aoyama orange

Le bloc orange qui se distingue sur la première photographie est un élément architectural de l’école maternelle Harajuku Kindergarten conçue par l’atelier d’architecture Franco-japonais Ciel Rouge Création (Henri Gueydan et Fumiko Kaneko). Cette école se trouve juste à côté de l’église protestante Harajuku Church sur la troisième photographie, par le même groupe d’architectes. Nous sommes ici à proximité de la rue Killer Street juste devant le musée d’art contemporain Watari-um, par l’architecte suisse Mario Botta, sur la deuxième photographie. La petite maison de style brutaliste Tower House de l’architecte Takamitsu Azuma se trouve aussi pas loin de là. Elle est tellement emblématique qu’il y a même une petite plaque indiquant son nom et l’architecte sur une des façades de béton brut. Je montre une vue de l’arrière de la maison sur la dernière photographie ci-dessus. Le parking de taille très réduite donne à la fois sur Killer Street et sur la petite rue arrière où je me trouve. Tower House fut construite en 1966 sur un petit espace triangulaire de 20.5m2 pour une surface habitable totale de 65m2. Cette maison est tout aussi radicale maintenant qu’elle l’était à l’époque de sa construction, où elle se distinguait pour sa hauteur par rapport aux habitations ‘traditionnelles’ qui composaient le quartier au milieu des années 1960. Elle ressemble maintenant beaucoup plus à une maison miniature dans un quartier qui a bien changé ces soixante dernières années. L’intérieur de la maison se compose principalement d’un espace vertical continu et ouvert où les pièces sans portes sont posées comme des strates sur 6 niveaux. L’escalier est omniprésent et se compose de plaques de béton ancrées directement sur les murs. Cette maison, désormais habitée par la fille de l’architecte, a une apparence intérieure des plus austères, mais donnait à l’époque une image symbolisant la vie tokyoïte moderne. Malgré sa petite taille, elle reste une des pièces architecturales les plus intéressantes du paysage tokyoïte, pour les amateurs d’architecture de béton sans compromis.

Le musée Watari-um est également placé sur un espace triangulaire réduit faisant un angle droit sur 160m2. La façade principale est un écran carré divisé en deux parties symétriques et l’escalier extérieur est placé à côté dans un espace arrondi. Cette façade donnant sur Killer Street est également iconique, mais elle apparaît un peu sale sur cette photographie prise au Février cette année. Ce sont les restes d’une immense affiche avec de multiples visages d’enfants et d’adultes qui avait été posée en 2013. Le musée a laissé volontairement cette affiche se dégrader avec les années et il n’en reste presque plus rien maintenant. La première photographie est prise depuis une allée fermée aux visiteurs longeant l’église protestante. Elle donne accès à l’ecole maternelle. J’aime beaucoup faire ce genre de compositions montrant la densité urbaine. On y voit une série de plans aux orientations variées se terminant sur la surface immense d’un immeuble bouchant la vue sur le ciel. L’urbanisme hétéroclite de Tokyo permet ce genre de compositions.


