tunnel vision

L’année se termine bientôt et je ne l’ai pas vu passer. J’ai pourtant l’impression qu’il s’est passé beaucoup de choses cette année, mais rien de vraiment nouveau sur ce blog. Je me suis certainement posé moins de questions sur le fait de continuer ou pas à écrire, même si celles-ci reviennent inlassablement lorsque l’année se termine. Il me reste un certain nombre de photographies à montrer mais une toute petite volonté d’écrire, comme si toute la fatigue de l’année s’était emmagasinée et m’avait enlevé toute capacité à me concentrer pour écrire quelques lignes. C’est bizarre comme la fin d’une année se ressent comme une fin de cycle qui me fait à chaque fois réfléchir si je devrais de nouveau démarrer un nouveau cycle. Il m’est souvent arrivé d’annoncer les derniers jours de ce blog dans les brouillons d’un billet que j’étais en train d’écrire, pour ensuite me corriger. Même si la question de complètement arrêter Made in Tokyo ne se pose pas vraiment, l’écriture est parfois tellement laborieuse que je me demande si elle est vraiment nécessaire. Elle n’est parfois pas vraiment nécessaire, ni pour moi ni pour les autres.

Voir apparaître soudainement le drama Beautiful Life dans les nouvelles recommandations sur NetFlix m’a replongé au tout début des années 2000. Je ne me souviens pas avoir regardé beaucoup de drama à l’époque mais celui-ci avait accompagné quelques mois de mes premières années à Tokyo. Le drama Beautiful Life (ビューティフルライフ 〜ふたりでいた日々〜) a été diffusé sur la chaîne TBS du 16 Janvier au 26 Mars 2000. Je ne suis pas certain d’avoir regardé tous les épisodes à l’époque mais je me souviens très bien avoir suivi cette histoire jusqu’à son dénouement. J’ai eu envie de me replonger dans les onze épisodes de la série en les regardant une nouvelle fois sur NetFlix. L’actrice Takako Tokiwa (常盤貴子) y joue le rôle de Kyōko Machida (町田杏子), une bibliothécaire en fauteuil roulant, et Takuya Kimura (木村拓哉), celui de Shūji Okishima (沖島柊二), styliste d’un salon de coiffure réputé sur la grande avenue d’Omotesando. Une histoire d’amour pleine de rebondissements se noue entre Kyōko et Shūji, avec toutes les complications que peuvent apporter la situation physique et la maladie de Kyōko. Il y a de nombreux moments émouvants dans cette série, notamment dans les réactions de Kyōko qui semblent très justes, même si on ne peut que difficilement se mettre à sa place. Un autre intérêt de cette série est de revoir Aoyama en l’an 2000. De nombreux bâtiments ont été remplacés, notamment celui où se trouve le salon de coiffure. On y trouve maintenant le bâtiment du magasin Louis Vuitton. J’y aperçois également l’ancien bâtiment de verre Hanae Mori conçu par Kenzo Tange que j’avais pris en photo en 2006, ainsi que les vieilles résidences Dojunkai remplacées par Omotesando Hills. Et je repense à une série de photographies par Yūki Kanehira de ces Aoyama Dojunkai Apartments (青山同潤会アパート).

