Comme tous les ans pendant cette même période de fin Décembre, on me confie la mission d’aller chercher très tôt le matin au sanctuaire Ana Hashimangu les talismans qui nous protégeront pour la nouvelle année qui arrive. Pour aller jusqu’à la station de Waseda où se trouve le sanctuaire, je passe par la station de Takadanobaba et les quelques minutes nécessaires pour changer de ligne de train me laisse assez de temps pour prendre quelques photos de la grande fresque dédiée à Osamu Tezuka dessinée sous les voies de train. Sur le retour, je descends volontairement à la station Shin-Ōkubo pour aller voir à quoi ressemblent les rues remplies de boutiques coréennes mais il est un peu trop et rien n’est ouvert. En sortant de la station de Shin-Ōkubo, me revient tout de suite en tête une vidéo de l’émission Gokigenyō (ごきげんよう) du 4 Septembre 1991, que j’avais vu sur YouTube il y a quelques années. J’avais regardé cette émission car Jun Togawa en était l’invitée et c’était une période où j’écoutais presqu’exclusivement la musique de Jun Togawa, soit en solo ou avec son groupe Yapoos. Dans cette vidéo, elle revient dans les quartiers de son enfance de Shinjuku à Shin-Ōkubo, en marchant dans les rues de ces quartiers jusqu’à Kabukichō et en y rencontrant parfois des connaissances. J’aime revenir de temps en temps vers cette vidéo pour voir la manière d’être de Jun Togawa, car j’y ressens une sorte d’équilibre instable entre son excentricité naturelle et son besoin de normalité. En marchant depuis Shin-Ōkubo, je n’essaie pas forcément de reconnaître les endroits où Jun Togawa et le présentateur de l’émission ont marché, mais je passe volontairement devant l’école primaire Toyama qui est mentionné dans le morceau intitulé Toyama Shōgakkō Kōka 〜 Aka-gumi no Uta (戸山小学校校歌〜赤組のうた) de son deuxième album Kyokutō Ian Shōka (極東慰安唱歌). Dans la vidéo, elle passe en fait devant le collège Toyama plutôt que l’école primaire. Les quartiers filmés en 1991 et ceux de maintenant ont très certainement beaucoup changé car presque 30 ans se sont écoulés. A la télévision, il n’est pas rare de voir des émissions musicales revenant sur les Eighties, mais je n’y ai jamais entendu de morceaux de Jun Togawa. Elle était pourtant connue à cette époque, même invitée par l’intermédiaire de Takahashi Yukihiro du YMO à l’émission de Tamori, Telephone Shocking de Waratte ii Tomo! (笑っていいとも! テレフォンショッキング) le 4 Juillet 1985. Elle a même été invitée plusieurs fois, mais j’aime beaucoup revoir cet extrait d’émission de 1985, quelques mois avant la sortie de son troisième album Suki Suki Daisuki (好き好き大好き), dont le morceau titre est certainement son morceau le plus connu. Elle a une personnalité très pure mais on devine tout de suite sa fragilité, qui n’apparait pas vraiment dans ses morceaux comme celui que je mentionne ci-dessus. Même si elle prétendait vouloir faire des chansons d’idoles, c’est une musique complètement atypique, qui est également très loin de la city pop en plein succès à cette même époque.