Je n’écoute que maintenant Blackstar ★ le dernier album de David Bowie, alors qu’il est sorti il y a un peu plus de quatre ans, deux jours après sa mort. Je suis persuadé depuis un petit moment déjà que je dois aimer la musique de David Bowie, mais je l’approche doucement. Mon premier contact volontaire (je veux dire en dehors des fois où j’aurais entendu des morceaux à la radio) était le morceau I’m deranged dans le film Lost Highway (dont je parle assez souvent ici, sans avoir revu le film depuis des années). Ce morceau me donne à chaque fois des frissons dans le dos, car je revois en même temps les images du film et sa composition est très particulière comme un épilogue qui se prolonge. Je garde aussi toujours en tête la photographie ci-dessus prise au moment de son concert d’anniversaire pour ses 50 ans au Madison Square Garden de New York en 1997. Parmi les invités au concert, je vois les visages de la plupart des groupes que j’appréciais pendant les années 90 et après: Franck Black de Pixies, Sonic Youth, Brian Molko et Placebo, Dave Grohl et Pat Smear de ex-Nirvana et Foo Fighters, Robert Smith de The Cure, Billy Corgan de Smashing Pumpkins. Il doit forcément y avoir des influences mutuelles entre ces groupes et Bowie, me persuadant un peu plus du fait qu’il faut que j’explore son immense discographie. La difficulté est de savoir par où commencer. J’ai d’abord découvert, il y a plusieurs années de cela, l’album de 1980, Scary Monsters (and Super Creeps), acheté un peu par hasard au Disk Union de Ochanomizu ou de Shimokitazawa. Mon attirance inconsciente tenait peut être au fait que le premier morceau de l’album It’s No Game (No 1) contient des mots japonais (parlés par Michi Hirota) qui m’ont intrigués. Je n’apprécie pas forcément tous les morceaux mais j’y reconnais la grande inventivité d’un précurseur. Plus tard, j’écouterais Low (1977) de sa trilogie créée à Berlin avec Brian Eno à la production, attiré par la couverture de l’album et sa réputation. On y trouve de très beaux morceaux, hantés, comme Warszawa. En fait, je suis beaucoup plus sensible à la dernière partie de l’album, à partir de Warszawa, où les morceaux quasi-instrumentaux se succèdent jusqu’au sublime dernier morceau Subterraneans. Les morceaux rock de la première partie de l’album m’attirent par contre moins et me rappelle que j’ai toujours un peu de mal à m’approprier la musique qui n’est pas de ma génération. Le fait de ne pas avoir vécu cette musique à l’époque où elle a été créée me donne le sentiment que je ne peux pas l’apprécier à sa juste valeur et qu’il me manque un contexte.

Je n’ai pas ce sentiment de distance temporelle avec l’album Blackstar ★ mais j’ai par contre beaucoup de difficulté à en exprimer une critique. Le morceau titre de presque 10 minutes est beau, saisissant et chargé en émotions surtout quand le saxophone commence son intervention. Et j’aime ces percussions qui partent librement dans des rythmes compliqués aux apparences incontrôlables, comme également sur le dernier morceau I can’t give everything away mais avec des accents plus électroniques. Il s’agit d’un morceau aux multiples facettes, polymorphe et l’émotion qui s’en dégage en l’écoutant me reste difficile à exprimer. Lazarus, aux paroles prémonitoires, est l’autre très beau morceau de ce court album de 7 titres, mais apparaît comme beaucoup plus classique par rapport au morceau titre de Blackstar. J’adore le cinquième morceau Girl Loves Me pour la voix et manière de chanter particulière de Bowie. Cet album de sortie est peut être pour moi le meilleur album d’entrée dans l’univers de Bowie. L’écouter me donne une autre perspective sur les deux autres albums que j’ai écouté auparavant. Le saxophone de Blackstar semble maintenant rentrer en dialogue avec celui de Subterraneans sur Low.

can anybody see the light?

