this feeling

Perdue dans la foule infernale, elle ne cherche même plus son chemin, s’abandonnant à son sort en espérant qu’une lumière vienne soudainement la guider à travers la noirceur de la nuit. La voilà qui s’approche, rouge étincelante. Elle lève les yeux mais ne voit pas ses limites. Cette lumière semble à la fois proche et très lointaine derrière des obstacles infranchissables. La foule avançant par vagues en sens inverse la bouscule sans cesse, comme un torrent vient percuter un rocher placé sur son passage, mais elle se tient forte avec ce point de lumière devant elle comme repère fixe au fond d’un long tunnel. Les éléments par moments déchaînés connaissent tout de même quelques accalmies dont elle profite pour avancer avec précaution. Ces accalmies se répètent mais elles restent courtes et imprévisibles. Le danger immédiat est de se laisser emporter en arrière par le courant et ainsi perdre pieds jusqu’à ne plus voir cette lumière rouge mystérieuse.

J’ai parfois le sentiment qu’elle est une matérialisation imagée de Made in Tokyo. Je vois bien la lumière mais la marche me semble encore bien longue avant de l’atteindre. Je suis en mouvement depuis plus de vingt ans avec des obstacles que je m’imagine souvent moi-même.

Le nouveau single eko de la compositrice et chanteuse Yeule, dont je parle ici pour chacune de ses nouvelles sorties, marque un virage pop très interessant et vraiment très réussi. Les nombreux glitches qui sont caractéristiques de sa musique sont toujours très présents et donnent une aspérité certaine à ce morceau pop qui n’en est en fait pas vraiment un, car la noirceur reste inhérente. J’ai l’impression qu’elle arrive à trouver de nouveaux équilibres en s’éloignant petit à petit de ses visions désespérées. Les thèmes ne sont pourtant pas très différents évoquant ses obsessions et la voix qui parle sans cesse dans sa tête et qu’elle nommait Mandy (pour Me and You) sur le dernier morceau, fracassé il faut bien dire, de l’album Glitch Princess. Elle se tourne vers des terrains plus pop, alors que son dernier album softscars marquait lui un tournant rock, ce qui montre une capacité certaine à faire évoluer son approche musicale sans perdre ses particularités et c’est vraiment épatant.

L’artiste Smany sort des nouveaux morceaux au compte-goutte et je ne les manque jamais, car j’y trouve un certain réconfort même si les paroles sur ce dernier Kurai Kurai (暗い暗い) ne respire pas la positivité. Les morceaux de Smany nous amènent à chaque fois dans la pénombre mais ne nous laisse jamais seul, car sa voix dégage une luminosité qui fait qu’on n’est jamais très loin de la surface. On s’aventure volontiers dans cette atmosphère pour y disparaître quelques instants. Smany nous recommande souvent d’écouter ses morceaux le soir lorsqu’il pleut. Ça tombe très bien car la pluie fine est incessante ce soir, alors que j’écris ces quelques lignes. Smany compose la musique et écrit les paroles du morceau, mais il est mixé par l’artiste World’s end girlfriend, don’t j’ai déjà parlé sur ce blog et qui est un fréquent collaborateur de Smany. Ce nouveau morceau est apparemment seulement disponible sur Bandcamp sur le label Virgin Babylon Records.

La découverte musicale suivante est vraiment fascinante. Je ne connaissais pas l’artiste Japano-allemande Nina Utashiro (歌代ニーナ), née à New-York et actuellement basée à Tokyo, que je découvre avec son premier EP intitulé OPERETTA HYSTERIA (オペレッタヒステリア) sorti en Juillet 2022. Nina Utashiro est une artiste touche-à-tout, car, avant de se consacrer à la musique, elle était éditrice de magazine tel que i-D Japan, directrice artistique, styliste, modèle et créatrice visuelle. On constate très clairement dans ses vidéos l’attention apportée au visuel qui s’accorde parfaitement avec l’esprit de ses morceaux, mélangeant le romantisme à des ambiances gothiques voire vampiriques, le glamour aux ambiances horrifiques. Son chant est la plupart du temps rappé avec des paroles souvent percutantes et crues, mais pas sans une once d’humour dans les agencements de mots, les accumulations de choses et de leur contraire sur le morceau ARABESQUE par exemple. Sur le morceau HYMN, qui compte parmi les meilleurs du EP, Nina termine chacun de ses couplets par des Amen qui font ressembler son chant à une drôle de prière. Elle explique en interview que son père allemand versait dans les extrémismes religieux auxquels elle n’adhérait pas et qu’elle a rejeté en bloc en se tournant vers des formes musicales radicales. Les sept morceaux du EP ne nous laissent pas tranquille pendant toute l’écoute car son personnage est insaisissable, mélangeant les voix comme une multitude de personnalités différentes, chantant parfois d’une voix douce puis nous parlant ensuite de manière brutale. Le morceau NOCTURNE est celui que je préfère du EP, car c’est le morceau que je trouve le plus hanté notamment dans ses variations de voix assez géniales. Les vidéos à l’esthétique sombre sont aussi étranges que sa musique. Elles sont réalisées par OSRIN de Perimetron, qui est également membre permanent de Millennium Parade. Cela me fait penser que j’adorerais entendre une collaboration de Nina Utashiro avec Millennium Parade.