Étiquette : Jun Togawa
dèss
Il y a quelques semaines de cela, la rubrique culture du Japan Times publiait un article avec une liste des dix meilleurs albums japonais. Cet article venait répondre à une liste des 500 meilleurs albums de tous les temps publiée par le magazine Rolling Stone, qui manquait apparemment d’albums en langue non-anglophone (j’y ai quand même vu Manu Chao). L’auteur de l’article entendait donc pallier à ce manque en proposant une liste assez discutable de dix albums qui auraient dû se trouver dans la liste du Rolling Stone. Je dis ‘discutable’ car tout un chacun peut créer une liste des meilleurs albums de tous les temps, mais ça sera toujours à travers le prisme de ses propres connaissances et de ses goûts personnels, ne pouvant à priori pas être exhaustifs à moins d’avoir une culture musicale d’exception. A mon avis, ce genre de listes doit plutôt être écrite à plusieurs mains par des personnes de sensibilités musicales différentes pour présenter un intérêt tangible. Dans cette liste, on peut comprendre l’inclusion de Solid State Survivor du Yellow Magic Orchestra (YMO) pour leur rôle de pionnier sur la scène électronique japonaise ou la présence de X JAPAN, comme groupe légendaire du rock japonais, car ces groupes ont une importance certaine dans le paysage musical japonais, mais un certain nombre de choix sont plutôt mystérieux pour moi, dans le sens où la raison de leur sélection n’est pas très clairement exprimée. Plusieurs choix d’albums sont par exemple liés à l’apparition de certains morceaux dans des films d’animation japonais, et je me demande donc s’il s’agit de l’attrait envers l’anime qui a suscité ce choix plutôt que l’intérêt intrinsèque de la musique du groupe. Et si l’on mentionne de la musique japonaise associée à un film d’animation, c’est à mon avis difficile de ne pas évoquer Geinō Yamashirogumi pour Symphonic Suite Akira. L’auteur ayant passé du temps à Kobe, un groupe rock de Kobe est donc cité dans la liste. Ces quelques points me font donc plutôt penser à une liste personnelle qu’on trouverait sur un blog, ce qui en soit est tout à fait respectable. J’ai par contre un peu de mal à comprendre son inclusion dans un article du Japan Times, qui laisse penser que le journal valide à travers cet article ce qui est le meilleur de la musique japonaise. Un des critères de cette sélection se base sur le fait que ces artistes ou groupes, comme Ayumi Hamasaki ou Perfume, soient connus à l’étranger, mais j’ai du mal à concevoir ce critère comme un label de qualité, plutôt comme une preuve que cette musique est d’accessibilité immédiate. Il n’empêche que j’aime certains groupes mentionnés comme Asian Kung-Fu Generation, notamment cet album Sol-Fa de 2004, Boom Boom Satellites bien que je ne possède qu’un seul album qui n’est pas celui mentionné. Quand à X JAPAN, je n’apprécie vraiment que leur album Art of Life composé d’un seul morceau d’environ 30 minutes, mais que je trouve exceptionnel. C’est également l’oeuvre obsessionnelle de Yoshiki.
Je suis en train de me ‘plaindre’ pour une liste, mais d’une manière générale, j’aime beaucoup les consulter, d’un œil critique, car elles me permettent de construire ma propre culture musicale japonaise. L’article du Japan Times a eu le mérite de me donner envie de consulter d’autres listes similaires, notamment une liste des trente meilleurs albums japonais sur le site Beehype. Je trouve ici un peu plus d’accroche, que dans la liste précédente. J’y retrouve un certain nombre d’albums que j’apprécie: School Girl Distortional Addict de Number Girl, Meshi Kuuna! de INU, Shoso Strip de Sheena Ringo, Deep River de Utada Hikaru, Kūdō desu (Hollow Me) de Yura Yura Teikoku. On n’évitera pas Kazemachi Roman de Happy End en première place et je me demande à chaque fois si c’est simplement dû au fait que le morceau le plus connu de cet album Kaze wo Atsumete soit présent dans le film Lost in translation (c’est d’ailleurs le seul morceau japonais de la bande originale du film), qui fait que cet album apparaisse souvent dans le haut des tops anglophones. De ce top 30, je me dis qu’il faut que j’essaie d’écouter la musique noise de Hijōkaidan, mais je vais plutôt me diriger vers Fushitusha (不失者) qui est aussi souvent cité dans les top similaires au rayon noise. Le groupe Fishmans est aussi souvent cité soit pour Kuuchuu Camp (空中キャンプ) ou pour le long morceau en cinq parties Long Season. J’écoute les deux et j’aime cette ambiance, mais c’est le concept du morceau unique de 35 minutes sur Long Season qui me plait le plus. On y trouve même une intervention de UA sur la dernière partie du morceau (ce qui me fait penser qu’il faut que je réécoute Ajico un de ces jours).