Le gymnase de Yoyogi, chef d’oeuvre emblématique de Kenzo Tange et certainement une des plus belles œuvres architecturales de Tokyo, a été rénové en vue des Jeux Olympiques qui démarreront dans quelques mois. Il y avait foule à l’entrée du gymnase et ma curiosité m’a conduit à aller voir de plus près ce qui s’y passait. Je vois beaucoup de jeunes filles et garçons avec des serviettes bleues marquées des inscriptions « Sixth Sense Story ». Je devine qu’il s’agit d’un concert mais je ne vois pas inscrit le nom de l’artiste. Il me faudra faire une recherche sur Internet pour comprendre qu’il s’agissait de la tournée de Aimyon. En fait, je suis passé à Harajuku pour aller voir l’avancement de la nouvelle station d’Harajuku sur la ligne Yamanote (sur la quatrième photographie). Le nouveau bâtiment de la gare est moderne mais sans personnalité. Quel dommage, pour une station aussi emblématique et fréquentée par les touristes du monde entier, de ne pas avoir conçu une architecture un peu plus remarquable. L’ancienne gare datant de l’ère Taisho, construite en 1924, a bien plus de cachet. Elle est toujours là mais pas pour longtemps car elle sera malheureusement détruite après les Jeux Olympiques cet été, cela malgré les protestations des résidents. Il s’agit de la plus ancienne gare en bois de Tokyo. Je comprends bien que cette vieille station n’est pas aux normes antisismiques actuelles et qu’elle n’est plus en mesure de supporter le nombre de plus en plus important de personnes qui la traversent. Il faut en général attendre un peu avant de pouvoir sortir de la station depuis les quais. Mais l’ancienne station aurait tout de même pu être conservée après des rénovations et renforcements, même sans être utilisée, histoire de sauvegarder un morceau d’histoire et un repère du décor urbain. Ce quartier d’Harajuku qui se trouve dans la zone olympique appelée héritage voit d’autres changements, notamment un nouveau bâtiment pas encore utilisé, qui a la particularité d’avoir une surface couverte d’écrans. On y montre des images mouvantes inspirées d’ukiyoe. J’y reconnais le Mont Fuji rouge de Katsushika Hokusai, qui s’affiche pendant quelques secondes avant d’être remplacé par d’autres images. Ce bâtiment se trouve juste à côté de la résidence Co-op Olympia que je montre sur la troisième photographie. La résidence fut construite en 1965, un an après les premiers Jeux Olympiques de Tokyo, d’où le nom qui en est inspiré. Je l’ai déjà pris plusieurs fois en photo. C’est un immeuble qui est également devenu emblématique du quartier et on parle aussi d’une reconstruction, mais je ne pense pas que ça soit décidé. L’avant dernière photographie montre une partie des quais de la station d’Harajuku où on peut y voir une série d’affiches intrigantes, prenant leur inspiration dans les manga pour adolescentes (shōjo manga). Les messages que font passer ces affiches touchent à la sécurité informatique, en particulier la protection des mots de passe. C’est une manière originale de faire passer des messages importants.

