le Zazen de la Crevette

La destination était le nouveau building Toda situé à Kyobashi dans l’arrondissement de Chūō. Je voulais voir une structure en escaliers métalliques noirs nommée Steps par l’artiste Atsuko Mochida (持田敦子), installée à l’intérieur d’un espace public dans le hall du bâtiment. Ces escaliers de taille fine montent vers le ciel et s’arrêtent soudainement. L’imagination doit faire le reste. J’en ai pris plusieurs photos mais je me suis rendu compte un peu plus tard que toutes mes photos étaient floues. J’avais réglé mon appareil photo sur manuel par erreur, sans faire les mises au point nécessaires. Je n’ai pas peur des photos floues, que j’aime publier de temps en temps dans certains billets, mais celles-ci m’ont rassuré sur le fait que le flou involontaire n’est pas intéressant. Ça peut paraître un peu contradictoire, mais le niveau de flou doit être réglé précisément pour rendre une photo intéressante. Le building Toda contient plusieurs galeries d’art aux étages. Je m’attarde un peu dans la galerie Tomio Koyama (小山登美夫) qui montre des sculptures de bois assez réalistes de Stephan Balkenhol dans une petite exposition nommée good day. En sortant un peu plus tard du building, je remarque une autre structure en escaliers d’Atsuko Mochida. La photographie n’est cette fois-ci pas floue. Dans la station de Toranomon, près de la plateforme de la ligne de métro Ginza en direction de Shibuya, on peut voir une sculpture très intéressante de Michiko Nakatani (中谷ミチコ) intitulée The white tigers are watching (白い虎が見ている), créée en 2020. Il ne s’agit pas d’une peinture mais plutôt d’une sculpture avec un relief concave. L’oeuvre montre un groupe de jeunes filles pourtant des masques de tigres blancs mais l’image change en fonction de notre point de vue, suivant notre position par rapport à l’oeuvre. La dernière photographie du billet montre une autre sculpture animale, placée sur une rambarde piétonne, ayant la particularité d’avoir une texture moelleuse. A moins qu’il ne s’agisse plutôt d’un gant zébré qu’un enfant aurait égaré dans cette rue. On pourrait voir de l’art à tous les coins de rue si on se laisse emporter pour son enthousiasme.

J’ai failli manquer de peu l’exposition Ebizazen (海老坐禅) qui se déroulait du 7 au 24 Février 2025 au PARCO Museum, situé au quatrième étage du grand magasin de mode PARCO dans le centre de Shibuya. J’y suis allé le lundi 24 Février, en réalisant au dernier moment que c’était le dernier jour. Ceux qui suivent attentivement Made in Tokyo auront remarqué que je parle assez régulièrement de Aoi Yamada (アオイヤマダ) sur ces pages. Je me rends compte qu’il faut être assez concentré pour suivre mes billets car ils ont la plupart du temps des liens avec ceux écrits précédemment. Je la suis sur Instagram depuis plusieurs années pour ses danses étranges toujours très inspirées et amusantes, car elle ne se prend pas trop au sérieux, ce qui est d’ailleurs une des forces de ses représentations. Elle jouait un second rôle dans la série First Love (初恋) de NetFlix avec Hikari Mitsushima (満島ひかり) et Takeru Satoh (佐藤健), puis plus récemment dans le film Perfect Days de Wim Wenders. On l’avait également vu aux côtés de Hikari Mitsushima dans le long film publicitaire Kaguya pour Gucci. Elle apparaît dans certaines vidéos d’AiNA The End et fait souvent partie de la troupe de danseuses pour ses concerts. Elle avait également fait une performance lors de la cérémonie de fermeture des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Aoi Yamada fait partie d’un collectif nommé Tokyo QQQ, mais le collectif qui a conçu cette exposition prend le nom étrange de Ebizazen (le Zazen de la crevette). Outre Aoi Yamada, ce collectif créatif regroupe d’autres artistes: la directrice artistique Midori Kawano, la styliste Chie Ninomiya, la photographe Akiko Isobe, le coiffeur et maquilleur Noboru Tomizawa et Oi-chan, la manager d’Aoi Yamada. Cette dernière est également la manager du danseur Takamura Tsuki (高村月) qui forme avec Aoi, l’unité de danse-poésie Aoi Tsuki, et produit le groupe Tokyo QQQ. La présence d’un personnage d’écolier dans cette troupe, sous les traits de Takamura Tsuki, me rappelle tout de suite le film Cache-cache pastoral (田園に死す) de Shūji Terayama (寺山修司), dont j’avais parlé dans un billet précédent. Je me souviens maintenant que Stéphane Dumesnildot parlait et montrait en photos une partie de ce collectif sur un billet de son blog Jours étranges à Tokyo (qui semble malheureusement en pause depuis Juin 2024). Pendant qu’on visite l’exposition photographique, on est accompagné par une musique étrange répétant par moment les mots Ebi et Zazen. Je ne suis pas certain du sens profond du nom de ce collectif mais il communique pour sûr une notion de liberté loin des stéréotypes, que l’on retrouve dans l’esprit des photographies montrées. Aoi Yamada est la muse du groupe et c’elle elle que l’on voit photographiée dans des tenues excentriques et extravagantes. La collection contient plus de 150 photographies qui sont réunies dans un livre et dont on peut en voir un grand nombre dans cette exposition. Ces photographies sont prises à Tokyo mais également à Atami et à Matsumoto, devant le splendide château noir, entre autres. Le collectif Ebizazen existe depuis 2019, et des photographies ont donc été prises pendant ces six dernières années. Il y a une grande fraîcheur dans cette œuvre photographique qui n’est pas lié à une quelconque marque de mode.

