slow down don’t calm down

#1: slow down. Shibuya.

#2: chandelier princess. Daikanyama & Yebisu Garden Place.

#3: walking bridges. Aobadai & Ebisu.

#4: thin trees. Aobadai & Omotesando.

#5: yellow pattern. Nihonbashi & Mitaka.

J’avais initialement dans l’idée de créer une série au long court fait de billets numérotés composés de diptyques, c’est à dire deux photographies ayant un lien plus ou moins fort entre elles ou du moins une correspondance de thème. Mon idée était de faire une centaine de billets de cette série pendant la durée de cette année mais je me suis assez rapidement ravisé. J’avais publié deux billets séparés mais que j’ai finalement regroupé dans un seul billet avec d’autres photos. Je suis moins certain de continuer cette manière de faire sur de nombreux billets mais je commence au moins par celui-ci. Je me suis posé la question de changer quelque chose sur la manière dont je construis mes billets, mais est ce vraiment nécessaire?

Musicalement parlant, je découvre deux morceaux épatants de hip-hop teinté de sons électroniques produits par Shinichi Osawa de MONDO GROSSO. C’est probablement le producteur électro que je préfère en ce moment et je n’ai pas encore écouté le morceau de Sheena Ringo qu’il a remixé avec des apports voix de DAOKO. Je pensais d’ailleurs avoir commandé l’album de remixes de Sheena Ringo mais je ne me rends compte que maintenant que ma commande sur le site Universal Music Japan a été annulé suite au problème d’utilisation du logo de La Croix rouge pour les goods fournis avec l’album. Sur les deux morceaux que j’écoute en ce moment, en boucle il faut bien le dire, Shinichi Osawa s’associe avec le duo hip-hop Dongurizu (どんぐりず) pour former une unité appelée DONGROSSO. J’écoute d’abord RAVE (Hungry Driver) qui inclut également RHYME au chant en deuxième partie de morceau. J’aime beaucoup le gros son électro assez lourd qui semble décéléré, le phrasé hip-hop agressif de Dongurizu et le virement plus enlevé quand RHYME pose sa voix sur ce rythme qui ne prend pas de pause. Le son et ses cassures me rappellent un peu certains morceaux de Mr Oizo (le nom de code de Quentin Dupieux) et je me suis mis du coup à réécouter les excellents morceaux Steroids et Positif. L’autre morceau produit par Shinichi Osawa que je découvre sur YouTube ne semble pas être sorti en single et je ne suis pas sûr que ça soit un morceau terminé car la vidéo ressemble plus à une session d’enregistrement. Il semble s’intituler Red Bull 64 Bars. Mori (森) de Dongurizu est seul à rapper devant un micro du studio d’enregistrement mais Shinichi Osawa n’est pas loin de l’autre côté de l’écran de verre. J’adore la manière dont il perd contrôle de lui-même en se mettant à danser frénétiquement quand le rap de Mori vient s’accorder parfaitement avec le rythme crescendo électro de Shinichi Osawa pour atteindre une sorte d’harmonie. Le morceau ne manque pas de punch et il devient vite addictif. Je peux comprendre qu’on puisse avoir envie de dégager cette énergie par le mouvement en écoutant ce phrasé rap très rapide et rythmé. Bien que les styles soient tout à fait différents, cette danse me ramène vers une vidéo d’une danse automatique que j’aime beaucoup inspirée par le morceau Lovers who uncover de Crystal Castles vs The Little Ones.

ヴァントロワ

Démarrons ce premier billet de l’année en souhaitant à toutes et à tous une très bonne et heureuse année 2023. Ça pourrait devenir une habitude de démarrer l’année avec quelques photos d’Enoshima, car nous y allons régulièrement à la toute fin de l’année pour profiter des dernières lumières sur le Mont Fuji. Il avait pourtant préféré cette fois-ci se cacher dernière un épais voile de nuages. Nous profiterons tout de même du soleil couchant sur l’océan pacifique tout en dégustant une pizza aux petits poissons shirasu dans un des restaurants sur les hauteurs d’Enoshima. On profitera également de la foule venue visiter l’île. Je n’utilise ces derniers temps que mon petit objectif fixe 40mm, et j’aime par conséquent prendre des photos plongées dans la foule comme sur les première et cinquième photographies. Ces photos à Enoshima datent du 30 Décembre tandis que les deux dernières ont été prises le 31 Décembre à Daikanyama et à Ebisu pour une dernière marche de l’année avant de se préparer pour le réveillon.