Une playlist partagée sur Twitter par l’artiste Yeule incluant le morceau Strangers de Portishead sur l’album Dummy me rappelle le mouvement musical des sound systems de Bristol qu’on appelle Trip-hop. Dans la deuxième partie des années 90, après ma phase rock américain (Pixies, puis Nirvana, puis Sonic Youth, puis Smashing Pumpkins, entre autres), je me suis mis à écouter intensivement et presque exclusivement cette musique Trip-hop qui nous transportait dans d’autres mondes, dans des associations de sons mélangeant les samples et les voix soul, dans une musique que je n’étais pas habitué à écouter à cette époque où je ne jurais que par les guitares. Le Trip-hop a pour sûr grandement ouvert mon champ musical en m’éloignant un peu de ces guitares. Dummy (1994) de Portishead était la porte d’entrée vers ce mouvement avec le morceau Glory Box où on découvrait la voix tourmentée de Beth Gibbons posée sur un univers musical froid, ambiance qu’on imaginait bien s’accorder avec les décors pluvieux de l’Angleterre de Bristol. La musique de Dummy jouait de mélancolie et était entrecoupée de scratchs et autres altérations musicales qui seront la marque de fabrique du Trip-hop. Je découvre ensuite assez vite Massive Attack, trio constitué par Robert Del Naja alias 3D, Grant Marshall alias Daddy G et Andy Vowles alias Mushroom, avec l’album sorti également en 1994, Protection. Le morceau titre chanté par Tracey Horn du groupe Everything but the Girl fut une révélation qui me poussa à découvrir plus avant la discographie de Massive Attack faite de nombreuses collaborations. Le premier album Blue Lines (1991) du collectif The Wild Bunch qui deviendra Massive Attack est certainement l’album que je préfère écouter maintenant. Il y a de nombreux morceaux forts, notamment ceux portés par la voix de Shara Nelson comme Safe from Harm ou Unfinished Sympathy. C’est aussi sur cet album que la symbiose entre les trois voix masculines de Massive Attack et celle de l’invité presque permanent Tricky opèrent le plus naturellement. On peut prendre pour exemple des morceaux comme Blue Lines ou Five Man Army. A travers Massive Attack, je découvre donc Tricky (Adrian Thaws de son vrai nom) qui sortira son premier album et chef-d’œuvre Maxinquaye (1995). Martina Topley-Bird, sa compagne à l’époque, assure le chant sur la plupart des morceaux. La musique y est plus sombre, plus torturée et fait parfois le lien avec la musique rock que j’écoutais au début des années 90, comme sur le morceau Pumpkin qui reprend un sample de Suffer du premier album Gish des Smashing Pumpkins. C’est peut être depuis ce morceau que j’aime déceler les liens entre les musiques et musiciens/musiciennes que j’aime, comme j’en parlais dans un ancien billet. Tricky joue beaucoup sur les associations lorsque, par exemple, il réutilise sur le morceau Hell Is Round the Corner le même sample de Isaac Hayes que Portishead sur son morceau emblématique Glory Box, ou quand il repense complètement le morceau Karmacoma qu’il interprète avec Massive Attack sur Protection, pour Maxinquaye sous le titre Overcome. Je suis resté très accroché à la musique de Tricky, même quand il partait vers des terrains plus difficiles comme ceux des deux albums sortis en 1996, Nearly God et Pre-Millenium Tension. Nearly God multiple les collaborations, notamment avec Björk et Neneh Cherry (souvenons-nous de son morceau Manchild), mais c’est quand il s’associe avec Martina Topley-Bird sur le morceau Black Coffee qu’il signe à mon avis le meilleur morceau de l’album. Pre-Millenium Tension est plus bizarre et part sur des univers plus sombres encore. De cet album qui entend matérialiser les craintes d’avant le passage vers un nouveau millénaire, je retiens le morceau Tricky Kid notamment pour ses voix rappées menaçantes. A cette époque, Tricky avait pris pour moi le statut d’artiste culte. Je me souviens avoir fait le déplacement depuis ma résidence universitaire d’Angers pour aller le voir en concert à Nantes lors d’un festival des Inrockuptibles. C’était le 12 Novembre 1996 à la Salle de L’Olympic de Nantes. Ce soir là, Placebo jouait également dans la pénombre sur cette scène juste après Tricky, ce qui donnait une bien belle affiche. Et une fois le concert terminé, il fallait que je reprenne l’autoroute pour rentrer à Angers. Je n’ai pourtant pas suivi Tricky sur ses albums suivants, peut être à cause de sa voix qui se détériorait petit à petit. Je suis plutôt allé voir d’autres nouveaux groupes comme Archive sur son premier Londinium (1996). C’est un très bel album qui n’est pas assez connu. Sur certains morceaux, le son électronique perce comme une étoile polaire qui brillerait intensément (mais je m’égare). Je continue ensuite avec Morcheeba sur l’album Who can you trust? (1996) et Alpha sur Come from Heaven (1997), premier album du label Melankolic de Massive Attack. De cet album d’Alpha, je retiens surtout le morceau Sometime Later pour l’intensité émotionnelle de la voix de Martin Barnard. C’est un morceau exceptionnel qui donne les larmes aux yeux quand le flot des violons monte en intensité et quand la voix de Banard est au bord de craquer. Je connais peu de morceaux qui ont cette intensité. Du mouvement Trip-Hop, j’ai continué à suivre Massive Attack sur leur album Mezzanine (1998) dont l’esthétique générale devenant plus sombre me plaisait beaucoup. Alors que les deux premiers albums s’apparentaient plutôt à de la musique soul urbaine, Massive Attack se dirige plutôt vers des influences new wave sur Mezzanine, ce qui n’était pas du goût de tous les membres du groupe d’où le départ de Andy Vowles (Mushroom). Cet album ressemble peu au Massive Attack des débuts. 3D y reste principalement aux manettes. Quoi qu’il en soit, il y a beaucoup de pépites dans cet album comme les singles Risingson et Teardrop, avec sur ce dernier morceau Elizabeth Fraser de Cocteau Twins au chant. Mais j’ai toujours eu une préférence pour l’avant-dernier morceau Group Four, toujours avec Fraser, pour sa partie finale envoûtante. Et puis ensuite, je suis parti pour Tokyo et d’autres horizons musicales se sont ouvertes à moi. J’ai pourtant continué à suivre Massive Attack sur leur album de 2003, 100th Window, mais la passion avait un peu disparu. Sorti en 2009, le morceau Psyche (Flash Treatment) avec Martina Topley-Bird (qui est décidément une figure emblématique du trip-hop) sur le EP Splitting the Atom est à mon avis un des plus beaux morceaux du groupe. J’avais été très déçu que cette version pourtant si forte ne soit pas conservée sur l’album qui suivra en 2010, Heligoland. La version de Psyche sur Heligoland n’est pas très intéressante et m’avait complètement détourné de cet album que je n’ai jamais écouté en entier. Depuis le déclencheur que fut le morceau Strangers de Portishead sur la playlist de Yeule, je me suis mis à réécouter la plupart de ces disques les uns après les autres. C’était en quelque sorte une petite cure de jouvence.

