the mountain and the sea

Les quelques scènes prises au bord de l’océan près de Numazu dans la préfecture de Shizuoka datent déjà de plusieurs mois. Le ciel est couvert mais on aperçoit tout de même le Mont Fuji au loin depuis le Mont Kanuki (香貫山). La plage bordée par une forêt de mille pins (千本松原) est toujours synonyme pour moi de vents forts. Le temps était pourtant calme et reposant aujourd’hui. Il y a quelques pêcheurs au bord de l’océan qui ne semble pas être destinée à la baignade car personne ne s’y aventure. La plage n’est pas nettoyée, couverte de toutes sortes d’objets rejetés par la mer qu’ils soient naturels ou non. J’envie les cyclistes qui roulent sur le terre-plein bordant la plage dont on ne voit pas la limite. On doit pouvoir se vider de tout lorsqu’on parcourt cette longue ligne droite accompagnant l’océan. Tout paraît infime devant cette immensité. Le midi, nous voulions déjeuner dans un des restaurants de la chaîne Sawayaka (炭焼きレストランさわやか) spécialisée dans les Hamburgers et présente seulement dans la préfecture de Shizuoka. Nous savions que cette chaîne de restaurants était très populaire mais on ne s’attendait pas aux 300 minutes d’attente que nous annonçait le ticket de réservation à l’entrée. On a même pris la peine de confirmer qu’il ne s’agissait pas d’une erreur, 30 minutes peut-être, mais non, l’attente est bien de 5 heures. Nous viendrons donc y dîner plutôt que déjeuner. Le principe semble être que l’on prend son ticket pour revenir ensuite plus tard. Le repas était certes très bon mais ne justifie en rien cinq heures d’attente.

L’email du fan club Ringohan du Lundi 27 Mai 2024 a été une vraie surprise. Sheena Ringo aime les dates anniversaire et elle a choisi les 26 ans de la sortie de son premier single Kōfukuron (幸福論) pour annoncer un nouvel album et une tournée nationale cette année. On pouvait s’attendre à la sortie d’un nouvel album solo, car Tokyo Jihen est malheureusement au point mort depuis quelques temps, mais pas aussi tôt, la sortie étant prévue deux jours plus tard le 29 Mai 2024. Ce type d’annonce soudaine est plutôt inhabituelle mais pour être très honnête, j’avais cette date en tête depuis plus d’un mois car une rumeur avait annoncé la sortie d’un nouvel album ce jour là suite à une mauvaise manipulation d’un site de vente en ligne l’ayant annoncé avant l’heure. Ce nouvel album s’intitule Hōjōya (放生会), faisant référence directe à un festival organisé chaque année du 12 au 18 Septembre dans un sanctuaire nommé Hakozaki à Hakata dans la ville de Fukuoka, d’où Sheena Ringo est originaire. On dit que le morceau plus ancien Omatsuri Sawagi (御祭騒ぎ) de Tokyo Jihen sur l’album Kyōiku (教育) faisait aussi référence à ce festival. Outre l’album, l’autre bonne nouvelle est l’annonce d’une tournée nationale de type Ringo Expo, c’est à dire dans des grandes salles de type Arena, du 5 Octobre au 15 Décembre 2024, avec des dates à Aomori, Niigata, Osaka (2), Shizuoka, Saitama Super Arena (3), Fukui et un final à Fukuoka. La tournée prendra le nom de Ringo Expo’ 24 – Keiki no kaifuku – ((生)林檎博’24-景気の回復-). J’avais un peu hésité à renouveler ma souscription au fan club Ringohan vu le peu de sortie et de nouveautés ces derniers mois, mais je vois que j’ai bien fait de mettre à jour ma souscription.