J’ai l’impression que la soirée du 31 Décembre 2022 a passé très vite en regardant comme tous les ans l’émission Kōhaku Uta Gassen (紅白歌合戦) sur NHK, peut-être parce qu’il n’y avait pas de points très marquants cette année. J’avais déjà vu les artistes qui m’intéressaient (King Gnu, Ado, Aimer…) dans d’autres émissions télévisées de fin d’année interpréter les mêmes morceaux qu’à Kōhaku donc l’effet de surprise était grandement atténué. Mon principal intérêt était de voir Vaundy sur scène en solo puis en groupe avec Aimer, Ikura de Yoasobi et Milet pour le morceau Omokage (おもかげ). J’ai beaucoup aimé la dynamique de leur interprétation groupée sur scène, et on avait vraiment l’impression qu’il et elles appréciaient pleinement le moment. Il faut dire que c’est un sacré quatuor et l’apport de la voix de Vaundy par rapport à la version originale de The First Take est un vrai plus. Ça m’a même donné envie d’aller voir Vaundy en live. J’ai aussi beaucoup aimé le morceau de Fujii Kaze (藤井風) intitulé Shinu no ga ii wa (死ぬのがいいわ) qui me disait vaguement quelque chose sans le connaître vraiment. Ce morceau n’est pourtant pas tiré de son dernier album, donc le choix pour Kōhaku me paraît étonnant. Il y avait quelques curiosités comme le super-groupe rock auto-proclamé The Last Rockstars composé de Yoshiki de X Japan, Miyavi, Hyde de L’Arc~en~Ciel et Sugizo de Luna Sea (et X Japan ces dernières années). Contrairement au quatuor mentionné ci-dessus, leur interprétation démontrait qu’on peut regrouper les plus grandes stars et pourtant créer une musique et interprétation insipide. En comparaison, le rock band old-school de Keisuke Kuwata (桑田佳祐) avec Motoharu Sano (佐野 元春), Masanori Sera (世良公則), Hisato Takenaka (竹中 尚人, aka Char) et Goro Noguchi (野口 五郎) était plus intéressant à regarder et écouter. Ce super-groupe temporaire que seul Kōhaku est en mesure de créer était accompagné par Yuko Hara (原 由子, épouse de Kuwata et clavier de Southern All Stars), Kohei Otomo (大友 康平) et Hama Okamoto (ハマ・オカモト, bassiste du groupe Okamoto’s). Je n’ai réalisé que récemment que Hama Okamoto, de son vrai nom Ikumi Hamada, est le fils du comédien Masatoshi Hamada du duo Downtown. Une autre curiosité était de voir Shinohara Ryōko (篠原涼子) sur scène (avec Tetsuya Komuro au piano) car j’avais oublié qu’elle chantait. On se demandait un peu la raison de sa présence soudaine, mais Kōhaku invite régulièrement des célébrités lors des années anniversaire de leur carrière musicale. C’était le cas de Shizuka Kudo (工藤静香) au chant accompagnée de sa fille Cocomi à la flute, mais cette musique là ne m’intéresse pas du tout. Et il y a des groupes ou artistes dont je ne suis particulièrement fan mais que j’aime voir sur scène comme Ryokuōshoku Shakai (緑黄色社会) dont c’était la première apparition à Kōhaku. J’aime beaucoup la voix de Haruko Nagaya, tout comme celle d’Aimyon (あいみょん) qui est habituée de toutes les émissions musicales de fin d’année. Elle chante cette fois-ci un morceau de son nouvel album et un plus ancien qui m’intéresse plus: Kimi ha Rock wo Kikanai (君はロックを聴かない). Comme l’année dernière, Yō Ōizumi (大泉洋) présentait l’émission, accompagné cette fois-ci de Kanna Hashimoto (橋本環奈) remplaçant Haruna Kawaguchi (川口春奈) qui présentait l’année dernière. Comme d’habitude, Yō Ōizumi en fait trop en imitant sans cesse le « Bravo » du footballer Nagatomo. Kanna Hashimoto m’agace aussi toujours un peu car elle n’a jamais le tract et je préfère quand on ressent l’esprit un peu solennelle que peut prendre cette émission. La comédie est bien présente mais par petites doses avec Akiyama qui me fait à chaque fois rire rien qu’en le voyant, cette fois-ci prenant les traits d’un faux producteur et d’un jeune supporteur un brin émotif. Et lorsqu’on approche du final, on attend toujours MISIA qui fait à chaque fois sensation avec ses robes volumineuses. Cette fois-ci, sa robe était rouge et MISIA portait des longues oreilles de lapin du plus bel effet. Sheena Ringo ou Tokyo Jihen n’étant pas présents cette année, l’émission ne m’a que moyennement intéressé dans son ensemble.

La courte émission qui suit sur NHK, Yuku Toshi Kuru Toshi (ゆく年くる年), juste avant les douze coups de minuit, avait la particularité d’être présentée depuis le grand sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu à Kamakura. Ce sanctuaire a une valeur toute particulière pour nous car nous nous y sommes mariés il y a presque 20 ans. Nous n’y sommes par contre pas retournés depuis quelques années, et voir ces images sur NHK m’a vraiment donné envie d’y aller bientôt. Un jour peut être, il sera enregistré au patrimoine mondial de l’UNESCO. Je sais que la demande est faite régulièrement pour le classer mais ça n’a pas encore été réalisé. Minuit annonce un passage au sanctuaire d’Hikawa. Un verre d’amazake et de shiruko nous y attendent. J’aime ce moment passé dans le froid à boire cette boisson qui nous réchauffe un peu. Les soirées du premier de l’an sont toujours très programmées, mais nous n’allons à Hikawa que depuis peu. La première visite au sanctuaire le lendemain matin pour le hatsumode se passe plutôt au sanctuaire Konnō Hachimangu (金王八幡宮) de Shibuya (où se trouvait autrefois le château). Le premier jour de l’année, je me pose toujours la question du premier morceau que je vais écouter. C’est une reflexion un peu vaine car ne conditionne rien du tout pour le reste de l’année, mais je ne sais pour quelle raison j’y accorde une certaine importance. Je commence donc avec le dernier morceau de Miyuna, Aiai dana (愛愛だな), qui doit être le plus pop qu’elle ait créé jusqu’à maintenant et c’est un morceau qui me met immédiatement de bonne humeur.