Mais la surprise pour moi dans cette liste là est l’album Dreams du Otomo Yoshihide’s New Jazz Ensemble. Je n’avais aucune idée que Jun Togawa intervenait, avec Phew, sur cet album et je ne connaissais pas particulièrement le musicien influencé par le mouvement du Free Jazz, Yoshihide Otomo. A la première écoute, je n’ai pas beaucoup aimé. Jun Togawa, à cette époque, a déjà perdu une partie de sa voix exceptionnelle, et la manière rugueuse de chanter de Phew m’a d’abord rebuté. Sur Dreams, Phew réinterprète le morceau Teinen Pushiganga de Jun Togawa sur son premier album Tamahime Sama (chef d’oeuvre qu’on devrait voir plus souvent dans une de ces listes), mais elle n’a pas la voix de Togawa. Je trouve donc la version de cet album Dreams bien en deçà de ce que je connaissais en version originale. Mais j’écoute quand même tout l’album jusqu’au dernier morceau intitulé Hahen Fukei, et je reçois comme une claque finale. C’est un morceau extrêmement étrange et difficile où Jun Togawa et Phew scandent des morceaux de phrases sur une bande musicale complètement folle menée par un saxophone. C’est un espèce de tourbillon musical qui ressemble à un accident de voiture. Je pense aussi à Lost Highway de David Lynch, en écoutant ce morceau. Quand le morceau se termine et que le silence reprend soudainement le dessus, je me demande ce qui vient de se passer. Ce dernier morceau me donne une nouvelle perspective à l’ensemble et je décide de le réécouter en entier une nouvelle fois. L’interprétation de Jun Togawa sur le premier morceau Preach se révèle pleine de fragilité. Le deuxième morceau Yume démarrant sur le son du saxophone s’avère être un des plus beaux morceaux de l’album. Le contraste entre les voix et la partition musicale prend du sens. On reste dans un style avant-garde qui ne conviendra certainement pas à toutes les oreilles, l’album n’ayant rien d’immédiat. Toujours est-il que je suis soudainement saisi par la beauté de certains morceaux, notamment quand le saxophone commence un solo sur le morceau Toi Hibiki ou quand le long morceau Eureka fait soudainement une pause pour nous laisser écouter le son de l’océan.
En décembre 2019, Tokyo Weekender donnait aussi un top 10 couvrant la décennie 2010, plus récent donc. On y trouve par exemple Seiko Omori, dont j’avais beaucoup aimé son album Tokyo Black Hole, mais que je n’ai pas approfondi car j’ai développé ensuite une sorte de répulsion pour ce style. Je n’aime pas beaucoup sa voix et on y trouve une sorte d’hystérie qui me fatigue un peu. Le groupe rock Tricot peut sembler intéressant mais le math rock a une technicité qui enlève pour moi une partie de l’émotion musicale. L’album Fetch de Melt-Banana revient aussi souvent dans ce genre de liste, mais la voix très haut perchée de la chanteuse Yasuko Onuki dépasse mon niveau de tolérance (qui est pourtant relativement élevé). Il y a Ichiko Aoba qu’il faudrait que j’écoute plus attentivement un de ces jours. La liste des vingt meilleurs albums de tous les temps dressée par le site anglais Overblown contient aussi un certain nombre d’albums que j’apprécie, et reste relativement classique dans le sens où Kazemachi Roman de Happy End se trouve encore en première place. Il y a bien aussi Long Season de Fishmans, Solid State Survivors du YMO. Il y a un album de Boris, mais pas Pink bizarrement, Highvision de Supercar, KSK de Sheena Ringo, un peu de City Pop avec Sunshower de Taeko Ohnuki. Je n’ai pas beaucoup d’attirance pour le style City Pop, qui connaît une sorte de revival en ce moment, à part quelques morceaux spécifiques de temps en temps, et encore moins pour le style Shibuya-Kei. J’ai tenté l’écoute de Fantasma de Cornelius, que je vois assez souvent systématiquement cité comme un album exceptionnel, mais après plusieurs écoutes cette musique ne me procure absolument aucune émotion. Je n’aime en général pas trop parler de la musique que je n’apprécie pas donc cet article sera une sorte d’exception.
Et pour le titre du billet, je me permets d’utiliser un texte mystérieux car j’écoute SIGN d’Autechre en boucle en ce moment.