Après l’annonce de l’album Hōjōya le Lundi 27 Mai, je suis parti l’acheter le jour d’avant la sortie officielle, le Mardi 28 Mai au Tower Records de Shibuya. L’autre surprise de cet album est qu’il contient beaucoup de duo avec certaines artistes que j’apprécie depuis plus ou moins longtemps. Sur un total de 13 morceaux, 7 sont des duos avec Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) de Tricot, la rappeuse mainstream AI, Nocchi (のっち) échappée de Perfume, Utada Hikaru (宇多田ヒカル), Suzuka d’Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ), DAOKO et Momo (もも) de Charan Po Rantan (チャラン・ポ・ランタン). A part le morceau avec Utada Hikaru que l’on connaît déjà, ce sont tous des morceaux inédits qui sont d’ailleurs très clairement les plus intéressants de l’album. Par rapport à Sandokushi (三毒史) où les duos étaient tous avec des interprètes masculins, ils sont ici uniquement avec des voix féminines. Sur Sandokushi, les duos étaient alloués aux numéros pairs des morceaux, contrairement à ce nouvel album où les duos sont les titres impairs, comme si ces deux albums venait se compléter. Autres détails tout à fait Ringoesques, les deux albums font 13 morceaux contenant un nombre fixe de 5 caractères (Kanji, Hiragana ou Alphabet) et possèdent tous les deux une inscription en écriture Sanskrit sur la couverture. Les voix sur Sandokushi étaient de chanteurs plus âgés que Ringo, tandis que les chanteuses sur Hōjōya sont plus jeunes qu’elle, comme s’il s’agissait sur ce nouvel album d’une sorte de passage de relais. Outre les duos, les autres morceaux sont pour la grande majorité déjà sortis en single mais apparaîssent sur ce nouvel album dans des versions complètement réorchestrées, souvent pour le meilleur. Comme je le disais plus haut, les duos sont très clairement les morceaux les plus intéressants de l’album et ceux que j’aime réécouter. Depuis le Mardi 28 Mai à minuit, on peut d’ailleurs voir les vidéos de six de ces morceaux en duo. Ces vidéos sont toutes réalisées par Yuichi Kodama dans un décor unique de grand cabaret. C’est d’ailleurs l’ambiance générale de l’album. Une des grandes surprises est d’entendre Nocchi de Perfume chanter sans aucun effet vocoder. De Perfume, j’ai toujours eu une préférence pour la personnalité de Nocchi par rapport aux deux autres membres du groupe, mais je n’ai jamais vraiment écouté ni apprécié la musique de Perfume. Cela a pris apparemment 20 ans à Ringo pour convaincre Nocchi de chanter en solo sur un morceau avec elle. 1RKO (初KO勝ち) est un des meilleurs morceaux de cet album. La vidéo avec gants et match de boxe est particulièrement réussie. Je suis également très agréablement surpris par l’intensité du morceau A procession of the living (生者の行進) avec la rappeuse AI. On ne peut pas dire que j’aime la musique de AI, mais sa voix est puissante et percutante sur ce morceau, de quoi venir défier Ringo qui ne s’efface pourtant pas. On éprouve une jubilation certaine à écouter ce morceau dans une ambiance jazz assurée entre autres par Shun Ishiwaka (石若駿) et Keisuke Torigoe (鳥越 啓介). Ses deux musiciens déjà présents sur la tournée de 2023 jouent sur tous les morceaux. On également le plaisir d’attendre Ichiyō Izawa (伊澤 一葉) de Tokyo Jihen intervenir sur certains morceaux. Je ne cache pas mon plaisir d’entendre Ikkyu Nakajima chanter avec Ringo sur le morceau d’ouverture de l’album Offering sake (ちりぬるを). Ce n’est pas le morceau le plus marquant de l’album à la première écoute mais il est vraiment très beau. La encore, la vidéo est très intéressante pour le mimétisme d’Ikkyu ressemblant volontairement à Ringo. Le petit détail amusant de la vidéo est de montrer côte à côte sur un panneau du grand cabaret les chiffre 193 (pour I・kyu・san) et 417 (pour Shi ・i ・na). Je ne cache pas non plus mon plaisir d’écouter le morceau A grand triumphant return (余裕の凱旋) avec DAOKO. J’avoue que j’aurais préféré la voix rap de Daoko comme sur le remix de Ishiki (意識), mais c’est sa voix kawaii qu’elle utilise sur ce morceau. J’étais de ce fait assez circonspect à la première écoute du morceau en regardant la vidéo sur YouTube, mais il s’avère être un des morceaux que je préfère de l’album. Ringo utilise une voix assez similaire à DAOKO et on a même un peu de mal à les distinguer l’une de l’autre. DAOKO a certaines expressions de voix que j’adore. C’est amusant car j’avais tout récemment parlé de cette similarité entre DAOKO et Ringo dans leur capacité à changer complètement le ton de leurs voix, sans savoir qu’un duo avait déjà été enregistré. Tout comme pour Ikkyu, je pense que j’avais déjà imaginé depuis longtemps un duo de DAOKO avec Ringo. Dans la vidéo du morceau, l’inscription Y-Y World fait référence au thème d’ouverture de la série animée Dr Slump d’Akira Toriyama. Les esprits attentifs ont remarqué que Daiki Tsuneta affiche une image de la petite Arale de Dr Slump sur son entête Twitter. J’imagine que cette correspondance est volontaire et indiquerait peut-être de futurs projets communs. Ce n’est que pure supposition. Toujours est-il que les nouvelles vidéos de Sheena Ringo sont pleine de correspondances avec d’autres vidéos ou émissions passées. On ne peut pas tout citer, mais je reconnais par exemple la robe de la vidéo du morceau avec AI car elle l’avait déjà porté lors de l’émission radio School of Lock avec Ichiyō Izawa. On retrouve aussi les sacs NASA et les gants de boxe déjà vus auparavant. Dans les très bons moments de l’album, on trouve également ce duo presque inattendu avec Suzuka d’Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ). Encore une fois, c’est amusant car je parlais du groupe dans un billet récent. Seule Suzuka chante sur ce morceau intitulé FRDP (ドラ 1 独走) mais le reste du groupe est présent et danse autour sur la vidéo. Suzuka s’en sort vraiment très bien car elle a une voix puissante, roulant même légèrement les « r » par moment. Je me souviens très bien d’une scène du dernier Kōhaku où Ringo regardait d’un air amusé mais un peu détaché le groupe chanter et danser sur la scène des studios de la NHK. Ça a peut-être été le déclencheur de ce duo. Le dernier morceau de l’album est un duo de Momo (もも) du groupe Charan Po Rantan (チャラン・ポ・ランタン) intitulé cheers beers (ほぼ水の泡). Ce morceau éloge de la boisson alcoolisée est le plus festif et démesuré de l’album, mais cette atmosphère est communicative. Sur la vidéo, on voit d’ailleurs que Ringo apprécie clairement le duo car elle est tout sourire par moments. Le single The moon and the sun (浪漫と算盤) avec Utada Hikaru est au centre de l’album, comme pour montrer la relation privilégiée entre les deux artistes qui ont déjà chanté plusieurs fois ensemble sur leurs albums respectifs. C’est d’ailleurs le duo Nijikan Dake no Vacances (二時間だけのバカンス) sur l’album Fantôme de 2016 qui m’a fait revenir vers la musique d’Utada Hikaru. La version TYO de The moon and the sun sur le nouvel album est différente de celle originale (la version LDN) présente sur la compilation Newton no Ringo (ニュートンの林檎) sortie en 2019. J’ai une préférence pour cette version basée sur la guitare, qui a tout à fait sa place en position centrale de l’album.