Ces derniers jours, j’écoute quelques morceaux de Capsule sur leur dernier album Metro Pulse sorti le 14 Décembre 2022: Virtual Freedom, Give me a ride et Start. J’avais déjà parlé de deux autres morceaux sortis précédemment en single, Hikari no Disco et Future Wave. Les trois nouveaux morceaux que j’écoute maintenant sont tout à fait dans le même esprit électronique rétro-futuriste. A défaut d’être nuancée, la musique de Yasutaka Nakata sur ces morceaux est terriblement efficace, avec une atmosphère assez similaire à ce qu’il a pu composer pour Ado sur Shinjidai, son single au succès énorme. Toshiko Koshijima n’a pas tout à fait les mêmes capacités vocales qu’Ado, mais sa voix constitue à part entière l’empreinte musicale de Capsule. Parfois j’ai du mal à me rappeler que Koshijima et Nakata sont des personnes humaines et pas des représentations androïdes. La couverture du nouvel album les montrant en personnages fait de polygones des années 90 aide à brouiller un peu plus les pistes. Je n’avais jusque là pas d’intérêt particulier pour Capsule à part quelques morceaux passés comme Jumper sur l’album More! More! More! (2008) ou Sugarless Girl sur l’album du même nom (2007) qui m’avaient pourtant beaucoup plu à l’époque.

Une émission musicale du soir sur NHK attire mon attention car elle interview le groupe rock japonais Ellegarden que je connais de nom depuis longtemps, sans n’avoir jamais eu l’intention d’écouter. Ils viennent de sortir un nouvel album intitulé The End of Yesterday le 21 Décembre 2022, après un long hiatus. Le premier morceau de l’album Mountain Top passe dans l’émission et ce son rock me ramène soudainement 30 années en arrière me rappelant le rock FM américain très populaire dans les années 90, comme Blink-182 sur lequel Ellegarden aurait entre autres modelé son identité sonore. A part Weezer, je n’étais pas à cette époque particulièrement amateur de rock californien et je préférais le Nord de la côte Ouest américaine du côté de Seattle. Mais pour reprendre une phrase du paragraphe ci-dessus qui s’applique également très bien à Ellegarden: à défaut d’être nuancée, la musique de Ellegarden est terriblement efficace. Et écouter ce morceau Mountain Top me rajeunit de quelques décennies, donc je suis preneur. Comme le chanteur Takeshi Hosomi chante parfaitement en anglais, on a un peu de mal à imaginer qu’ils ne proviennent pas des plages ensoleillées californiennes, mais plutôt de celles de Chiba. Et pour continuer un peu, j’écoute également Strawberry Margarita qui enfonce un peu plus le clou dans l’esprit teenage rock, jusque dans la légèreté des paroles. Mais, ça reste un sacré plaisir quasiment impulsif d’écouter ces deux morceaux.

Pour revenir vers des sons plus electro-jazzy, on me conseille dans les commentaires d’un billet précédent de revenir vers Kiki vivi lily que j’avais découvert par son morceau New Day (feat. Sweet William) sur son album Tasty sorti en 2021. J’écoute deux morceaux Blue in Green et Pink Jewelry Dream d’un album intitulé Over the rainbow qui est une collaboration de Kiki vivi lily avec Sukisha (aka Hiroyuki Ikezawa). Sur ces morceaux, j’aime beaucoup la manière dont l’ambiance musicale vient s’installer tranquillement sans forcer, notamment dans les répétitions sur Blue in Green. La voix légèrement voilée de Kiki vivi lily a quelque chose d’un peu nonchalant qui vient joliment contraster avec la rythmique apportée par Sukisha. Cette association fonctionne très bien, notamment sur le refrain de Pink Jewelry Dream.

Pour continuer avec mes écoutes musicales, je fais volontairement une faute de quart (c’est de saison même si je n’ai pas skié depuis longtemps) en écoutant deux morceaux de Tommy february6 qui finissent par me fasciner. Tommy february6 est un projet solo de Tomoko Kawase (Tommy étant son surnom), chanteuse du groupe The Brilliant Green qui avait connu son heure de gloire à la fin des années 90 et au début 2000. Si mes souvenirs sont bons, j’avais même acheté le CD de leur album Terra 2001 sorti en 1999 mais je pense bien l’avoir revendu. J’ai un très clair souvenir du premier single de Tommy february6, Everyday at the bus stop, librement inspiré de pop américaine volontairement kitsch. Ce morceau passait souvent sur Space Shower TV en 2001, et comme je ne regardais pratiquement que cette chaine à cette période là, j’avais fini par être entrainé de force dans cette musique entêtante (en traînant des pieds mais en tendant l’oreille). Les hasards de Twitter me font écouter un autre morceau de Tommy february6 intitulé je t’aime ★ je t’aime, sorti le 6 février 2003 (le jour de son anniversaire donc). Le kitsch est toujours omniprésent mais me rappelle maintenant plutôt la variété française des années 80 (mais je n’arrive pas à savoir quoi, juste une vague impression). Je n’aurais certainement pas dû écouter cette chanson une première fois car je ne peux m’empêcher de la réécouter. Ça veut peut être dire que le morceau est réussi?

