le paon du temple Amabiki Kannon

Dès que l’occasion se présente, nous essayons de sortir de Tokyo pour profiter des montagnes et de la nature revivifiante à une ou deux heures du centre ville. La destination de ce dimanche est le temple Rakuhōji sur la montagne Amabiki (雨引山楽法寺) qui se fait aussi appeler Amabiki Kannon (雨引観音). Cette montagne est située près de la petite ville de Sakuragawa (桜川市) dans la préfecture d’Ibaraki. D’après son appellation, cette montagne appellerait la pluie mais nous avons heureusement été épargnés lors de notre passage. Au tout début du mois de Juillet, les nombreuses hortensias (アジサイ) présentes sur le domaine du temple sont en fleurs, et se déroule même un festival les célébrant. Nous n’étions pas les seuls à avoir fait le déplacement pour venir les voir et la montée par l’étroite route de montagne jusqu’au temple Amabiki Kannon nous a pris une bonne demi-heure d’embouteillages en voiture. Une fois sur place, la foule se disperse heureusement car le domaine du temple en haut de la montagne est assez vaste. Après la première porte, on peut accéder à des allées zigzaguant entre les hortensias. Certaines parties du domaine sont entourées d’un enclos fait d’un petit grillage et d’une porte qu’on nous demande de bien refermer après nous. A l’intérieur de l’enclos, vivent quelques chèvres qui n’ont pas l’air d’être très perturbées par les visiteurs. Je voulais personnellement surtout voir les paons, car je n’en ai pas vu depuis très longtemps (et pour une autre raison qui n’échappera pas aux visiteurs de ce blog). Nous avons assez vite trouvé le paon mâle qui se promenait dans les allées du temple escorté par une armée de photographes qui nous avons aussitôt rejoins. Il n’a malheureusement pas fait la roue malgré nos supplications insistantes. La femelle paon se trouvait un peu loin et attirait tout autant l’attention. Une des particularités du temple pendant le festival est la disposition d’un tapis de fleurs d’hortensias sur un bassin au pied des halls du temple. Cette disposition étonnante attire bien entendu la foule, d’autant plus que des canards blancs ont la bonne idée de venir se reposer dessus ce tapis de fleurs.

Après avoir admiré la vue sur les plaines du Kanto devant nous, nous reprenons la route pour la station routière la plus proche, celle de Mashiko (道の駅 ましこ) qui se trouve dans la préfecture limitrophe de Tochigi. C’est quasiment devenu pour nous une routine de passer par une station routière pour manger ou acheter des légumes, fruits ou plantes locaux avant de reprendre la route vers Tokyo. Les stations routières se sont beaucoup développées ces dernières années, souvent installées en plein milieu de champs mais souvent proches des sorties d’autoroutes. Celles récentes ont assez souvent des architectures intéressantes, comme celle de Mashiko par Mount Fuji Architects Studio (マウントフジアーキテクツスタジオ). La structure des toits de la station routière vient imiter les montagnes environnantes, comme un symbole des lieux. L’intérieur reste un large espace ouvert délimité par d’immenses baies vitrées donnant une vue sur les rizières. Les formes de cette toiture me rappellent un peu la station routière Shōnan (道の駅しょうなん) par le studio NASCA, à Kashiwa (Chiba), mais la conception est en fait assez différente. Du studio Mount Fuji Architects, j’avais déjà découvert quelques unes de leurs créations comme le superbe toit incliné du Rooflag (ルーフラッグ) à Shinonome, le temple moderne Sengyō-ji (仙行寺) et hôtel Siro aux escaliers étranges à Ikebukuro, les maisons individuelles Sakura et M3/KG à Meguro.

