the streets #5

J’aime revenir vers mon petit objectif Canon 40mm car il est très léger et discret. Il me permet surtout d’avoir une autre perspective sur mon environnement. Le cadrage serré fait qu’on est obligé de se concentrer sur une proportion très réduite du paysage urbain qui se montre devant nous. Ça me permet de partir vers des photographies plus abstraites, se concentrant sur des parties spécifiques d’objets souvent tronqués car difficile à cadrer dans leur totalité, des textures ou des photographies d’ensemble obstruées par d’autres objets proches comme sur la première photographie de ce billet. Cet objectif me permet de regarder des détails auxquels je n’aurais sinon peut-être pas fait attention. Pour faire écho à un commentaire d’un billet récent de mahl, je me pose aussi régulièrement la question sur l’utilité et le besoin d’expliquer ma démarche photographique. Je le fais la plupart du temps car j’imagine que le visiteur ne prendra pas le temps de poser la question. Les réseaux sociaux nous ont appris à passer vite sur les choses sans s’attarder. Les blogs demandent une disponibilité aux visiteurs qu’ils n’ont en général plus depuis longtemps. Je repense tout d’un coup au billet intitulé don’t wanna come down just let me fly sur le nouveau building Sony de style brutaliste à Ginza. Je n’avais volontairement pas indiqué la manière par laquelle j’avais procédé pour la création des images de ce billet. Je l’explique maintenant brièvement. Chacune des photographies du billet est digitale prise par mon appareil photo et objectif typiques. J’ai d’abord imprimé ces photos sur papier A4, puis je les ai chiffonné à l’excès à la main au point d’en faire des boules de papier. Je les ai ensuite remis à plat sous le poids de plusieurs gros bouquins pendant plusieurs dizaines de minutes. L’étape suivante était de scanner ces photos papier pour les repasser en version numérique sur l’ordinateur. Les versions finales de ces photographies ont finalement subi quelques réglages numériques, notamment une dé-saturation des couleurs pour donner un aspect plus froid et brut. Cette méthode vient en quelque sorte donner un traitement brut à une architecture déjà brute de forme.

Je n’ai pas d’accroche particulière pour le groupe de hip-hop japonais m-flo, fondé par Verbal et Taku Takahashi (高橋拓) à la fin des années 1990, mais je reste tout de même attentif à certaines de leurs collaborations. J’avais par exemple aimé le morceau RUN AWAYS sorti en 2020 en collaboration avec les rappeuses de chelmico, sous le nom m-flo ♡ chelmico, car il était très ludique à l’écoute, surtout dans les accélérations vocales. Je découvre maintenant le single Hypernova avec une chanteuse nommée Maya, sous le nom d’unité m-flo loves Maya. Le chant de Maya est très beau et assez inhabituel car elle a parfois des trémolos dans la voix. La composition est très bien maîtrisée et la production vraiment impeccable. On pourrait seulement reprocher au morceau qui fait seulement 2mins 50s d’être un peu trop court. Sans forcément écouter intensément m-flo, je connais Verbal pour sa participation au super-groupe Teriyaki Boyz avec Ilmari et Ryo-Z de Rip Slyme, Wise et Nigo de (B)ape Sounds, et leur succès international avec le morceau Tokyo Drift pour le film du même nom de la série Fast & Furious. J’avais déjà parlé de ce morceau car il avait été beaucoup repris en version freestyle par différents artistes, notamment Valknee, pendant la première période de confinement de la pandémie au Japon. On ne présente plus Nigo qui est le fondateur de la marque de streetwear A Bathing Ape (Bape), mais Verbal est également fondateur d’une marque, Ambush, avec son épouse Yoon Ahn. Ambush a notamment créé en collaboration avec Nike, la très remarquable tenue de Naomi Osaka pour l’US Open cette année.

Toujours en hip-hop, je me suis laissé agréablement surprendre par un duo de Nene, du Yurufuwa Gang, avec Thelma Aoyama (青山テルマ). Thelma est une chanteuse de R&B devenue depuis quelques temps une personnalité du monde télévisuel. Je ne soupçonnais pas cette possible association de Thelma Aoyama avec Nene pour un morceau de hip-hop, qui est assez éloigné du style qu’on lui connaît. Le single Otsu (乙) est clairement plus proche du son de Yurufawa Gang que du R&B. J’aime beaucoup ce son underground contrastant avec la légèreté un peu insolente du refrain. J’ai l’impression de souvent revenir vers le hip-hop ces derniers temps, car j’y trouve beaucoup de bonnes choses qui me font sortir de mes zones de prédilection rocks. Mais il faudra bien que j’y revienne bientôt.

une série comme les autres (1)

