Si je ne devais conserver que deux photographies sur ce billet, je garderais la deuxième et la troisième car elles s’accordent bien ensemble, bien qu’elles ne soient pas du tout prises au même endroit. Mais je ne peux m’empêcher d’y ajouter d’autres choses, car un billet de cinq ou six photographies me semble être un bon équilibre. C’est aussi parce que j’écris mes billets en fonction des photographies que j’ai à montrer et non l’inverse, et j’ai beaucoup de photographies qui me restent à montrer. J’ai une quinzaine de billets composés de cinq ou six photographies chacun en attente d’écriture. C’est une situation assez rare et qui m’interpelle d’ailleurs un peu. Est ce que je prends trop de photos de tout et de rien? Même si je connais un endroit par cœur pour l’avoir emprunté maintes fois, j’y trouve souvent un nouvel intérêt photographique qui me pousse à prendre une photo. Le renouvellement urbain continuel de Tokyo aide certainement à maintenir cette inspiration. Je prends bien plusieurs fois la même photographie comme cette rue agrémentée de petits triangles de couleur, ou la fermeture éclair qui tourne en rond sans s’arrêter comme la ligne Yamanote dessinée sur le long mur du tunnel dessous le musée NACT à Nogizaka. Le tunnel de métal de la dernière photographie n’en est pas non plus à sa première apparition ici. La question de la sélectivité des photographies se pose aussi. Ce que je montre sur le blog correspond à environ 20% de ce que je prends en photo lors d’une marche urbaine. Peut être devrais-je être plus sélectif et ne montrer qu’une seule ou deux photographies plutôt que six par billet. L’impact final serait peut être le même ou serait peut être même renforcé. Une fleur saturant ses couleurs jaunes contre un mur de béton en nuances de gris, cela représente plutôt bien ce que j’aime dans cette ville.
En écrivant le billet précédent sur House A de Ryue Nishizawa, j’écoutais en boucle l’album Lavender Edition de Ai Aso. La sérénité qui se dégage des morceaux de cet album me semblait parfaitement convenir à l’ambiance que j’imaginais à l’intérieur de House A. Elle chante doucement, en chuchotant presque, en plusieurs langues (allemand, anglais, japonais) sur une partition acoustique folk. L’électricité apparaît également sur certains morceaux mais reste maîtrisé car c’est la voix de Ai Aso qui prédomine, mais sans forcer le trait. Plusieurs morceaux se ressemblent ou se répondent plutôt les uns aux autres, et construisent cette ambiance intime qui évolue doucement, en prenant son temps. L’ambiance musicale de Lavender Edition me rappelle celle de l’album Ruins de Grouper. En regardant des photos d’architecture, les miennes ou celles que l’on peut voir de l’intérieur des maisons individuelles dans les magazines d’architecture, je me pose souvent la question du style de musique qu’on y écoute. Quelle musique conviendrait à la rudesse du béton de Tadao Ando lorsqu’il se trouve en contact avec les couleurs vertes denses du jardin que l’on aperçoit à travers les ouvertures? Quel morceau de musique conviendrait le mieux à l’architecture aux apparences légères et fragiles de Ryue Nishizawa? Dans House A, on doit certainement y écouter une musique apaisante, comme celle de Ai Aso, qui s’harmonise avec les lumières naissantes du matin ou mourantes du soir. Je découvre Lavender Edition en entier sur YouTube et je n’ai malheureusement pas trouvé de version téléchargeable sur iTunes ou Bandcamp, ce qui est bien dommage. L’album, datant de 2004, n’est pourtant pas si ancien que cela.