かめはめ波
Près de Harajuku, la boutique Asoko placée sur la rue Meiji change régulièrement sa devanture. Cette journée là, on avait le plaisir d’y voir dessiner le jeune Sangoku de la série Dragon Ball avec ses acolytes habituels. C’est amusant de tomber par hasard sur ce grand dessin. On aimerait que Goku nous sorte de ses paumes le fameux Kamehameha, histoire de réchauffer l’atmosphère en cette période de froid hivernal. On se contentera de les regarder, indifférents à notre pauvre sort de piétons en hiver. Les photographies de ce billet mélangent les lieux, en passant de l’immeuble noir et mystérieux Humax Pavillon de Hiroyuki Wakabayashi entrevu dans l’espace ouvert entre deux rues à Shibuya, puis vers Naka-Meguro devant une petite galerie ouverte sur la rue devant la rivière Meguro. A Ebisu, il s’agit d’une scène de rue le matin où on ressent des traces de l’animation du soir précédent. Ces traces sont invisibles mais une ambiance de calme après la tempête règne sur cette rue pratiquement vide, devant les devantures fermées des bars et restaurants. A Hiroo, on détruit un immeuble à coups de pelleteuses. La destruction prend quelques jours seulement mais on ne sait pas encore exactement quel objet architectural va naître de ce gravas de pierres et de tiges d’acier. Vu les régulations sur la hauteur des bâtiments dans le quartier, ça ne devrait pas être une tour qui va pousser par ici.
Togawa Fiction est très different de tous les autres albums de Jun Togawa 戸川純 ou de YAPOOS ヤプーズ. Il est sorti en 2004 après une période de silence pour les raisons mentionnées dans un billet précédent. La voix de Jun Togawa et l’ambiance musicale sont très différentes. Les deux premiers morceaux en particulier sont sauvages et chaotiques. Le long et sublime premier morceau Counsel Please カウンセル・プリーズ est composite flirtant avec le prog rock, ce qui est nouveau dans la discographie de Jun Togawa. Sa manière de chanter est également plus rugueuse et brute, ce qui me fait dire qu’un novice pourrait difficilement commencer par cet album si il ou elle souhaitait découvrir la discographie de l’artiste (il faut mieux par exemple commencer par Tamahime Sama). L’approche est expérimentale sous les abords de pop enjoué du deuxième morceau Open the door オープン・ダ・ドー. On ne peut pas nier une pointe de folie qui peut décontenancé l’auditeur. Il y a, dans cet album, encore moins de compromis musicaux que dans les albums précédents. La dynamique imparable des deux premiers morceaux leur donnent un impact fort mais ce sont aussi les morceaux les plus difficiles d’accès. Comme on peut le comprendre maintenant et depuis le tout premier album, Jun Togawa n’a aucune intention de faire de la musique standardisée ou formatée. Il y a tout de même plusieurs morceaux où l’on retrouve son style de voix comme ce morceau Haikei Paris ni te 拝啓、パリにて sur un voyage à Paris, d’abord mené sous les apparences d’un fleuve tranquille comme La Seine. Mais le flot se distord au milieu du morceau après les quelques mots en français « Mademoiselle Jun… ». La machine se détraque ensuite et les paroles et mélangent et deviennent confuses. C’est un morceau très intéressant dans sa construction. Le morceau suivant Sayonara Honeymoon さよならハニームーン est beaucoup plus lent et sombre. On y devine une souffrance exprimée par le timbre de sa voix et par la musique ténébreuse avec effets sonores inquiétants. Ensuite, commence le morceau titre Togawa Fiction トガワ フィクション, beaucoup plus lumineux et rapide. C’est un morceau pratiquement instrumental mais avec des ajouts d’un duo de voix, dont celle de Togawa et d’une voix masculine. J’adore la petite phrase prononcée avec un humour roublard par la voix masculine, peut être celle du compositeur du morceau Dennis Gunn, nous disant « ちょっと悪いは最高じゃ », qu’on traduirait par quelque chose comme « Être un peu mauvais, c’est ce qu’il y a de meilleur ». Le morceau fait un raccord bienvenu avec les morceaux de YAPOOS, ce qui n’est pas très étonnant vu que le compositeur est un ancien membre du groupe. Le dernier morceau concluant cet album Oshimai Choueki Home おしまい町駅ホーム, qui est d’ailleurs plutôt un mini-album car n’ayant que 6 morceaux, repart dans un certain apaisement mélodique. Sur ce mini-album, on ne retrouve pas tout à fait la gamme vocale dont on était habitué sur tous les albums de Jun Togawa. Elle a malheureusement un peu perdu de son étendue vocale, mais tente ici d’y remédier. Ce dernier morceau est très beau musicalement, avec un ensemble orchestral, le Jun Togawa Band, et la présence marquée des violons et du piano. Cet album Togawa Fiction est un objet musical à part, même dans la discographie de l’artiste. Elle ne sortira malheureusement pas de nouveaux morceaux originaux jusqu’à présent.