Et pour terminer ces découvertes de fin et de début d’année, je reviens vers le groupe rock indé japonais For Tracy Hyde qui vient également de sortir un nouvel album le 14 Décembre 2022. Son titre est Hotel Insomnia et l’album est composé de 13 morceaux. Je n’en écoute que trois pour le moment, qui doivent correspondre aux singles car des vidéos sont disponibles sur YouTube: Friends, Milkshake et Subway Station Revelation. Le style Dream Pop riche en distorsions de guitares ne diffèrent pas de ce qu’on pouvait connaître du groupe sur ses précédents albums et c’est une très bonne chose. For Tracy Hyde est pour moi une des valeurs sûres du rock indé japonais, à défaut d’apporter des sons originaux à la scène rock japonaise. Un morceau comme Friends en est un très bon exemple, très bien construit et fluide. Je me souviens avoir eu un peu de mal à apprécier la voix d’Eureka sur les premiers albums, mais je n’ai pas du tout cette impression sur ces quelques morceaux, au point où elle devient la véritable marque stylistique du groupe au delà même des compositions shoegaze toujours impeccables d’Azusa Suga. Friends prend des accents plutôt pop tandis que Milkshake est beaucoup plus proche du shoegaze. Chaque album de For Tracy Hyde me rappelle que le rock est toujours très présent au Japon, ce qui n’est pas pour me déplaire. Mais alors que j’écris ces quelques lignes, on apprend par le compte Twitter du groupe que cet album sera le dernier et que For Tracy Hyde se séparera après tout juste 10 ans d’existence, à l’issue d’un dernier concert en Mars 2023 dans une salle de Shibuya. C’est bien dommage d’apprendre cet arrêt d’activité du groupe et la raison exacte n’est pas donnée. J’imagine qu’Azusa Suga continuera ses autres projets menés en parallèle de For Tracy Hyde, à savoir son autre groupe AprilBlue et ses contributions de morceaux au groupe d’idoles alternatives RAY. Ce sont deux formations que j’ai déjà évoqué plusieurs fois sur Made in Tokyo. Mais continuons un peu plus la découverte de ce nouvel album avec le premier morceau Undulate et le troisième Kodiak qui sont particulièrement intéressants. A suivre mais ces cinq morceaux sont en tout cas excellents, certainement les meilleurs du groupe.

slipping on out my ordinary world, out my ordinary eyes

On marche autour de la station d’Ebisu le long de la voie ferrée qui monte jusqu’à l’entrée de Yebisu Garden Place, puis en direction du croisement de Yarigasaki à la limite de Daikanyama, puis dans une toute autre direction vers l’église de béton conçue par Tadao Ando dans une petite rue étroite proche de la rue commerçante principale d’Hiroo. Rien d’extraordinaire dans ces photographies qui montrent des lieux plutôt ordinaires. J’aimerais montrer des choses étonnantes et extraordinaires sur mes photos mais elles se contentent de l’ordinaire qui m’entoure. Enfin, de cet ordinaire, j’essaie principalement d’en saisir les pointes de couleurs: celles géométriques imprimées sur le muret d’un garage pour bus, celles des scooters stationnés méthodiquement sous le train de la ligne verte Yamanote, celles des petites bouteilles d’eau et de jus de fruits d’un distributeur automatique égaillant tant qu’il le peut une veille baraque semblant abandonnée, celles triangulaires inversées disposées sur le gris du béton de l’église mentionnée ci-dessus, celle d’une plante exotique semblant disproportionnée par rapport au pot bleu qui la porte, celle d’un passant en manteau jaune fluo contrastant avec d’autres manteaux verdâtres montrés de manière répétitive sur un mur d’immeuble du croisement de Yarigasaki. Les couleurs des choses sont un thème récurrent et une inspiration régulière de mes photographies, bien que je ne m’attarde pas souvent à en parler. J’aime par dessus tout le détachement des couleurs sur le gris des murs de la ville.

Je mentionnais dans un billet précédent partir à la découverte de la musique rock indé de Yū après avoir écouté son album de 2004, Ten no Mikaku. Je continue donc avec le premier album de son groupe au nom bizarre Chirinuruwowaka (チリヌルヲワカ), intitulé Iroha (イロハ). L’album n’est pas vraiment facile à trouver car il n’est à priori pas vendu d’occasion au Disk Union de Shinjuku. Du moins, je ne l’ai pas trouvé en cherchant dans les catégories alphabétiques et sous le nom de l’autre groupe de Yū, GO!GO!7188. Dans ces cas là, il m’a fallu le chercher sur Mercari. L’album Iroha est sorti le 28 Septembre 2005, la même année que la formation du groupe qui est d’ailleurs toujours actif aujourd’hui avec 12 albums à leur actif. Leur dernier album intitulé Apocalypse (アポカリプス) vient d’ailleurs tout juste de sortir en Septembre. Sur Iroha, les amateurs de la musique de GO!GO!7188, dont je fais partie, ne seront pas dépaysés car la voix de Yū est tellement marquante qu’elle est immédiatement reconnaissable. L’ambiance reste également fortement empreinte de rock indépendant riche en guitares, mais avec un peu moins d’agressivité que GO!GO!7188. La voix de Yū me fait souvent penser aux chansons Enka sauf qu’elles seraient ici électrisées par les guitares très présentes. Le rythme général n’est pourtant pas apaisé, et même loin de l’être, et les morceaux s’enchaînent sans répit. Le groupe permet l’écoute de l’album dans son intégralité sur YouTube et je conseille fortement aux amateurs de rock indé japonais d’y jeter une oreille attentive. Les deux premiers morceaux de l’album, Kasugai (カスガイ) et Hanamuke (はなむけ), sont une très bonne entrée en matière. La voix de Yū y est tout en modulation et le rythme effréné. Par rapport à son album solo, Ten no Mikaku (てんのみかく), que je mentionnais précédemment, l’album Iroha reste dans le rock pur sans faire des écarts vers le jazz, par exemple. Musicalement, l’ensemble est très cohérent et parfaitement exécuté avec de nombreux riffs accrocheurs. Yū (中島優美, Yumi Nakashima de son vrai nom) joue de la guitare en plus de chanter et elle est accompagnée par Eikichi Iwai (イワイエイキチ) à la basse (je l’évoquais très rapidement de mon billet précédent), Kōsaku Abe (阿部耕作) à la batterie. Sur cet album, le deuxième guitariste était Haruhito Miyashita (宮下治人), mais il a quitté le groupe et Natsuki Sakamoto (坂本夏樹) a pris la relève en 2010 suite à un hiatus de 3 ans du groupe. Entre GO!GO!7188 que je continue a beaucoup écouter (j’en parlerais certainement plus tard) et les 11 autres albums de Chirinuruwowaka qu’il me reste à explorer (il faut d’abord que je les trouve), je vais certainement avoir beaucoup de rock dans les oreilles ces prochaines semaines ou mois. Mais, je ferais quelques passages un peu plus pop, ne serait ce que pour aller voir Miyuna (みゆな) en concert prochainement (si tout se passe bien). En faisant quelques recherches de revue des albums de Chirinuruwowaka sur internet, je trouve les avis d’un passionné francophone sur le site Rate Your Music (RYM), un amoureux du chant de Yū, et ça fait plaisir à lire car je partage complètement son avis, qu’il formule d’ailleurs mieux que moi.

