les morceaux que j’ai écouté pour l’instant ne renouvellent pas vraiment le style de ce qu’on a déjà entendu du groupe. La dynamique rend cependant ces morceaux addictifs après quelques écoutes.

Quand je dis mainstream au sujet de BiSH, je veux dire que le groupe est désormais connu du grand public du fait de leurs nombreux passages à la télévision ces derniers temps, même sur la NHK samedi dernier dans l’émission Songs of Tokyo (épisode 13 disponible en ligne jusqu’au 28 Octobre 2020 avec sous-titres en anglais). Je pressens qu’elles seront cette année à l’affiche de l’émission musicale du réveillon, Kōhaku. C’est un pronostic, à moins que la NHK reste frileuse du fait du profil d’électron libre du producteur Junnosuke Watanabe, qui pourrait très bien contrarier l’image bon enfant du spectacle familial que représente Kōhaku. On se souvient du 57ème Kōhaku le 31 Décembre 2006 où OZMA (alias Show Ayanocozey, leader du groupe Kishidan) était accompagné d’une troupe de danseuses ou danseurs portant des t-shirts avec des seins nus dessinés dessus. Une partie du public télévisuel avait été choqué pensant qu’il s’agissait de personnes réellement nues sur scène et cette séquence a eu pour conséquence de radier à vie l’artiste de l’émission. Connaissant la popularité continuelle de Kishidan, il doit s’en mordre les doigts. Il faut dire que passer à Kōhaku au réveillon est vu encore maintenant comme une consécration pour les artistes japonais, au point où on n’existe pas vraiment aux yeux du grand public tant qu’on n’est pas passé dans cette émission. Ajouter un peu d’imprévu dépoussiérait quand même un peu l’émission. Le présentateur habituel, Teruyoshi Uchimura, essaie de temps de se moquer de la rigueur de la chaîne mais ça reste très contrôlé tout en faisant sourire. Je ne critique pas trop NHK car nous la regardons quand même assez régulièrement.

Il y a très souvent des émissions intéressantes sur NHK, comme celle que nous avons vu il y a quelques semaines, à la mi-Août, sur l’Art Brut. L’émission intitulé ‘no art, no life´ présentait le travail de plusieurs artistes avec handicap à travers des petits films de 5 mins, en les montrant en plein processus de création et parmi leur entourage (parents ou établissement spécialisé d’accompagnement pour certains). L’émission était très bien faite car elle ne s’encombrait pas de commentaires superflus. L’émission nous avait tellement plus que nous avions réservé dans la foulée une visite pour le lendemain à la galerie attachée à l’école des Beaux-arts de Tokyo où étaient exposées quelques unes des œuvres de ces artistes d’Art Brut. L’exposition s’intitule ‘Art As It Is: Expressions from the Obscure’. Il se dégage une grande force de ces œuvres, qui surprennent et fascinent. Le détail des œuvres exposées résultant d’un immense dévouement à l’acte de créer, un besoin vital certainement, est à chaque fois impressionnant. L’illustration grand format ultra détaillée sur la photo de gauche est de Makoto Fukui et la sculpture de petit monstre est de Shinichi Sawada. Ce sont deux des artistes que j’ai préféré avec les illustrations de Marie Suzuki.

真夏.9

(ラ) Ebisu (恵比寿): Les yeux de la pieuvre du building Octagon à Ebisu par Shin Takamatsu. (リ) Ebisu (恵比寿): Proposition de Fumihiko Maki pour le parc Tako à Ebisu, pour le projet Tokyo Toilet lancé par The Nippon Fondation pour le quartier de Shibuya. (ル) Gaien (外苑): Immeuble de béton regardant la rue au dessus d’une rangée d’arbres. (レ) Ebisu (恵比寿): Version bétonnée des toilettes publiques de Shibuya par Masamichi Katayama au parc Ebisu. (ロ) Gaien (外苑): Face à face du stade de Kengo Kuma avec le gymnase de Fumihiko Maki. (+) Accompagnement musical: deux morceaux de BiSH, TOMORROW et Super hero music sur leur album LETTERS sorti en Juillet 2020.

from sky (သုံး)