Ces dernières années, et même en cette année 2018, il y a eu des albums de reprises d’anciens morceaux re-arrangées avec d’autres groupes comme l’album Watashi ga Nakou Hototogisu わたしが鳴こうホトトギス (2016) avec le groupe japonais Vampillia, dans un mode rock mélodique, Togawa Kaidan 戸川階段 (2016) avec le groupe Hijokaidan 非常階段 mené par Jojo Hiroshige JOJO広重, dans un style beaucoup plus noise rock, et finalement cette année des versions au piano avec Kei Ookubo おおくぼけい de Urbangarde sur l’album Jun Togawa avec Kei Ookubo (2018). Je n’ai écouté que quelques morceaux de ces albums de reprises, mais je n’arrive pas à m’enlever l’idée de la tête que je préfère grandement les versions originales qui sont difficiles à égaler tant par les qualités musicales que par la puissance de la voix de Togawa. Force est de constater, comme je le disais plus haut, qu’elle a perdu de son étendue vocale suite à des problèmes de santé. Écouter Teinen Pushiganga ou Nikuya no you ni sur les albums Tamahime Sama et YAPOOS Keikaku respectivement est une expérience incomparable à ces nouvelles versions. Ceci n’amenuise pas les qualités de pianiste de Kei Okubo, par exemple, mais pour quelqu’un comme moi qui ne découvre que maintenant et d’un bloc le répertoire entier de Jun Togawa, la comparaison est difficile à tenir. J’espère vraiment que Jun Togawa pourra dans les années qui viennent se remettre en situation d’écriture de nouveaux morceaux auxquels elle pourra adapter sa voix actuelle en pleine réformation. En attendant, j’écoute des albums Live comme Ura Tamahime Sama 裏玉姫 sorti en 1984, qui est comme un album à part entière car la plupart des morceaux ne sont pas présents sur l’album Tamahime Sama. J’adore la manière innocente et polie par laquelle elle introduit des morceaux à tendance punk sur ce Live. Tout l’art de Jun Togawa est dans un décalage subtil. Je n’ai pas parlé jusqu’à maintenant de son troisième album solo intitulé Suki Suki Daisuki 好き好き大好き, car ce n’est pas mon préféré bien qu’il s’agisse de son album le plus connu. Le morceau titre est fabuleux mais le reste de l’album me plait moins, car il joue trop sur la parodie des idoles de l’époque. Je le mets donc de côté pour l’instant, avec l’intention d’y revenir un peu plus tard.
J’écoute maintenant les trois albums de Guernica, le groupe qu’elle a formé avec le compositeur Koji Ueno et le parolier Keiichi Ohta, avant sa carrière solo, au tout début des années 1980. Les morceaux de ces albums sont inspirés de la musique des années 1920/1930, mais composées aux synthétiseurs sur le premier album Kaizo Heno Yakudo 改造への躍動. Il y a de très beaux morceaux comme ceux du EP initial du groupe Ginrin wa Utau 銀輪は唄う et Marronnier Tokuhon マロニエ読本. L’ambiance y est très particulière. On dirait des odes à la modernité et au progrès, à travers les titres et les thèmes. Je comptais d’abord écouter ces trois albums comme des curiosités mais je me surprends à y revenir. Je vais maintenant voguer vers d’autres découvertes musicales, mais la musique de Jun Togawa était une découverte exceptionnelle cette année. Certes très en retard, mais mieux vaut tard que jamais.