Je savais bien qu’il ne fallait pas commencer à écouter de la K-POP car j’ai maintenant du mal à m’en sortir. Enfin, je n’écoute que le groupe aespa. J’écoute tellement le morceau Supernova, dont je parlais dans le billet précédent, que je n’ai pu m’empêcher de vérifier s’il pouvait y avoir d’autres musiques du groupe que je pourrais autant apprécier. Et j’écoute donc leur dernier EP Whiplash sorti tout récemment le 21 Octobre 2024. Le morceau titre Whiplash est tout aussi excellent. J’adore ces sons d’inspiration techno club avec une ligne de basse très présente, d’autant plus que les quatre filles de aespa enchaînent leur partitions vocales avec une confidence qu’on ne voudrait pas contredire et qui est parfaitement représentée dans la vidéo blanche clinique représentant du matériel audio comme des armes de guerre. Bien entendu pour de la K-Pop, l’esthétique générale de cette musique et de sa vidéo utilise la beauté inhérente des quatre membres du groupe, mais il faut bien dire que le design vestimentaire sur ce morceau en particulier est réussi. aespa se compose de quatre membres qui ont toutes des noms de scène et sont plus ou moins mises en avant en fonction des six morceaux du EP. Bien que le groupe soit coréen sous une agence coréenne, sa composition est plus internationale: Karina (카리나), de son vrai nom Yu Ji-min (유지민), est coréenne, Giselle (지젤), de son vrai nom Aeri Uchinaga (内永枝利) est japonaise de mère coréenne, Winter (윈터) de son vrai nom Kim Min-jeong (김민정) est également coréenne, tandis que Ningning (닝닝), de son vrai nom Ning Yizhuo (宁艺卓) est chinoise. Il n’est pas rare de voir des japonais(es) dans les groupes coréens, mais il me semble que l’inverse est moins fréquent (mais je suis loin d’être spécialiste). Ce type de composition est forcément étudié et ne doit pas être complètement dû au hasard des castings, mais le résultat musical n’en reste pas moins très bon, à la grande surprise. Le reste du EP Whiplash n’est certes pas aussi percutant que le morceau titre qui démarre le EP, mais il y plusieurs excellents morceaux qui me plaisent beaucoup, notamment Flight, Not feelings mené par la voix semi-rappé de Gisèle, le plus ludique Pink Hoodie et le très beau Flowers avec un riff de guitare enveloppant et plein d’ampleur. Je ressens une personnalité certaine dans cet EP qui ne semble pas être influencé par les influences du moment. Je ne me rends compte que maintenant que Grimes a remixé le single Supernova. Plus qu’un remix, il s’agit d’un hacking de morceau car elle a créé quelque chose de complètement nouveau reprenant seulement quelques paroles du morceau original et part vers des horizons complètement différents. J’avais ignoré Grimes depuis quelques temps, car elle divaguait vers des concepts d’intelligence artificielle qui me faisaient un peu peur, mais ce genre de création alternative est vraiment intéressant. Il faut dire que Grimes est fan du groupe aespa et les a même interviewé pour le magazine Rolling Stone, ce qui me fait dire que je ne me trompe peut-être pas en appréciant leur musique. Il me reste maintenant à résoudre le mystère de pourquoi Ikkyu Nakajima et Motifour Kida de Tricot sont tellement fan de Kep1er, un autre important groupe de K-POP féminin, mais ça sera pour un autre épisode de Made in Tokyo.

人類最後の少女元年

Je me promène autour du S de Shibuya dans lequel on ne peut pas encore entrer. Le complexe Shibuya Sakura Stage ne semble pas complètement ouvert mais il s’y déroule déjà quelques événements comme celui de la marque de cosmétique Essential de Kao Corporation présentant ses nouveaux produits et la publicité qui va avec. Le groupe NewJeans fait la promotion de cette marque et sort par la même occasion un nouveau single lié à sa publicité. Une file d’attente s’était formée dans le large couloir du building pour entrer à l’intérieur de l’espace d’exposition, mais les membres du groupe ne semblaient pas avoir fait le déplacement. J’imagine la cohue si elles avaient été là dans les couloirs du Sakura Stage. Les jeunes fans se prenaient plutôt en photo devant une grande affiche publicitaire prévue à cette effet. La dernière photographie du billet n’est pas prise au même endroit. Il s’agit d’une vue en contre-plongée du building Octagon Ebisu (オクタゴン恵比寿) par l’architecte Shin Takamatsu (高松伸). Elle a été construite en 1992 mais n’a pas pris une ride. Son maquillage coule par contre un peu autour de ses gros yeux noirs globuleux. Le tour se tient fièrement comme au premier jour au pied d’un croisement de cinq rues.