Et côté musiques rock et pop japonaises, j’écoute tant de choses que j’aurais un peu de mal à écrire avec détails sur tous les morceaux et albums de ma playlist actuelle. On y trouve le dernier single en date d’Utada Hikaru, Electricity. Ce morceau est présent sur la compilation Science Fiction sorti en Avril 2024, mais je n’y avais pas prêté attention jusqu’à la sortie récente de la vidéo. Je reviens également vers le jeune trio rock Brandy Senki (ブランデー戦記), dont j’ai parlé récemment pour le superbe single Coming-of-age Story (青春の物語), avec deux très bons morceaux: Nightmarish du même EP A Nightmare Week, et le tout dernier single du groupe, 27:00, sorti le 19 Novembre 2024 (la photo ci-dessus est tirée de ce morceau). J’ai aussi beaucoup écouté l’album Antenna (アンテナ) de Quruli (くるり) sorti en 2004, un album apaisé que j’ai beaucoup apprécié où chaque morceau oscille entre le rock et le folk. Ça ne m’a pas empêché de l’intercaler avec l’album DOOR (ドアー) de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ), qui est sorti en 2005 en même temps que leur premier album album You & I’s WW III Love Revolution (君と僕の第三次世界大戦的恋愛革命). Le style punk criard et volontairement immature de l’album DOOR y est similaire, mais il ne s’agit pas de mon album préféré du groupe. AiNA The End a sorti son troisième album Ruby Pop sorti le 27 Novembre 2024 contenant certains singles dont j’ai déjà parlé ici comme Love Sick ou Red:birthmark, entre autres. L’album est assez long avec 17 morceaux et malgré trois d’entre eux que je trouve moyens et que je passe à chaque écoute de l’album, la plupart des morceaux sont très bons. Je retiens surtout Kaze to Kuchizuke to (風とくちづけと), Entropy, Heart ni Heart (ハットにハット) et le sublime Ho (帆). Ce morceau est d’ailleurs celui par lequel elle a démarré son concert ENDROLL au Nippon Budokan (日本武道館) le 11 Septembre 2024. Je mentionne ce concert car il est disponible en intégralité sur Amazon Prime. J’avais pensé essayer d’acheter une place pour ce concert lorsqu’elle l’avait annoncé, mais je ne sais pour quelle raison j’avais hésité, peut-être parce qu’il y a toujours quelques uns de ses morceaux qui me plaisent moins comme sur cet album. En regardant ce concert sur Amazon Prime, je regrette un peu de ne pas y être allé, surtout dans une salle mythique comme le Budokan. Je n’ai pour l’instant aucun concert de prévu pour l’année prochaine et ça me manque un peu de ne rien avoir en vue à l’horizon. Et je termine cette retrospective par un duo inattendu d’Utaha (詩羽) et de Cent (セントチヒロ・チッチ ex-BiSH) sur un single extrêmement sympathique intitulé Bonsai. Utaha s’échappe de temps en temps de Wednesday Campanella (水曜日のカンパネラ) pour écrire ses propres morceaux, et ce n’est pas une mauvaise idée. Pour celui-ci, elle écrit en fait les paroles avec Cent et Soshi Maeshima compose la musique.

the streets #14

Quelques photographies prises dans le désordre à différents endroits de Tokyo mais notamment à Shibuya, Waseda, Naka-Meguro et Ebisu. Le grand panneau publicitaire de la première photographie se trouve à côté du grand magasin PARCO sur la rue en pente Kōen Dōri dans le centre de Shibuya. En regardant après coup cette première photographie sur l’ordinateur, je me suis dis que je l’avais prise légèrement de travers. Ce petit défaut m’arrive régulièrement et je me sens le besoin de rectifier l’angle de prise de vue, même si ce n’est parfois pas toujours nécessaire et au point de ne plus savoir vraiment qu’elle doit être la vue correcte. C’est le cas pour cette première photographie car j’avais fixé mon cadre en prenant la rue en pente devant moi comme ligne de référence horizontale. Le panneau publicitaire géant apparaissait en conséquence avec un angle qui ne me semblait pas naturel, et au final aucune des versions de cette photographie ne me convient vraiment. Dans un degré bien différent, une série de photographies vue sur Instagram rend bien cet effet de désorientation sur une rue résidentielle en pente. Sur la deuxième photographie, nous revenons vers le Meguro Sky Garden, un long jardin circulaire placé au dessus du grand échangeur autoroutier d’Ikejiri-Ohashi. Je l’ai déjà pris en photo plusieurs fois mais je n’y étais pas revenu depuis longtemps, car je trouvais qu’il avait un peu perdu de sa tranquillité la dernière fois où j’y étais allé. En fin d’après-midi, il n’y avait presque personne à part deux ou trois promeneurs de chiens qui promenaient en toute logique leurs chiens. Je n’avais pris la pieuvre rouge du petit parc Tako (タコ公園) à Ebisu depuis longtemps. Cette pieuvre n’est pas celle originellement construite pour le parc, elle a été renouvelée il y a plusieurs années et à perdu au passage un peu de son intérêt. En tout cas, l’ancienne et la nouvelle pieuvre d’Ebisu ne sont pas aussi sophistiquées que celle que l’on peut voir dans une vidéo du groupe PEDRO dont je parle brièvement ci-dessous. Celle de la vidéo se trouve au bord le la piscine géante du parc prefectural de Futtsu à Chiba (千葉県立富津公園). Ça devrait certainement être une bonne idée d’aller la voir un jour ou l’autre, même en hiver.