Ceci étant dit, je ne tarde pas trop à tomber sur des nouvelles musiques intéressantes avec le Demo EP de Mariko Gotō alias DJ510mariko, qui ressemble à un Kamehameha que l’on recevrait en pleine figure. Le premier morceau NeverEnding Story ねばーえんでぃんぐすとーり commence comme un morceau typique d’idole japonaise mais est très vite maltraité, comme passé au courant triphasé les doigts dans la prise, vu la rapidité du chant et le massacre volontaire de la batterie. Le morceau est rempli d’une frénésie musicale et vocale, mais à l’énergie follement communicative. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de “destruction” de morceau standard en y apportant une interprétation non conventionnelle voire même hystérique. La tension ne va qu’en s’intensifiant au fur et à mesure des 4 morceaux du EP. Le deuxième morceau Breeeeeak out!!!!! est encore plus détonnant avec le parti pris d’une voix aiguë superposée sur des cris sourds en guise de batterie et d’une musique électronique crachotante. Le morceau suivant Yozyo-Han_tansu_dance 四畳半箪笥ダンス est beaucoup plus dansant entre guillemets mais la manière de chanter de Mariko Gotō devient plus menaçante. Le refrain est entêtant et le tout est émotionnellement très fort. Le dernier morceau Syunka_Syuutou 春夏秋冬 de ce EP commence de manière très mélodique et on se dit que ce morceau final se voudra plus reposant pour l’oreille, histoire de se dire que Mariko Gotō n’est pas aussi décalée que cela, mais en fait le répit n’est que de courte durée, car un flot de cris prend le dessus vers la fin. Le morceau mêlant calme et brutalité fonctionne très bien et encore une fois, est très fort émotionnellement. La sortie de ce EP à la toute fin de l’année est une très bonne surprise et j’espère qu’on pourra écouter de nouveaux morceaux dans ce style sans compromis l’année prochaine.
hysterical lights
Je reviens sur les lumières de Shinjuku dont je ne peux me lasser, mais en les mélangeant cette fois-ci avec des figures dessinées que j’ai prises en photo avec mon iPhone lors d’expositions à la galerie Spiral de Aoyama et au Department store Seibu de Shibuya. Sur ces compositions photographiques, la densité extrême des lumières reflète la surabondance des informations qui viennent inonder le cerveau jusqu’à l’hystérie. C’est ma tentative de parallèle avec la musique qui va suivre.
HYS est le dernier album de YAPOOS ヤプーズ sorti en Juin 1995. Je repoussais un peu son écoute car je ne voulais pas en terminer avec la découverte de la musique du groupe. Le titre de l’album et du premier morceau HYS ヒス est un diminutif du mot anglais Hysteria. Cette hystérie est évidente à certains moments du morceau, et ce n’est pas pour me déplaire car j’aime quand Jun Togawa repousse les limites de ce qu’on a l’habitude d’entendre dans un morceau musical. L’hystérie est également dans les paroles composées d’une accumulation d’annonces de faits divers dramatiques, comme on peut le voir représenté dans le clip vidéo. D’une certaine manière, elle-même fera partie de ces faits divers dramatiques quelques mois après la sortie de l’album. J’y reviendrais un peu plus tard. Je sens des notes de folklore musical sur certains morceaux comme le deuxième Honnou no Shoujo 本能の少女 ou le dernier Akai Hana no Mankai no Shita 赤い花の満開の下, mais cette musique aux accents traditionnels est complètement remaniée par des sons rock et des sons électroniques mélangés. La voix de Jun Togawa prend également par moment ces accents de folklore, un peu comme sur certains morceaux des deux premiers albums sortis sous son nom propre (Tamahime Sama et Kyokuto Ian Shoka). Le morceau suivant Love Bazooka ラブ・バズーカ est beaucoup plus classique dans son approche pop-rock mais avec une certaine rapidité du rythme et un chant proche de celui d’une idole. Le morceau Charlotte Sexeroid no Yuutsu シャルロット・セクサロイドの憂鬱 doit être une suite du morceau Barbara Sexeroid mais en plus sombre dans le son mécanique et répétitif. La voix de Jun Togawa est ici robotique comme l’androïde du titre et entrecoupée de voix automatiques électroniques. Le cinquième morceau Shishunkibyo 思春期病 est beaucoup plus calme et posé que les morceaux habituels du groupe et apporte une sorte de coupure à l’album avant de repartir vers d’autres territoires sur le morceau suivant Shounen A 少年A. Ce sixième morceau est un des morceaux marquants de l’album, je trouve, sombre et inquiétant, comme souvent, jusqu’à terminer par des sons d’ambulance dans la nuit. J’aime beaucoup le changement de rythme au milieu du morceau où Jun Togawa scande des noms de matières scolaires après un court passage instrumental. Le morceau suivant Ijime いじめ est au piano et Jun Togawa prend sa voix enfantine. C’est un court morceau laissant vite place à un morceau plus dynamique pop-rock Soreike! Lolita Kiki Ichi Hatsu それいけ!