une éternelle récurrence

Je prends le prétexte d’une exposition temporaire de rue appelée Shibuya Street Museum pour marcher une nouvelle fois, appareil photo en mains, dans les rues de Shibuya, dans ce qui pourrait être une éternelle récurrence. J’y trouve toujours de « nouvelles » rues que je n’avais pas encore emprunté ou dont je ne soupçonnais même pas l’existence dans certains cas. À différents endroits de Shibuya autour de la gare en reconstruction, quelques artistes selectionnés montrent leurs œuvres sur les murs de bâtiments plutôt anciens, et semblant même voués à une destruction prochaine. Shibuya est en plein chamboulement et les projets urbains se multiplient, amorcés par ceux de la gare. Shibuya n’est pas exempt de vieux immeubles, loin de là. J’apprendrais, en apercevant la première démonstration artistique près de la gare au niveau de la route 246, que cette exposition en plein air est sponsorisée par la marque de vêtements Beams. J’imaginais voir des grandes fresques stylisées et colorées que l’on regretterait de voir disparaître, mais ce que j’aperçois est malheureusement beaucoup plus simple et même à la limite anecdotique, à l’image de ces trois têtes de bonhommes ronds dessinés à la va-vite et collés sur de grandes affiches de papier blanc. Ces têtes rondes de tailles variables sont dessinées par l’illustrateur Masanao Hirayama 平山昌尚, dans un style ultra minimaliste. Dans le style, je préfère les personnages que dessine Zoa. Un peu plus loin près de Bunkamura, je découvre d’autres illustrations de cette exposition temporaire. Cette fois-ci, elles sont l’oeuvre de l’illustrateur Naijel Graph et elles sont plus intéressantes. Ces illustrations représentent des figures connues, souvent issues de la pop culture, comme l’artiste de rue américain Keith Haring. L’illustrateur dessine apparemment également pour des produits dérivés du feu groupe new-yorkais Beastie Boys. Les posters dessinés par Naijel Graph sont là encore posés sur les buildings, sur un grillage pour être précis, mais pas dessinés à même la surface du building. Ça enlève à mon avis toute prise de risque et laisse l’image d’un projet aseptisé. Ceci étant dit, je n’ai pas vu toutes les œuvres de ce programme et un artiste comme Masanori Ushiki 牛木 匡憲 semble intéressant, du moins à ce que je peux voir sur son compte Instagram rempli à raz-bord de visages tous plus bizarres les uns des autres. Entre deux illustrations, je saisis la rue en photographies comme à mon habitude. C’est l’éternelle récurrence dont j’ai du mal à m’extraire et du mal à me lasser. Je monte jusqu’à la station Shinsen pour traverser la ligne de train Keio Inokashira et ensuite redescendre dans le dédale des rues de Maruyamacho. J’espérais, l’air de rien, retrouver le petit bâtiment blanc en forme de grain de riz, Natural Ellipse de l’architecte Masaki Endoh, mais je n’y trouverais que des love hotels, des bars et restaurants ouverts seulement la nuit. A la fin de mon parcours, je passe par le nouvel immeuble appelé Shibuya Stream, à l’entrée Sud de la gare de Shibuya. On peut y accéder par une nouvelle grande passerelle d’acier au dessus du croisement de l’avenue Meiji et de la route 246. Détail intéressant, le design des panneaux blancs pseudo triangulaires arrondis sur une partie de la passerelle a été repris de l’ancienne gare de Shibuya. On arrive donc au niveau du deuxième étage de la tour Shibuya Stream. Cet étage prend la configuration d’une large allée interne et parfois ouverte sur l’extérieur, bordée de restaurants, entre autres. Shibuya Stream a ouvert ses portes il y a quelques semaines en Septembre 2018. La tour fait 180 mètres de haut pour 35 étages et est composée principalement de bureaux, d’un hôtel, de magasins et d’un hall sur le côté pour des concerts, événements ou séminaires. Le plus intéressant, c’est la tentative d’aménagement de la rivière bétonnée de Shibuya juste à côté. Au niveau du building Stream, les parois de béton de la rivière sont arrosées d’un filet d’eau ressemblant à une cascade. Un des bords de la rivière est aménagé d’une terrasse avec des grands parasols près du building. Le reste de la berge, à l’emplacement de l’ancienne ligne de train Toyoko avant qu’elle ne soit enterrée, est également aménagé en voie piétonne jusqu’au niveau du croisement de Namikibashi.