Le weekend dernier était la deuxième édition du festival Coachella 2024 qui m’a donné l’occasion de voir certains des artistes que j’avais manqué lors du premier week-end. J’ai donc pu voir la prestation du groupe électronique L’Impératrice dont je parlais dans un billet précédent et qui a confirmé tout le bien que je pense de la musique de cette formation. La jubilation de jouer sur la scène de Coachella se lisait très clairement sur leurs visages et ça faisait plaisir à voir. Je n’en avais pas parlé dans mon billet précédent mais j’avais vu lors du premier week-end une partie du live du groupe new-yorkais Vampire Weekend, dont je n’ai pas écouté la musique depuis plus de dix ans. Sans être un amateur inconditionnel du groupe, je trouve leur single Classical sur leur nouvel album Only God Was Above Us vraiment excellent. Il est même très étonnement numéro 1 du classement Tokio Hop 100 de la radio J-Wave pour le week-end dernier. Ce morceau me replonge une nouvelle fois dans cette musique alternative du tout début des années 2010 et de la toute fin 2000, que je trouvais particulièrement imaginative. Merriweather Post Pavillon d’Animal Collective et Veckatimest de Grizzly Bear sont deux monuments sortis en 2009 qui symbolisent pour moi cette période. De ces deux albums, les morceaux Ready, Able et No More Runnin’ sont d’une grande sensibilité et tout simplement beaux à en pleurer. J’ai pu voir lors du deuxième week-end une partie du set de Grimes qui n’a pas rencontré cette fois-ci de problèmes techniques majeurs mais qui n’en restait pas moins assez fade. Ce ne sont pas les grandes images synthétiques en fond d’écran qui ont rattrapé le coup. Une bonne partie de ces images de personnages animés étaient certainement générées par intelligence artificielle car elles avaient ce côté lisse et déjà vu, qui me mettent personnellement mal à l’aise. Les images générées par AI ont tendance à tendre vers une même imagerie standard qui essaie à mon avis de rétrécir les angles de la perception humaine. Côté musique électronique, le set des français de Justice était par contre tout à fait exceptionnel en ayant une approche scénique plus traditionnelle. Gaspard Augé et de Xavier de Rosnay étaient débout imperturbables en costumes blancs devant leurs claviers et consoles électroniques, et la puissance des faisceaux de lumières autour d’eux étaient impressionnantes. Accompagnant des morceaux instrumentaux au son puissant comme Generator, cela créait un espace conceptuel futuriste froid de toute beauté. Du coup, je me suis mis à écouter plusieurs morceaux de leur nouvel album Hyperdrama, comme Generator, Incognito, Saturnine et surtout One Night/All Night interprété en collaboration avec les australiens de Tame Impala. J’ai développé une sorte d’obsession pour ce morceau et ce refrain qui se répète (And I can be your woman ‘Cause if that’s the only answer Then we could be together) que j’ai écouté plusieurs dizaines de fois. J’ai toujours aimé la voix de Kevin Parker, mais elle s’accorde particulièrement bien avec le son électronique de Justice. De Tame Impala, il faut écouter le morceau Let it Happen de l’album Currents de 2015, qui atteint à mon avis un des sommets de la musique du groupe, notamment pour son décrochage conceptuel à mi-morceau tout simplement génial.

Dans les groupes japonais à Coachella, j’étais particulièrement curieux de voir la performance d’Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ) qui concluait le festival sur la scène Gobi. Leur set valait clairement le détour car elles sont de véritables furies inarrêtables sur scène. Je ne suis particulièrement amateur de leurs morceaux récents comme Otona Blue (大人ブルー) qui mettait beaucoup en avant leur chorégraphie facilement imitable sur TikTok, au profit de la qualité de leur musique. Mais ce morceau leur a donné une grande popularité et une assurance sur scène qui est assez impressionnante. Elles ont certes l’habitude de la scène américaine et étaient même populaires là bas avant de l’être au Japon, mais je trouve qu’elles se sont transformées et maîtrisent parfaitement les techniques pour faire bouillir un public qui ne demande que ça, beaucoup mieux que la politesse timide de Yoasobi. Suzuka est par exemple hyper active, s’activant au plus près du public, se faisant tenir en l’air par les personnes du public au pied de la scène. Elles étaient très clairement électrisées par le public et heureuses d’être sur scène. Le problème tout de même est qu’elles ont tendance à surjouer la carte du crazy Japanese, c’est à dire les japonais qui vont des choses folles qu’on arrive pas à comprendre mais qui font bien rire. Elles arrivent bien sûr à jouer de cela. Visuellement, leur set était impressionnant et extrêmement ludique mais musicalement, je reste quand même un peu sur ma faim. Si j’avais l’occasion de les voir en concert, j’irais tout de même très volontiers même si je n’aime pas beaucoup voir Suzuka tirer la langue sans arrêt, car ce n’est pas très poli.

En fait, j’aime beaucoup certains morceaux plus anciens d’Atarashii Gakko! comme Saishū Jinrui (最終人類) sorti en 2018 sur leur tout premier album Maenarawanai (マエナラワナイ). Elles ont en fait interprété ce morceau avec beaucoup d’énergie sur la scène de Coachella, ainsi qu’un autre intitulé NAINAINAI, dont j’avais déjà parlé sur ce blog, pour le final mouvementé et plein de rebondissements. Les musiques de Saishū Jinrui, et de tout leur premier album d’ailleurs, ont été composées par H ZETT M, aka Masayuki Hiizumi (ヒイズミマサユ機). Il joue d’ailleurs du piano sur ce morceau et rien que le fait de savoir que c’est lui qui joue me procure un sentiment de grande satisfaction. Je ne suis pas sûr d’en avoir déjà parlé sur ce blog, mais j’aime aussi réécouter de temps en temps le morceau ShōJo Gannen (少女元年) du groupe pop électronique Urbangarde (アーバンギャルド) sur lequel Atarashii Gakko! danse et chante dans les chœurs. Urbangarde est un groupe actif depuis 2002 avec actuellement trois membres permanents à savoir Yōko Hamasaki (浜崎容子) au chant, Temma Matsunaga (松永天馬) également au chant et Kei Ohkubo (おおくぼけい) aux claviers. La présence de Yōko Hamasaki est tout a fait remarquable avec un look mélangeant underground SM et kawaii pop, mais c’est la figure théâtrale du deuxième chanteur Temma Matsunaga qui m’intrigue beaucoup car on a d’abord un peu de mal à comprendre son rôle exact dans le groupe. Il accompagne bien Yōko au chant mais on ne remarque vraiment sa voix que si on écoute le morceau au casque. Son look étrange avec une coupe de cheveux au carré et des lunettes de professeur apporte un certain décalage à l’image générale du groupe. Le pianiste Kei Ohkubo est brillant et il a même collaboré il y a quelques années avec Jun Togawa pour un album collaboratif, que je n’ai pas écouté car Jun a malheureusement beaucoup perdue de sa voix tellement unique. Shōjo Gannen a une dynamique et une accroche assez immédiate et cette association avec Atarashii Gakko! est très bien vue. Du coup, j’ai une grande envie d’aller piocher dans la discographie très étoffée d’Urbangarde et dans le premier album d’Atarashii Gakko!.