ロリータ危機一髪, comme on en connaît d’autres sur les albums de YAPOOS. Ce n’est pas un morceau qui marque vraiment les esprits et je préfère le suivant Atashi Mou Jo Ki Dame ni Naru あたしもうぢき駄目になる, car elle y mélange son chant avec des superpositions de tonalités d’opéra aux airs maléfiques. L’album accumule un désespoir certain dans les paroles et les titres (« trouble adolescent » pour le cinquième morceau, « harcèlement » sur le septième, et l’idée que plus rien ne vaudra bientôt la peine sur le morceau neuf). Je ne peux m’empêcher de rechercher dans ces morceaux des indices qui annonceraient sa tentative de suicide, manquée heureusement, en novembre 1995. On évoque des difficultés répétées dans les rapports humains, des départs soudains de membres du groupe, des embrouilles sur des droits d’auteurs et tout le stress qu’y en est engendré. A travers les divers interviews que j’ai pu voir sur YouTube, on devine une certaine fragilité derrière cette apparence excentrique, un besoin d’être aimé qu’elle a dû avoir du mal à trouver à ce moment de sa vie. Ceci l’a poussé à écrire les mots « tout le monde me déteste » sur un mur au moment de sa tentative de disparition. Je n’étais pas au Japon à cette époque mais cela avait apparemment fait du bruit dans les médias et choqué l’opinion. Le destin est tragique pour cette famille, car la sœur de Jun Togawa, Kyoko Togawa, actrice connue et chanteuse se donnera la mort quelques années après en Juillet 2002. Les raisons sont inexpliquées mais on parle d’une raison médicale. Cette disparition va l’affecter lourdement et elle demeurera silencieuse pendant plusieurs années, jusqu’à la sortie d’un album de reprises intitulé 20th Jun Togawa en 2000, pour ses 20 ans de carrière musicale, qui la fera petit à petit sortir de son silence. Il n’y aura plus de nouveaux albums de YAPOOS, mais un mini-album intitulé CD-Y sort quand même en 2003. Il s’agit de 4 morceaux plus anciens que 2003 et qui n’avaient pas été édités jusque là. Le premier morceau Sheer Lovers シアー・ラバーズ est d’une grande tristesse et compte parmi les plus beaux morceaux du groupe. Le morceau et le mini-album ont un ton assez différent de ce que l’on connaissait jusqu’à maintenant. Sur les quatre morceaux, deux sont parlés sur une ambiance sonore théâtrale. Sur le dernier morceau intitulé (something extra), une histoire est racontée. Elle ressemble à un conte. Il s’agit d’une histoire d’amour contrariée entre deux personnages, féminin et masculin, dont les voix sont interprétées par Jun Togawa. L’histoire ne se termine pas vraiment pour le mieux, on aurait pu sans douter. Jun Togawa ne terminera pas définitivement sa carrière musicale car elle sortira un nouvel album en 2004, intitulé Togawa Fiction, dont je parlerais certainement un peu plus tard. Vu son activité dense en dix ans de 1985 à 1995, on peut comprendre que, malgré les épreuves de la vie, le besoin de création musicale était plus fort que tout.
feeling of another world
Un mélange d’architecture de béton, de couleurs nuageuses et de pliages de structures. Je ne me lasse pas de jouer avec les superpositions d’images. L’exercice demande souvent plusieurs essais avant d’obtenir une association qui me convienne vraiment. Lorsque je travaille sur un nouveau billet, il m’arrive très souvent d’effacer les images que je comptais intégrer au billet, car de nouvelles associations d’images ou de couleurs me viennent en tête. Un ciel nuageux ou une ville en mouvement sont des matériaux presque indispensables dans mes créations photographiques. Le béton de ces structures proviennent du parc olympique de Komazawa et de l’aquarium de Churaumi à Okinawa.
