Perdue dans la foule infernale, elle ne cherche même plus son chemin, s’abandonnant à son sort en espérant qu’une lumière vienne soudainement la guider à travers la noirceur de la nuit. La voilà qui s’approche, rouge étincelante. Elle lève les yeux mais ne voit pas ses limites. Cette lumière semble à la fois proche et très lointaine derrière des obstacles infranchissables. La foule avançant par vagues en sens inverse la bouscule sans cesse, comme un torrent vient percuter un rocher placé sur son passage, mais elle se tient forte avec ce point de lumière devant elle comme repère fixe au fond d’un long tunnel. Les éléments par moments déchaînés connaissent tout de même quelques accalmies dont elle profite pour avancer avec précaution. Ces accalmies se répètent mais elles restent courtes et imprévisibles. Le danger immédiat est de se laisser emporter en arrière par le courant et ainsi perdre pieds jusqu’à ne plus voir cette lumière rouge mystérieuse.
J’ai parfois le sentiment qu’elle est une matérialisation imagée de Made in Tokyo. Je vois bien la lumière mais la marche me semble encore bien longue avant de l’atteindre. Je suis en mouvement depuis plus de vingt ans avec des obstacles que je m’imagine souvent moi-même.
Le nouveau single eko de la compositrice et chanteuse Yeule, dont je parle ici pour chacune de ses nouvelles sorties, marque un virage pop très interessant et vraiment très réussi. Les nombreux glitches qui sont caractéristiques de sa musique sont toujours très présents et donnent une aspérité certaine à ce morceau pop qui n’en est en fait pas vraiment un, car la noirceur reste inhérente. J’ai l’impression qu’elle arrive à trouver de nouveaux équilibres en s’éloignant petit à petit de ses visions désespérées. Les thèmes ne sont pourtant pas très différents évoquant ses obsessions et la voix qui parle sans cesse dans sa tête et qu’elle nommait Mandy (pour Me and You) sur le dernier morceau, fracassé il faut bien dire, de l’album Glitch Princess. Elle se tourne vers des terrains plus pop, alors que son dernier album softscars marquait lui un tournant rock, ce qui montre une capacité certaine à faire évoluer son approche musicale sans perdre ses particularités et c’est vraiment épatant.
L’artiste Smany sort des nouveaux morceaux au compte-goutte et je ne les manque jamais, car j’y trouve un certain réconfort même si les paroles sur ce dernier Kurai Kurai (暗い暗い) ne respire pas la positivité. Les morceaux de Smany nous amènent à chaque fois dans la pénombre mais ne nous laisse jamais seul, car sa voix dégage une luminosité qui fait qu’on n’est jamais très loin de la surface. On s’aventure volontiers dans cette atmosphère pour y disparaître quelques instants. Smany nous recommande souvent d’écouter ses morceaux le soir lorsqu’il pleut. Ça tombe très bien car la pluie fine est incessante ce soir, alors que j’écris ces quelques lignes. Smany compose la musique et écrit les paroles du morceau, mais il est mixé par l’artiste World’s end girlfriend, don’t j’ai déjà parlé sur ce blog et qui est un fréquent collaborateur de Smany. Ce nouveau morceau est apparemment seulement disponible sur Bandcamp sur le label Virgin Babylon Records.
La découverte musicale suivante est vraiment fascinante. Je ne connaissais pas l’artiste Japano-allemande Nina Utashiro (歌代ニーナ), née à New-York et actuellement basée à Tokyo, que je découvre avec son premier EP intitulé OPERETTA HYSTERIA (オペレッタヒステリア) sorti en Juillet 2022. Nina Utashiro est une artiste touche-à-tout, car, avant de se consacrer à la musique, elle était éditrice de magazine tel que i-D Japan, directrice artistique, styliste, modèle et créatrice visuelle. On constate très clairement dans ses vidéos l’attention apportée au visuel qui s’accorde parfaitement avec l’esprit de ses morceaux, mélangeant le romantisme à des ambiances gothiques voire vampiriques, le glamour aux ambiances horrifiques. Son chant est la plupart du temps rappé avec des paroles souvent percutantes et crues, mais pas sans une once d’humour dans les agencements de mots, les accumulations de choses et de leur contraire sur le morceau ARABESQUE par exemple. Sur le morceau HYMN, qui compte parmi les meilleurs du EP, Nina termine chacun de ses couplets par des Amen qui font ressembler son chant à une drôle de prière. Elle explique en interview que son père allemand versait dans les extrémismes religieux auxquels elle n’adhérait pas et qu’elle a rejeté en bloc en se tournant vers des formes musicales radicales. Les sept morceaux du EP ne nous laissent pas tranquille pendant toute l’écoute car son personnage est insaisissable, mélangeant les voix comme une multitude de personnalités différentes, chantant parfois d’une voix douce puis nous parlant ensuite de manière brutale. Le morceau NOCTURNE est celui que je préfère du EP, car c’est le morceau que je trouve le plus hanté notamment dans ses variations de voix assez géniales. Les vidéos à l’esthétique sombre sont aussi étranges que sa musique. Elles sont réalisées par OSRIN de Perimetron, qui est également membre permanent de Millennium Parade. Cela me fait penser que j’adorerais entendre une collaboration de Nina Utashiro avec Millennium Parade.