Ce troisième et dernier épisode nous fait sauter de l’avion pour atterrir une nouvelle fois dans le centre très occupé (quoique moins que d’habitude) de Shibuya, aux pieds de la statue de métal argenté de Hajime Sorayama derrière le Department Store PARCO. Elle nous accueille bien entendu d’un rayon laser lumineux forçant le chemin dans les nuages. On ne peut être qu’happé par cette lumière qui nous accompagne doucement jusqu’au sol. On se laisse ensuite ricocher jusqu’en bas des rues de Udagawacho, que je vais d’ailleurs souvent observer. Le grand mur de graffiti à l’arrière était déjà complètement rempli de dessins, mais un autre graffeur s’est apparemment permis de laisser son empreinte abusive en y dessinant des grands papillons gris sur toute la longueur du mur. Depuis que la tour Abema TV s’est construite à proximité de cette rue, je ne laisse plus beaucoup d’années de vie à ce quartier, avant qu’il ne subisse les vagues de la standardisation urbaine. Dans le quartier, il reste un vieil immeuble noir de quelques étages avec un disquaire spécialisé dans le hip-hop au rez-de-chaussée. Je regarde toujours les façades extérieures de cet immeuble pour voir si les illustrations murales ont été modifiées. Cette fois-ci, un groupe de personnages de cartoon aux têtes de rappeurs gangsta y est représenté. La qualité graphique de l’illustration est assez décevante par rapport à ce qu’on peut parfois y voir, ce qui facilitera d’autant plus son remplacement.

Le billet de Daniel sur son blog me donne envie de ressortir de mes étagères le livre de Nicolas Bouvier, “Le vide et le plein”, sous-titré “Carnets du Japon 1964-1970”. Il se trouvait là, devant les autres livres de ma petite bibliothèque comme s’il avait compris que c’était son tour. J’ai un meilleur souvenir de l’autre livre de Nicolas Bouvier que je possède, “Chronique japonaise”, peut être parce que j’avais lu celui-ci alors que j’étais encore étudiant en France et que le Japon paraissait encore très loin. J’ai acheté “Le vide et le plein” à Tokyo, dans la librairie Kinokuniya près du Department Store Takashimaya de Shinjuku, si mes souvenirs sont exacts. Je ne le lis pas d’une traite mais par petits morceaux, ce qui fonctionne bien car il s’agit d’extraits de son journal de bord. Dès le début, on ressent une sorte d’aigreur que l’auteur communique par petites bribes au fur et à mesure de ses réflexions, mais il touche et voit toujours juste. Je pense que cette aigreur m’avait rebuté à ma première lecture il y a plusieurs années. Je ne me souviens plus si je l’avais lu en entier à l’époque, mais j’y trouve un nouvel attrait en le lisant aujourd’hui. Il y a deux parties principales dans ces carnets, la chronique de Kyoto et celle de Tokyo. Je suis plus sensible à la deuxième partie où Nicolas Bouvier vivait à Tokyo comme si elle correspondait à un Japon que je reconnais, par rapport à la première partie à Kyoto qui me semble plus lointaine. En lisant cette partie sur Tokyo, je me surprends à poser des post-it sur certains morceaux de textes pour y revenir plus tard. Au détour des petits textes nous narrant des situations particulières, il y insère parfois des piques par des formules finales bien trouvées: “Leur drapeau leur bouche le ciel”, à propos de certaines personnes à faible ouverture d’esprit. J’ai l’impression quand même qu’il nous manque parfois un peu de contexte pour bien comprendre ce qu’il nous écrit, notamment la rudesse de certaines piques, par exemple celle où il évoque les critiques photographiques ne comprenant rien à la photographie (qu’il pratique). Il faut rappeler que ce sont des carnets et que les textes sont en général très courts. Mais certains passages trouvent une grande résonance lorsque l’on pratique le Japon depuis plusieurs années. A propos des ses voyages dans le Japon, il résume: “Fatigue, exaltation, solitude, ennui, conversations toujours pareilles dans lesquelles une sorte de lassitude vous embarque”. J’ai personnellement une hantise de ces conversations avec des inconnus qui se limitent aux lieux communs, d’autant plus quand l’interlocuteur parle quelques mots de français et croit nous faire plaisir en les déroulant les uns après les autres. Je vois souvent venir ces conversations et je détourne le chemin pour les éviter, mais je me laisse parfois piéger. En y repensant maintenant, c’est peut être une des raisons pour laquelle j’aime mettre des écouteurs dans les oreilles. Mais, Bouvier voit d’autant plus juste quand il imagine, un peu plus tard dans ses carnets, une conversation qu’il aurait pu avoir dans un “bistrot de chez nous”: “On sait bien ce que c’est: personne n’écoute, et pourtant on parle. C’est un aveu d’impuissance, mais c’est aussi une litanie qui évoque et célèbre la véritable conversation qu’on voudrait tant avoir, qu’on n’a pas et qu’un jour on aura peut être. En attendant, on se chauffe.” Les interlocuteurs de cette véritable conversation sont rares ici, mais même s’ils sont potentiellement plus nombreux ‘au pays’, c’est la véritable conversation elle-même qui reste rare. Certains textes me font également sourire comme ce passage où Bouvier prétend reprendre le texte d’une journaliste japonaise à l’occasion de l’anniversaire de l’empereur et “[..] raconte que cet homme digne et sympathique fut bien soulagé de ne plus être un dieu – on le comprend [..]”. Un autre passage évoque brièvement la sur-information: “A force d’information l’esprit perd sa structure; on n’a plus le temps de mettre un peu d’ordre là-dedans, ni même de savoir si l’on aime et si l’estomac supporte”. Rappelons que ce journal date des années 60 et qu’on n’en était pas encore à la société de sur-information actuelle. Mais le passage que je préfère est plus poétique. En relisant le texte de Daniel sur son blog, alors que je suis en train d’écrire le mien ici, je me rends compte, que ce texte titré « Matelas » lui a également tapé dans l’oeil. Je me permets de le restituer également ci-dessous, parce que j’aurais très certainement envie de le relire:

L’agrément qu’il y a à dormir sur le tatami, c’est d’avoir ainsi le dos collé au sol, de faire corps avec la terre et – quand le calme et le silence de la nuit le permettent – de sentir et de partager la vaste rotation dans laquelle elle vous entraîne. Les couvertures tirées jusqu’au menton, les mains à plat le long du corps on fend l’espace comme un boulet chauffé au rouge. On pense aux autres corps célestes, aux orbites qui s’infléchissent et qui divergent, aux attractions, aux répulsions, aux lentes figures qui se tracent à des vitesses inconcevables. Dans cette salle de bal obscure qu’est devenue la nuit, la natte, la maison, le quartier et les douze millions de dormeurs qui l’entourent pivotent avec un ensemble admirable pendant que je me pose la question de ma place à moi là-dedans, qui reste à débattre. Le sommeil vient avant la réponse.

Dans les rayons télévision du magasin d’électronique Biccamera de Shibuya, je me laisse surprendre par une dame portant un petit carnet en mains. Derrière elle, un homme de grande taille porte une caméra vidéo. Elle m’aborde poliment entre deux écrans 55 pouces pour me demander si je serais d’accord pour répondre à quelques questions. Le sujet de cette interview spontanée est la manière dont les étrangers vivant à Tokyo évacuent le stress de cette difficile situation actuelle du coronavirus. Il s’agit apparemment d’interviews rapides pour une émission de télévision dont le nom m’a échappé. Je décline aimablement la proposition et ils n’insistent pas tout en me remerciant de l’attention. En fait, je connaissais déjà cette dame car elle m’avait déjà abordé et interviewé l’année dernière alors que je marchais seul près du carrefour de Shibuya. Lors de cette précédente interview ciblant également les étrangers (touristes ou résidents), elle m’avait demandé si je connaissais et si j’écoutais de la musique japonaise et si oui, quelles étaient mes artistes préférés. J’avais parlé de Sheena Ringo et de la première fois où j’avais entendu sa musique dans ces mêmes rues de Shibuya. Si mes souvenirs sont corrects, c’était le single Koko de Kiss shite de son premier album Muzai Moratorium, qui était diffusé sur les hauts parleurs accrochés aux lampadaires des rues de Shibuya autour de Center Gai. Elle m’avait demandé de donner un ou plusieurs titres et de fredonner si je le pouvais, ce que j’étais bien incapable de faire spontanément. Cette interview était destinée à l’émission Music Station de Tv Asahi. On m’avait fait signer un papier à la fin de cette courte interview pour les droits à l’image. Il n’y avait bien sûr aucune certitude que mon interview serait retenue au final et elle ne l’a pas été. J’avais regardé l’émission d’un air inquiet de peur de me voir, mais je me suis vite rendu compte que mon intervention était un peu en décalage avec ce qui était attendu. Les étrangers qui sont passés à la télévision étaient soit amateurs de musique d’anime, citant des morceaux comme celui de Radwimps pour Kimi no na ha (Your Name), ou amateurs un peu excentrique de musique d’idoles dans le genre AKB48 ou Nogizaka46. Malgré la popularité de Sheena Ringo au Japon, mon choix ne correspondait certainement pas à ce qu’on attendait d’un étranger. Avant de décliner cette deuxième interview, j’ai d’abord penser pendant un quart de seconde à cette première interview. Que répondre à la question de ce que je fais pour évacuer le stress du coronavirus? J’aurais pu dire que j’ai tendance à faire beaucoup plus de blagues à la maison mais j’aurais été bien en mal de donner des exemples. J’aurais pu dire que j’écoute beaucoup de musiques japonaises alternatives que mon interlocutrice ne connaîtrait peut être pas. J’aurais pu expliquer que j’aime marcher pendant mes heures libres en dehors des obligations de la vie quotidienne, pour prendre des photos d’architecture. Alors que je réfléchissais à tout cela pendant ce quart de seconde, je me suis rendu compte que mes occupations n’avaient rien de très intéressantes ou fantaisistes, qu’elles ne seront pas à même de surprendre l’auditoire et qu’elles ne seront certainement pas retenues malgré les efforts que je pourrais consacrer à les expliciter. J’aurais peut être eu une chance de passer dans cette émission si pour combattre le stress du coronavirus, je faisais par exemple des exercices à la maison en dansant en tenue de cosplay. J’exagère un peu le trait mais comment expliquer que l’on vit tout simplement une vie normale et qu’on a aucun moyen magique d’évacuer ce stress. On vit avec, tout simplement, comme tout le monde, qu’on soit étranger ou japonais.