死神の目に負けず

Les premières photographies de ce billet sont prises un jour de pluie où il fallait inévitablement sortir le parapluie. Sous un pont ferroviaire près de la station d’Ebisu, les graffitis sont sans cesse effacés mais réapparaissent rapidement sous d’autres formes et couleurs. Celui de la deuxième photographie est intéressant car on a l’impression qu’il a été à moitié effacé. C’est certainement le cas mais je préfère imaginer que cette coupure franche est volontaire et participe au design du graphisme mural. A Daikanyama, j’ai remarqué depuis plusieurs semaines une affiche publicitaire géante pour le magazine féminin Spur. La personne qui pose sur cette photo ressemble étrangement à Michelle Zauner du groupe Japanese Breakfast. J’ai d’abord eu un doute car le groupe n’est pas, à ma connaissance, particulièrement connu au Japon, mais une recherche rapide m’a vite confirmé qu’il s’agissait bien d’elle. De Japanese Breakfast, je ne connais qu’un album, le deuxième intitulé Soft sounds from Another Planet que j’avais beaucoup écouté pendant l’été 2018. Le groupe a sorti un nouvel album intitulé Jubilee sorti il a tout juste un an, mais je ne l’ai pas encore écouté. Il faudrait que j’y jette une oreille curieuse. Michelle Zauner n’a pas une voix fabuleuse mais l’ambiance des morceaux que compose le groupe est souvent assez profonde pour me plaire. En ce moment, j’ai quelques doutes sur la qualité des photos que je peux prendre, mais j’aimerais en prendre plus dans l’esprit de la quatrième montrant des affiches mouillées par la pluie avec des perruques blondes qui interrogent. Les photos suivantes reviennent vers les quartiers proches du pont Rainbow Bridge avec notamment une autre vue de la tour Yokoso dont j’avais déjà parlé.