Extraits des vidéos des morceaux Crawl (クロール) du groupe Hakubi et Tokimeki (ときめき) de a子.

Continuons donc en musique avec un excellent morceau rock intitulé Crawl (クロール) par le groupe Hakubi. Le groupe originaire de Kyoto est un duo composé de Katagiri (片桐) au chant et à la guitare et d’Aru Yasukawa (ヤスカワ アル) à la basse. Ce morceau a une excellente dynamique qui est parfaitement retranscrite dans la vidéo qui bouge sans arrêt. La voix puissante de Katagiri est vraiment convaincante, tout comme les riffs de guitare agressifs qui sont très présents dès les premiers accords. J’aime particulièrement le moment au milieu du morceau où le ton de la guitare change soudainement et se fait plus sombre tandis que la voix devient plus rapide. Cette maitrise fait vraiment plaisir à écouter. Je suis toujours très attentivement la carrière d’a子 qui vient de sortir un nouveau single intitulé Tokimeki (ときめき, heart race) le 13 Novembre 2024. Je ne suis jamais déçu par les nouvelles sorties musicales de a子. Même si ce nouveau morceau commence un peu doucement, on est très vite accroché par le refrain pop. a子 a un sens de la composition qui fait mouche à chaque fois, avec toujours ces petits décalages bienvenus, comme par exemple le découpage d’un gâteau de mariage à la tronçonneuse (qui est déconseillé) que l’on peut voir dans la vidéo. On ne retrouvera bien sûr pas de sons coupés à la tronçonneuse sur ce nouveau single car tout est parfaitement arrangé, mais il reste tout de même que son approche de la pop est atypique et je pense que sa voix est le principal facteur qui la différencie de tous/toutes les autres. Il y a quelques mois, j’avais été agréablement surpris de la voir apparaître au classement des 30 under 30 du magazine Forbes Japan, classement qui entend mettre en avant 30 personnes de moins de 30 ans qui changent le monde (「世界を変える30歳未満」30人). Je ne sais pas si ce genre de classement a beaucoup de sens car c’est tout à fait subjectif, même si a子 s’est fait un peu connaître à l’étranger par le festival SXSW aux US. C’est en tout cas une belle reconnaissance.

Extrait de la vidéo du morceau New World de Jazztronik feat. ELAIZA.

