時が来た今

Les quelques photographies ci-dessus ont été prises au bord de l’océan pacifique sur la plage d’Oritsu dans le préfecture d’Ibaraki. Le soleil se couche de l’autre côté mais les couleurs légères qui se révèlent au dessus de l’horizon et en réflection sur les vagues nous paralysent pendant quelques instants. Depuis la plage, on aperçoit sur notre droite en direction de Chiba un groupe d’éoliennes qui prennent le vent. La longue plage de sable est entrecoupée de manière régulière par des digues faites de blocs et de tripods de béton qui viennent découper les vagues. Il est interdit de marcher sur ces blocs. On s’en approche quand même un peu car il ne semble pas y avoir de danger imminent.

Ce billet est le 2000ème que j’écris sur Made in Tokyo. Ce blog approche de ses 19 années d’existence mais le nombre de billets que j’ai écrit prend pour moi plus de signification que le nombre des années passées. J’aimerais avoir une idée du nombre d’heures passées à écrire ces billets. Je parle d’écriture plutôt que de photographies car c’est l’écriture des textes qui me consomme le plus de temps. Enfin, c’est l’impression que j’en ai. Disons que l’écriture des textes demande un effort, par rapport au développement des photographies numériques. L’effort est d’initier l’écriture, d’écrire les premiers mots et les premières phrases et de faire les quelques recherches préalables. Une fois la machine lancée, un texte de billet s’écrit assez rapidement, surtout quand je me laisse embarquer volontairement dans mes propres divagations. Cet espace personnel m’y autorise.

J’aimerais aussi avoir une idée du nombre de mots que j’ai pu écrire sur ce blog. Les billets au tout début de Made in Tokyo étaient courts et sans beaucoup de recherches, alors que les billets que j’écris depuis de nombreuses années maintenant sont beaucoup plus longs et développés. J’aime bien comparer ce blog à une forêt dense où on pourrait facilement se perdre. Mon intention de ne pas créer de table des matières très explicite est toujours intacte. Je préfère écrire au fur et à mesure sans regrouper mes billets et en mélangeant différents sujets dans un même billet. Il y a bien les catégories inscrites en haut des billets qui sont sensées permettre une organisation du contenu, mais elles sont désormais beaucoup trop vagues et je dirais même inutiles car la plupart des billets que j’écris sont systématiquement taggés dans les catégories ‘Tokyo’, ‘Architecture’ et ‘Musiques’. Je préfère faire des liens entre mes billets, vers des billets plus anciens. La plupart des billets que j’écris ont un ou plusieurs liens vers des billets précédents. Se forme ainsi un réseau de liens internes qui permettent de se déplacer entre les billets comme dans un labyrinthe ou comme dans une forêt dense où tous les arbres se ressemblent mais sont pourtant bien uniques. Je parle souvent de liens au sujet de la musique que j’écoute et apprécie. Je suis fasciné par cette idée de liens entre les choses, le musubi (結び). Les coïncidences sont aussi à mon avis des formes de liens.

J’ai toujours entre 40 et 50 visites par jour, mais j’ai toujours beaucoup de mal à connaître mes lecteurs. C’était beaucoup plus clair pour moi dans les premières années du blog car les lecteurs se manifestaient beaucoup à cette époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore ou n’en étaient qu’à leurs débuts. Je sais que les billets parlant uniquement d’architecture sont régulièrement recherchés, notamment ceux sur Sou Fujimoto, Kazuyo Sejima, Ryue Nishizawa, SANAA ou Tadao Ando, ce qui me fait dire que les amateurs d’architecture ou les étudiants en architecture sont toujours une partie importante des lecteurs. J’y pense toujours lorsque j’écris mes billets sur l’architecture tokyoïte. Mais je ne suis pas architecte, ni photographe d’ailleurs, ni spécialiste de musique ou d’art contemporain. Je n’ai pas d’autorité particulière à part le fait d’avoir écrit 2000 billets sur ces sujets. J’aimerais en tout cas avoir une meilleure idée de qui sont les visiteurs réguliers de Made in Tokyo. J’avais mis en place il n’y a pas très longtemps une enquête qui ne m’a apporté qu’une vingtaine de réponses, mais je l’ai malheureusement désactivé après le premier spam. Je sais qu’il y a aussi quelques lecteurs de très longue date qui ont dû lire les billets petit à petit au rythme des publications. Je m’amuse parfois à imaginer un nouveau lecteur qui, s’il apprécie mes billets, se lancerait dans leur lecture complète. J’ai du mal à imaginer le temps qui serait nécessaire pour lire et regarder tous les billets de Made in Tokyo. Ce nouveau lecteur hypothétique se rendrait certainement compte que je me répète souvent. Je me relis de temps en temps quand je manque d’inspiration. Je prends par exemple un mois au hasard dans les archives et je relis quelques anciens billets avec une certaine nostalgie. J’avais une nostalgie des années vécues en France, je l’ai toujours, mais je développe maintenant une nostalgie de mes années vécues à Tokyo. C’est un sentiment que je chérie et les 2000 billets de ce modeste blog contribuent au moins à cela.