青く冷えてゆく東京

Je pense avoir déjà montré au moins une fois ces bâtiments sur Made in Tokyo, à part la maison noire aux lignes obliques sur la quatrième photographie et la résidence de béton sur la dernière photographie. La petite maison noire avait arrêté notre élan alors que je me promenais à vélo avec Zoa jusqu’au parc olympique de Komazawa en traversant le quartier de Shimouma. Dans ces cas là, Zoa m’autorise à chaque fois à m’arrêter quelques minutes au bord de la route pour prendre des photos. Je retiens parfois mon besoin compulsif de prendre des photos, mais la tentation est trop forte dans certains cas, surtout lorsqu’il y a de l’oblique ou d’une manière générale des formes non conventionnelles. Le bâtiment long et massif sur la dernière photographie se trouve à proximité de la tour Prime Square à Ebisu. Le béton est massif, sans fenêtres sur la rue, et sa texture est superbe. L’architecture que j’aime voir ne correspond pas toujours à l’architecture dans laquelle j’aimerais vivre. J’imagine que les fenêtres se trouvent de l’autre côté car il semble y avoir une cour intérieure. La rue est certes étroite mais n’est pas excessivement empruntée et il n’y pas de très fort vis-à-vis. Je me pose donc la question de la suppression quasi-totale des ouvertures. L’espace creusé dans le béton au rez-de-chaussée est une place de parking et donne accès à une porte qui n’est pas à priori la porte d’entrée principale de chaque habitation à l’intérieur de cette résidence. Elle s’appelle Kōyōsō (向陽荘) mais je n’ai pas trouvé d’autres informations à son sujet. Les autres photographies ont été prises principalement à Yoyogi Uehara et un peu plus loin vers Shōtō. Je marche assez souvent vers Yoyogi Uehara en ce moment, quartier que j’ai beaucoup exploré il y a plusieurs années. Sur l’avant dernière photographie, la lumière du soir vient se refléter doucement sur les parois de l’hôtel Prince Smart Inn à Ebisu. En prenant cette photo, je me rends compte que je pense un peu trop mes photographies en terme d’objet plutôt qu’en terme de lumière. Il faudrait que je garde cela un peu plus en tête, quitte à me diriger vers un peu plus d’abstraction visuelle.

Image montrée sur le compte Twitter de Music Station: AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) à gauche et Sheena Ringo (椎名林檎) à droite, toutes les deux vêtues d’une robe Prada, superbe il faut bien le dire, avant l’interprétation de Gunjō Biyori (群青日和).

Je mentionnais dans un billet récent que j’attendais avec une certaine impatience de voir à la télévision la prestation de la formation spéciale Elopers réunie par Sheena Ringo. C’était le Vendredi 15 Octobre 2021, à l’occasion des 35 années de l’émission musicale Music Station animée sans discontinuer par Tamori. Tamori est d’ailleurs désormais inscrit au livre Guinness des records pour cette longévité inégalée pour une émission se déroulant en direct. Autant j’aime sa présence et sa vivacité d’esprit dans une émission comme Bura Tamori (ブラタモリ) sur NHK, autant il semble un peu ailleurs sur Music Station. Il faut dire qu’il a plus de 70 ans. Je ne critique pas du tout le personnage ceci étant dit, car je pense qu’il aime authentiquement les artistes qui participent à son émission tant qu’ils ou elles lui retournent bien les marques de respect. Tous les artistes ne sont malheureusement pas invités dans cette émission et il est extrêmement rare d’y voir des artistes indépendants s’y produire. Même dans le mainstream, j’ai l’impression qu’il faut avoir la bonne carte pour y participer et ce sont souvent les mêmes têtes que l’on voit. Sheena Ringo est mainstream et possède la carte, et ce depuis ses débuts, donc on la voit assez régulièrement, au moins quand elle ou Tokyo Jihen sortent un nouveau single ou un nouvel album. C’est très loin de me déplaire bien entendu. Elle a tellement la carte qu’elle peut même se permettre de jouer un ancien morceau comme Gunjō Biyori (群青日和) de Tokyo Jihen, sorti il y a plus de 15 ans. Cette émission spéciale de 4 heures fêtant les 35 ans de Music Station comportait de toute façon de nombreuses séquences rétrospectives, donc jouer un morceau classique de Tokyo Jihen était loin d’être hors sujet.