Je suis également très attentif ces derniers temps aux nouveaux morceaux d’Elaiza Ikeda (池田エライザ). J’écoute beaucoup le morceau New World qui est en fait d’un groupe nommé Jazztronik avec Elaiza au chant. Comme son nom le suggère très fortement, Jazztronik est orienté jazz. Le groupe est basé à Tokyo et se compose en fait d’un seul membre permanent, Ryota Nozaki (野崎良太) qui est pianiste, DJ et producteur. J’imagine qu’il s’entoure d’autres musiciens en fonction des besoins. Jazztronik existe depuis 1998 et a seulement sorti quelques albums et EPs. C’est un morceau très beau, très fluide, dès les premières notes de piano, qui me fait dire qu’Elaiza a cette capacité d’évoluer vers différents styles musicaux. On aimerait que Sheena Ringo lui écrive un morceau à l’avenir. Elaiza a déjà fait des appels du pied en ce sens dans le passé. Toujours dans les ambiances jazz, j’aime aussi beaucoup le nouveau morceau de Punipuni Denki (ぷにぷに電機) intitulé Chipped avec un featuring de Paul Grant, qui est musicien multi-instrumentiste et producteur californien dont les productions prennent inspiration dans le jazz, le R&B et le Hip-hop. Cette collaboration japano-américaine est intéressante et quelque chose me dit que ce type de collaboration internationale va se développer petit à petit. Le morceau est très paisible, voire reposant, comme un dimanche après-midi ensoleillé passé les pieds nus dans un parc de Tokyo ou de Californie.

Extraits des vidéos des morceaux I cannot Rain de &Tilly x Color Theory et Summer (夏) de PEDRO.

Pour changer un peu d’horizon, je découvre le très beau morceau I cannot Rain du groupe originaire de Prague &Tilly, accompagné par les synthétiseurs de Color Theory, aka Brian Hazard. J’aime beaucoup les sons rétro des synthétiseurs et le duo de voix doux et vaporeux de &Tilly. Ces sons rétro me ramènent vers une musique électronique que j’écoutais au tout début des années 2000 et que j’avais un peu oublié, Dirty Dancing de Swayzak (2002) et Alien Radio de Slam (2001). Pour revenir finalement au Japon et à la photographie de pieuvre échouée dans un jardin public, j’écoute quelques morceaux rock plus ou moins récents du groupe PEDRO mené par Ayuni D (アユニ・D) avec Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) à la guitare. Du dernier album Iji to Hikari (意地と光) sorti le 6 Novembre 2024, j’écoute beaucoup les singles Lovely Baby (ラブリーベイビー) et Aise (愛せ). Le morceau Summer (夏), qui n’est soudainement plus de saison malgré un très long été cette année, n’est pas inclus sur un album mais sur un CD accompagnant la première édition du LIVE Blu-ray/DVD Life and Memories » (生活と記憶) de PEDRO sorti pendant l’été 2021. La vidéo avec la pieuvre tentaculaire a été tournée par Masaki Okita (大喜多正毅) qui avait déjà réalisé la vidéo du morceau Orchestra de BISH, un des morceaux emblématiques des débuts du groupe sur l’album KILLER BISH sorti en 2016.

美しく戦いましょう

Il faut se battre contre les chaleurs du mois de Septembre comme on le faisait au mois d’Août. Mon envie de marcher s’érode avec les degrés dépassant les normales saisonnières. Je prends donc moins de photos en ce moment et c’est une bonne chose car j’ai un peu de mal à tenir le rythme au niveau de l’écriture. Je manque parfois de courage pour me lancer dans l’écriture de certains billets, quand je sais à l’avance qu’ils vont être longs à écrire. Je suis loin de regretter de les avoir écrit une fois qu’ils sont terminés, mais c’est ce genre de longue écriture consommatrice en temps qui me font poser une fois de plus des questions sur l’utilité et la finalité de ce blog.