Les images de ce billet s’accompagnent dans mes oreilles par les trois nouveaux morceaux de la compositrice de musique électronique et interprète Noah sur son EP intitulé Etoile. Ces trois morceaux sont d’une grande délicatesse et la subtilité de l’ensemble me plait vraiment beaucoup, notamment la balance parfaite entre les instruments classiques comme le piano et les sons électroniques. L’ambiance est assez différente de l’atmosphère urbaine de son album précédent Thirty dont j’avais également parlé dans un billet sur ce blog, mais on y trouve toujours cette impression d’écouter la représentation sonore d’un rêve éveillé. Cette expression n’est pas la mienne car elle est mentionnée sur la page Bandcamp de l’excellent label Flau qui distribue la musique de Noah (entre autres excellentes musiques). Toujours est il que l’impression vaporeuse qui pourrait être celle d’un rêve est bien présente dans cette musique dans la manière de chanter de Noah et dans le léger décalage de la partition musicale. Cette musique accompagne également très bien la légère nostalgie que j’évoque dans le paragraphe précédent.

cold wind blowing

Les images de Nishi Shinjuku que je vois dans la vidéo du morceau Golden Blue de MINAKEKKE me rappelle qu’il faut que je retourne dans ce quartier presque vide le week-end pour aller prendre quelques uns de ses immeubles emblématiques en photographies. Ces photographies datent du week-end dernier juste après le typhon numéro 19. Les vents du typhon ont nettoyé le ciel de tous ses nuages, ne laissant derrière eux que les tours inébranlables. Mon parcours passe bien sûr devant les formes rondes de Mode Gakuen Cocoon Tower par Tange Associates (fondé par Kenzo Tange) puis ensuite vers les pentes douces de l’immeuble Sompo Japan par l’architecte Yoshikazu Uchida. Je continue ensuite ma route vers la mairie de Tokyo mais je n’en montrerais pas de photos cette fois-ci. En fait, plus que des photographies, ce sont des images modifiées que je montre ici, des espaces urbains effacés par les lumières de néons du centre de Shinjuku. La musique que j’écoute ces derniers jours me fait revenir vers ces compositions d’images. Quand je pense à Nishi Shinjuku, il me revient d’abord en tête une photographie des tours la nuit, que j’avais pris en avril 2006. J’aime l’ambiance bleutée de cette photographie et sa composition. Je la garde en tête comme une référence. Nishi Shinjuku me rappelle aussi l’histoire de Kei que j’avais commencé à écrire en trois épisodes mais que j’ai un peu de mal à continuer à écrire. J’attends le moment propice et l’inspiration pour reprendre le crayon (pour ce texte en particulier, j’écris d’abord sur mon carnet et retranscris ensuite sur le blog).

Il y a beaucoup de délicatesse et de subtilité dans la musique de Noah, compositrice et interprète venant d’Hokkaido mais installée à Tokyo depuis trois ans. Elle nous dit que son dernier album intitulé Thirty (c’est l’âge auquel elle a écrit ces morceaux) lui a été inspiré par cette ville de Tokyo, mais je ne peux m’empêcher d’y ressentir des images d’Hokkaido. C’est certainement un peu cliché de le dire, mais cette musique électronique me fait penser à des flacons de neige d’Hokkaido venant se poser doucement et délicatement sur les néons tokyoïtes. Cette idée de contraste me plait assez donc je ne réfute pas cette interprétation. La voix vaporeuse et à peine déchiffrable de Noah ajoute à cette ambiance mystique, comme un nuage de brume. Mais on ressent aussi assez clairement l’ambiance de cette ville, plutôt tard dans la nuit quand la foule a disparu et que les contours de la ville se font plus flous. Les morceaux s’enchaînent naturellement dans une grande unité de style ponctuée par deux morceaux phares, le deuxième intitulé 像自己 (Xiàng zìjǐ) et le cinquième intitulé メルティン・ブルー. Le sixième morceau 愛天使占 plus sombre et à la dynamique plus marquée est également remarquable. Le dernier morceau est une version alternative du deuxième morceau reprenant cette dynamique et je trouve qu’il fonctionne très bien. L’album demande plusieurs écoutes pour rentrer pleinement dans cet univers, mais c’est très agréable d’y faire un tour pour ce perdre dans ces sons.