Je poursuis progressivement mon écoute des épisodes mensuels de Liquid Mirror d’Olive Kimoto sur la Radio NTS, car ils sont tous passionnants. L’épisode de Décembre 2023 intitulé An Asia Travel Diary est comme son nom l’indique consacré à l’Asie. Il a été enregistré à Tokyo et nous fait passer par le Japon, la Corée, la Chine et Taiwan. J’ai à chaque fois la sensation d’une exploration auditive m’amenant sur des terrains nouveaux, auxquels je suis pourtant assez familier car évoluant souvent vers une certaine forme d’éthéréité. On est très souvent proche de la musique expérimentale et bien loin de toute notion de mainstream. Les sélections musicales sont à chaque fois un sans faute, ce qui est tout à fait le cas avec cet épisode consacré à l’Asie. J’y retrouve avec plaisir le musicien Meitei (冥丁), dont j’avais déjà parlé ici, avec le très beau morceau Nami que je ne connaissais pas. On retrouve sur ce morceau toute la délicatesse et les subtilités sonores qui rendent une ambiance d’écoute tout à fait unique. Ce morceau intègre des bruits de vagues qu’on imagine provenir de la mer intérieure de Seto du côté d’Onomochi où Meitei réside. Ce morceau est inclus sur son album Komachi de 2019 et sur le EP Yabun de 2018. J’y découvre l’artiste japonaise basée à Londres Hinako Omori (大森日向子) avec le morceau Yearning d’une profonde mélancolie. Ce morceau me semble être inspiré par les musiques new-age avec des synthétiseurs aux contours flous. Ce morceau est tiré de son album a journey… sorti en 2022, qu’il faudrait que j’écoute bientôt. Une pointe d’émotion me saisit ensuite lorsque j’entends le début du morceau A Pure Person (單純的人), sur le EP du même nom, de Lim Giong (林強). Il s’agit de la musique accompagnant la scène d’ouverture du film Millenium Mambo du taïwanais Hou Hsiao-Hsien. Ce morceau est tout simplement sublime. J’avais l’habitude d’entendre la voix de l’actrice Shu Qi car j’avais sur mon iPod une version sonore extraite de cette scène d’ouverture. Une voix nous narrait en chinois la relation amoureuse compliquée de Vicky (interprétée par Shu Qi):

She broke up with Hao-hao, but he always tracked her down. Called her… begged her to come back…
Again and again. As if under a spell or hypnotized… She couldn’t escape. She always came back.
She told herself that she had NT$ 500,000 in the bank. When she’d used it up, she would leave him for good.
This happened ten years ago… In the year 2001 the world was greeting the 21st century and celebrating the new millennium.

Il y a beaucoup d’autres très beaux morceaux sur cette compilation. J’en retiens quelques autres comme Sun Tickles du duo électronique coréen Salamanda, composé d’Uman (Sala) et de Yetsuby (Manda). Ce morceau aux sons intriqués est présent sur leur album In Parallel sorti en 2023. Il y a aussi la Dream Pop du groupe chinois originaire de Hangzhou, City Flanker, avec un morceau intitulé Purple Haze (紫霧), extrait du EP Sound Without Time. L’épisode se conclut avec le morceau Spica de Chihei Hatakeyama (畠山地平) qui apporte les derniers soupons de rêve avant que la machine ne se détraque et nous ramène à la réalité.

URBANO-VÉGÉTAL (26) sous Drone Ambient

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Ce n’est peut être pas tout à fait le numéro 26 de la série urbano-végétal que je montre ci-dessus, car certains inédits se sont glissés dans mes photobooks notamment In Shadows. C’est une version « sakura » cette fois-ci sous une pluie qui les rendra encore plus éphémères. Les cerisiers en fleur au Japon sont une belle histoire qui se termine toujours par vent et pluie. Comme c’est le cas de temps en temps, les compositions sortent du décor de la ville, ici au dessus de Kita Kamakura, au dessus du grand temple Engakuji pour être très précis.