Je connaissais la jeune compositrice et interprète Toaka (十明) pour son chant remarquable sur le single Suzume (すずめ) de RADWIMPS pour le film d’animation Suzume (すずめの戸締まり) réalisé par Makoto Shinkai. Ce morceau avait eu beaucoup de succès et l’avait tout de suite fait connaître du grand public. Je n’avais pourtant pas suivi son actualité jusqu’à ce que son nom me revienne en tête récemment car la photographe Mana Hiraki (平木希奈) a réalisé la couverture de son dernier single intitulé Dancing on the Miror, sorti le 30 Juillet 2024. Ce n’est pas la première fois que je découvre une nouvelle ou un nouveau artiste par l’intermédiaire de cette photographe, qui est donc pour moi une très bonne source d’inspiration. Dans la foulée de ce dernier single, je me lance dans l’écoute de son excellent EP Boku Dake no Ai (僕だけの愛) composé de cinq titres. Sur le morceau Cinder ella (灰かぶり), j’adore sa voix, assez exceptionnelle il faut bien le dire, pleine de nuances qu’elle maîtrise à la perfection jusqu’aux soupirs entre certaines paroles. Elle a une voix puissante et expressive qui en impose, comme si elle prenait le dessus sur les mots qu’elle prononce. J’ai commencé l’écoute de cet EP par le dernier morceau intitulé Sanagi (蛹) qui a la composition la plus atypique. Ce genre de morceaux m’attirent particulièrement. J’aime aussi beaucoup la manière dont l’atmosphère musicale varie au fur et à mesure des morceaux. Le morceau titre Boku Dake no Ai (僕だけの愛) évolue par exemple sur un rythme folk à la guitare sèche pendant sa majeure partie, mais décolle tout d’un coup sur des hauteurs inattendues. La voix de Toaka lui permet tout à fait ce genre d’envolées et c’est un plaisir de se laisser guider par son chant. Ses morceaux ont pour la plupart une densité et une tension pop qui nous accrochent immédiatement et cette composition musicale clairement axée pop possède une inventivité certaine. Sur son dernier single New Area on dirait qu’elle chante comme elle mènerait une bataille, tant elle transmet de la force à chaque mot qu’elle prononce. Et cette bataille vocale est menée avec beaucoup d’élégance.

美しく戦いましょう。Let’s fight gracefully.

完璧にバグってる生き物で

Je n’étais pas revenu vers cette forme de composition photographique que j’appelle moi-même Shoegazing Photography depuis très longtemps. Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque d’apporter des perturbations à des photographies plutôt classiques, prises ici à Daikanyama et Ebisu. Tout comme le shoegaze en musique rock, des nappes viennent se superposer au dessus d’espaces clairs et lisibles pour y introduire un univers vaporeux proche du rêve. Avec l’été qui est déjà bien présent en ce tout début du mois de Juillet, me viennent des envies de mirages, comme si la moiteur ambiante rendait flou le contour des choses. La ville devient un immense désert de solitude, bien que la présence humaine soit omniprésente dans le décor urbain tout autour de moi. Elle n’est qu’images qui passent puis disparaissent à jamais. Ces images défilent et m’effleurent délicatement, s’échappant du bruit insaisissable qui les envelope, mais ne viennent pas altérer mon espace vital. Je m’extrais de ce bruit pour en écouter un autre dans mes écouteurs. Mais ce bruit là, celui des guitares, est accompagné d’une voix qui m’élève loin au dessus de ce monde urbain.