Rooflag par Mount Fuji Architects Studio

Rooflag (ルーフラッグ) est un hall d’exhibition pour la société de construction Daito Trust Construction Co.,Ltd. situé dans le quartier Shinonome de l’arrondissement de Koto. Il a été conçu par Mount Fuji Architects Studio, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog, et a été construit en 2020. Sa particularité est bien entendu son immense toiture triangulaire aux dimensions de 60m*50m*34m, construite en bois lamellé croisé (ou Cross Laminated Timber, CLT, en anglais). Ce matériau de construction se présente comme des panneaux massifs constitués de plusieurs couches de bois de résineux collées perpendiculairement les unes aux autres. Dès qu’on entre dans le vaste atrium composé de murs en béton brut et de large baies vitrées sous ce toit triangulaire posé à l’oblique, on est immédiatement impressionné par la beauté de l’espace très lumineux qui est créé. La grandeur de l’espace atteignant quatre étages au niveau de l’entrée est spectaculaire. Il y avait une petite exposition de modèles architecturaux lors de la visite, dont je montre quelques photos sur mon compte Instagram mais mon véritable centre d’intérêt était d’apprécier le temps pensé sous cette toiture de bois oblique. Il faut en fait réserver à l’avance pour voir l’intérieur de l’atrium mais je ne l’ai su qu’après mon passage. Comme j’étais seul, on m’a gentiment laissé entrer et je n’ai donc pas fait le déplacement pour rien. Après cette visite, je continue à marcher dans Shinonome jusqu’aux blocs d’habitation Codan que je n’avais pas vu depuis très longtemps (15 ans). J’y reviendrais certainement dans un prochain billet.

stairs and mesh buildings

L’objectif de mon passage à Ikebukuro était de voir l’hotel Siro conçu par Mount Fuji Architects Studio. Je l’ai déjà montré il y a quelques semaines sur mon compte Instagram et ça doit être la photo la plus aimée jusqu’à maintenant (on reste ceci étant dit dans des proportions tout à fait modestes). La particularité de cet étroit building tout en longueur encastré dans le centre d’Ikebukuro est bien entendu ses escaliers extérieurs prenant différentes formes. L’effet visuel est assez étonnant. Il s’agit d’un petit hôtel avec des intérieurs au design sobre et épuré, qui viennent contraster avec le fouillis visuel du quartier. Je ne viens pas assez souvent à Ikebukuro mais je me rattrape ces derniers temps, depuis que j’ai visité plusieurs fois le quartier limitrophe de Zoshigaya. Je me décide ensuite à marcher depuis Ikebukuro jusqu’au centre de Shinjuku en suivant l’avenue Meiji, mais je bifurque rapidement car je me laisse souvent distraire en route par d’autres rues. Au Sud de la gare, on peut difficilement manquer le building DaiyaGate Ikebukuro (ダイヤゲート池袋) couvert d’un réseau de barres métalliques obliques. Les énormes piliers de béton le soutenant sont également obliques. Il est posé sur une immense plateforme ouverte surplombant une partie du quartier. Une place que l’on peut traverser se forme sous le building. Depuis cette plateforme, on doit pouvoir apercevoir l’ancienne école Jiyū Gakuen, conçue en 1954 par Frank Lloyd Wright, qui se trouve également dans ce quartier, mais je ne l’avais pas encore réalisé au moment de ma visite. Un peu plus loin dans l’arrondissement de Toshima, on remarque aussi forcément l’élégant découpage des vitrages d’un immeuble au béton superbe. Il s’agit d’un bâtiment conçu par Tadao Ando. En parcourant les rues jusqu’à Shinjuku en ce tout début de printemps, je suis absorbé par la mélancolie de Morita Dōji 「春は幻」.

Les hasards des liens internet me font découvrir le blog de Stéphane du Mesnildot, écrivain et journaliste (entre autres) couvrant, depuis 7 ans sur son blog intitulé Jours étranges à Tokyo, le cinéma japonais principalement et la musique japonaise entre autres sujets. Son blog est toujours très actif et extrêmement bien documenté. Je pressens donc que je vais venir le consulter régulièrement pour y trouver un peu d’inspiration. C’est en quelque sorte rassurant de voir des blogs encore actifs car on les voit plutôt disparaître petit à petit ou bloqués sur un dernier billet datant d’il y a deux ou trois ans. Une fois qu’on a fait naître un blog, on ne devrait pas le laisser mourir. Parmi les billets de Jours étranges à Tokyo, je découvre celui sur la mystérieuse chanteuse Morita Dōji (森田童子), que l’on voit toujours le visage à moitié caché derrière une longue chevelure bouclée et des lunettes noires. Ce billet me pousse à écouter l’album A boy (ボーイ) composé de neuf morceaux à la mélancolie saisissante et à la beauté romantique sombre, parfois interrompue par la pluie. Cet album est régulièrement cité dans les listes très subjectives évoquant le meilleur de la musique japonaise, et j’avais déjà tenté d’entrer dans cet univers musical il y a quelques années. Mais ce n’était pas, à cette époque là, le bon moment. La voix fragile, presque nue, de Morita Dōji m’apporte maintenant un certain apaisement après des semaines difficiles. On peut écouter cet album sur YouTube mais on le trouve également sur iTunes (du moins le japonais). J’aimerais trouver cet album en CD mais, datant de 1977, je pense qu’il ne doit exister qu’en vinyl et je l’imagine bien introuvable. Le site web de Disk Union le liste en fait quand même bien en CD mais il n’y a aucun exemplaire en vente.

