Kagura à Hikawa

Le matsuri d’automne du sanctuaire Hikawa à Shibuya n’avait pas eu lieu ces dernières années en raison de la crise sanitaire. On le retrouvait cette année avec un plaisir certain, synonyme de retour à la normale, bien que je ne pense pas que le mikoshi ait fait le tour du quartier comme c’est normalement le cas. Dans l’enceinte du sanctuaire, on pouvait toutefois assister à des danses théâtrales rituelles shintoïstes appelées Kagura et il ne me semble pas avoir assisté à ce genre de spectacle à cet endroit les années passées. Six représentations de ces danses cérémonielles se sont déroulées dans l’après-midi jusqu’au soir, le 11 Septembre. Celle que j’ai vu et que je montre en photos ci-dessus s’intitulait Inariyama Iitsuke (稲荷山・言付). L’histoire qui était narrée restait pour moi assez floue car principalement basée sur les danses des trois personnages masqués présents sur scène, mais il était question de chasser les démons avec un arc et des flèches. La foule était présente en nombre dans l’enceinte du sanctuaire et il était difficile de circuler rapidement sur l’étroite allée entourée de yatai en bas des escaliers de pierre menant au sanctuaire. Cet après-midi au sanctuaire m’avait également inspiré une série de photographies dans le mouvement sur un billet précédent.

dans le flou des ombres du soir

En composant ce billet de photographies volontairement floues en noir et blanc, j’ai en tête un billet de Septembre 2017 intitulé we are walking in the air, qui me sert en quelque sorte de maître-étalon ou plutôt de référence. Ce billet de 2017 m’avait d’ailleurs inspiré le billet de Septembre 2018 intitulé we speak silence, faisant intervenir cette fois la couleur. Ces billets sont construits de la même manière, que ça soit le flou des photographies, l’abstraction du texte accompagnant les images et le titre volontairement incohérent. Ces billets ont pour moi une importance certaine et j’y reviens de temps en temps pour me souvenir de la direction que doit garder Made in Tokyo. Je m’en éloigne malheureusement petit à petit, car un grand nombre de mes séries de photographies tendent vers le descriptif plutôt que vers l’abstraction. C’est un débat interne que j’ai longtemps eu sur ce blog, à savoir montrer de la photographie directe, comme je le fais en très grande partie maintenant, ou montrer une photographie altérée, faite de superpositions et de parasitages. La deuxième catégorie m’apporte le plus de satisfaction mais l’inspiration ne se commande pas, et se fait malheureusement de plus en plus rare ces dernières années. Fut une époque où je créais des megastructures et des formes urbano-végétales voguant au dessus de la ville. Cette forme de poésie urbaine me manque parfois même si j’ai un peu tourné la page. La série de photographies ci-dessus n’est pas aussi intéressante que celles de Septembre 2017 ou 2018, mais je ressens depuis quelques temps le besoin de retourner vers ce type d’abstraction de l’image, suite aux deux billets du mois de Septembre: will you watch petals shed from flowers in bloom? et D1$4PP34R1NG 1N c̶̳͚̈́͌̿͋̔ͅL0VDZ 4n̶͓͉̣͉͚̂̏͐D SK4𝖗Z. Je n’ai jamais voulu choisir une direction unique, mais il faut que je me souvienne de garder une bonne proportion entre photographies directes et photographies altérées.