J’ai beaucoup réfléchi sur l’utilisation de cette dernière photographie prise il y a plusieurs mois dans un des immeubles de la galerie TERRADA près de Toyosu. Cet espace se trouve au dernier étage. Il y a plusieurs espaces pouvant être utilisés comme des galeries mais seulement une était occupée. L’ascenseur qui amène à cet étage est lent et peu pratique car il ne s’arrête qu’à un seul étage à la fois. Il s’agit plutôt d’un monte-charge reconverti en ascenseur pour les besoins de cet ensemble de galeries d’art. Cet immeuble était initialement un entrepôt, ce qui explique cette configuration. J’étais seul à m’aventurer jusqu’à ce dernier étage, un jour de semaine alors que j’avais pris une journée de congé. Cet étage n’était en fait pas ouvert à la visite mais je n’ai vu qu’après le petit écriteau en japonais qui l’indiquait. En arrivant à cet étage quasiment vide, j’ai d’abord pensé faire demi-tour mais les lumières dans une des pièces parfaitement agencée ont tout de suite attiré mon regard et ma curiosité. Les autres pièces délimitées par des baies vitrées étaient vides. Ce vide était même oppressant au point où je ne pouvais détourner mon regard de la pièce lumineuse agrémentée de meubles soigneusement choisis. Je m’imagine tout de suite assis sur ce long fauteuil éclairé par la lumière tamisée du gigantesque soleil placé en orbite au milieu de la pièce. Le silence donne de la consistance au bruit de mes pas alors que je m’approche de cette pièce. La porte vitrée doit être fermée. Il suffirait de la pousser pour vérifier, mais elle est certainement restée fermée pour une bonne raison. J’observe d’abord à travers le vitrage s’il y a une ou des personnes à l’intérieur. La pièce est vide tout comme l’immense espace ouvert où je me trouve. Je ressens une étrange sensation en regardant l’intérieur de la pièce comme si le temps s’y était arrêté. Tout est parfaitement immobile, rien ne bouge sauf une vapeur diffuse s’échappant d’une petite tasse blanche posée sur la table basse. Si on se fit à la couleur du liquide qui remplit cette tasse, je dirais qu’il s’agit d’un café encore chaud. Je ne remarque que maintenant qu’un petit mot est posé sur cette table juste à côté de la tasse. On peut lire en gros caractère le mot anglais « Welcome ». Une ou deux phrases sont écrites en plus petit dessous ce mot de bienvenue mais je n’arrive pas à les lire d’où je me trouve. Est ce que ce message et cette tasse de café me sont destinés, j’en doute fortement mais la disposition de l’ensemble m’invite à rentrer et à m’asseoir. Je pourrais toujours dire que j’ai pensé que cette tasse m’était destinée si on me surprend soudainement assis sur le long fauteuil. Je réfléchis à ce que je dois faire, mais je me persuade rapidement de rentrer à l’intérieur car cette pièce m’a intrigué dès que je l’ai vu à la sortie de l’ascenseur. Je pousse doucement la porte vitrée en évitant de faire le moindre bruit. Elle n’est bien sûr pas fermée. J’en étais sûr. Pourquoi aurait elle été fermée si un message de bienvenue nous invite clairement à entrer. L’intérieur de la pièce me semble encore plus silencieux que l’espace ouvert à l’extérieur. L’air y est sec et un peu frais, mais pas assez pour avoir froid. Un tableau de Tomoo Gokita est posé sur un des murs de la pièce, devant le fauteuil. Comme souvent, les peintures de Gokita représentent des personnages sans visage en noir et blanc. Celui-ci, rempli de couleurs noires, ressemble étrangement à un visage que je connais mais je ne parviens pas à l’identifier de manière claire. Le petit message posé sur la table est écrit en petits caractères à l’encre noire. On peut y lire la phrase suivante 「どうぞ、アームチェアに座って、コーヒーを飲んで、想像力を駆使してください」qui recommande de s’assoir sur le fauteuil, de boire un peu de café et de laisser aller son imagination. Il est également écrit en plus petit comme une signature: 「パラレル東京観測委員会」, le Comité d’observation du Tokyo parallèle. Mon visage, si quelqu’un pouvait le voir, doit certainement trahir l’appréhension certaine qui me saisit à la lecture de cette signature. Je la reconnais, c’est la même que celle de l’oeil de Shinjuku et du télescope d’Aoyama. Je regarde autour de moi mais rien n’attire mon attention à part cette lampe en forme de soleil en orbite et le tableau noir de Gokita. Il y a bien un petit télescope posé derrière le fauteuil mais, pointé vers le mur, il ressemble plus à un objet de décoration. Je décide de m’asseoir quelques instants pour remettre mes idées en ordre. Boire une gorgée de café est tentant mais je ne sais pas d’où il provient. Je regarde plutôt vers le tableau de Gokita. Les couleurs noires sont fascinantes. A qui peut bien me faire penser ce visage. Les cheveux sont mi-longs avec quelques mèches rebelles. On dirait un visage de femme mais je n’en suis pas certain, car son visage est entièrement noir, sans aucuns traits. Il est d’une teinte aussi noire que le café dans la tasse que je saisis sans réfléchir. En boire inconsciemment une gorgée me plonge tout d’un coup dans les ténèbres de ce visage. D’abord d’un noir profond, des lueurs infimes s’y dessinent progressivement. Un décor sombre prend place sur ce visage. Il se fait de plus en plus précis mais ses contours restent flous. On dirait une scène de spectacle. Une foule est devant moi debout entassé dans un espace compact. On devine une chaleur intense et des cris qui restent pourtant inaudibles. La scène qui prend place devant moi à l’intérieur du visage noir de la peinture de Gokita est un concert que je vois à la première personne, à travers mes propres yeux. Je suis moi-même debout derrière un groupe de musiciens. Un des membres tient une guitare des deux mains et se déplace sur la scène de manière saccadée. Ses mouvements incessants m’empêchent d’observer attentivement la foule devant moi. Je reconnais pourtant un visage dans cette foule, derriere ces mouvements confus qui me gênent. Je m’approche doucement en me concentrant sur ce visage. La coupe de cheveux mi-longue avec quelques mèches rebelles me rappellent maintenant le visage de Kei, dont je raconte l’histoire depuis quelques années déjà. Cette scène m’est maintenant familière. Je suis sur la scène de la salle de concert Loft à Kabukichō que je décrivais dans un des épisodes de mon histoire. Pourquoi ces images soudaines apparaissent devant moi? J’en ai strictement aucune idée et il me faut le découvrir. Kei, peux tu me donner des réponses? Alors que je m’approche encore un peu plus, accroché à ma tasse de café, les yeux rivés sur cette toile, Kei tourne le regard dans ma direction. Elle me fixe maintenant intensément. Je ne peux me détacher de ses yeux noirs. Son visage se rapproche mais son regard est fixe. Il occupe maintenant la totalité du visage noir de la toile de Gokita. Cette superposition lui donne une réalité inattendue. Le regard de Kei est accusateur. Ces yeux me font penser à deux dagues lancées à l’attaque pour terrasser un ennemi, comme les yeux du Dieu de la Mort. Cette intensité me met mal à l’aise et j’ai du mal à retenir mes forces. Je pose la tasse brusquement et me retient avec mon autre main sur le bord du fauteuil. Qu’est ce qui m’arrive? Les yeux de Kei m’hypnotise et je ne peux pas m’en échapper. Ils me traversent le cerveau et me font perdre l’équilibre en tombant à la renverse la tête la première sur le fauteuil. De l’autre côté du tableau, Kei tombe dans les pommes parmi la foule dans la salle de concert. Son amie Rikako qui l’accompagnait n’est déjà plus dans la salle.

Je me réveille un peu plus tard, allongé sur le fauteuil. La lumière de la lampe en soleil a perdu de son intensité et est désormais beaucoup plus sombre. Je ne reconnais d’abord pas les lieux mais je me rends vite compte que je suis toujours dans la même galerie vide. La tasse et le message ont été enlevé de la table. Est ce un rêve ? Est ce que je me suis simplement assoupi sur ce canapé après avoir longtemps marché dans les rues de Tokyo. Le regard de Kei ne s’imprime plus sur le tableau mais il reste très présent dans mon esprit. Est ce que son regard accusateur me reproche de lui faire subir les histoires que j’écris. Je comprends très bien qu’elle voudrait être une personne normale mais je n’ai pas les pouvoirs de changer son histoire. J’espère qu’elle pourra comprendre que j’essaie simplement de l’aider. Mes jambes sont engourdies mais je parviens tout de même à me lever. En sortant de la pièce, je jette un dernier regard au tableau de Tomoo Gokita qui reste impassible. Il ne reste aucune trace de mon passage. L’ascenseur arrive lentement à mon étage. En appuyant sur le bouton du rez-de-chaussée, je remarque qu’un petit écriteau indique que l’étage où je me trouve est interdit au public. Je regarde ma montre, il est tard, j’ai passé presque cinq heures dans cette galerie. Avant de sortir de l’ascenseur, je repense à Kei. J’espère que tu m’en veux pas…

(Quelques références pour le texte ci-dessus: des oeuvres de Tomoo Gokita, le texte de l’histoire de Kei, Du songe à la lumière, en cours d’écriture, et les deux autres textes de la série Tokyo Parallèle liés à celui-ci: l’oeil de Shinjuku et le télescope d’Aoyama).

