i’m tired of seeing things

Le titre du billet ne correspond pas à une lassitude de prendre des photographies de Tokyo, mais plutôt au contraire à un sentiment de trop plein, étant donné que je prends en ce moment plus de photographies que mon rythme de publication ne le permet. Sur les photographies ci-dessus, nous sommes d’abord de retour dans le centre de Shibuya lors d’une journée très ensoleillée faisant apparaître la nouvelle tour de verre de la station de Shibuya comme un mirage au fond du paysage. En abordant la tour 109 depuis le côté gauche, on a l’impression qu’elle a été avalée par le bruit urbain alentour. Lorsqu’on l’approche depuis le grand carrefour de Shibuya, elle apparaît plutôt comme un landmark se détachant clairement des buildings aux alentours par son design lisse et moderne. Le haut de la tour subit quelques travaux car le logo 109 va changer de style. En s’enfonçant un peu dans les rues arrières du centre de Shibuya, on retrouve très rapidement le brouhaha urbain mélangeant les formes et les couleurs. Je me sens obligé de photographier car ce Shibuya là disparaîtra, comme c’est le cas de la zone sud de la gare, à côté de la tour Stream, en redevelopment complet. C’est un peu triste mais c’est le courant des choses. Je montre les deux dernières photographies, prises sur l’avenue Meiji et à Hiroo, pour la lumière plutôt que pour l’objet montré. Cette lumière créant des ombres depuis une vieille moto Indian et éclairant le bout des toitures des temples est tout ce qui importe.

Le dernier album Double Negative du groupe rock slowcore Low est un chef d’oeuvre conceptuel. C’est un monument musical fait de matières abrasives, construit sur un terrain rugueux composé de bruits et de multiples sonorités particulières. C’est sur cet espace inhospitalier que les voix d’Alan Sparhawk et de Mimi Parker viennent se poser en essayant de forcer la voie. L’ensemble donne le sentiment d’un univers musical instable. Le premier morceau Quorum donne une bonne introduction à cet univers. On retrouve cet atmosphère où la voix peine à émerger du son dans les morceaux de shoegazing, mais la musique de Low est plus expérimentale. Des moments plus calme aux sonorités industrielles alternent les passages musicaux altérées. Les morceaux sont en général au tempo lent, ce qui est constitutif du style slowcore. Le deuxième morceau Dancing and Blood me fait penser à l’univers de Burial pour le côté brumeux d’une ville industrielle où se dégagent des voix écorchées. Ce qui fonctionne très bien dans cet album, ce sont les passages très mélodiques alternant avec la dureté des lieux. Les morceaux s’enchaînent sans interruption, ce qui donne l’impression d’un vaste ensemble musical vivant. Les morceaux de Double Negative jouent avant tout sur les émotions, et j’y suis très sensible. Il y a une grande tristesse dans certains morceaux comme le troisième Fly, qui donne la chair de poule. Parfois, la voix est soumise à des obstacles bruitistes semblant insurmontables comme sur le morceau Tempest. Le morceau est difficile à la première écoute, comme le serait un combat et se révèle être, au fur et à mesure des écoutes, d’une beauté indescriptible. J’adore particulièrement la toute fin du morceau, comme une mécanique qui se bloque en boucle infinie. On a même l’impression qu’une présence extra-humaine se dégage de ce bruit en mode drone. Il y a parfois de belle éclaircies franches aux allures pop comme le sixième morceau Always trying to work it out, mais la voix claire en duo est tout de même soumise aux basses lourdes comme des bombardements au fond du paysage et se fait finalement avalée par un torrent magnétique final. Double Negative fait surgir les images. Les nappes musicales de The Son, The sun par exemple m’évoque un vent en terrain désertique, presque lunaire, puis des ambiances de temple oriental dans la pénombre. A ce moment, je pense à nouveau à Burial sur le EP Subtemple. Leurs univers sombres ont certaines ressemblances par moments. On peut écouter et se procurer cet album sur Bandcamp. On peut y lire une description en anglais qui me parle beaucoup. J’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog du sentiment de dualité, ici vue comme un combat, entre la beauté de la voix humaine et la rugosité destructrice du bruit environnemental.

Double Negative is, indeed, a record perfectly and painfully suited for our time. Loud and contentious and commanding, Low fights for the world by fighting against it. It begins in pure bedlam, with a beat built from a loop of ruptured noise waging war against the paired voices of Sparhawk and Parker the moment they begin to sing during the massive “Quorum.” For forty minutes, they indulge the battle, trying to be heard amid the noisy grain, sometimes winning and sometimes being tossed toward oblivion. In spite of the mounting noise, Sparhawk and Parker still sing. Or maybe they sing because of the noise. For Low, has there ever really been a difference?

Cette musique est pour sûr prenante et il faut se trouver dans de bonnes conditions pour l’écouter. En ce qui me concerne, j’aurais du mal à l’écouter à la légère. Je ne connaissais pas du tout le groupe Low, bien qu’ils soient actifs depuis 1993. Double Negative me donne envie de creuser un peu plus cet univers.

Écouter la musique de Low m’inspire une dernière image évoquant un certain minimalisme et les formes non évidentes d’une présence humaine derrière le bruit urbain.