a day with s (1)

Quand on reçoit un visiteur de France, en l’occurence mon cousin Samy, c’est à chaque fois l’occasion de faire une journée marathon dans Tokyo, pour essayer de voir le maximum de choses tout en discutant non-stop. La petite différence par rapport à l’habitude est que mon cousin avait déjà passé quelques jours à Tokyo (et quelques mois à Kyoto) auparavant, donc il a fallu orienter les visites de cette journée de samedi vers les lieux qu’il n’avait pas encore visité, tout en improvisant en cours de route. C’est également l’occasion pour moi de revoir les classiques, car pour quelqu’un qui vient à Tokyo pour la première fois, il faut d’abord voir les classiques. Mais, c’est même souvent l’occasion d’aller à des endroits que je ne connaissais que par réputation. En tout cas, il nous faut à chaque fois beaucoup marcher dans les rues de Tokyo, environ 20kms cette fois-ci. Notre journée de visite ressemblait donc à un demi-marathon dans Tokyo. Et par dessus tout, je me réjouissais à l’idée de marcher toute la journée avec mon cousin que je ne vois pas très souvent, car l’effort de la marche permet en quelque sorte de libérer la parole. Tout cela en prenant des photos bien sûr.

Nous nous sommes convenus de nous rejoindre à la gare de Shibuya devant Hachiko. Mari me dit que c’est un peu ringard de se donner rendez-vous à Hachiko, ce que je conçois bien. Mais cela faisait très longtemps que je n’avais pas donné rendez-vous à quelqu’un à cet endroit et ça m’a rappelé mes vingt ans. Il est 9h du matin et il n’y a pas grand monde dans le centre de Shibuya. On reviendra dans la soirée pour faire l’experience de la traversée du carrefour en pleine affluence. Nous avions de toute façon l’intention d’aller à Meiji Jingu tôt le matin pour éviter la foule des touristes. C’était bien calculé car il n’y avait pas foule à cette heure. Il faut dire également que la météo n’était pas des plus propices à la promenade car il a plu pratiquement toute la journée. C’était heureusement une pluie assez fine pour éviter le parapluie et garder un peu de fraîcheur. Nous passons devant le gymnase olympique de Kenzo Tange qui est actuellement en pleine rénovation avant les Jeux Olympiques de 2020, pour ensuite s’enfoncer dans la forêt qui nous mène vers Meiji Jingu. Les grandes portes torii font toujours leur effet sur le visiteur au fur et à mesure qu’on approche du grand sanctuaire. Nous nous dirigeons ensuite vers la rue Takeshita à Harajuku qui restait assez peu encombré à cette heure. La multitude des boutiques de la rue commençait tout juste à ouvrir, petit à petit. La curiosité nous a poussé à aller boire une de ces boissons taïwanaises au thé et tapioca dont on parle tant ces derniers mois. Je n’avais jamais essayé mais c’était très bon. La clientèle était plutôt féminine et jeune, comme je l’imaginais, mais la curiosité a été plus forte que tous les à priori. Alors que nous marchons dans les rues de Ura-Harajuku pour ensuite rejoindre Cat Street, la pluie devient plus forte et nous nous précipitons vers l’immeuble en colimaçon Omotesando Hills de Tadao Ando. Il a quelques semaines de cela, Mari y avait aperçu par hasard Kylian Mbappé qui était de passage au Japon pour la promotion d’une marque de cosmétique. En ressortant de là, alors que la pluie se fait insistante, l’option visite de musée ou de galerie, à l’intérieur donc, se fait des plus évidentes. Ça tombe bien car le musée Nezu n’est pas très loin d’ici et l’exposition du moment, une introduction aux arts traditionnels avec pour sujet la peinture japonaise, tombait à point pour faire un tour d’horizon de l’art graphique japonais. D’autant plus que je n’étais pas retourné au musée Nezu depuis sa reconstruction complète sous la direction de l’architecte Kengo Kuma. Le bâtiment est superbe, tout autant que le jardin à l’arrière qui ressemble parfois à une jungle tant il est dense. Quelques dépendances, maison de thé et café, ainsi que de nombreuses statues viennent agrémenter les chemins en pente du jardin. Alors que nous sortons dans le jardin sous une pluie fine, une dame d’un certain âge insiste pour qu’on emprunte son parapluie alors qu’elle entre à l’intérieur du musée. Nous refusons gentiment mais l’insistence de la dame me surprend un peu. Nous devons ressembler tous les deux à des pauvres touristes perdus dans un pays mystérieux, sans repères et livrés à nous-mêmes. Mais j’exagère certainement. C’était une aimable intention, mais qui peut prendre parfois des proportions étranges. La matinée se termine déjà et nous marchons ensuite vers Yebisu Garden Place pour le déjeuner. Suite de cette journée au prochain épisode.