Les autres morceaux sont en comparaison moins intéressants car on les connaît déjà, même si l’orchestration est très différente. Le single Watashi ha Neko no Me (私は猫の目) accueille une orchestration particulièrement dense, qui rend la version originale assez fade mais qui tourne malheureusement à l’excès. C’est une critique que je peux faire régulièrement sur certains morceaux de Sheena Ringo qui tendent vers une certaine forme de maximalisme musical. Quelques cuivres en moins auraient rendu le morceau beaucoup plus équilibré et moins fatiguant. On trouve également As a human (人間として) sorti récemment, qui est un morceau assez beau mais qui peine à m’intéresser. On retrouve l’excès instrumental sur le morceau Open Secret (公然の秘密) déjà sorti sur l’album de compilation Newton no Ringo (ニュートンの林檎). On voudrait lui dire de lâcher un peu les rênes pour alléger le morceau. Ecouté indépendamment, le morceau est tout à fait appréciable, mais je trouve qu’il vient alourdir l’album. Le morceau closed truth (茫然も自失), chanté en espagnol argentin, est en comparaison beaucoup plus apaisé mais peine également à accrocher mon oreille. Et pourtant, la manière atypique de chanter de Ringo est vraiment intéressante, ce qui me fait dire que ce morceau devrait se révéler après plusieurs autres écoutes. La réorchestration du morceau Bye Purity (さらば純情) déjà présent en face B du single Watashi ha Neko no Me est par contre une excellente surprise, tout comme toogood (いとをかし) vers la fin de l’album. J’ai toujours trouvé ce morceau insignifiant mais il prend ici une toute autre forme, moins minimaliste et plus engageante. Il reste un petit moment apaisant avant le final de Ringo et Momo. Je trouve au final l’album assez irrégulier avec d’excellents duos, et d’autres morceaux que je n’écouterais à priori pas très souvent. On peut saluer la grande unité stylistique de l’album, par rapport à Sandokushi qui était beaucoup plus hasardeux, mais l’ensemble est très dense parfois dans des styles un peu similaire à Hi Izuru Tokoro (Sunny). Le premier morceau avec Ikkyu se nomme par exemple Chirinuruwo (ちりぬるを) qui est tiré du poème Iroha (いろは) de Kūkai (空海) tout comme le titre du morceau Irohanihoheto (いろはにほへと) de l’album Hi Izuru Tokoro. La flûte de paon de Chirinuruwo nous rappelle tout de suite certains morceaux de Hi Izuru Tokoro. Cela donne à l’album Hōjōya une atmosphère familière qui n’est en contre partie pas vraiment novatrice. On a souvent le sentiment d’avoir déjà écouté un morceau similaire de Sheena Ringo, mais il faut avouer que la qualité des compositions est bien là. La plupart de ces morceaux n’ont rien de standard. Leur complexité et sophistication nous saisissent à la première écoute. Tout comme sur Sandokushi, les transitions sont impeccables, au centième de millimètres. Je pense que j’apprécie beaucoup toogood pour la manière dont il démarre soudainement juste à la fin du morceau avec DAOKO. Je ne pense pas que ce nouvel album fera changer d’avis ceux qui ont arrêté en cours de route l’écoute des albums de Sheena Ringo, mais il y a suffisamment de pépites pour ne pas laisser indifférent.

Bien que j’ai acheté l’album à Shibuya, je n’ai pu m’empêcher d’aller faire un petit tour rapide au Tower Records de Shinjuku car on pouvait y trouver une installation pour l’album. Un peu plus loin dans les couloirs de la gare de Shinjuku, je savais que plusieurs affiches la montrait pour une publicité pour le whisky AO de la marque Suntory. Sur la vidéo de cette publicité, Ringo chante le morceau en espagnol 茫然も自失 (closed truth) en portant un verre de whisky à la main dans l’ambiance sombre d’un cabaret. Et tout d’un coup, avoir des images accompagnant ce morceau lui donne plus de consistance.

Pour revenir à l’album, il reste encore beaucoup de “mystères” à résoudre. Dans les vidéos des six morceaux avec invitées, le cabaret prend le nom étrange de Turritopsis. Wikipedia m’apprend qu’il s’agit d’une espèce de méduse ayant la ‘particularité d’avoir une capacité d’immortalité biologique, en revenant de façon cyclique, du stade de méduse au stade de polype, par inversion de processus de vieillissement’. J’imagine qu’elle a choisi ce nom en référence au fait qu’elle a choisi des invitées pour les duos qui sont plus jeunes qu’elle et avec qui elle a une certaine correspondance, indiquant d’une certaine manière ce processus de relais aux générations plus jeunes. Dans les titres de ses concerts, je trouve aussi qu’il a régulièrement une référence à la prise d’âge sur laquelle on ne doit pas se résigner. Le sous-titre de Ringo Expo’14 est par exemple 年女の逆襲 qui donne une idée de contre-attaque et celui de Ringo Expo’18 不惑の余裕 donne une idée qu’il reste encore beaucoup de marge, sous-entendu de temps pour faire les choses. Un autre “mystère” est la présence de 7 chats sur la couverture du nouvel album. On reconnait bien sûr Sheena Ringo au centre en chat noir avec une guitare et la coiffe de son dernier concert. On reconnait aussi les quatre chats en haut à droite représentant les quatre filles d’Atarashii Gakko! avec notamment le chat à lunettes pour Suzuka. C’est par contre beaucoup plus difficile de reconnaitre les six autres chats. Où sont Nocchi, Ikkyu, AI, Momo, DAOKO et Hikaru?