Cette série démarre sur Killer Street puis gagne Kabukichō pour revenir en début de soirée à Sendagaya devant le Tokyo Metropolitan Gymnasium conçu par Fumihiko Maki. Dans ce gymnase, avait lieu ce soir là, la représentation finale du médaillé olympique Kōhei Uchimura. Il se retire à l’age de 33 ans avec 7 médailles dont 3 d’or et 4 d’argent. Les trois colonnes de béton de la première photographie sont celles du bâtiment brutaliste TERRAZZA conçu par Kiyoshi Sei Takeyama de l’atelier d’architecture Amorphe. Sur la quatrième photographie, on peut voir la gigantesque tour de 225m appelée Tokyu Kabukichō Tower, en cours de construction à l’emplacement de l’ancien Tokyu Milano Theater près de la gare Seibu-Shinjuku. On ne s’en rend pas vraiment compte sur cette vue en contre-plongée mais elle est très haute par rapport aux autres immeubles alentours. Cette tour changera certainement un peu plus l’image du quartier et notamment de la place juste devant qui n’est pas toujours bien fréquentée. Elle ouvrira ses portes au printemps, très bientôt donc. Le site est toujours entouré d’une palissade temporaire blanche imprimée par endroits de photographies de Daido Moriyama. Je pense que toutes ces photos ont été prises la même journée, il y a quelques semaines au mois de Mars. J’essaie d’écrire des billets plus courts en ce moment car une certaine lassitude me gagne ces derniers temps. Je ne sais pas encore si c’est provisoire ou plus profond. Je ne me lasse par contre pas de prendre des photos.

De haut en bas: Images extraites des vidéos YouTube des morceaux I RAVE U de HIYADAM et Queendom de Awich.

Je mentionnais récemment que Sheena Ringo allait sortir un nouveau morceau intitulé Ito wo Kashi (いとをかし), également intitulé toogood dans son titre en anglais. Il est désormais disponible. Le morceau est assez dépouillé musicalement, se basant principalement sur un piano sur lequel vient se poser la voix de Sheena Ringo. Musicalement, c’est un très joli morceau plutôt académique mais très agréable à l’écoute. Je ne le trouve par contre pas transcendant ou particulièrement engageant. Il n’a pas la carrure d’un single et je le verrais plus comme un morceau concluant un EP.

Dans un style certes complètement différent et même à l’opposé, je suis beaucoup plus intéressé par le nouvel EP de DAOKO intitulé Mad EP, car elle se réinvente musicalement grâce à l’intervention de Yohji Igarashi à la production. Igarashi pousse DAOKO vers des sons de dance floor qui lui vont très bien. Sa manière de chanter proche du hip-hop ne diffère pas vraiment de ce qu’on connaît de DAOKO sur certains de ses morceaux précédemment, mais sa voix est plus franche et présente, certainement pour ne pas se laisser dévorer par les sons électroniques qui l’accompagnent. Les quatre morceaux du EP sont tous très accrocheurs et sont dans un esprit musical similaire. J’ai une préférence pour le troisième morceau intitulé escape, car il est un peu plus agressif que les autres, et pour le premier morceau MAD également single du EP. Musicalement, ça peut être parfois assez attendu mais je trouve que l’association avec la voix de DAOKO fonctionne très bien.

Le journaliste musical Patrick Saint-Michel évoque cet EP de DAOKO sur sa newsletter. Il mentionne un autre morceau également produit par Yohji Igarashi pour l’artiste hip-hop HIYADAM, car on y trouve des points similaires dans le mélange du hip-hop et des sons électroniques. Ce morceau que j’écoute en boucle s’intitule I RAVE U. Je ne connaissais pas ce rappeur appelé HIYADAM, et c’est une belle découverte qui me pousse une nouvelle fois à écouter du hip-hop japonais. Je découvre ensuite d’autres morceaux de HIYADAM, toujours produits par Yohji Igarashi comme Honey. HIYADAM y est accompagné par Yo-Sea qui a une voix très accrocheuse. Je découvre ensuite Yabba dabba doo! interprété cette fois-ci avec le duo Yurufuwa Gang (ゆるふわギャング). Les lecteurs de ce blog se rappelleront peut-être de Yurufuwa Gang, duo composé de NENE et Ryugo Ishida, car j’en ai déjà parlé lorsque j’évoquais le EP solo de NENE et l’album de Kid Fresino sur lequel ils intervenaient. Leurs voix sont très puissantes et typées. Je continue ensuite sur ma lancée en écoutant le morceau One Way de Ryohu avec YONCE, le chanteur de Suchmos. YONCE a vraiment une belle voix qui contraste bien avec les mots rappés de Ryohu, que je découvre. Le dernier morceau de cette petite série musicale hip-hop est un choc. Je connais assez mal la rappeuse Awich, à part pour des collaborations comme celle avec Kirinji ou avec NENE sur son EP. Je découvre le premier morceau intitulé Queendom de son nouvel album du même nom sorti en Mars, et quelle puissance vocale et quelle force d’évocation! Ce morceau nous parle d’une partie de sa vie lorsqu’elle quitte la ville de Naha à Okinawa d’où elle est originaire pour la ville d’Atlanta. Elle se marie avec un mauvais garçon qui fait de la prison et se fait assassiner. Écouter ce morceau la première fois m’a fait un choc qui m’a donné les larmes aux yeux.