fin de l7été

Les quelques images composées ci-dessus sont issues de l’inspiration musicale qui va suivre. En l’écoutant devant l’écran de mon ordinateur, cette musique m’inspire des images nuageuses dans lesquelles viennent se fondre des personnages fantomatiques, comme le filet d’une voix douce pourrait se laisser noyer dans des vapeurs musicales.

La musique que je découvre cette fois-ci est extrêmement délicate. C’est celle de l’album Beautiful case de l’artiste Cuushe sur le label japonais Flau. Le premier morceau Sort of light installe tout de suite le style et l’atmosphère qui va se prolonger tout le long des 10 morceaux de l’album. Il s’agit de dream pop électronique mêlant atmosphère musicale hypnotique à une voix vaporeuse, celle de la compositrice Mayuko Hitotsuyanagi. Certains morceaux prennent des accents plus pop et rythmés, ou lancent parfois des boucles musicales avec des répétitions de paroles à l’infini ou presque, qui nous poussent au rêve. Un article du Japan Times présentant le label Flau et l’artiste Cuushe par la même occasion évoquait certains liens de style avec Cocteau Twin ou Beach House, mais j’ai un peu de mal à y voir une ressemblance ou une influence. Ceci dit, je ne connais pas tous les albums de ces deux groupes. En fait, en écoutant cet album de Cuushe, me vient plutôt en tête la musique féérique des islandais de Múm. La musique de Beautiful case m’inspire l’image de la beauté confinée d’un espace intérieur à l’abri du bruit extérieur de la ville. Ce petit espace musical protégé se présente comme un rêve à l’écart de toute chose. Cette impression de confinement, je la reproduis en quelque sorte à ma façon en écoutant ces morceaux sous écouteurs dans le paysage urbain tokyoïte, en ignorant sa violence sonore.

Image provenant de la vidéo disponible sur YouTube du morceau I Dreamt About Silence de l’album Beautiful case de Cuushe.

En écoutant cette musique, je réalise qu’il y a vraiment beaucoup de belles choses dans le paysage musical japonais, mais il faut aller ailleurs que dans le mainstream pour les trouver. Le Japon musical mainstream est très doué pour répéter des formules jusqu’à l’écœurement ou pour aplanir tout ce qui dépasse pour ne garder à la surface que ce qui peut être réutilisé à des fins commerciales, que ça soit pour illustrer des publicités ou des séries télévisées dramatiques (aux deux sens du terme). Certains artistes désormais mainstream comme Sheena Ringo en ont abusé ces derniers temps, au point qu’on ne sait plus si le morceau est une commande pure d’une agence publicitaire avec placement produit ou une véritable œuvre artistique. J’aime beaucoup Suiyoubi no Campanella (Wednesday Campanella), mais un des morceaux assez récents intitulé Gala promouvant une marque d’alcool pétillant m’a fait douter de l’authenticité artistique du groupe au point où je n’ai plus eu du tout l’envie de m’investir dans l’écoute de leur dernier album Galapagos. Et pourtant, j’avais beaucoup aimé et ai beaucoup écouté tous les albums précédents. Wednesday Campanella a en quelque sorte perdu son pétillant (son « spark ») depuis ce morceau là. Même la collaboration internationale avec Chvrches sur le morceau Out of my head me paraît sans envergure, sans l’originalité qu’on connaissait de Wednesday Campanella. Je ne déteste pas le côté ultra-pop de Chvrches, mais pour ce morceau, c’est malheureusement sans aucune originalité sonore et la vidéo façon manga est d’un convenu des plus ennuyeux. Je me tourne désormais de plus en plus vers la musique indépendante qui m’offre beaucoup plus de satisfaction sonore.