Ces photographies datent d’il y a exactement un mois, car elles ont été prises pendant les derniers jours de la Golden Week au tout début du mois de Mai. Le vaste jardin derrière la tour de Tokyo Mid-Town était envahi par les enfants, occupés sur les jeux de plein air installés pour l’occasion. Des carpes en tissus avec des motifs originaux étaient suspendues à des câbles et flottaient légèrement au dessus de l’allée latérale menant à ce jardin. Ces carpes et les objets de jeu faisaient ressembler les alentours de Tokyo Mid-Town à un musée en plein air. Je le traverse rapidement avec le sentiment de ne pas être tout à fait à ma place. Il y a quelques années de cela, on aurait certainement apprécié cet endroit en famille. Je me dirige ensuite vers l’autre complexe urbain du quartier, Roppongi Hills, car j’avais repéré que le musée montrait en ce moment une exposition intitulée Happy Spring du collectif artistique Chim↑Pom. Cette exposition tombe bien car ce collectif a déjà attiré mon attention à plusieurs reprises et je les ai déjà évoqué sur ce blog. Je n’avais pas assisté à une grande exposition depuis longtemps. C’était donc là une très bonne occasion qui se présentait à moi.
Les expositions du Mori Art Museum ont l’intérêt d’être très complètes et riches en installations. Il s’agit ici de la plus grande rétrospective de Chim↑Pom. J’étais d’abord surpris de voir ce collectif s’exposer à Roppongi Hills. L’image de Roppongi Hills ne correspond pas vraiment à celle provocante et décalée de Chim↑Pom. Le collectif se compose de 6 artistes: Ryuta Ushiro (卯城竜太), Yasutaka Hayashi (林靖高), Masataka Okada (岡田将孝), Toshinori Mizuno (水野俊紀), Motomu Inaoka (稲岡求) et Ellie (エリイ). Ellie est la seule présence féminine du collectif et elle joue le rôle d’inspiratrice. Je pense que sa présence vient adoucir un peu l’image du collectif bien qu’elle soit elle-même très radicale. Chim↑Pom s’est fait connaître par le projet Super Rat (スーパー☆ラット) qui prenait comme sujet la prolifération à Tokyo de rats devenus de plus en plus résistants aux poisons par mutations progressives. L’installation contient une vidéo montrant le groupe essayant de capturer certains de ces super rats dans les rues de Shibuya et de Shinjuku pour ensuite en empailler pour les montrer pendant les expositions. Le musée de Roppongi Hills ne souhaitant bien entendu pas montrer ce genre de rats empaillés, le groupe montrait à la place une petite statue représentant un rat doré, censé représenter la richesse et le luxe que représente Roppongi Hills. Le groupe ne manque pas d’ironie. Les membres de Chim↑Pom s’imaginent eux-mêmes comme ces rats, évoluant à côté de la société en lui résistant par de multiples transformations. Les installations du collectif sont très désorganisées car elles nous montrent souvent des agencements d’objets hétéroclites tirées de lieux en phase de destruction (les installations de la série Build-burger, par exemple). Ils avaient d’ailleurs récupéré des lettres décorés de néons de l’ancien grand magasin Parco à Shibuya. Elles avaient été installées dans le quartier général du groupe, l’improbable bâtiment appelé Kitakore ressemblant à un taudis à Koenji. J’étais passé le voir par curiosité il y a quelques années. J’ai un avis plutôt mitigé sur cette exposition mais il faut bien constater que ce collectif est assez unique dans le paysage artistique japonais. Chim↑Pom prend régulièrement position et exprime sa voix à travers son art, notamment suite à la catastrophe de Fukushima. L’exposition revient bien entendu sur le hacking de la grande fresque de Taro Okamoto dans le hall de la gare de Shibuya. J’en parlais également dans un billet précédent.
J’ai beaucoup aimé une installation vidéo de 2007 appelée Black of Death. Chim↑Pom y utilise un haut-parleur diffusant des cris de corbeaux pour les attirer dans des lieux divers, comme au dessus du centre de Shibuya ou du parlement japonais. Sur un gros scooter conduit par un des membres du collectif, Ellie porte un corbeau empaillé à la main qu’elle agite accompagnée des cris enregistrés de corbeaux. Ce stratagème attire de vrais corbeaux qui viennent suivre le scooter en pensant entendre des cris de ralliement. Cette vidéo est assez fascinante. Les cris de corbeaux me rappellent mes toutes premières années à Tokyo. A cette époque, je maudissais ces corbeaux qui venaient me réveiller en plein après-midi le dimanche alors qu’on s’était couché à 4h ou 5h du matin après être sortis toute la nuit. Une partie de l’exposition appelée Love Is Over, en référence au War is Over de John Lennon et Yoko Ono, montre la manière par laquelle Ellie a mis en scène son mariage. Son mari est un gérant d’établissement d’hôtes nommé Smappa!Group dans le quartier nocturne de Kabukichō, et les festivités du mariage se déroulaient en partie dans les rues de Shinjuku et de Kabukichō. Le Mori Art Museum ne souhaitant pas montrer de liens avec ces établissements de la nuit, Chim↑Pom a eu le malin plaisir de se renommer « Chim↑Pom from Smappa!Group » après le début de l’exposition pour faire clairement ressortir le lien avec la société du mari d’Ellie. Sans faire de recherches très poussés sur Chim↑Pom, j’ai trouvé par hasard une vidéo très intéressante d’une interview croisée d’Ellie avec KOM_I de Wednesday Campanella. On comprend un peu mieux les rapports de force dans le collectif et c’est assez amusant d’entendre Ellie nous expliquer qu’elle est obligé de castagner ces collègues pour faire entendre ces idées. Au final, cette exposition m’a bien plu car je trouve plutôt sain d’entendre ce genre de voix dissonantes au Japon.