Depuis Have it my way dont je parlais il y a plusieurs mois déjà, je garde une oreille attentive aux nouveaux morceaux du groupe EMPiRE de l’agence Wack. Un nouvel EP tout ‘simplement’ intitulé Super Cool vient juste de sortir. Bien que je sois certain de ne pas m’engager à écouter et apprécier l’ensemble du EP car la musique de EMPiRE prend souvent des tournures un peu trop EDM pour moi, je tente tout de même l’écoute morceau après morceau. Le premier, This is EMPiRE SOUNDS, a une construction assez simple (du moins au niveau des paroles) mais me plait bien pour son immédiateté et son accroche contagieuse. Je sais que le groupe a le potentiel d’arriver au niveau de BiSH (qui fonctionne très bien dans les charts japonais en ce moment) et j’ai le sentiment que le producteur Junnosuke Watanabe va les pousser comme les prochaines figures de proue de l’agence. Le quatrième morceau du EP intitulé I don’t cry anymore est une excellente surprise, beaucoup moins rythmé que ce qu’on peut s’attendre du groupe mais plus prenant à l’écoute. J’aime beaucoup la part d’émotion qui se dégage du morceau surtout quand Mayu, qui a écrit les textes de ce morceau, chante les paroles du titre avec des véritables larmes aux yeux comme le témoigne la vidéo. J’apprécie cette tournure plus personnelle de leur musique, en espérant qu’elles se tournent un peu plus vers cette direction, ce dont je doute quand même un peu.

En parlant de BiSH, le groupe sort également un nouvel EP intitulé Letters, qui est désigné comme leur 3.5ème album mais qui ressemble quand même plus à un EP ou à un mini-album. Je pense que ma série photographique en trois épisodes ‘from sky’ doit être inconsciemment inspirée par la vidéo du morceau titre Letters, car on voit la caméra partir du ciel pour pointer à différents endroits de Shibuya montrant chaque membre du groupe positionné sur les toits d’immeubles. La caméra qui zoome sur BiSH n’est pas positionnée sur un hélicoptère ou un avion, mais tout en haut de la tour Shibuya Scramble Square, où on retrouve AiNA à un moment du morceau. Le morceau en lui-même est relativement classique avec un démarrage symphonique qu’il me semble avoir déjà entendu, et dont on aurait pu se passer pour démarrer directement sur les parties chantées. J’aime bien ce morceau en particulier mais je trouve le EP/mini-album dans son ensemble un peu trop conventionnel, sans les excès rock voire punk (au sens japonais du terme) des albums précédents. On a l’impression que le groupe se positionne maintenant pour le mainstream et évite les écarts que le plus grand nombre aurait dû mal à apprécier. J’essaierais certainement d’écouter le reste de l’album un peu plus tard.