Je découvre parfois des pépites dont je ne soupçonnais pas l’existence, c’est la cas de l’album Time Machine ga Kowareru mae ni (タイムマシンが壊れる前に) d’abord sorti en 2015 puis ré-enregistré en 2021. C’est cette dernière version que j’écoute en ce moment avec passion. Il s’agit d’un album du groupe Tokenainamae (溶けない名前) formé en 2012 à Nagoya et composé d’Uran Uratani (うらたにうらん) au chant et aux claviers, Ryūta Itō (イトウリュウタ) à la guitare et au chant, Takuya Shimamoto (シマモトタクヤ) à la basse, Naoki Sogabe (ソガベナオキ) également à la basse et Kiyoshi Niwa (ニワキヨシ) à la batterie. Tokenainamae compose une musique shoegaze et noise-pop qui se caractérise par une certaine nostalgie et innocence adolescente, à chaque fois représentée en photo sur les couvertures des albums et EPs. Le groupe n’a en fait sorti que deux albums: Time Machine ga Kowareru mae ni en 2015/21, et Seifuku Kanro Kurabu (制服甘露倶楽部) en 2017, ainsi que trois EPs dont deux à leurs débuts (おやすみA感覚 et おしえてV感覚) puis un en 2022 intitulé Kasuka ni sō matou (幽かにそう纏う). L’album Time Machine ga Kowareru mae ni (タイムマシンが壊れる前に) est tout à fait remarquable et je le classifie facilement dans ma liste des meilleurs albums shoegaze japonais. On y trouve bien sûr les plages de bruits de guitares caractéristiques du genre depuis lesquelles s’élève la voix légèrement vaporeuse d’Uran Uratani. La particularité qui fait toute la différence est l’utilisation des claviers qui apportent une pointe de pop à l’ensemble et une dynamique assez inattendue pour du shoegaze. Les morceaux sont étonnement rapides, le chant d’Uran quasi-omniprésent assez souvent accompagné par une deuxième voix masculine, celle du guitariste Ryūta Itō. L’album de huit morceaux pour 37 minutes est fabuleux de bout en bout sans faiblesse. J’adore absolument tous les morceaux qui ont tous cette même beauté mélancolique mais j‘attends toujours avec une certaine impatience le quatrième morceau √2四 pour l’introduction aux claviers pleine de réverbération. Je trouve que cet album parvient à une sorte de perfection dans sa balance entre la légèreté flottante et délicate du chant et la densité pesante des guitares. Et puis le morceau final de sept minutes Dream Memorandum (睡眠抄) touche au sublime. J’écoute également le EP Kasuka ni sō matou (幽かにそう纏う) et l’album Seifuku Kanro Kurabu (制服甘露倶楽部) qui sont également très beaux mais qui n’arrivent pas au même niveau que Time Machine ga Kowareru mae ni, même si on y trouve de très beaux morceaux comme Double Platonic Suicide (ダブル・プラトニツク・スウイサイド) ou Mahoroba no Reactance (まほろばのリアクタンス). Leur dernière sortie date de 2022, et je ne sais pas si le groupe est toujours en activité car ils ne sont pas très actifs sur Twitter et le dernier billet sur leur page Tumblr semble également dater de cette période. En regardant le fil Twitter du groupe j’ai d’ailleurs été amusé par une reinterpretation de la couverture et du titre de l’album Time Machine ga Kowareru mae ni en montrant Bocchi de l’anime Bocchi The Rock (ぼっち・ざ・ろっく!) avec un nouveau nom d’album ぼっちちゃんが壊れる前に (avant que Bocchi ne se casse) attribué au Kessoku Band (結束バンド), le groupe de l’anime. Dans l’anime, l’instabilité émotionnelle de Bocchi fait qu’elle se « casse » souvent d’une manière similaire. C’est intéressant de voir comme cet anime est encore très présent. On trouve souvent des posters dans les magasins Disk Union et à certains endroits de Shimokitazawa (où se déroule l’histoire). Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence de cet anime sur la jeune génération. La fille d’un ami a par exemple commencé à jouer de la guitare après avoir vu cet anime. Il y aura peut-être dans les années qui viennent de nombreux jeunes groupes de rock influencés par Bocchi The Rock qui verront le jour.