Je savais bien qu’il ne fallait pas commencer à écouter de la K-POP car j’ai maintenant du mal à m’en sortir. Enfin, je n’écoute que le groupe aespa. J’écoute tellement le morceau Supernova, dont je parlais dans le billet précédent, que je n’ai pu m’empêcher de vérifier s’il pouvait y avoir d’autres musiques du groupe que je pourrais autant apprécier. Et j’écoute donc leur dernier EP Whiplash sorti tout récemment le 21 Octobre 2024. Le morceau titre Whiplash est tout aussi excellent. J’adore ces sons d’inspiration techno club avec une ligne de basse très présente, d’autant plus que les quatre filles de aespa enchaînent leur partitions vocales avec une confidence qu’on ne voudrait pas contredire et qui est parfaitement représentée dans la vidéo blanche clinique représentant du matériel audio comme des armes de guerre. Bien entendu pour de la K-Pop, l’esthétique générale de cette musique et de sa vidéo utilise la beauté inhérente des quatre membres du groupe, mais il faut bien dire que le design vestimentaire sur ce morceau en particulier est réussi. aespa se compose de quatre membres qui ont toutes des noms de scène et sont plus ou moins mises en avant en fonction des six morceaux du EP. Bien que le groupe soit coréen sous une agence coréenne, sa composition est plus internationale: Karina (카리나), de son vrai nom Yu Ji-min (유지민), est coréenne, Giselle (지젤), de son vrai nom Aeri Uchinaga (内永枝利) est japonaise de mère coréenne, Winter (윈터) de son vrai nom Kim Min-jeong (김민정) est également coréenne, tandis que Ningning (닝닝), de son vrai nom Ning Yizhuo (宁艺卓) est chinoise. Il n’est pas rare de voir des japonais(es) dans les groupes coréens, mais il me semble que l’inverse est moins fréquent (mais je suis loin d’être spécialiste). Ce type de composition est forcément étudié et ne doit pas être complètement dû au hasard des castings, mais le résultat musical n’en reste pas moins très bon, à la grande surprise. Le reste du EP Whiplash n’est certes pas aussi percutant que le morceau titre qui démarre le EP, mais il y plusieurs excellents morceaux qui me plaisent beaucoup, notamment Flight, Not feelings mené par la voix semi-rappé de Gisèle, le plus ludique Pink Hoodie et le très beau Flowers avec un riff de guitare enveloppant et plein d’ampleur. Je ressens une personnalité certaine dans cet EP qui ne semble pas être influencé par les influences du moment. Je ne me rends compte que maintenant que Grimes a remixé le single Supernova. Plus qu’un remix, il s’agit d’un hacking de morceau car elle a créé quelque chose de complètement nouveau reprenant seulement quelques paroles du morceau original et part vers des horizons complètement différents. J’avais ignoré Grimes depuis quelques temps, car elle divaguait vers des concepts d’intelligence artificielle qui me faisaient un peu peur, mais ce genre de création alternative est vraiment intéressant. Il faut dire que Grimes est fan du groupe aespa et les a même interviewé pour le magazine Rolling Stone, ce qui me fait dire que je ne me trompe peut-être pas en appréciant leur musique. Il me reste maintenant à résoudre le mystère de pourquoi Ikkyu Nakajima et Motifour Kida de Tricot sont tellement fan de Kep1er, un autre important groupe de K-POP féminin, mais ça sera pour un autre épisode de Made in Tokyo.