Pour référence ultérieure, ci-dessous est la liste des morceaux de l’album Hōjōya (放生会) de Sheena Ringo (椎名林檎):

01. ちりぬるを (offering sake) feat. Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) de Tricot et Genie High (ジェニーハイ)
02. 私は猫の目 album ver. (I’m free, Watashi ha Neko no Me)
03. 生者の行進 (a procession of the living) feat. AI
04. 人間として (as a human)
05. 初KO勝ち (1RKO) feat. Nocchi (のっち) de Perfume
06. 公然の秘密 album ver. (open secret)
07. 浪漫と算盤 TYO album ver. (the moon and the sun) feat. Utada Hikaru (宇多田ヒカル)
08. 茫然も自失 (closed truth)
09. ドラ 1 独走 (FRDP) feat. Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ)
10. さらば純情 album ver. (bye purity) 
11. 余裕の凱旋 (a triumphant return) feat. DAOKO
12. いとをかし album ver. (toogood) 
13. ほぼ水の泡 (cheers beer) feat. Momo (もも) de Charan Po Rantan (チャラン・ポ・ランタン)

青く冷えてゆく東京

Je pense avoir déjà montré au moins une fois ces bâtiments sur Made in Tokyo, à part la maison noire aux lignes obliques sur la quatrième photographie et la résidence de béton sur la dernière photographie. La petite maison noire avait arrêté notre élan alors que je me promenais à vélo avec Zoa jusqu’au parc olympique de Komazawa en traversant le quartier de Shimouma. Dans ces cas là, Zoa m’autorise à chaque fois à m’arrêter quelques minutes au bord de la route pour prendre des photos. Je retiens parfois mon besoin compulsif de prendre des photos, mais la tentation est trop forte dans certains cas, surtout lorsqu’il y a de l’oblique ou d’une manière générale des formes non conventionnelles. Le bâtiment long et massif sur la dernière photographie se trouve à proximité de la tour Prime Square à Ebisu. Le béton est massif, sans fenêtres sur la rue, et sa texture est superbe. L’architecture que j’aime voir ne correspond pas toujours à l’architecture dans laquelle j’aimerais vivre. J’imagine que les fenêtres se trouvent de l’autre côté car il semble y avoir une cour intérieure. La rue est certes étroite mais n’est pas excessivement empruntée et il n’y pas de très fort vis-à-vis. Je me pose donc la question de la suppression quasi-totale des ouvertures. L’espace creusé dans le béton au rez-de-chaussée est une place de parking et donne accès à une porte qui n’est pas à priori la porte d’entrée principale de chaque habitation à l’intérieur de cette résidence. Elle s’appelle Kōyōsō (向陽荘) mais je n’ai pas trouvé d’autres informations à son sujet. Les autres photographies ont été prises principalement à Yoyogi Uehara et un peu plus loin vers Shōtō. Je marche assez souvent vers Yoyogi Uehara en ce moment, quartier que j’ai beaucoup exploré il y a plusieurs années. Sur l’avant dernière photographie, la lumière du soir vient se refléter doucement sur les parois de l’hôtel Prince Smart Inn à Ebisu. En prenant cette photo, je me rends compte que je pense un peu trop mes photographies en terme d’objet plutôt qu’en terme de lumière. Il faudrait que je garde cela un peu plus en tête, quitte à me diriger vers un peu plus d’abstraction visuelle.

Image montrée sur le compte Twitter de Music Station: AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) à gauche et Sheena Ringo (椎名林檎) à droite, toutes les deux vêtues d’une robe Prada, superbe il faut bien le dire, avant l’interprétation de Gunjō Biyori (群青日和).

Je mentionnais dans un billet récent que j’attendais avec une certaine impatience de voir à la télévision la prestation de la formation spéciale Elopers réunie par Sheena Ringo. C’était le Vendredi 15 Octobre 2021, à l’occasion des 35 années de l’émission musicale Music Station animée sans discontinuer par Tamori. Tamori est d’ailleurs désormais inscrit au livre Guinness des records pour cette longévité inégalée pour une émission se déroulant en direct. Autant j’aime sa présence et sa vivacité d’esprit dans une émission comme Bura Tamori (ブラタモリ) sur NHK, autant il semble un peu ailleurs sur Music Station. Il faut dire qu’il a plus de 70 ans. Je ne critique pas du tout le personnage ceci étant dit, car je pense qu’il aime authentiquement les artistes qui participent à son émission tant qu’ils ou elles lui retournent bien les marques de respect. Tous les artistes ne sont malheureusement pas invités dans cette émission et il est extrêmement rare d’y voir des artistes indépendants s’y produire. Même dans le mainstream, j’ai l’impression qu’il faut avoir la bonne carte pour y participer et ce sont souvent les mêmes têtes que l’on voit. Sheena Ringo est mainstream et possède la carte, et ce depuis ses débuts, donc on la voit assez régulièrement, au moins quand elle ou Tokyo Jihen sortent un nouveau single ou un nouvel album. C’est très loin de me déplaire bien entendu. Elle a tellement la carte qu’elle peut même se permettre de jouer un ancien morceau comme Gunjō Biyori (群青日和) de Tokyo Jihen, sorti il y a plus de 15 ans. Cette émission spéciale de 4 heures fêtant les 35 ans de Music Station comportait de toute façon de nombreuses séquences rétrospectives, donc jouer un morceau classique de Tokyo Jihen était loin d’être hors sujet.

Image montrée sur le compte Twitter de Music Station: La formation Elopers au complet avec de gauche à droite: Sheena Ringo (椎名林檎), Hona Ikoka (ほな・いこか), Yuu (ユウ), AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) et Shiori Sekine (関根史織). Les chemises de style grunge sont, contrairement à ce qu’on pourrait d’abord penser, de la marque Gucci, Celine ou encore Loewe.