gravity so gravity

La lumière sur ces quelques photographies est estivale. Les températures actuelles vers les 28 degrés annoncent un été précoce, mais l’air reste encore frais ce qui rend les marches dans Tokyo particulièrement agréables. La première photographie a été prise près de la station de Yoyogi. Je prends en général cet endroit en photo de l’autre côté de la voie ferrée, sous le tunnel car je suis toujours attiré par le puits de lumière qui s’échappe de l’obscurité du tunnel. Je suis cette fois-ci attiré par les longues roses trémières sauvages que l’on voit pousser en ce moment à différents endroits de la ville. Les photographies qui suivent sur ce billet sont mélangées sans aucune unité de lieu. On passe du centre de Shibuya devant le Department Store PARCO, à un festival vietnamien organisé près du parc de Yoyogi, aux allées etroites autour du petit parc Kitaya, tout ceci sous le regard interrogatif d’une jeune femme en kimono rouge. Je me sens immédiatement le besoin de lui décrire le détail des photographies que je viens de prendre, mais elle reste muette et désintéressée, sans aucune réaction aux mots que j’écris. Une approbation même infime m’aurait suffit, un clignement d’oeil furtif ou un léger mouvement de menton, par exemple. Écouter le Anti EP d’Autechre en écrivant ce court texte me fait divaguer vers des terrains pleins d’une abstraction qui me semble proche mais qui m’échappe et que je n’arrive pas à clairement appréhender. La gravité ramène sans cesse mon esprit vers la terre ferme, et c’est certainement préférable car on ne peut pas se perdre à jamais dans ces vagues atmosphériques attirantes qui se chevauchent, s’entrelacent jusqu’à nous faire perdre la trace de toute réalité.

À l’achat de l’album Slash & Burn de DAOKO au Tower Records de Shibuya, un petit billet en papier nous était donné pour pouvoir faire dédicacer son album par l’artiste. Cette session de dédicace se déroulait le Dimanche 2 Juin à partir de 17h. Je n’étais pas sûr d’être en mesure d’y aller aux heures indiquées, mais j’ai pu y assister de justesse. je suis arrivé au Tower Records de Shibuya un peu après 17:30 et il y avait une file d’attente s’étendant dans l’escalier entre les troisième et cinquième étages. Il fallait se munir du CD de l’album Slash & Burn car la dédicace se fait uniquement sur la jaquette de couverture. Il me faudra environ 40 minutes d’attente avant de voir DAOKO derrière une table dans un espace temporairement clos du troisième étage du magasin. J’avais donc tout le temps de réfléchir à ce que j’allais lui dire pendant les quelques courtes minutes accordées par personne. À vrai dire, je pense que c’est la première fois que je participe à ce genre de session avec des musiciens (j’ai par contre déjà fait signer des livres). Une fois devant elle, le temps passe plus vite que prévu. Elle saisit rapidement le CD et me demande mon prénom pour signer. Elle prend par contre son temps à styliser son nom d’artiste. J’en profite donc pour lui dire que j’ai beaucoup aimé son nouvel album, que je l’avais acheté en pré-sortie ce qui a l’air de la surprendre un peu, et que j’avais hâte de la voir en concert. Elle était très souriante et sympathique, réagissant à mes paroles mais le temps a forcément passé très vite. Je n’ai même pas eu la présence d’esprit de lui dire que j’avais été très impressionné par sa présence au côté de Sheena Ringo pour le morceau Ishiki (意識) remixé par Shinichi Osawa (大沢伸一) lors du concert Shogyō Mujō (椎名林檎と彼奴等と知る諸行無常) de 2023. Je n’ai pas eu le temps non plus de la féliciter pour son duo très réussi avec Sheena Ringo sur son dernier album Hōjōya (放生会). Bref, elle me remercie alors que je reprends en mains mon CD de Slash & Burn joliment signé. Le suivant attend déjà à la porte, guidé par le personnel du magasin. On ne pouvait à priori pas prendre de photos mais je n’ai pas demandé.