De haut en bas, deux images extraites respectivement des vidéos sur YouTube des morceaux Shinigami Eyes de Grimes et de Iro Iro d’Aya Gloomy.

Je n’écoutais plus beaucoup Grimes depuis la sortie de son dernier album et je n’avais pas eu vraiment envie d’écouter ces deux derniers singles car le personnage qu’elle s’est construit ces derniers temps avait fini par m’agacer. Mais je ne sais pour quelle raison je me suis mis à écouter son dernier morceau Shinigami Eyes (les yeux du Dieu de la Mort), une recommandation YouTube peut-être ou peut-être était ce le fait de voir Yeule et Grimes ensemble sur une photo sur Twitter. J’aurais eu tord de ne pas l’écouter car le morceau est assez fantastique, tout comme la vidéo d’ailleurs. L’esthétique est étrange mais a quelque chose d’assez fascinant. Cette esthétique est par moments japonisante, mais semble plutôt mélanger toutes sortes de cultures virtuelles. A noter également l’inclusion d’un brin de K-pop avec la présence dans la vidéo de Jennie Kim du groupe Blackpink aux côtés de Grimes sur un camion japonais Dekotora futuriste. Tout se mélange mais ce n’est pas très grave. Certains parlaient d’appropriation culturelle mais je trouve ce genre de commentaire un peu ridicule. Le morceau a un rythme particulièrement marqué et accrocheur, mélangé aux ambiances sonores et vocales plus éthérées que l’on connaît bien de Grimes. Ça me plaît en fait beaucoup de revenir vers la musique de Grimes et m’inspire même quelques passages du texte que j’ai écrit ci-dessus. Je reviens également vers la musique d’Aya Gloomy car elle vient juste de sortir un nouveau single intitulé Iro Iro, qui est excellent. C’est un autre genre, mais Aya Gloomy évolue dans un monde à part, tout comme Grimes. J’ai beaucoup de mal à décrire ce que j’aime dans la musique et la voix d’Aya Gloomy. L’ambiance lente y est mystérieuse et contient à chaque fois quelque de nostalgique. Les sonorités minimalistes de synthétiser rétro jouent en ce sens, mais c’est aussi le cas de la vidéo du morceau. Aya s’y amuse avec des navettes spatiales d’un jardin pour enfants. On peut très facilement imaginer ce genre d’endroits, qu’on croirait laissé à l’abandon, quelque part au Japon. Je me suis rendu compte du coup que je n’avais pas écouté en entier son dernier album Tokyo Hakai. Je me rattrape en écoutant quelques autres morceaux de cet album comme Saisei(楽) et Turn Off. Cette ambiance musicale est vraiment unique et aux limites de la réalité.

une poignée de petits soleils

On peut ressentir la chaleur sur une photographie à travers les éblouissements de rayons de soleil mais peut-on ressentir le froid sur des photographies comme celles que je montre ci-dessus. Cette marche hivernale me fait d’abord passer dans les zones résidentielles vides de Daikanyama puis vers les zones résidentielles vides de Naka Meguro. Sur les deux premières photographies, j’aime comment les surfaces couvertes de plaquettes fines de bois se répondent. Ces deux photographies se complémentent en quelque sorte. Les formes simples de la maison individuelle sur la première photographie viennent pourtant contrastées avec les formes diverses de la deuxième photographie. Comment expliquer exactement ce qui me plait dans ces deux premières photographies? Je n’arrive pas à le dire exactement car c’est de l’ordre du ressenti que je suis peut être le seul à percevoir. Un peu plus loin à proximité de la rivière Meguro, je découvre un étrange parterre de fleurs. Cette association de couleurs m’est assez inhabituelle. On dirait une poignée de petits soleils venant nous réchauffer lorsqu’on les approche.

La première image est extraite de la vidéo sur YouTube du morceau Delete Forever par Grimes sur son futur nouvel album Miss Anthropocene qui sortira le 21 Février 2020. La deuxième image est extraite de la couverture du tome 4 du manga Akira par Katsuhiro Otomo publié en Juillet 1987.

Le trône, les longues draperies rouges, les piliers en ruine et la vue dégagée à l’arrière sur la vidéo du nouveau morceau Delete Forever de ༺GRIMES༻ rappellent beaucoup la couverture du volume 4 du manga Akira de Katsuhiro Otomo. Claire Boucher s’est très clairement inspirée de l’univers d’Akira sur cette vidéo. En sous-titre, elle décrit que cette vidéo représente les lamentations d’un tyran alors que son empire tombe en ruine. L’univers musical du morceau est par contre très éloigné de la bande sonore d’Akira et est même assez différent des morceaux plus éthérés que l’on connaissait de Grimes jusqu’à maintenant pour son nouvel album Miss Anthropocene qui sortira bientôt, le 21 Février 2020. Il n’empêche que ce morceau à base de guitare acoustique est très bon et viendra certainement diversifier l’ambiance plus sombre musicalement parlant du reste de l’album.

in the blazing sun I saw you

Quand la fin de l’année approche, j’ai tendance à mélanger les photographies que je n’ai pas encore publiées sans forcément les réunir par thème. A ce moment de l’année, mon inspiration pour écrire diminue aussi. Il faut dire que le billet précédent m’a en quelque sorte vidé de toute envie d’écrire pour quelques jours au moins. Le mois de décembre est en général moins actif niveau écriture, mais je me rends compte que l’année dernière avait quand même été assez chargée pour ce qui est du nombre de billets publiés et de la longueur des textes sur chaque billet. Il faut que je fasse quelques efforts pour terminer l’année.