Je découvre en fait cette artiste, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant, sur le forum Discord dédié à Sheena Ringo et Tokyo Jihen. Le style musical de Ai Aso n’a absolument rien de similaire avec celui de Sheena Ringo, mais ce forum Discord possède une section à part où les membres mentionnent de temps en temps leurs découvertes musicales. Je ne vais d’ailleurs sur cette page qu’assez rarement sans y participer activement, car l’attitude de certains membres y est tellement critique envers Sheena Ringo qu’on se demande même pour quelle raison ils peuvent bien participer à ce forum. Au final, on y parle plus d’autres artistes (et beaucoup trop de Seiko Ōmori à mon humble avis) que de Sheena Ringo ou Tokyo Jihen. Beaucoup de fans ont fait un blocage sur la période Kalk Samen Kuri no Hana et disqualifie tout ce qui est sorti après. Mais l’intérêt de ce forum est d’y découvrir de temps à autres de belles choses comme cet album de Ai Aso.
C’était une belle surprise que de découvrir la disponibilité de la série de courts métrages Tokyo! (2008) en visionnage gratuit sur le site Trois Couleurs en association avec mk2. Chaque semaine, une sélection de film est proposée gratuitement en streaming dans un épisode sous le nom mk2 Curiosity. L’épisode 12 contient le film Tokyo! ainsi que d’autres documentaires notamment d’Agnes Varda sur les Black Panthers. Je n’ai pas l’impression que l’on puisse regarder les épisodes précédents, ce qui voudrait dire que le film n’est disponible en streaming que pendant une petite semaine. Ça faisait longtemps que je voulais voir ces courts métrages. J’étais notamment intrigué par la présence du capsule hôtel Nakagin de Kisho Kurokawa sur l’affiche du film. Chacun des trois courts métrages d’une trentaine de minutes est dirigé par un réalisateur différent dont deux français Michel Gondry et Leos Carax, ainsi que le coréen Bong Joon-Ho qui s’est fait connaître et reconnaître internationalement avec son dernier film Parasite (2019). Ces courts métrages sont indépendants dans le sens où il n’y aucun lien entre les histoires qu’ils racontent. Les seuls points communs sont l’unité de lieu, la ville de Tokyo, ainsi qu’une bonne dose de surréalisme et de poésie urbaine. Les situations et les personnages des histoires qu’on nous y raconte basculent plus ou moins rapidement dans des situations irréelles. Le court métrage de Michel Gondry s’intitule Interior Design et doit être mon préféré des trois. Un jeune couple, Hiroko et Akira, débarque dans Tokyo pour y trouver du travail, lui veut être réalisateur de film, elle est plutôt indécise sur son avenir. Ils logent dans le petit appartement d’une amie d’enfance, Akemi, tout en cherchant une location. Ils visiteront une des capsules du Nakagin qui ne retiendra pas vraiment leur attention. Petit à petit, une distance se forme dans le jeune couple et Hiroko finit par se perdre dans cette nouvelle vie. C’est à partir de là que l’irréel prend le dessus. Leos Carax intitule son court-métrage Merde, le nom du personnage principal joué par son acteur fétiche Denis Lavant. C’est un personnage étrange sortant des égouts de Tokyo et venant hanté les rues et y créer le désordre. Son langage et ses gestes sont étranges et imprévisibles. Une partie du film montre son procès médiatisé après sa capture. Le court-métrage est tellement étrange q’on y reste accroché pour essayer de comprendre la finalité de cette histoire, mais j’ai personnellement un peu de mal à apprécier l’esthétique générale et le sens de cette histoire m’échappe un peu. Le dernier court-métrage Shaking Tokyo est réalisé par Bong Joon-Ho. L’histoire se concentre sur la vie d’un hikikomori, une personne qui reste chez-soi et ne sort absolument jamais. Ce personnage qui n’est jamais sorti depuis 10 ans est interprété par Teruyuki Kagawa. Toutes les semaines, il commande une pizza et une des livreuses, interprétée par Yu Aoi va bouleverser sa vie. Leur rencontre provoque un tremblement de terre et il se rendra ensuite compte que cette fille n’est pas tout à fait normale. Il y a, ici encore comme dans l’ensemble de cette oeuvre, une poésie urbaine qui me plait beaucoup.