Nous sommes ci-dessus au sanctuaire d’Hikawa à Shibuya à l’occasion du matsuri d’automne (j’y reviendrais un peu plus tard), tout comme sur les deux billets de 2017 et 2018. Certaines des photographies ont par contre été prises autour du sanctuaire.

die for colors

Je n’ai pas beaucoup profité des feuilles jaunes et rouges de l’automne et nous entrons déjà dans le froid de l’hiver. Nous n’avons malheureusement pas beaucoup de temps pour sortir en dehors de Tokyo, dans les montagnes de Okutama par exemple, comme l’année dernière. Je me contente pour l’instant de ces quelques photographies prises un samedi matin sous la pluie. Quelques unes des photos sont prises dans l’enceinte du sanctuaire de Hikawa à Shibuya et d’autres dans les quartiers résidentiels à côté. La gigantesque pierre découpée se trouve dans un hall extérieur de l’université Kokugakuin, toujours à proximité de Hikawa. Au passage, j’aime assez les deux photographies ci-dessus de bifurcations de routes qui me sont inspirées par un tweet sur les Y-shaped junction tokyoïtes, il faudrait que j’en prenne d’autres pour en faire une série.

Je vous avais déjà parlé de Takara Araki 荒木宝 à la sortie dans son premier EP intitulé Paranoïa sur le label Tanukineiri Records. Elle vient de sortir un nouvel EP, disponible sur Bandcamp, Die for Me, mais les cinq morceaux qui composent le EP ne sont pas récents car ils datent d’il y a un an ou plus. En fait, les morceaux de ce nouvel EP semblent avoir été créé à la même époque que les morceaux de Paranoïa, d’où une certaine continuité de style, même s’ils sont dans l’ensemble moins sombres. Par rapport à Paranoïa, les morceaux de Die for Me utilisent moins d’effets et se concentrent plus sur la voix et la composition musicale que je trouve toujours très belle et évolutive tout au long des différents morceaux. Le morceau titre Die for Me reste le plus fort, mais l’ensemble des morceaux sont tous très intéressants. J’aime aussi beaucoup le deuxième morceau GODDESS. Ceci étant dit, je suis un peu dubitatif sur la pochette du EP qui reste pour moi assez énigmatique. Je suis Takara Araki sur Twitter depuis la sortie de Paranoïa. Elle y partage régulièrement ses compositions et parfois des interprétations sur les albums d’autres artistes comme le morceau Horizon sur l’album The Trip de Gimgigam sur le label Local Visions.

we speak silence

La voie rapide est désormais bien lointaine et ne s’arrête pas sur son passage. Pour arriver dans ces régions retirées, il faut soit se perdre soit s’engager volontairement dans les longs et étroits chemins qui y mènent. Ces contrées se vident de plus en plus. Beaucoup de ceux qui y cultivaient une matière enrichissante pour l’esprit ont préféré arrêter et se soumettre aux méthodes plébiscitées par tous. On les voit maintenant sur la voie rapide ou plutôt on les voit disparaître dans la masse des messages qui s’accumulent, presque tous identiques. Je vais parfois m’aventurer sur cette voie rapide mais elle m’étourdit par sa densité. Je m’y noie parfois et il faut mieux bien s’accrocher pour s’en extraire à la prochaine sortie de secours. Les contrées à l’écart sont devenus un monde de silence. Trop occupé à foncer dans le flot digital, on oublie l’existence et la voix de ces villages qui ont pourtant fait, il y a quelques années, toute la richesse de ce monde. La richesse est pourtant toujours là. Elle est silencieuse aux oreilles des autres, mais elle est toujours active et construit petit à petit des monuments digitaux en espérant que quelques uns s’y perdent ou viennent volontairement les rejoindre.

La série d’images de ce billet donne une version alternative du Matsuri d’automne au sanctuaire de Hikawa.