Sheena s’était entourée de Yuu (ユウ, Yumi Nakashima) du groupe Chirinuruwowaka (チリヌルヲワカ) mais auparavant de GO!GO!7188, Shiori Sekine (関根史織) du groupe Base Ball Bear, Hona Ikoka (ほな・いこか) du groupe Gesu no Kiwami Otome (ゲスの極み乙女。) et AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) de BiSH. Hona Ikoka était à la batterie, Shiori Sekine à la guitare basse, Yuu et Sheena à la guitare électrique et AiNA seule au chant. La surprise, mais je m’y attendais un peu, était que Sheena ne chantait pas et jouait seulement de la guitare. Elle s’était même placée un peu en retrait dans le coin gauche de la scène, comme pour laisser la place aux autres et notamment à AiNA au chant. J’imagine la pression pour AiNA si Sheena était juste à côté et ce retrait est certainement volontaire. Dans l’interview avec Tamori avant l’interprétation sur scène, AiNA nous explique qu’elle avait demandé cinq fois à Sheena si elle voulait vraiment qu’elle fasse partie du groupe au chant. AiNA est clairement la plus jeune et deux autres membres sont également chanteuses dans leurs groupes respectifs (Yuu et Sheena). Je trouve qu’on remarquait cette pression sur ses épaules notamment au début du morceau, mais AiNA a fini par libérer son chant dans la deuxième partie du morceau. A ce moment là, elle chantait un peu plus à sa manière et c’est ce qu’on attendait. C’est d’ailleurs amusant de voir Sheena sourire légèrement de satisfaction vers la fin du morceau. La voix d’AiNA est loin d’égaler celle de Sheena mais elle est différente, plus torturée peut-être, et elle ne sera pas excellente sur tous les morceaux qui se présentent à elle. Le final de Gunjō Biyori était particulièrement savoureux. La force des trois guitares s’y conjuguaient dans un bruit électrique qui faisait sourire AiNA de soulagement. Ce dernier solo était moins bien exécuté que quand Tokyo Jihen le joue à quatre guitares (Ukigumo, Izawa, Kameda et Sheena) mais il s’en dégageait beaucoup de puissance. J’aimerais bien que ce groupe continue en parallèle de Tokyo Jihen, même de manière très épisodique, et pourquoi ne pas composer des nouveaux morceaux chantés à trois voix (Sheena, Yuu et AiNA)? Il y a là, à mon avis, un potentiel à développer. Sheena nous disait dans l’interview initial de Tamori qu’elle avait découvert AiNA dans cette émission Music Station et avait été impressionné par sa voix. On sait aussi que Kameda avait arrangé les musiques et produit le premier album d’AiNA. Il y a donc fort à parier que ça ne sera pas la dernière collaboration entre ces deux artistes. Ceci étant dit je ne pense pas avoir déjà entendu un morceau en duo entre Sheena et une autre chanteuse. Elle a fait de nombreux duo mais toujours avec des voix masculines fortes et typées (Miyamoto Hiroji par exemple, qui était également présent dans l’émission ce soir là).

Image montrée sur le compte Twitter de Daiki Tsuneta: Le groupe King Gnu au complet avec de gauche à droite: Yū Seki (Batterie), Kazuki Arai (Basse), Daiki Tsuneta (guitare) et Satoru Iguchi (Voix et clavier), ainsi que leurs versions enfants que l’on peut voir dans la vidéo du morceau BOY et sur la scène de Music Station. A noter que satoru Iguchi a le même t-shirt que dans la vidéo de Teenage Forever, ce qui semble créer des liens entre les morceaux.

L’autre groupe que je voulais absolument voir lors de cette émission était King Gnu. Ils passaient juste après Elopers et interprétaient un nouveau morceau intitulé BOY que je n’avais jamais entendu car il sortait le jour même. Dans la vidéo réalisée par Osrin de Perimetron, les membres de King Gnu sont joués par des enfants et la surprise était que ces mêmes enfants étaient présents sur scène à la place de King Gnu pendant l’émission Music Station. Ils étaient d’abord présents près de Tamori pour une courte interview, et le petit garçon jouant le rôle de Satoru Iguchi ne s’est pas démonté en répondant aux questions. Mais comme on lui posait une question enfantine (qu’est ce que tu aimes comme plat), il a eu la bonne répartie de poser exactement la même question avec un air un peu moqueur à un des invités assis à côté de Tamori, sous l’étonnement général. Je n’ai malheureusement pas pu me concentrer sur l’écoute du morceau pendant la prestation, car voir des enfants faire semblant tant bien que mal de jouer sur scène comme King Gnu m’a quand même un peu perturbé. Le groupe intervenait quand même en deuxième partie de morceau, ce qui m’a tout de suite rassuré. J’ai eu peur qu’ils n’apparaissent pas du tout sur scène pendant l’émission. Ils en auraient été capable. Le morceau en lui même est dans la ligne directe des autres morceaux de King Gnu. On n’y trouvera pas une grande originalité mais il est accrocheur dans l’ensemble. Sur la scène, j’ai particulièrement aimé le jeu de guitare de Daiko Tsuneta, tout en distorsions ce qui m’a rappelé l’émission KanJam avec Tokyo Jihen où le sujet des distorsions (歪み) était longuement évoqué (à propos des distorsions à la guitare basse dont Seji Kameda est spécialiste). Après plusieurs écoutes du morceau BOY sur YouTube, je l’aime finalement beaucoup.

L’autre curiosité était un morceau d’une dizaine de minutes de Perfume et Daichi Miura, accompagnés des danseuses et danseurs de ELEVENPLAY et SP Dancers. Je ne suis pas particulièrement amateurs de Daichi Miura (三浦大知) ou de Perfume, mais j’étais très curieux de voir les chorégraphies imaginées par MIKIKO et les effets spéciaux sur scène de Rhizomatiks. Ce n’est pas la première fois que MIKIKO et Rhizomatiks interviennent sur les chorégraphies et l’animation sur scène de Perfume. Le groupe est d’ailleurs connu pour sa qualité scénique. ELEVENPLAY faisait les raccords entre les prestations de Perfume et Daichi Miura, ce qui donnait un ensemble très fluide et beau visuellement. J’en arrive même à apprécier le morceau que Perfume interprétait, leur dernier single Polygon Wave, ce qui est une première pour moi. Mais je suis en ce moment dans une phase où j’aime à peu près toutes les compositions musicales de Yasutaka Nakata, j’y reviendrais certainement un peu plus tard.