お化けが見えないけど (1)

Nous sommes souvent allés à la frontière du quartier de Yanaka, jusqu’à la rue Kototoi au niveau du temple Jomeiin près de Uenosakuragi, et même entrés une ou deux fois dans le cimetière Yanaka Reien, mais je n’avais personnellement jamais eu l’occasion de visiter le quartier dans son ensemble. Je rattrape ce retard pendant ma semaine de congé à la fin du mois de Juin, qui me paraît bien éloignée maintenant. J’avais bien choisi mon timing car il n’y avait presque personne dans le quartier. Avec mon appareil photo en bandoulière, on a dû penser que j’étais le seul touriste dans le coin. Yanaka est un quartier de cimetières et de temples bouddhistes, établi pendant la période Edo. Le shogunat Tokugawa plaçait volontairement des groupes de temples à la périphérie d’Edo comme postes avancés en cas d’invasion ennemie. Je me souviens également de ce type de configuration à Kanazawa avec un ensemble similaire de temples dans le quartier de Teramachi. Le quartier de Yanaka est resté quasiment intact, et il reste peu ou pas de zones telles que celui-ci à Tokyo. En plus parsemé, je pense aussi à la zone de temples à Takanawa, car le grand temple Sengakuji date de l’époque Edo et est également entouré d’une multitude d’autres petits temples que j’avais parcouru autour de la petite rue aux fantômes Yūrei-zaka. Il doit y avoir 18 temples principaux dans le quartier de Yanaka desservi par la ligne Yamanote au niveau de la gare de Nippori. Avant de partir, j’avais sélectionné quatre ou cinq temples que j’avais l’intention de voir car je ne me sentais pas le courage de visiter les 18 temples du quartier. On ne peut pas dire que les temples de Yanaka soient grandioses comme ceux qu’on peut voir à Kamakura par exemple, mais l’ambiance générale du quartier est des plus paisibles et en fait un endroit idéal pour s’évader un peu loin des routines quotidiennes. Le premier temple que je vais voir, Tennōji, est en fait le plus ancien car il date de 1274, mais a subi des reconstructions car on voit maintenant des piliers de béton sur un des bâtiments principaux. Il se situe à quelques mètres seulement de la sortie de la gare de Nippori et on peut y accéder par une ruelle longeant la voie. Tennōji était initialement un des temples les plus importants du quartier et le grand cimetière Yanaka Reien lui était rattaché. Une grande statue de bronze datant de 1690 nous attend à l’entrée. Elle est placée dans un jardin intérieur très bien entretenu. On se croirait en dehors de Tokyo, si la vue n’était pas gâchée par des hauts immeubles d’habitation quelconques construits de l’autre côté de la gare. Je traverse ensuite le labyrinthe du cimetière en croisant un groupe de travailleurs faisant une pause devant une tombe. J’imagine qu’ils travaillent à remettre en état certains espaces du cimetière mais j’ai le sentiment en les regardant furtivement qu’ils prennent leur temps. Après tout, les habitants de ces lieux ont l’éternité devant eux. J’évite de prendre des photographies dans le cimetière car Mari me l’avait formellement interdit, au cas où, peut être, des esprits auraient la bonne idée de vouloir se montrer au moment où j’appuie sur le déclencheur. À ce moment là, je repense à l’album Yūrei Tachi de Moe and Ghosts, qui aurait été très adéquat avec l’atmosphère des lieux, mais je vais plutôt parler d’autre musique toujours dans le style hip-hop.

Ces derniers temps, je suis parti en exploration du hip-hop japonais et je continue un peu plus avec le EP Yumetaro par NENE de Yurufuwa Gang. On entre là dans un univers plus sombre où des présences fantomatiques se révèlent. C’est ce qu’elle chante dans le troisième morceau Jiai (慈愛) d’une voix se laissant porter par les nappes électroniques répétitives qui remplissent l’espace. « お化けが見える、ここ最近ずっと、気にしてないげ » (Je vois des fantômes, sans arrêt ici ces derniers temps, mais je ne m’en préoccupe pas). C’est un des morceaux les plus sensibles du EP. Le titre du premier morceau Yamabiko (山彦) fait également référence à un esprit ou créature surnaturelle vivant dans les montagnes. La moitié des morceaux se composent de collaboration avec d’autres artistes hip-hop. Sur le deuxième morceau 6969, NENE est accompagnée au chant rappé par Ryugo Ishida, l’autre moitié du groupe Yurufuwa Gang. La voix un peu étouffée de NENE, qui s’échappe devant des sons qu’on pourrait croire sorti d’un matsuri de quartier, s’accorde bien avec la présence forte de la voix d’Ishida, qui n’en reste pas moins inquiétante. Il y a une ambiance flottante dans ces morceaux et le quatrième morceau Make it avec une autre artiste hip-hop en duo, Awich, s’inscrit bien dans cette atmosphère. Les deux morceaux qui suivent changent de cap progressivement, avec Dilemma allant plutôt vers le registre rock avec la présence de sons de guitare, et le dernier morceau Inferno beaucoup plus brut dans ces sonorités et la manière de rapper du groupe. On y ressent une puissante brute et décapante, comme une colère, criée à plusieurs voix. L’ambiance de ce EP est une belle surprise, très différente du hip-hop japonais qui j’ai écouté jusqu’à maintenant.