Sur ce billet, les premières photographies montrent le village Shonan Kokusai Mura sur les hauteurs de Hayama, dans la préfecture de Kanagawa. Il s’agit d’un village assez récent, sans histoire ni histoires, assez isolé en haut d’une colline. Certains bâtiments ont des formes assez futuristes, comme celui tout en courbe de la première photographie. Il y a aussi des maisons individuelles regroupées dans un quartier résidentiel dont le silence nous fait croire que personne n’y vit. On croise bien des personnes dans ce village mais leur nombre vis à vis de l’étendue des lieux donne un sentiment de vide qui m’a un peu dérangé. Je n’avais pas eu cette impression la dernière fois que nous y étions allés, peut être parce que c’était en plein été, au mois de juillet. Notre dernière visite au Shonan Kokusai Mura date d’il y a 15 ans. Lorsque l’on descend de la colline, on arrive au bord de l’océan et on redécouvre la plage de Zushi. Nous allons souvent à Hayama, mais très peu à Zushi. J’aime beaucoup Hayama, je pourrais, je pense, y vivre (et j’ai d’ailleurs rencontré récemment un français qui y vivait).

La photographie suivante nous ramène vers Tokyo, à Ariake. J’ai pris cette photo après avoir fait le tour du salon de l’automobile. Sur la large allée entre Tokyo Big Sight et la gare la plus proche, avait lieu un spectacle de danse en costumes. A l’arrière, on faisait flotter de grands drapeaux tout en longueur et sur le devant une rangée de photographes saisissait tous les mouvements de la chorégraphie. Plusieurs groupes de danseuses et danseurs se produisaient les uns après les autres, toujours en synchronisation parfaite. Il s’agissait peut être d’un concours.

Les deux photographies qui suivent ont été prises à Shinagawa et Nishi-Magome. A Shinagawa, je suis toujours tenté de prendre en photo l’espace ouvert derrière la gare, notamment la barrière d’immeubles coiffées d’affiches publicitaires. A Nishi-Magome où je vais pour la première fois, je suis attiré par les blocs blancs d’un petit immeuble au bord des voies de Shinkansen. Je ne me suis pas approché pour vérifier si cet immeuble était intéressant d’un point de vue architectural. Il était au moins intéressant visuellement dans son environnement. La dernière photographie de cette série hétéroclite nous ramène dans la préfecture de Kanagawa. Ce petit chat obèse se trouve dans les jardins intérieurs du restaurant japonais Kokonotsuido. C’est un excellent restaurant dont les salles sont posées comme des petits cabanons sur le flanc d’une colline boisée. Un chemin nous fait naviguer sur cette colline et il est bordé de ce genre de petites statues.

Je n’ai pas écouté la musique de l’artiste britannique FKA Twigs (de son vrai nom Tahliah Debrett Barnett) depuis le morceau Water Me de son EP intitulé sobrement EP2, sorti en 2013. L’image digitale qui illustre son deuxième album Magdalene, sorti le 8 novembre 2019, est très étrange et m’a intrigué. Je me souviens avoir écouté l’introduction de chaque morceau sur iTunes le soir de sa sortie, avant de me coucher. J’avais tout de suite été impressionné par la force émotionnelle, dans sa voix notamment, de chacun des morceaux. Je me souviens également avoir été vérifier quelle était l’évaluation donnée par Pitchfork. Je ne suis pas toujours d’accord avec leurs avis, mais la note donnée à l’album m’a décidé à l’acheter dès le lendemain. Pourtant, je n’en ai pas parlé jusqu’à maintenant, car un peu comme l’album Anima de Thom Yorke, il faut être dans de bonnes conditions pour l’écouter, et ces bonnes conditions n’étaient pas toujours réunies ces derniers temps. Il s’avère que l’album est superbe et très prenant, même viscéral, en ce dès le premier morceau. Le sommet se situe au morceau Fallen Alien, qui a une force impressionnante. Du coup, je trouve les trois derniers morceaux qui le suivent un peu moins intéressant. Comme pour Anima, je pense que je reviendrais régulièrement vers cet album.