Je parle souvent ici de la musique de Haru Nemuri 春ねむり mais il faut dire qu’elle sort ces derniers temps des nouveaux morceaux presque tous les mois, et qu’elle délivre souvent dans un seul morceau plus de tension et d’intensité qu’un album entier pour beaucoup d’autres artistes et groupes. C’est le cas de ce nouveau morceau intitulé TOKYO (Ewig Wiederkehren), qui est en fait une version modifiée d’un morceau sorti sur son premier mini-album Sayonara, Youthphobia さよなら、ユースフォビア, datant de 2016. Haru Nemuri sort cette nouvelle version à l’occasion de ses deux années de carrière musicale. Comme pour beaucoup et même la grande majorité des morceaux qu’elle compose, l’intensité émotionnelle ne laisse pas indifférent. Au dessus d’une musique synthétique de fond formant une nappe atmosphérique océanique, la voix en format parlé-rappé se dégage avec parfois certaines coupures volontaires, délimitant comme une poussée émotionnelle qu’elle aurait du mal à contenir. Cette décharge émotionnelle finit par eclater comme un trop plein dans la dernière minute du morceau. Les morceaux de Haru Nemuri fonctionnent bien quand ils se laissent déborder d’emotion et semblent perdre pied.

l7été(3)

Une continuation d’été à Tokyo avant l’été en France, à Azabu-Jūban et dans des rues proches. La végétation envahit tranquillement les espaces qui se laissent saisir, comme la rouille recouvre certaines surfaces d’immeubles prévues à cet effet. La reprise de contrôle du naturel sur Tokyo n’est qu’un artifice.

Je découvre la musique de l’artiste japonaise Haru Nemuri 春ねむり et il s’agit encore là d’une belle révélation. Elle est catégorisée dans le style J-Pop mais la plupart des morceaux se rapprochent plutôt du rock alternatif. J’écoute intensément ses deux albums: le plus récent Haru to Shura 春と修羅 et son album précèdent Atom Heart Mother アトム・ハート・マザー. J’aime tout particulièrement la singularité de son chant toujours à la limite entre le parlé, avec un phrasé parfois rapide tendance rap, et les paroles chantées. Le ton monte parfois dans ses morceaux jusqu’au cri et toujours d’une manière authentique. Les morceaux et les paroles sont souvent accrocheuses et nous reste en tête après l’écoute au point qu’on n’a d’hâte que d’y revenir. Certains morceaux tournent à l’expérimental comme le morceau titre du deuxième album Haru to Shura, lorsque le rythme s’accélère soudainement jusqu’à finir par craquer. J’aime cette distorsion de la musique. C’est un mot ディストーション (distorsion) qu’elle répète d’ailleurs plusieurs fois en continu sur le morceau intitulé Narashite 鳴らして et beaucoup de morceaux fonctionnent autour de quelques phrases accrocheuses qui sont comme accentuées et scandées dans les morceaux: 光って あおく光って ぼくが死んでもいのちは消えない (Brille, brille d’une lumière bleue. Même si je meurs ma vie ne s’éteint pas), アンダーグラウンド いのちを燃やして (Underground, brûle la vie), 愛だったそしてそれは永遠だった (c’était l’amour et puis c’était l’éternité). Une phrase fait le lien entre les deux albums et c’est ma préférée: ぼくを最終兵器 (Je suis l’arme ultime). Un des morceaux phare du deuxième album est certainement Sekai wo torikaeshite okure せかいをとりかえしておくれ et il prend des accents plus pop par rapport au reste du deuxième album. C’est certainement ce morceau et quelques autres qui le suivent qui qualifie l’album dans la catégorie J-POP. Un autre titre Yume wo miyou ゆめをみよう (Rêvons) est peut être le morceau que je trouve le plus poignant de l’ensemble des deux albums de Haru Nemuri. Ils méritent d’être écoutés et une fois n’est pas coutume, l’album Haru to Shura a même été revu sur le blog vidéo The Needle Drop, ce qui apporte à l’album une certaine reconnaissance bienvenue. D’autres revues à lire sur les sites rokku panku et Deadgrandmablog.