Image montrée sur le compte Twitter de Music Station: La formation Elopers au complet avec de gauche à droite: Sheena Ringo (椎名林檎), Hona Ikoka (ほな・いこか), Yuu (ユウ), AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) et Shiori Sekine (関根史織). Les chemises de style grunge sont, contrairement à ce qu’on pourrait d’abord penser, de la marque Gucci, Celine ou encore Loewe.

Sheena s’était entourée de Yuu (ユウ, Yumi Nakashima) du groupe Chirinuruwowaka (チリヌルヲワカ) mais auparavant de GO!GO!7188, Shiori Sekine (関根史織) du groupe Base Ball Bear, Hona Ikoka (ほな・いこか) du groupe Gesu no Kiwami Otome (ゲスの極み乙女。) et AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) de BiSH. Hona Ikoka était à la batterie, Shiori Sekine à la guitare basse, Yuu et Sheena à la guitare électrique et AiNA seule au chant. La surprise, mais je m’y attendais un peu, était que Sheena ne chantait pas et jouait seulement de la guitare. Elle s’était même placée un peu en retrait dans le coin gauche de la scène, comme pour laisser la place aux autres et notamment à AiNA au chant. J’imagine la pression pour AiNA si Sheena était juste à côté et ce retrait est certainement volontaire. Dans l’interview avec Tamori avant l’interprétation sur scène, AiNA nous explique qu’elle avait demandé cinq fois à Sheena si elle voulait vraiment qu’elle fasse partie du groupe au chant. AiNA est clairement la plus jeune et deux autres membres sont également chanteuses dans leurs groupes respectifs (Yuu et Sheena). Je trouve qu’on remarquait cette pression sur ses épaules notamment au début du morceau, mais AiNA a fini par libérer son chant dans la deuxième partie du morceau. A ce moment là, elle chantait un peu plus à sa manière et c’est ce qu’on attendait. C’est d’ailleurs amusant de voir Sheena sourire légèrement de satisfaction vers la fin du morceau. La voix d’AiNA est loin d’égaler celle de Sheena mais elle est différente, plus torturée peut-être, et elle ne sera pas excellente sur tous les morceaux qui se présentent à elle. Le final de Gunjō Biyori était particulièrement savoureux. La force des trois guitares s’y conjuguaient dans un bruit électrique qui faisait sourire AiNA de soulagement. Ce dernier solo était moins bien exécuté que quand Tokyo Jihen le joue à quatre guitares (Ukigumo, Izawa, Kameda et Sheena) mais il s’en dégageait beaucoup de puissance. J’aimerais bien que ce groupe continue en parallèle de Tokyo Jihen, même de manière très épisodique, et pourquoi ne pas composer des nouveaux morceaux chantés à trois voix (Sheena, Yuu et AiNA)? Il y a là, à mon avis, un potentiel à développer. Sheena nous disait dans l’interview initial de Tamori qu’elle avait découvert AiNA dans cette émission Music Station et avait été impressionné par sa voix. On sait aussi que Kameda avait arrangé les musiques et produit le premier album d’AiNA. Il y a donc fort à parier que ça ne sera pas la dernière collaboration entre ces deux artistes. Ceci étant dit je ne pense pas avoir déjà entendu un morceau en duo entre Sheena et une autre chanteuse. Elle a fait de nombreux duo mais toujours avec des voix masculines fortes et typées (Miyamoto Hiroji par exemple, qui était également présent dans l’émission ce soir là).

Image montrée sur le compte Twitter de Daiki Tsuneta: Le groupe King Gnu au complet avec de gauche à droite: Yū Seki (Batterie), Kazuki Arai (Basse), Daiki Tsuneta (guitare) et Satoru Iguchi (Voix et clavier), ainsi que leurs versions enfants que l’on peut voir dans la vidéo du morceau BOY et sur la scène de Music Station. A noter que satoru Iguchi a le même t-shirt que dans la vidéo de Teenage Forever, ce qui semble créer des liens entre les morceaux.

L’autre groupe que je voulais absolument voir lors de cette émission était King Gnu. Ils passaient juste après Elopers et interprétaient un nouveau morceau intitulé BOY que je n’avais jamais entendu car il sortait le jour même. Dans la vidéo réalisée par Osrin de Perimetron, les membres de King Gnu sont joués par des enfants et la surprise était que ces mêmes enfants étaient présents sur scène à la place de King Gnu pendant l’émission Music Station. Ils étaient d’abord présents près de Tamori pour une courte interview, et le petit garçon jouant le rôle de Satoru Iguchi ne s’est pas démonté en répondant aux questions. Mais comme on lui posait une question enfantine (qu’est ce que tu aimes comme plat), il a eu la bonne répartie de poser exactement la même question avec un air un peu moqueur à un des invités assis à côté de Tamori, sous l’étonnement général. Je n’ai malheureusement pas pu me concentrer sur l’écoute du morceau pendant la prestation, car voir des enfants faire semblant tant bien que mal de jouer sur scène comme King Gnu m’a quand même un peu perturbé. Le groupe intervenait quand même en deuxième partie de morceau, ce qui m’a tout de suite rassuré. J’ai eu peur qu’ils n’apparaissent pas du tout sur scène pendant l’émission. Ils en auraient été capable. Le morceau en lui même est dans la ligne directe des autres morceaux de King Gnu. On n’y trouvera pas une grande originalité mais il est accrocheur dans l’ensemble. Sur la scène, j’ai particulièrement aimé le jeu de guitare de Daiko Tsuneta, tout en distorsions ce qui m’a rappelé l’émission KanJam avec Tokyo Jihen où le sujet des distorsions (歪み) était longuement évoqué (à propos des distorsions à la guitare basse dont Seji Kameda est spécialiste). Après plusieurs écoutes du morceau BOY sur YouTube, je l’aime finalement beaucoup.