têtes colorées à Harajuku

Il y a de plus en plus de têtes aux cheveux colorés à Tokyo, notamment ici dans les rues de Harajuku. Ce n’est pas un phénomène uniquement japonais car je remarque aussi beaucoup de touristes étrangers ayant les cheveux de toutes les couleurs. Je me croirais revenir 20 ans en arrière, quand l’image que l’on avait de Tokyo était celle d’une jeunesse aux cheveux colorés comme des personnages de Manga. C’était loin d’être le cas à l’époque et on se rapproche en fait un peu plus de cette image maintenant. Dans les rues de Harajuku, la foule est présente comme toujours. Je retrouve dans ces rues le building en porte-à-faux Undercover Lab de Klein Dytham dont je parlais dans le billet précédent. Je repasse également devant la galerie Design Festa à la façade déconstruite de tubes métalliques noirs. Elle ne se trouve pas très loin du Undercover Lab, mais les rues de Ura-Harajuku (l’arrière de Harajuku) deviennent vite un labyrinthe pour moi et je m’y perds souvent. Je reste intrigué par l’étrange objet bleu de la première photographie intitulé Coin Parking Delivery, qui me fait penser à une petit piste de skateboard, certes un peu dangereuse. Malgré la foule, je suis toujours attiré par ce quartier et notamment par la rue piétonne Cat Street. Un peu plus loin, dans le building GYRE, on y montre une exposition, intitulée From the fringes of the mind, de quelques œuvres de David Lynch, extrêmement étranges comme on pourrait s’en douter. On retrouve dans les quelques peintures et le petit film animé montrés dans cette exposition, une étrangeté assez proche de certains épisodes de la dernière saison de Twin Peaks. Il n’y a pas de liens directs entre cette exposition et la série télévisée, mais on retrouve la même sensibilité de l’auteur, l’impression en quelque sorte d’entrer dans un monde parallèle.

Des têtes colorées, je passe aux pieds. Une fois n’est pas coutume, j’accompagne cette série de photographies à Harajuku d’un nouveau morceau électronique. Il se mélange avec les sons de la rue pris sur Cat Street. Je n’avais pas construit de morceaux électroniques depuis plusieurs années (le dernier morceau datant de Mai 2017), mais j’avais par contre fait une petite série de sons de rues en quatre épisodes en février 2018. Ce nouveau morceau que j’appelle donc Harajuku walk et qui est disponible sur SoundCloud mélange ces deux approches de sons électroniques et de sons de rues. Le morceau commence par des notes lumineuses comme un émerveillement de découvrir ces espaces urbains riches en surprises, mais se transforme à mi-parcours en une machine beaucoup plus sombre au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans le dédales des rues de Harajuku. C’est une manière de représenter la densité urbaine qu’on trouve dans ces rues, que ça soit par la présence humaine ou par l’excès visuel qui s’y opère. Quelques décrochages volontaires de notes viennent s’introduire à certains moments sur la deuxième partie du morceau. J’aime beaucoup représenter l’imperfection des choses et essayer de la mettre en lumière en musique ou en images.

une semaine en mars (8ème)

De retour à Tokyo, je profite de quelques heures de libre pour une promenade urbaine. Comme très souvent, ces ouvertures dans mon planning du week-end, des jours fériés ou des jours de congé ne sont pas planifiées longtemps à l’avance et je me rabats souvent sur les territoires connus de Aoyama ou de Shibuya, quand des heures se libèrent soudainement. Ce sont des territoires que j’ai maintes fois parcouru et photographié, mais ils restent mes endroits préférés dans Tokyo, autant pour l’intérêt urbain, la capacité à se renouveler sans cesse et pour la foule urbaine en éternelle mouvement (que j’essaie pourtant souvent d’extraire de mes photographies).