Sengyō-ji par Mount Fuji Architects Studio

La dernière étape de ma marche depuis Sky House et à travers le temple de Gokokuji était de rejoindre Ikebukuro pour voir un autre temple d’apparence très différente. Cet immeuble fin est également un temple appelé Sengyō-ji (仙行寺). Il a été conçu par Mount Fuji Architects Studio. Ses portes sont ouvertes sur la rue et donnent accès à une salle sombre dans laquelle se trouve une statue de Bouddha. D’extérieur, les façades encerclées de tiges de métal ressemblent à un jardin, car des plantes sont placées sur les balcons de chaque étage. Il y aurait également des cerisiers. J’imagine que cette végétation est amenée à se développer et fera petit à petit ressembler ce temple à une petite montagne paisible en pleine ville.

sakura par Mount Fuji Architects

Après avoir découvert Mosaic house de TNA, je pars à la recherche d’une autre maison particulière se trouvant également dans l’arrondissement de Meguro. Il s’agit de Sakura par l’atelier Mount Fuji Architects Studio. Elle se trouve également perdue dans un quartier résidentiel quelconque n’ayant aucune véritable identité spécifique, et où des maisons se ressemblant toutes sont apposées les unes à côté des autres. Mount Fuji Architects part de ce contexte et de ce constat pour concevoir la maison Sakura. Sur la page du site web de l’atelier décrivant cette maison, Masahiro Harada mentionne avoir été influencé par les maisons de verre de Mies van der Rohe (Farnsworth House) et de Philip Johnson (The Glass House). Ces maisons ont la particularité d’être presque complètement transparentes car tous les murs sont faits de verre. Ce type de configuration murale suppose que ces maisons soient placées dans des lieux à l’écart des regards, en l’occurrence dans des parcs boisés. Sur la maison Sakura, Mount Fuji crée une forêt protectrice grâce à deux surfaces de métal perforées avec un motif traditionnel de cerisier répété et couvrant toute la surface. Derrière cette surface laissant passer des pointes de lumière comme à travers les branchages d’une forêt dense, un espace de verre délimite la zone habitable. Mount Fuji s’est essayé sur cette maison à reconstituer l’espace ouvert et le contexte environnemental des maisons de verre des deux architectes américains, mais dans le contexte spécifique d’une zone résidentielle dense de Tokyo.

La protection par cette forêt imaginaire de cerisiers fonctionne très bien car on n’arrive pas à déceler ce qui se passe à l’intérieur de la maison depuis la rue. Je me demande d’ailleurs quel niveau de transparence on peut avoir sur la rue, depuis l’intérieur de la maison derrière les grands vitrages de l’espace habitable. Les photographies que j’ai pu voir en cherchant peu sur internet, notamment celles que j’emprunte et montre ci-dessus, montrent un effet intéressant et très joli la nuit. Les lumières parsemées qui s’échappent à travers la membrane métallique donne vraiment l’impression qu’il s’agit d’une haute haie d’arbustes. La maison a par contre beaucoup perdu de son éclat avec les années. Je me souviens des photos que l’on pouvait voir dans les magazines d’architecture en 2007, l’année de la construction de Sakura. J’étais impressionné par la pureté de ces murs blancs immaculés accentués par ces délicats motifs de cerisiers. Il y a beaucoup de poésie dans cette apparence, surtout lorsqu’on la place dans une zone résidentielle anonyme. La poésie ne s’est pas perdue avec les années, lorsque l’on voit la maison maintenant, mais force est de constater que la couleur blanche n’est plus aussi éclatante et que des pointes de rouille au niveau des perforations de la surface donnant le motif de cerisier viennent amenuiser un peu la beauté de l’ensemble. Comme pour Mosaic House, ce type de maisons ultra blanches demandent beaucoup d’entretien pour garder leur apparence des magazines et livres d’architecture. Les deux premières photographies du billet prises à l’iPhone se montrent plus tolérantes que les photographies suivantes prises au reflex, en adoucissant un peu les impuretés. J’imagine que prendre cette maison dans des conditions de lumière différentes doit donner une meilleure impression de l’ensemble. Je reviendrais très certainement pour en avoir le cœur net.