Le titre du billet est tiré des paroles de Gunjō Biyori (群青日和) et vient signifier que Tokyo se refroidit, ce qui est tout à fait de saison aujourd’hui.

quand une nouvelle année commence

C’est en quelque sorte une tradition de regarder l’émission musicale de la NHK Kōhaku Uta Gassen NHK紅白歌合戦 pour le réveillon du 31 décembre et nous n’y dérogeons pas cette année. Avec les années, j’ai même appris à apprécier cette émission au point de ne pas vouloir la manquer. Elle permet de faire un tour d’horizon de tous les artistes et groupes qui ont bien marché commercialement pendant l’année. L’émission comporte bien sûr son lot d’artistes d’un autre âge chantant toujours les mêmes morceaux tous les ans, du Enka par exemple, Matsuda Seiko qui chante encore et toujours les chansons de ses débuts, ou des vieux tubes légèrement mis à jour, ainsi que tous les groupes de l’agence d’idoles masculines Johnny’s Entertainment qui brillent par la répétition des mêmes formules mièvres et sans intérêt.

Malgré cela, la rétrospective du mainstream japonais est assez bien représentée, donc donne un très bon aperçu culturel de ce qui a compté cette année pour le « meilleur » comme ce morceau Lemon de Kenshi Yonezu 米津玄師 aux 250 millions de vues sur YouTube ou le « pire » comme le morceau U.S.A. du groupe DA PUMP reprenant des rythmes eurobeat revisités. Le « pire » car ce morceau de DA PUMP tombe dans les profondeurs abyssales du non-intérêt musical, mais est tout de même repris à toutes sauces dans les médias et même à un moment du spectacle comique que nous avons vu à Ginza. Le « meilleur » car on ne reste pas indifférent à la qualité de composition et aux capacités vocales de Kenshi Yonezu sur ce morceau Lemon. Ce n’est pas un style de J-POP que j’écoute habituellement mais je ressens quand même le besoin d’écouter ce genre de morceaux de temps en temps, pour changer un peu de la musique alternative que j’écoute d’habitude et parce que c’est une musique qui semble idéale pour accompagner nos petits voyages en voiture. Kenshi Yonezu est assez discret et n’affectionne apparemment pas les apparitions télévisées. On dit qu’il avait d’abord refusé cette apparition sur la scène du hall de la NHK à Shibuya pour Kōhaku, pour finalement accepter à la condition qu’il interprète son morceau dans sa ville natale de Tokushima à Shikoku. La mise en scène dans le musée d’art Otsuka à Tokushima donnait une ambiance magnifique faite de pénombre et de lumière.

Kōhaku joue en quelque sorte le rôle d’une séance de rattrapage sur des morceaux dont je n’ai volontairement pas porté attention car en dehors de mon spectre d’intérêt musical, mais qui s’avère intéressant après une écoute plus attentive en se forçant à éliminer tout apriori. J’ai été par exemple agréablement surpris par le morceau et les mouvements de danse de Daichi Miura 三浦大知 sur le morceau Be myself. Je ne pensais pas que je pourrais aimer un morceau de Daichi Miura, mais ce rythme était accrocheur. Un peu plus tard dans la soirée, la performance de Sheena Ringo 椎名林檎 avec Hiroji Miyamoto 宮本浩次 (du groupe Elephant Kashimashi) sur le nouveau morceau Kemono yuku Hosomichi 獣ゆく細道 était vraiment particulière et poignante surtout pour la voix et la chorégraphie de Miyamoto. Sheena Ringo était un peu trop statique comme d’habitude. Je n’aimais pas trop le morceau quand il est sorti il y a quelques mois, mais il faut avouer que la performance était impressionnante. Je suis par défaut fan de Sheena Ringo, mais j’essaie de garder un avis critique sur la musique qu’elle crée et qui m’intéresse un peu moins ces derniers temps. Mais, force est de constater qu’après avoir vu quelques fois la performance scénique du morceau, je finis par retenir et apprécier cet air.

Le groupe electro-pop Perfume est également habitué de Kōhaku depuis quelques années et comme d’habitude les effets spéciaux des morceaux de Perfume sont toujours beaucoup plus impressionnants que les morceaux eux mêmes qui se font complètement oublier. J’aimerais apprécier un morceau du groupe mais je n’ai pas encore trouvé, ou peut être seulement le morceau Fusion sur le dernier album Future Pop, car il est assez différent de la pop électronique ultra sucrée qu’on peut entendre en général de Perfume. De Kōhaku, je retiendrais également DAOKO, car c’était sa première apparition dans l’émission. Une représentation dans l’émission est une consécration pour un/une artiste, une reconnaissance de la profession. Le formalisme de la NHK doit jouer sur l’importance d’apparaître dans cette émission pour les artistes. En fait, c’est ce formalisme que j’aime également observer car l’émission est en direct et il y a forcément des couacs. Je me souviens d’une année où le leader du groupe Kishidan, Show Ayanocozey, sous le nom de DJ OZMA avec sa troupe du moment étaient apparus sur scène avec des t-shirts représentant d’une manière très réaliste des seins de femme. Il a été depuis banni de l’émission, bien que je ne pense pas que ça ait joué sur sa carrière. Le côté subversif lui a peut être été bénéfique d’ailleurs. Pour revenir à DAOKO, que je suis de loin mais dont j’apprécie quelques morceaux comme ShibuyaK sorti en 2015, elle reprenait sur la scène de Kōhaku un morceau de l’année dernière Uchiage Hanabi 打ち上げ花火. C’est un peu bizarre car elle aurait pu choisir un morceau plus récent de son nouvel album Shiteki Ryoko 私的旅行 sorti cette année, comme le single Owaranai Sekai de 終わらない世界で, que j’aime assez, ou Bokura no Network 僕らのネットワーク, en collaboration avec Yasutaka Nakata 中田 ヤスタカ mais moins intéressant. On peut comprendre qu’elle ait choisi le morceau qui l’a fait connaître du grand public l’année dernière. Alors qu’elle chantait Uchiage Hanabi en duo avec Kenshi Yonezu, dont je parlais plus haut, en 2017, elle interprète une version en solo de ce morceau à Kōhaku. C’est aussi la version présente sur son album.

