le déconstructivisme tokyoïte d’Eisenman

Le ciel est gris et on annonce de la pluie. Je pense quand même avoir assez de temps pour aller jusqu’à Akihabara pour voir un immeuble intéressant pour l’aspect déconstructiviste d’une partie de sa façade. La pluie me rattrape malheureusement lorsque j’arrive dans les rues d’Akihabara. Je n’aime pas beaucoup ce quartier de Tokyo et encore moins lorsqu’il est envahi par la grisaille. Depuis la station, il faut suivre une rue étroite cachée en partie par une voie ferrée surélevée qui l’assombrit. Gloomy Tokyo. Ces mots me viennent soudainement en tête alors que je marche dans cette rue en essayant de faire abstraction des gouttes de pluie qui s’intensifient pourtant de plus en plus. Je m’enfonce un peu plus dans le quartier de Kanda Sakumachō, limitrophe d’Akihabara, jusqu’au building que je cherchais et que découvre sans trop de difficulté tant il se distingue des autres bâtiments plutôt quelconques. Ce building est celui de la compagnie Koizumi Lighting Technology et il s’agissait auparavant d’une showroom appelée Koizumi Light Center. Ce building de verre a une apparence classique à part deux zones particulières qui semblent avoir été déstructurées. On doit ce building construit en Juillet 1990 aux architectes Kitayama Kojiro et Peter Eisenman. Ce dernier vient apporter au building ces deux déstructurations qu’il conçoit comme des grains de sable placés par erreur dans une architecture autrement parfaitement lisse et prévisible. Ces deux anomalies, l’une située à l’arrière du building au rez-de-chaussée et l’autre dans les derniers étages sur la façade principale, sont des extensions vers l’extérieur de la façade de blocs situés à l’intérieur du building. Ces parties intérieures du building viennent parasiter l’extérieur. Les blocs dépassant sur la façade étaient initialement peints de couleurs différentes, mais tout a été depuis repeint d’une couleur blanche, ce qui est bien dommage car on perd de vue cette jonction entre espace interne et externe.

Cette idée de distorsion architecturale me plaît beaucoup car je fais ici un lien avec les distorsions musicales que j’aime tant. On y trouve cette même ambition de mettre à mal une composition classique pour en faire naître quelque chose de nouveau, d’imprévisible et donc d’intéressant. L’apparence actuelle du building est certes moins intéressante que ce qu’elle était au moment de sa construction. Les teintes de la version originale, que l’on peut voir sur les petites photos ci-dessus empruntées au site web de l’architecte, apportaient à mon avis quelques couleurs à l’environnement plutôt grisonnant du reste du quartier. En cette journée de ciel gris et de pluie, j’aurais tout particulièrement aimé y trouver des couleurs qui auraient un peu éclairci ma visite.

Ce n’est pas le seul bâtiment que l’américain Peter Eisenman conçoit à Tokyo au tout début des années 1990. Les bureaux de l’agence de design Nunotani (布谷ビル) seront construits en 1992 dans le quartier d’Edogawa, dans un superbe style déconstructiviste. L’agence fait malheureusement faillite en l’an 2000 et le building est mis en vente cette même année. Il ne prendra preneur qu’en 2003 et sera complètement transformé en une résidence pour personnes âgées. La rénovation du building, désormais nommé Yurari Edogawa Green Park, est menée par l’architecte Takao Kase. Il gomme en totalité son apparence d’origine. Les compositions obliques sont complètement effacées et le résultat est un building quelconque sans aucune originalité. Les deux photographies ci-dessus montrent le building d’origine à gauche et la version rénovée actuelle à droite. J’aurais vraiment voulu voir le building original mais je ne m’intéressais pas autant à l’architecture tokyoïte à cette époque là, avant sa rénovation. Une vidéo faite d’images fixes nous montre le bâtiment et son intérieur, laissés à l’abandon en 2001.