Mon parcours, cette fois-ci, emprunte beaucoup les rues parallèles à Cat Street, une rue quasi piétonne perpendiculaire à l’avenue d’Omotesando au niveau de l’immeuble GYRE de MVRDV. L’intérêt principal de cette promenade était de confronter certains des bâtiments à l’architecture remarquable à mon nouvel objectif Canon 17-40, par exemple le QUICO de Kazunari Sakamoto. C’est un petit immeuble en pointe avec accentuation bleue près des ouvertures. Vu le peu de recul dans la rue étroite où il se trouve, il est très difficile de le prendre en entier en photographie au format horizontal.

Une des raisons de ma visite par ici était notamment d’aller découvrir une nouvelle galerie qui s’appelle The Mass. On y montrait normalement une exposition intitulée 12 by 12 / ART x MUSIC qui associe art et musique en exposant des couvertures d’albums musicaux créées par des artistes reconnus comme Richard Prince, Damien Hirst ou encore Banksy. Le tout étant sélectionné par Hiroshi Fujiwara. La perspective d’y voir quelques couvertures connues de Sonic Youth, par exemple, m’avait attiré jusqu’ici. La malchance de ces congés de mars m’a encore joué un tour car l’exposition était fermée le jour de mon passage. Pire encore, il était soit disant interdit de prendre des photographies de l’espace estérieur composé de blocs de béton formant la galerie d’exposition. Cela parait incroyable d’interdire la photographie de l’extérieur d’un bâtiment. Je me suis quand même permis discrètement, comme le montre la photographie ci-dessus. Il faut dire que c’est du beau béton et il m’était difficile de résister.

Dans la même rue que le QUICO, juste devant cette galerie The Mass et juste derrière GYRE, il y a cet étrange bâtiment dont les nombreuses ouvertures sont composées de groupes de quatre fenêtres. Le troisième étage du bâtiment est tout particulièrement intéressant, car il me fait penser à une serre qui serait posée de travers en haut du bâtiment. Ce décalage laisse penser que ce troisième étage n’est pas lié au reste du bâtiment, et qu’il pourrait s’orienter au bon vouloir des propriétaires. Ce n’est pas le cas bien entendu mais j’aime ces constructions qui mènent à la réflexion et à l’imaginaire.

Et toujours dans la même rue, devant le GYRE, les draperies de l’immeuble de verre DIOR par SANAA ne perdent pas de leur blancheur, tout comme le musée d’art contemporain de Kanazawa. En descendant l’avenue d’Omotesando jusqu’au croisement avec la longue rue Meiji, notre regard se laisse forcément attirer par les surfaces en miroir à l’entrée du Tokyu Plaza. Il est devenu assez rapidement un landmark sur cette avenue et attire les photographes. A l’entrée de Tokyu Plaza, l’effet de fracturation de la foule dense du croisement à travers ce jeu de miroirs multiples est intéressant à photographier.

Mon parcours me fait ensuite passer devant la galerie alternative d’art Design Festa Gallery. Je ne sais jamais très bien où elle se trouve et il faut à chaque fois que je tourne en rond dans le quartier pour tomber dessus. Je la retrouve cette fois grâce à un bâtiment annexe couvert de peintures de visages féminins. Juste à côté, une mini galerie est ouverte sur la rue et l’artiste aux cheveux bleues présentent ces oeuvres. Elle se tient debout devant une file bien ordonnée de jeunes filles principalement, venues faire signer un dessin, ou un morceau de carnet. Cette procession bien organisée, perdue dans le labyrinthe des rues de ce quartier, évolue dans le plus grand calme.

Mais ma montre me rappelle déjà que le temps m’est compté et qu’il faut que je prenne le chemin du retour pour aller récupérer à Roppongi Hills, où je les avais laissé. Ces promenades non planifiées et sans but très précis faut beaucoup de bien de temps en temps.