Aimyon あいみょん est une jeune chanteuse, une des révélations de cette année 2018 avec le morceau Marigold マリーゴールド. On dit qu’elle a une belle voix et que les paroles de ses chansons sont des compositions intéressantes de mots, mais j’ai du mal à accrocher à ce style, car il est trop universel. Ce morceau me fait penser à ce que pourrait chanter le groupe Spitz. C’est une musique qui se laisse écouter facilement, sans efforts, mais qui pour moi, ne monopolise pas toute mon attention et je finis vite par m’ennuyer en court de morceau. Yoshiki, la force motrice du groupe mythique X JAPAN, est également habitué de Kōhaku depuis plusieurs années et interprète cette fois deux morceaux à la batterie ou au piano, dont un morceau intitulé Red Swan avec d’autres membres d’actes majeurs du feu rock flamboyant visual kei à savoir Hyde, le chanteur de L’arc~en~ciel et Sugizo, guitariste de LUNA SEA. Je ne me souviens déjà plus du morceau qu’ils interprétaient ensemble, car j’étais en fait plus intrigué de les voir jouer ensemble. A mon arrivée à Tokyo en 1999, j’écoutais beaucoup d’albums de L’arc~en~ciel, mais j’ai du mal à les réécouter maintenant à part quelques morceaux de l’album Heart sorti en 1998. J’aime bien revenir vers LUNA SEA par contre, en particulier l’album Mother sorti en 1994, qui est leur chef-d’œuvre et que je place personnellement de ma liste des meilleurs albums rock japonais. Par contre, je ne suis pas vraiment leurs dernières créations musicales, le groupe étant encore actif à présent. Sugizo prête régulièrement main forte à X JAPAN sur leurs concerts, il est donc habitué d’être aux côtés de Yoshiki. Le reste des membres de X JAPAN n’étaient pas présents cette année. Peut être que Toshi, le chanteur du groupe, est trop occupé à vendre son image au plus offrant sans se soucier de sa dégradation, car on le voit maintenant intervenir dans des émissions de variétés, comme des quizz. Il garde sa veste de cuir cloutée mais apparaît maintenant comme une mascotte un peu ridicule. Yoshiki apparaît également dans des émissions de variétés ces dernières années mais arrive plus ou moins à garder son aura. La force persuasive télévisuelle au Japon est en général destructrice de l’art musical.

La soirée passe très vite. Plus les années passent, plus le temps passe vite et nous arrivons très vite à la fin de l’emission vers 23h40. Pendant les vingt dernières minutes de l’année, NHK nous montre toujours des images de sanctuaires dans la nuit, filmés sous un éclairage bien étudié mettant toujours en valeur l’architecture du lieu. On nous montre les premières personnes rejoignant le sanctuaire dans la nuit et dans le froid pour la première prière de la nouvelle année. J’attends toujours qu’on nous montre un sanctuaire en montagne sous un mètre de neige, mais ce n’était pas le cas cette fois-ci. En regardant ces images, nous nous préparons également mentalement à sortir dans le froid vers le sanctuaire de Aoki juste à côté. J’aime ce moment dans le froid et la nuit. Il y a déjà du monde dans le petit sanctuaire mais il règne une tranquillité admirable. Ce n’est pas le silence, mais presque. Les gens parlent normalement pourtant, mais une grande sérénité règne en ce lieu. Un feu de camp est allumé sur la petite place devant le sanctuaire et on vient s’y réchauffer avec un verre de amazake offert généreusement par le personnel ou les volontaires du sanctuaire. On ne reste pas très longtemps mais assez pour s’imprégner de l’ambiance. Je bois mon verre de amazake lentement exprès pour faire durer un peu plus ce moment dans la pénombre, éclairé par quelques lanternes et par le feu de camp.

Nous retournerons au sanctuaire le lendemain matin, en empruntant l’entrée principale s’ouvrant sur un escalier de plus de cent marches donnant accès à l’unique bâtiment du sanctuaire en haut de la colline. Pour 200 yens, nous nous procurons un mikuji qui nous indiquera notre bonne fortune pour l’année qui démarre. Il s’agit de folklore, bien entendu, mais Zoa y croit très fort et est particulièrement content quand il décroche un « Daikichi », une grande chance, pour la nouvelle année. En ce qui me concerne, je n’aurais qu’une demi-chance Hankichi cette année, mais je n’ai de toute façon pas le souvenir d’avoir eu un Daikichi ces dernières années.

Le premier de l’an est comme toujours une journée très calme à ne pas faire grand chose à part manger les plats froids Osechi, accompagnés cette fois-ci d’un sake de Kobe dont l’étiquette dorée représente un sanglier, le symbole de cette nouvelle année. Nous nous déplaçons le deuxième jour de l’année en direction de Chigasaki, mais plus près des montagnes à Isehara. En haut de la petite montagne de Ōyama se trouve un sanctuaire nommé Ōyama Afuri Jinja 大山阿夫利神社. On interprète également le nom de cette montagne où se trouve le sanctuaire par d’autres kanji 雨降山, qui veulent dire la montagne où la pluie tombe. Il ne pleuvait pas le jour de notre visite mais le ciel était étrangement couvert au dessus de la montagne. Ōyama est une des montagnes de la chaîne Tanzawa et elle culmine à 1252 mètres d’altitude. Le sanctuaire n’est pas tout à fait situé au sommet de la montagne mais dans les hauteurs. On y accède en empruntant un train à traction par câble qui monte à l’oblique sur le flanc de la montagne. Le wagon unique du train est également construit à l’oblique, dans un style similaire à celui de Hakone, et a reçu le prix Good Design en 2016. Je pense que le wagon a été renouvelé récemment car ce train à traction par câble est plus ancien que 2016. Pour accéder à la station de train, il faut marcher pendant 25 minutes depuis le parking dans le centre de la bourgade.