DAOKO disait elle-même qu’elle est OTK de base (普通のOTK) dans l’émission spéciale Snack Kimagure Remote Eigyōchū (スナックきまぐれ~リモート営業中~) sur YouTube, visible seulement le 29 Mai 2024, jour de la sortie de l’album Hōjōya. DAOKO était invitée à cette émission organisée par Sheena Ringo avec Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) de Tricot et Momo (もも) de Charan Po Rantan (チャラン・ポ・ランタン). On ne peut pas dire que cette émission était particulièrement intéressante ni mémorable car elles n’ont pratiquement pas évoqué le nouvel album. On sentait, du moins au début, une certaine nervosité chez DAOKO et Ikkyu, mais beaucoup moins chez Momo. Le décor reprenait celui d’un petit bar snack tenu par une Mama. En accord avec cette ambiance, DAOKO était habillée d’une tenue jaune très inhabituelle, qui ne lui allait pas du tout. Ringo avec son costume masculin vert et ses lunettes de soleil réfléchissantes n’était pas non plus sous son meilleur jour. Seule Ikkyu avait une tenue qui lui convenait admirablement. Dans ce décor aux airs désuets, Ikkyu jouait le rôle de la patronne des lieux mais ne se prêtait pas du tout au jeu.

J’ai souvent chercher sans les trouver les albums de DAOKO au Disk Union de Shibuya. Je me suis rappelé qu’il y avait en fait un autre magasin Disk Union spécialisé en hip-hop à quelques dizaines de mètres. Je me suis en fait rappelé que les disques de DAOKO sont classifiés dans la catégorie hip-hop car il s’agit de son genre musical principal, bien qu’elle évolue dans des styles très variés. J’y trouve avec une joie certaine son deuxième album intitulé Gravity, sorti en Décembre 2013 pendant sa période indépendante. On ressent tout de suite ce son indé avec une production qui n’est pas aussi évoluée que sur ses albums plus récents. J’aime cette imperfection car elle nous amène vers des sons plus bruts et parfois bizarres, mais assez souvent très inspirés. Certains morceaux tiennent à mon avis moins bien la route, mais le morceau titre Gravity est vraiment superbe, que ça soit pour ses sons électroniques de néons vaporeux ou pour le rap de Jinmenusagi. Il y a une sorte de beauté mélancolique contemplative assez difficile à décrire mais qui est très belle et qui me touche beaucoup sur ce morceau. Je suis agréablement surpris de retrouver aussi vite ce rappeur après l’avoir entendu sur l’album Saisei de DJ KRUSH. J’adore le rap de DAOKO sur le morceau qui suit Heigai (弊害) et l’ambiance du morceau Negative Monster (ネガティブモンスター). Ce morceau compte aussi parmi les meilleurs de l’album, assez caractéristique du rap de DAOKO à la fois rapide et quasiment chuchoté. Ce déséquilibre fait tout la particularité de son flot, surtout quand il est accompagné de sons décalés. Dès les premières notes du motif électronique se répétant sur le premier morceau de l’album, ISLAND, on se laisse emporter dans un monde instable. On y perd volontairement l’équilibre et on se laisse emporter par la gravité. Comme sur ses autres albums, DAOKO fait appel a plusieurs producteurs. Je reconnais le nom DJ 6月qui intervient également sur son nouvel album. Il produit le deuxième morceau BOY à l’approche plus pop et le onzième morceau TWINS où DAOKO utilise sa voix plus kawaii. Je me surprends moi-même à apprécier le rythme répétitif du refrain qui a quelque chose d’innocent. Il fonctionne particulièrement bien car DAOKO défile son flot rap sans discontinuer et faiblir, se reliant parfaitement avec les enchaînements du refrain. Les productions de COASARU sont assez chaotiques sur les morceaux Zureteru (ずれてる) et Megitsune (メギツネ). Ce dernier fait intervenir les rappeurs Page et Gomess mais le style brut de certains voix laissent interrogatifs car le morceau ressemble à une météorite attrapée par la gravité terrestre qui n’aurait très certainement pas dû arriver sur terre. Le morceau Romantic Delinquency (浪漫非行) également produit par DJ 6月 fait aussi figure d’ovni qu’on n’entendrait certainement pas sur l’album d’une major, mais c’est ce genre de compositions qui me font énormément apprécier les albums de jeunesse d’une période indépendante.