J’écoute aussi les quelques morceaux de Grimes qu’elle diffuse petit à petit avant la sortie complète de son album Miss Anthropocene en février 2020. Après le morceau Violence que j’aimais beaucoup et dont j’ai parlé sur un billet précédent, Grimes sort à la suite deux très beaux morceaux intitulés So heavy I fell through the earth et My name is dark. J’aime beaucoup l’ambiance sombre et éthérée des morceaux sortis jusqu’à maintenant. J’espère vraiment que le reste de l’album gardera cette unité de style et ne partira pas dans des envolées pop. L’ambiance est d’ailleurs assez différente de son album précédent Art Angels. Bien que j’avais beaucoup aimé Art Angels à l’époque, je préfère la direction qu’elle prend pour son nouvel album. En fait, l’approche artistique autodidacte de Claire Boucher (alias Grimes) est intéressante et même inspirante. Sans être forcément d’accord avec ce qu’elle dit, j’aime toujours lire ses interviews, assez excentriques et décalées parfois, comme cette interview récente de Grimes par Lana Del Rey et un podcast scientifique Sean Carroll’s Mindscape axé Intelligence Artificielle qui a généré quelques discussions et polémiques sur Twitter, comme rapporté ensuite sur Pitchfork. C’est d’ailleurs assez effrayant de voir comment certaines personnes réagissent au quart de tour sur Twitter sans sembler réfléchir aux mots employés. Il faut avoir la peau dure pour survivre aux salves de Twitter, et je comprends cette idée de Grimes de vouloir dissocier sa personnalité privée de celle publique d’artiste en utilisant un personnage avatar qui serait doté d’une intelligence artificielle (c’est le personnage que l’on voit sur les couvertures des morceaux, en images ci-dessus). L’avis scientifique du podcast ci-dessus est intéressant sur le sujet AI et corrige d’ailleurs les pensées parfois un peu trop fantaisistes de Grimes. Personnellement, j’ai été nourri par le manga Ghost in the Shell de Masamune Shirow quand j’étais plus jeune, donc ce type d’anticipation scientifique m’intéresse. Ces nouveaux morceaux de Grimes se combinent bien avec la musique de Yeule que j’écoute régulièrement depuis que j’ai découvert son album Serotonin II. Je ne peux m’empêcher de voir une influence de l’une (Grimes) sur l’autre (Yeule), pour l’ambiance sombre de leur musique et cette même idée de dissociation entre personne privée et personnalité artistique dotée d’une appellation spécifique. Yeule (de son vrai nom Nat Ćmiel) parle d’ailleurs souvent des multiples personnalités qui la caractérisent (des persona), dont celle digitale différente de sa personnalité privée. C’est un thème qui se rapproche de ce qu’évoque Grimes.

Dans un style très différent, j’écoute également deux morceaux de l’artiste japano-britannique Rina Sawayama, notamment le morceau ultra-pop (pour moi) Cherry, qui est extrêmement addictif dès la première écoute. J’aime beaucoup la densité du morceau et il y a une certaine fluidité dans sa construction qui est implacable. Je connaissais en fait cet artiste depuis un petit moment mais je m’étais toujours dit qu’il ne devait pas s’agir d’un style musical que j’apprécierais. Mais je m’autorise parfois des diversions musicales, comme par exemple, les albums Everything is Love de The Carters (Jay Z et Beyonce), Thank U, Next d’Ariana Grande ou ANTI de Rihanna. Ce sont des albums que j’ai beaucoup écouté quand ils sont sortis, sans forcément en parler ici. Ces petits détours font du bien de temps en temps. Rina Sawayama n’a pas tout à fait la voix de Rihanna, d’Ariana Grande ou de Beyonce, mais cela reste je trouve un de ses atouts. Le registre du morceau STFU! (qui veut très aimablement dire « Shut the fuck up! »), que j’ai découvert avant Cherry, est très différent, mélangeant les moments pop avec l’agressivité rock des guitares. La vidéo du morceau vaut le détour, surtout pour son introduction et sa conclusion montrant Rina lors d’un dîner avec un homme de type hipster occidental blanc se montrant assez peu respectueux d’elle et de sa culture, jusqu’à ce qu’elle finisse par péter les plombs (et c’est à ce moment que toute l’agressivité des guitares se déclenche). La situation est exagérée et même caricaturale, mais j’imagine assez bien ce genre de personnages prétendant savoir tout sur tout et coupant la parole des autres à longueur de conversation pour imposer leurs propres discours. J’ai déjà rencontré ce genre de personnages, il y a longtemps, qui après seulement quelques mois de vie à Tokyo, avait déjà tout compris sur ce pays et sa culture, et pouvait déjà donner des lessons complètes sur ce que sont les japonais.

Pour rester chez les britanniques mais dans un autre style encore, j’écoute un nouveau morceau de Burial (de son vrai nom William Bevan), intitulé Old tape sur la compilation HyperSwim des deux labels Hyperdub et Adult Swim à l’occasion des 15 ans de ce dernier. Un peu comme pour Grimes, je me précipite tout de suite pour écouter les nouveaux morceaux de Burial, car ils arrivent de manière très parsemée. Burial n’a pas sorti de nouvel album depuis son deuxième, Untrue sorti en 2007. Untrue, album culte, et notamment son deuxième morceau Archangel, ont posés les bases musicales de Burial, un style immédiatement reconnaissable qu’il continue à développer sur ses nouveaux morceaux. Burial a sorti de nombreux excellent EPs, dont j’ai régulièrement parlé ici, et il vient de les regrouper sur une compilation appelée Tunes 2011 to 2019. Je ne vais pas l’acheter car je m’étais déjà procuré tous les EPs en CDs ou en digital au moment de leur sortie ou un peu après. Je me suis quand même créé une playlist sur iTunes pour répliquer l’agencement des morceaux de la compilation. Je ne l’ai pas encore écouté car elle dure en tout 2h et 30 mins, mais j’imagine que ce nouvel agencement doit apporter une nouvelle vie à ces morceaux. Le morceau Old Tape de la compilation HyperSwim poursuit également le style Burial. On retrouve les collages de voix R&B sur des sons qui crépitent de synthétiseurs analogiques. Par rapport aux derniers EPs de Burial, ce morceau s’éloigne de l’ambient pour revenir vers une musique plus rythmée. Depuis Untrue, je trouve que Burial perfectionne son style tout en conservant le même univers sombre et pluvieux comme l’Angleterre industrielle.