Lorsque je retourne dans un lieu où je ne vais pas souvent, comme ici à Takadanobaba, j’essaie de bifurquer volontairement des rues que je connais déjà dans le but de découvrir des nouveaux espaces photographiquement intéressants. Mais il arrive parfois que je ne trouve rien d’intéressant à montrer. Au moment de la prise de photographie, on perçoit un intérêt dans ce qu’on est en train de voir, mais lorsqu’on laisse reposer ces photographies pendant quelques temps et qu’on y revient ensuite, il arrive que l’on ne soit pas convaincu soi-même de l’intérêt visuel de ce qu’on a envie de montrer. C’est exactement la réflexion que j’ai eu pour cette série ci-dessus. Alors que faire, ignorer ces photographies et les laisser abandonnées sur mon disque dur, ou tenter de les montrer au cas où une personne, au moins, y trouve un intérêt. C’est un dilemme qui se pose à moi de temps en temps, mais pas trop fréquemment heureusement. Je me sens souvent incapable de prévoir quelles photographies pourront intéresser les visiteurs. En fait, je ne me pose que très rarement cette question, sauf maintenant dans ce billet. Dans la série ci-dessus, je tourne en rond près de la gare de Takadanobaba, après avoir fait un tour au sanctuaire Ana Hachiman de Waseda. Je n’ai pas beaucoup de temps pour m’enfoncer très loin dans les rues, donc cette visite à la toute fin du mois de décembre resta superficielle sans que j’y trouve un point d’accroche particulier. Lorsque je montre une série de photographies, il y a, à chaque fois, une ou deux photographies (parfois plus) que j’aime particulièrement et qui me pousse à créer un nouveau billet. Il est rare que toutes les photographies que je montre dans un même billet soient intéressantes, mais elles interviennent pour dresser le contexte. Parfois, j’ai le sentiment que les billets de mon blog dressent continuellement un contexte, un paysage urbain continu dans lequel on vient traîner et se perdre (pour paraphraser un message qu’on m’a adressé dernièrement en DM sur Twitter). J’aime cette idée de créer une version parallèle de la ville à travers la multiplication de photographies de différents lieux. Comme dans une vraie ville, on y trouve des endroits remarquables et d’autres moins. On fait défiler les pages du blog comme on marche dans les rues de Tokyo jusqu’à trouver un paysage qui nous intéresse, nous attire et sur lequel on s’attarde quelques minutes. J’ai toujours vécu ce blog comme une représentation continue de Tokyo.
J’ai beaucoup écouté l’album … I Care because You Do (1995) de Aphex Twin pendant les derniers jours de l’année dernière. C’est un de ces albums que j’avais loué au Tsutaya et écouté il y a un peu moins de vingt ans, sans que j’y accroche vraiment à l’époque. Je le réécoute maintenant avec une oreille nouvelle et je me demande vraiment pourquoi j’étais passé à côté tant l’ambiance y est prenante. On se laisse attraper dès le premier morceau Acrid Avid Jam Shred mais c’est vraiment le quatrième Icct Hedral qui change la donne pour moi. Aphex Twin n’a de scrupules à maltraiter l’auditeur avec des sons électroniques disruptifs. Ça fonctionne bien car il a le génie de marier parfaitement ces sons agressifs avec des partitions beaucoup plus symphoniques qui apportent de l’espace aux compositions. Mais dans ces espaces, les sons électroniques martèlent le cerveau sans répit comme des roquettes (par exemple, sur le troisième morceau Wax the Nip ou le septième Start as You mean to go on). Icct Hedral est angoissant. Le morceau fonctionne comme une matière vivante dont le cœur bat dans l’obscurité. Par moment, les crachotements du son nous font croire que cette matière vivante, comme un alien, essaie de communiquer. L’ambiance est cinématographique mais est certainement trop forte et imprégnante pour accompagner un film. Cette ambiance me fait penser à l’univers de H.R. Giger que je parcours de temps en temps dans les deux tomes de son ouvrage appelé Necronomicon. On trouve notamment dans ces livres les dessins qui ont inspiré la filmographie Alien et beaucoup d’autres œuvres qu’on hésite à regarder.
Dans la deuxième partie des années 90s, Aphex Twin cultive une image d’enfant terrible de l’électronique avec des morceaux comme Come to Daddy (1997) ou Windowlicker (1999) mis en vidéo de manière mémorable par Chris Cunningham. On trouve sur … I Care because You Do les prémices de cet esprit ‘mauvais garçon’ sur l’illustration de la couverture et sur un morceau comme Come on You Slags qui vient placer dans le flot musical des paroles obscènes. Tous les morceaux de l’album ne sont pas facile à l’écoute et j’ai particulièrement du mal avec le sifflement continu sur Ventolin, qui était pourtant le seul single de l’album. Tout ça pour dire qu’Aphex Twin prend un malin plaisir à casser les codes et bousculer les barrières. La deuxième parties de l’album revient toutefois vers des partitions plus calme, et on apprécie aussi cet aspect mélodieux et reposant chez Aphex Twin, que ça soient les morceaux Wet Tip Hen Ax, Mookid ou Alberto Balsam. Pour revenir sur Icct Hedral, il y a également une re-orchestration complète du morceau par Philip Glass qui vaut le détour. Le morceau y prend une toute nouvelle vie.