L’autre curiosité était un morceau d’une dizaine de minutes de Perfume et Daichi Miura, accompagnés des danseuses et danseurs de ELEVENPLAY et SP Dancers. Je ne suis pas particulièrement amateurs de Daichi Miura (三浦大知) ou de Perfume, mais j’étais très curieux de voir les chorégraphies imaginées par MIKIKO et les effets spéciaux sur scène de Rhizomatiks. Ce n’est pas la première fois que MIKIKO et Rhizomatiks interviennent sur les chorégraphies et l’animation sur scène de Perfume. Le groupe est d’ailleurs connu pour sa qualité scénique. ELEVENPLAY faisait les raccords entre les prestations de Perfume et Daichi Miura, ce qui donnait un ensemble très fluide et beau visuellement. J’en arrive même à apprécier le morceau que Perfume interprétait, leur dernier single Polygon Wave, ce qui est une première pour moi. Mais je suis en ce moment dans une phase où j’aime à peu près toutes les compositions musicales de Yasutaka Nakata, j’y reviendrais certainement un peu plus tard.

Le titre du billet est tiré des paroles de Gunjō Biyori (群青日和) et vient signifier que Tokyo se refroidit, ce qui est tout à fait de saison aujourd’hui.

capsules urbaines

Je recherche beaucoup en ce moment à faire contraster le décor urbain avec les couleurs de la végétation qui s’en dégagent soudainement, sans prévenir. Sur cette série photographique, le rouge végétal l’emporte haut la main sur le reste du paysage urbain, même la maison individuelle futuriste R・Torso・C de l’Atelier Tekuto sur la première photographie a du mal à rivaliser avec la force de cette couleur rouge. En insérant une photographie de la rivière de Shibuya, je m’amuse ensuite à soumettre ces formes et couleurs végétales à la rudesse grise du béton. L’architecture aux formes lisses et angles nets des première et dernière photographies agissent comme à cadre destiné à contenir et à amortir cet extrait de ville. Dans mon esprit, j’aime régulièrement concevoir mes billets comme des petites capsules urbaines suivant une logique définie de composition. Ces capsules s’apparenteraient à des salles d’un ensemble architectural beaucoup plus vaste, lui même représentant une réalité parallèle à celle de la Ville. Lire le manga Blame! de Tsutomu Nihei me fait réfléchir à ma vision de la Ville.

Dans les commentaires d’un billet précédent intitulé ‘walk as you mean to go on’, Nicolas me conseille la lecture du manga Blame! (ブラム!) de Tsutomu Nihei. Je ne connaissais pas ce manga de science fiction dont le premier épisode date de 1998, mais j’avais par contre vu de cet auteur l’anime Knights of Sidonia que j’avais beaucoup aimé à l’époque. Knights of Sidonia ressemble un peu à Neon Genesis Evangelion car, de manière similaire, des formes extraterrestres attaquent inlassablement une communauté qui essaie tant bien que mal de se défendre. Ce que j’aimais par dessus tout dans Knights of Sidonia, c’était la représentation très inspirée d’une ville verticale intégrée à un vaisseau spatial. On retrouve cette même complexité urbaine sur le manga Blame!, sauf que la représentation de la ville y est beaucoup plus chaotique.

Dans Blame!, Tsutomu Nihei nous montre un monde ultra-futuriste où les technologies cyberpunk se mélangent à d’immenses constructions de béton et de métal sombres et cauchemardesques. Un personnage solitaire, Killy, dont on ne sait que peu de choses, évolue entre les différents niveaux de cette gigantesque ville verticale. La ville est composée de strates séparées par des megastructures quasi indestructibles jouant le rôle de système d’isolation entre les différents niveaux de la ville. La ville que l’on parcourt dans Blame! prend ses fondations sur Terre et a ensuite grandi sans contrôle humain sur des dizaines de milliers de kilomètres pendant plus d’un millénaire. La ville est progressivement construite par des machines automatiques appelées bâtisseurs qui l’étendent à l’infini jusqu’à l’emballement et le chaos. L’univers de cette ville est sombre et crasseux, souvent vertigineux le long des longues parois donnant sur le vide, et viscéral quand les tubes de toute sorte s’entremêlent comme s’ils se connectaient à des organes. La ville est labyrinthique tout comme l’histoire qui y est relatée. On se perd dans ces lieux en suivant les traces de Killy comme on se perd dans l’histoire qui est particulièrement et volontairement complexe à comprendre. Le manga n’est pas facile d’accès du fait du nombre restreint de dialogues et d’explications sur les événements qui viennent interrompre le parcours des personnages. Cela pourrait avoir un aspect un peu frustrant, mais on apprend vite en parcourant les pages du manga qu’il s’agit ici plutôt de s’imprégner de l’ambiance des lieux et de vivre cette lecture comme une expérience. Il est difficile d’avoir des explications rationnelles à tout ce qui surgit, se transforme, disparaît soudainement pour réapparaître plus tard dans d’autres lieux. Pour sûr, ce manga ne s’adresse pas à tous, mais, en ce qui me concerne, j’ai tout de suite été impressionné par les détails et la spatialité de cette architecture gigantesque. D’une certaine manière, je suis même rassuré de savoir que Tsutomu Nihei a fait des études d’architecture avant de devenir mangaka, tant il maîtrise la conception des espaces.