Avant de monter, nous déjeunons dans un bel endroit, une vieille maison faisant musée d’art moderne à l’étage et restaurant de tofu au rez-de-chaussée. Il n’y a pratiquement que des restaurants de tofu dans la bourgade de Ōyama, c’est une spécialité. Le restaurant qui fait musée s’appelle Mushin Tei. En attendant nos plats, je monte à l’étage par l’escalier en bois. Les trois pièces du musée sont couvertes de tatami et séparées de portes coulissantes. On y montrait des peintures et des sculptures de l’artiste Yu Seino. Dans la salle à manger du restaurant, un grand piano à queue est installé dans un coin. Personne n’en joue ce jour là, mais j’imagine qu’on doit parfois y jouer le soir à certaines occasions.

Après le déjeuner, nous commençons notre « ascension » vers la station du train à câble. Ce n’est pas un chemin de terre dans la forêt qui nous y amène, mais une étroite rue piétonne en escaliers bordée de petits magasins d’un autre âge et de restaurants. La rue est couverte d’une toiture de tôle à certains endroits qui ressemblent à des points étapes à notre ascension. Il y a du monde à monter ces marches mais ça reste très acceptable, par rapport à ce que l’on peut voir à Enoshima par exemple où l’on doit marcher au pas. Il faut dire que Ōyama est plus difficile d’accès. Il y a bien un bus qui monte jusqu’ici depuis Isehara mais pas de station de train. Il faut plutôt se déplacer en voiture. L’endroit est pittoresque et la marche est agréable. Le train nous amène rapidement en quelques minutes dans les hauteurs de la montagne jusqu’au sanctuaire de Ōyama Afuri. A notre arrivée, la vue est dégagée et on peut voir l’océan pacifique au loin derrière la ville de Chigasaki. Il faut attendre un peu en file indienne en bas du sanctuaire mais l’attente se fait plus courte que ce que je pressentais pour un tout début d’année. En s’approchant du bâtiment principal du sanctuaire, on remarque tout de suite les décorations du toit comportant des épis appelés chigi aux extrémités du toit et de courts rondins décoratifs katsuogi. On retrouve par exemple ce type d’ornements sur les sanctuaires de Ise-Jingu. La lumière de fin d’après midi met particulièrement en valeur les dorures des chigi. Nous redescendons ensuite du sanctuaire en reprenant le train oblique. On peut également redescendre par un chemin de montagne mais il est déjà 16h passé et le soleil se couche dans à peine une heure en plein hiver.

Pendant les congés de début d’année, nous ne manquons jamais la course à pieds des universités Hakone Ekiden 箱根駅伝 qui relie en deux jours Tokyo, Ōtemachi pour être précis, jusqu’à Hakone pour ensuite revenir vers Tokyo. La course se fait en 5 étapes à l’aller et 5 étapes au retour, avec donc 10 coureurs différents par école se passant le relais d’étape en étape. Nous supportons l’école de Zoa tous les ans au même endroit sur la route nationale 1 juste avant l’étape de Totsuka sur la partie retour de la course. Nous nous postons au grand croisement de Harajuku. Rien à voir avec le Harajuku de Tokyo, bien que les kanji soient les mêmes. La course sera pleine de suspense cette année. Alors que Aoyama Gakuin a gagné 4 fois de suite et se préparait pour une cinquième victoire, la partie a été plus difficile que prévue. L’université de Tokai a finalement fini premier à l’arrivée à Ōtemachi, devant Aoyama Gakuin. L’université de Toyo finit troisième, alors que l’équipe avait dominé une bonne partie du parcours. Cette course est un événement important du nouvel an et on en parle beaucoup dans les émissions d’information les jours suivants. Le seul problème quand on regarde cette course, c’est que ça monopolise une bonne partie de la journée. Ce n’est pas un gros problème car le concept du nouvel an au Japon est de ne pas faire grand chose, mais les jambes finissent par nous déménager à tourner en rond dans les pièces de la maison.

En fin d’après midi, nous allons voir l’océan pacifique. Nous comptions aller faire un tour du côté de Hayama, un bord de mer que j’aime beaucoup, mais de nombreuses routes à Kamakura sont bloquées à la circulation au nouvel an. C’est par conséquent assez compliqué de se rendre à Hayama. Nous rebroussons finalement chemin vers la plage de Shichirigahama 七里ヶ浜 plus proche. Le soleil est déjà en train de se coucher au moment où nous arrivons. Zoa voulait absolument essayer son petit cerf volant de papier traditionnel Takoage. Il n’y a pas assez d’espace de plage pour faire évoluer le cerf volant donc on essaie dans une rue presque déserte, en pente avec vue sur l’océan. Mais, je ne peux m’empêcher de descendre plus vite que les autres sur la plage pour prendre ce soleil couchant en photographie. Des rayons du soleil couchant transpercent d’abord les nuages. Un dégradé subtil entre le bleu et le rouge se construit ensuite autour du Mont Fuji. L’océan brille de couleurs orangées et argentées. J’essaie de descendre sur le sable entre deux vagues, sans se faire mouiller les pieds. Je me pose quelques instants au pied du rempart de béton délimitant la plage de sable noir. Il y a une zone légèrement surélevée qui permet d’éviter les vagues tout en se trouvant au plus près d’elles. Le rayon de lumière se reflétant sur la surface de l’océan est traversé de temps à autres par un surfeur solitaire qui n’a pas peur du froid. J’essaie de prendre ces scènes en photographie, mais elles ne rendent pas aussi bien sur l’écran qu’en réalité… Nous rentrons le soir sur Tokyo vers 22h30 pour éviter le rush du retour de congé.