le matsuri du sanctuaire de Hikawa

Nous allons tous les ans au Matsuri d’automne du sanctuaire de Hikawa à Shibuya, qui doit être le sanctuaire le plus proche de chez nous. Nous nous rendons également dans ce sanctuaire à chaque début d’année, pour qu’il nous protège, l’air de rien, des aléas d’une nouvelle année qui démarre. Pendant le Matsuri, le mikoshi est porté sur les épaules par des habitants du quartier dans les rues alentours pendant deux jours et finit sa course au sanctuaire. Il y rentre par l’avenue Meiji sur laquelle débouche la large allée du sanctuaire. Cette allée ressemble presque à une place. Un petit marché à légumes y prend souvent place le week end. Il y a également quelques restaurants dont un café assez récent et un très bon restaurant de pâtes tenu par un italien. Nous y allons de temps en temps, c’est une très bonne adresse. Pendant le Matsuri et plus particulièrement le soir alors que le mikoshi rentre au sanctuaire, ces restaurants et cafés sont ouverts sur la rue. De nombreux stands de bouffe les accompagnent. On y trouve également les stands de jeux pour enfants, qui comme partout ailleurs, les font rêver en accrochant sur leurs devantures des prix « magnifiques » comme des consoles de jeux Nintendo Switch et autres jeux que l’on ne reçoit normalement qu’à Noël ou pour un anniversaire. Les enfants ne sont pas dupes et savent déjà que seuls les lots de consolation sont à portée de mains, mais l’excitation de l’instant où tout semble possible est bien présente.

Le sanctuaire est perché en haut d’une petite colline boisée. On peut y accéder directement par la route au niveau de l’université Kokugakuin, ou par une allée de pierre démarrant de la place marchande dont je viens de parler. L’entrée de cette allée était il y a quelques années marquée par un torii de pierre, mais il a disparu depuis le tremblement de terre de Mars 2011. Il s’était effondré et n’a jamais été reconstruit. Il reste les deux socles, comme des arbres centenaires que l’on aurait coupé. L’allée pavée de pierres monte en virage vers le sanctuaire par des séries d’escaliers. On passe devant un terrain de jeux pour enfants et un autre pour les entraînements de combattants sumo. Je n’ai vu ces entraînements qu’une ou deux fois, mais ils sont impressionnants car on peut approcher les sumos et apprécier leurs techniques de près. Je venais souvent dans le parc du sanctuaire avec Zoa quand il était plus petit et quand on habitait juste au bout de la rue. Je me souviens d’une rare journée de neige sur Tokyo, un samedi matin. Nous avions passé de nombreuses heures à construire un bonhomme de neige dans un coin de l’allée, à mi-chemin de la montée vers le sanctuaire, à l’intersection de deux escaliers. Ce souvenir me revient à chaque fois que je parcours cette allée.

L’ambiance y est d’habitude très paisible et calme, si ce ne sont les cris enjoués des enfants le week-end ou le chant des grillons en plein été. Il n’y a en général pas grand monde dans l’enceinte du sanctuaire. La situation est bien différente un jour de Matsuri. La foule s’amasse dans les allées rendues plus étroites par les stands de chaque côté, et parle fort, accompagnée par la musique du festival. J’aime beaucoup la vue que l’on peut avoir depuis le haut des escaliers, sous les arbres, sur la chaîne de stands et la foule qui s’y agglutine. Les Matsuri réunissent en général les gens du quartier, mais celui de Hikawa réunit une foule plus importante. Cela reste tout de même à taille humaine et sans commune mesure avec d’autres Matsuri beaucoup plus connus à Tokyo. Zoa y avait donné rendez-vous à trois de ses copains. Avec un peu d’argent en poche, ils vont faire le tour des stands pour y trouver leur bonheur. Je suis chargé de les surveiller de loin sans qu’ils me voient, mais je surveille également le mikoshi qui entre et sort de la grande allée. Cela fait partie du cérémonial de faire durer le final du parcours du mikoshi. Un homme avec deux plaquettes de bois en mains guide le mikoshi jusqu’à son emplacement final. Il semble prendre un malin plaisir à obliger les porteurs du mikoshi à peaufiner leur arrivée devant le sanctuaire. Il leur demande plusieurs fois de recommencer leur entrée jusqu’à ce qu’elle soit parfaite. Une petite vidéo ci-dessus montre les derniers instants de l’arrivée du mikoshi. Dans un autre billet, je montrerais une version photographique alternative de ce Matsuri.