L’univers post-apocalyptique de cette ville est mystérieux et on apprend sa genèse que par bribes d’informations très incomplètes. Killy, aidé dans son parcours par une scientifique appelée Cibo (ou Shibo), recherche des humains porteurs du terminal génétique. On apprend que les humains avaient autrefois contrôle sur l’évolution de cette ville en s’y connectant à travers ces terminaux génétiques, mais qu’une contamination leur à fait perdre ce contrôle, laissant la ville en proie aux machines bâtisseuses inarrêtables et aux créatures cybernétiques appelées Sauvegardes (ou Contre-Mesures ou Safeguards selon les traductions). Killy et Cibo ont pour objectif de rendre à l’humain cette capacité de se connecter avec la ville, afin d’en arrêter son expansion folle, de stopper les actions destructrices des Sauvegardes et de redonner à cette ville un fonctionnement normal. Le périple de Killy et Cibo est ponctué de nombreux combats contre ces Sauvegardes qui cherchent inlassablement à exterminer les humains. Killy est humain mais possède des capacités cybernétiques et une arme très puissante, un Émetteur de Rayon Gravitationnel (Gravitational Beam Emitter), dotée d’une technologie rare et donc convoitée. Cette arme est un de ses plus précieux alliés contre les Sauvegardes et autres créatures hostiles car ses effets sont dévastateurs.

Dans ces mondes obscures, vivent des tribus plus ou moins étranges ou hostiles qui viendront croiser le chemin de Killy. Dans les premiers volumes de l’histoire, il traversera le village des electro-pêcheurs (ou électro-harponneurs), un regroupement humain vivant retranché et précairement dans une partie de la ville et ne sachant que peu de choses sur leur histoire ou leur environnement. Ils ont connaissance de légendes sur un monde ancien mais peu de certitudes. Les nombreuses rencontres que fait Killy sur son parcours n’aident en fait pas beaucoup le lecteur à comprendre l’origine de cette ville, et viennent même complexifier l’ensemble. Une autre forme vivante appelée Silicié (ou Créature de Silicium) vient plus tard empêcher la progression de Killy et Cibo dans leur recherche. Ce sont des cyborgs de couleur noire aux formes étranges parfois grotesques et élancées, luttant d’abord pour leur survie en détruisant toute forme humaine. Un peu plus loin encore, un personnage aux allures féminines appelé Sanakan, représentante haut placée des troupes de Sauvegardes possédant également un Émetteur de Rayon Gravitationnel, essaiera aussi de leur barrer la route. D’autres personnages comme l’intelligence artificielle Mensab (ou Main-serv) et son gardien Seu, ou l’ancien Sauvegarde spécial reconverti Dhomochevsky et son compagnon Iko, essaieront plutôt de les aider dans leur quête d’un porteur de terminal génétique. L’histoire se complexifie encore quand on nous indique que ce terminal permet de se connecter à une Résosphère (ou Netsphere) qui semble être un monde parallèle à la réalité basique où le temps et l’espace fonctionnent différemment.

Il faut s’accrocher entre tous ces concepts mais on apprend vite à lâcher prise et à se laisser entrainer dans cet univers plutôt que d’essayer d’en comprendre les moindres détails. Et cet univers est fabuleux, que ça soit pour l’aspect grandiose et le détail extrême des lieux, que pour la qualité graphique et l’élégance des personnages que l’on y croise. En fait, cette densité nous fait penser que ce monde est beaucoup plus vaste et réfléchi que ce que l’auteur nous montre dans les pages du Manga. De nombreux termes font référence au monde digital et informatique comme le nom des personnages Mensab (Main-Serv autrement dit ’Serveur Principal’) ou Seu (software de l’IBM AS/400), le Silicium qu’on retrouve dans les composants électroniques, la Résosphère comme représentation du cyberspace, les Contre-Mesures qui essaient d’éliminer les humains contaminés comme des virus informatiques, les règles d’accès à la Résosphère qui ressemblent à une gestion d’accès d’un système d’exploitation informatique. La frontière entre le monde très physique de cette ville titanesque et le monde digital où des entités se téléportent devient de plus en plus flou au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire. En fait, la densité de ce monde et les références au monde digital (par exemple, les intelligences artificielles) ne sont pas si éloignées que ça des mondes de Masamune Shirow sur Ghost in the Shell. L’ambiance graphique est cependant plus proche de celle de H.R. Giger dont Tsutomu Nihei dit être influencé. Intéressante coïncidence, Je suis justement en train de revoir tous les films Alien suite au billet que je mentionnais plus haut, et j’ai déjà vu les quatre premiers de la série. Me reste à revoir les films plus récents de la série Prometheus. Tsutomu Nihei revendique également un attrait pour la bande dessinée franco-belge d’auteurs comme Enki Bilal ou Moebius. Je sens que je vais bientôt ressortir de ma bibliothèque la trilogie Nikopol et le gros volume de l’Incal.

Suite à la lecture des six volumes du manga Blame!, je regarde le film d’animation éponyme réalisé par Hiroyuki Seshita sur Netflix. Le film est graphiquement très fidèle mais ne va pas aussi loin que le manga dans la représentation de la grandeur des espaces. L’histoire reste beaucoup plus abordable que le manga car elle se limite au deuxième volume quand Killy rencontre Zuru et le village des electro-pêcheurs, et qu’il tente avec Cibo une connexion à la Résosphère à travers un terminal synthétique récupéré dans l’ancienne entreprise Toha Heavy Industries. On ne retrouve pas non plus dans le film d’animation la folie graphique que l’on peut voir dans le manga, notamment dans le dessin de certains personnages. Mais, le film est tout de même très beau visuellement et constitue un complément intéressant et même instructif sur l’univers du manga.