Il y a des pointes plus accentuées d’électronique dans le quatrième album dadada ism de YAPOOS, sorti en 1992. Les toutes premières notes du premier morceau Kimi no Dai 君の代 sonnent très actuelles, comme si elles provenaient d’un morceau de J-POP sorti récemment, avant que le morceau diverge vers le style Togawa. Le morceau suivant Virus ヴィールス pousse un peu plus l’électronique composée par Susumu Hirasawa, comme plusieurs autres morceaux de la discographie de YAPOOS et de Jun Togawa. Le morceau est dense musicalement et rempli d’aliénations vocales, comme la contamination virale suggérée par le titre. C’est encore un de ces morceaux de Jun Togawa qui n’est pas simplement chanté mais qui est vécu. C’est d’ailleurs ce qui rend les morceaux de Jun Togawa si prenants à l’écoute. Le morceau suivant 12 no Ichiban oku 12階の一番奥 est beaucoup plus calme et c’est l’un de mes préférés sur l’album. Il y a des petites voix qui ressemblent à celles d’un animal imaginaire (j’imagine une sorte de gizmo), qui viennent parsemer la composition et une musique d’accordéon venant accompagner la voix presque parlée à certains moments. Le rythme du chant est assez particulier et devient très mélodique vers la fin du morceau. Je n’aime en général pas beaucoup le son de l’accordéon mais son insertion dans ce morceau est bienvenue. Le morceau suivant Kyuukoku 急告 reprend rapidement les hostilités avec une batterie puissante et des morceaux de chants torturés, et le cinquième morceau Watashi wa Koukishin no Tsuyoi Onna 私は好奇心の強い女 est beaucoup plus sombre et atmosphérique. Le sixième morceau dadada ism ダダダイズム reprend le titre de l’album. La musique y est beaucoup plus légère et le chant presque parlé-saccadé prend un style que je n’avais jusque là pas entendu sur d’autres morceaux. Des petites voix montent en chœur vers la fin et des cris à la manière d’un Bruce Lee viennent perturber la toute fin du morceau. Le septième morceau NOT DEAD LUNA ressemble à un single et à une mini rétrospective de la vie de Jun Togawa en version très mouvementée. La vidéo, non officielle je pense, suggère cela en montrant des moments passés en concert notamment, mais aussi une scène où elle s’allonge sur une ligne de chemin de fer en attendant un train qui n’arrive heureusement pas. Elle parle beaucoup de mort sur ce morceau mais d’une voix volontairement inadaptée. Il y a certainement un début de présage dans ce morceau, une sorte d’inconfort et d’inadaptation à ce monde comme elle le dit elle même: « There is a feeling I’ve had ever since childhood: that there exist many different « worlds » and I was born in the wrong one, a world I don’t quite fit into. I’ve felt this strong feeling of wrongness all through my life. There is no space for me in this world. Every time I believe I’ve finally found my place, someone comes to me and says « Go away! You’re not supposed to be here. » I mean, I have always had this kind of feeling ». Le morceau suivant VIP Russia Yori Y wo Komete VIP ~ロシアよりYをこめて~ reprend un rythme plus percutant et la voix de Jun Togawa devient plus sombre et menaçante. Chaque morceau, en plus d’être une composition musicale, est également un jeu d’actrice. L’avant dernier morceau Kondoru ga Tondekuru コンドルが飛んでくる reprend une voix ondulante du plus bel effet, comme on pouvait l’entendre dans des morceaux des albums précédents. La conclusion de l’album Theme テーマ se présente comme une musique thème de YAPOOS, avec des accents beaucoup plus rock, voire punk, mais tout de même adoucis par quelques notes de piano.