Je le mentionnais en commentaire du billet précédent, je découvre 2 morceaux Drone Ambient intitulés White Noise de Svarte Greiner et Salvation de Chihei Hatakeyama. Comme je m’y perds beaucoup dans le nom des genres muscicaux, je connaissais l’Ambient, mais pas le Drone Ambient. Le drone en musique caractérise un style musical faisant essentiellement usage de sons, notes maintenus ou répétés et est typiquement caractérisé par de longues plages musicales présentant peu de variations harmoniques. Nous voilà fixé. Je n’avais jamais tiré la corde musicale vers ce style là, mais je me suis laissé guider par un commentaire du billet précédent me recommandant un bon site de musique « silent weapons for quiet wars » (j’aime beaucoup le nom du site, un peu moins les notes de vulgarité non nécessaires par ci par là dans les textes, bref). De fil en aiguille, je découvre le long morceau de 20 mins de Hatakeyama et il m’accompagne, ainsi que celui de Svarte Greiner, pendant la création de la composition urbano-végétal ci-dessus ainsi que le travail sur la série de photographies ci-dessous. J’aime considérer l’influence musicale sur mon traitement photographique (c’est mon sujet préféré). Les photographies sont volontairement traitées sombres, comme ces deux morceaux de Drone Ambient, la fleur colorée à la fin étant la porte de sortie. Cette musique en longues nappes s’entrelaçant est abstraite et particulière. Je ne pense pas que j’aurais su apprécier ce style musical il y a quelques années, il faut franchir quelques étapes avant de se plonger dans ce ruissellement de sons. Ce flot est une force insaisissable retenant toute l’attention. On y surveille les changements subtils de sons, les apaisements et précipitations.

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Je profite du beau temps dimanche pour prendre mon vélo pour une promenade à la recherche d’architecture. En fait, je profite d’une commande express de Mari et Zoa d’achat de nourriture pour petit poisson (reçu de l’école) pour faire des détours interminables jusqu’à Meguro à la recherche d’architecture remarquable. La pêche (à l’architecture) ne sera pas très bonne, car je n’ai pas eu le plaisir de découvrir beaucoup de bâtiments inconnus ou vus seulement sur les magazines d’architecture. Je retrouve par hasard ou volontairement quelques constructions vus et montrés sur ce blog auparavant. Je passe très souvent à Aoyama devant la maison particulière Wood/berg par Kengo Kuma (2ème photographie). Je constate petit à petit que la couleur des lamelles de bois en façade se délave un peu et c’est bien dommage. Pour rester sur la teinte verte des baies vitrées, je passe aussi devant l’immeuble Iceberg de l’architecte anglais Benjamin Warner et l’agence Creative Designers International (3ème photo). Je remonte ensuite vers le stade olympique de Kenzo Tange, mais prend la petite rue longeant l’entrée et le parking de la résidence Co-op Olympia (construit par Shimizu Corporation) à Harajuku. Cette résidence date de 1965, juste après les Jeux Olympiques de 1964 dont elle tire son nom. La 5ème photo nous montre de l’architecture brutaliste, celle de Hiroshi NAITO pour la Gallery TOM, construite en 1984 à Shoto.

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Ce billet fera sans cesse référence au billet précédent, car je souhaite maintenant faire deux remerciements. Merci à Katatsumuri/DaNIel, qui commente régulièrement ici, pour son billet faisant référence à Made in Tokyo comme un blog à ne pas rater. J’aime beaucoup l’interprétation qui est faite de Made in Tokyo qui reflète bien mon inspiration. On m’a dit plusieurs fois que je présentais une vision de Tokyo différente loin des blogs « I love Japan ». A vrai dire, je ne regarde plus beaucoup de blogs sur le Japon (à tord très certainement, mais par manque de temps et d’envie), donc j’ai un peu perdu de vue ces blogs « d’amoureux du Japon ». Ma seule crainte est de devenir un blog touristique et vous pourrez constater que j’ai mal tourné si je commence à mettre des bandeaux publicitaires sur mon blog (J’exagère bien sûr). Mais je n’aime pas tellement non plus proclamer que je propose une vue « différente » de Tokyo. A vrai dire, j’aime beaucoup l’emploi du mot poétique de Katatsumuri.

Je souhaite aussi remercier l’écrivain et professeur à l’Université Cho de Tokyo, Michaël Ferrier pour son email d’encouragement et pour la référence en bibliographie à Made in Tokyo sur un article qu’il a publié dans les cahiers Croisements (Revue francophone de sciences humaines d’Asie de l’Est). Michaël Ferrier y écrit sur « Tokyo: ville réelle, ville rêvée, ville révélée ». J’avais également couvert quelques éléments d’utopie urbaine à Tokyo dans un billet du blog intitulé Visions d’un Tokyo vertical. Il a publié aussi Fukushima, Récit d’un désastre que je commence à lire en ce moment.