the streets #12

Je continue avec un nouvel épisode de ma série the streets car ça faisait bizarre de terminer sur un épisode 11, bien que le numéro 11 puisse représenter un niveau optimal, au-dessus du niveau 10 comme ça peut l’être par exemple sur les amplificateurs de guitares Marshall (If we need that extra push over the cliff). Je continue donc avec un épisode 12 qui sera peut-être suivi d’autres car c’est tellement plus simple d’avoir des titres prédéfinis à l’avance plutôt que de se faire à chaque fois des noeuds au cerveau pour trouver des titres originaux que peu de personnes seront en mesure d’en déceler l’origine. Ces photographies sont prises à Daikanyama, Naka-Meguro et Shinjuku. Une fois n’est pas coutume, elles sont peuplées d’habitants soigneusement choisis. Il est assez difficile pour moi de saisir des personnes en photo. Elles s’échappent toujours au dernier moment derrière un mur ou un coin de rue. Il faudrait idéalement qu’elles restent figées pendant une trentaine de secondes, voire un peu moins, pour me laisser assez de temps pour me décider à appuyer sur le bouton de l’obturateur. Mon manque de spontanéité fait que la lumière issue de la scène ne contient déjà plus personne au moment où elle traverse finalement l’objectif pour être captée par le dispositif numérique de mon appareil photo. Le problème peut être inversé lorsqu’une personne forcément mal intentionnée vient traverser mon champ de vision pour y laisser son empreinte. Je m’accommode finalement de ces différents cas de figures, car la photographie dépend aussi des hasards bienvenus, même quand ceux-ci sont tout de même un peu préparés à l’avance. Mon intention était par exemple de prendre en photo les blocs de béton aux murs obliques sur la quatrième photo du billet, mais mon doigt posé sur le bouton de l’obturateur a cru bon attendre une demi-seconde de plus pour voir comment un passant à casquette pourrait venir remplir le cadre. J’aurais pu utiliser une allusion à l’obliquité dans le titre de mon billet car la deuxième photo est assez réussie à ce niveau là. Sur cette photographie, j’ai pendant un moment pensé à saisir le livreur de Sagawa poussant son petit chariot rempli de paquets, mais son service de livraison était tellement rapide qu’il m’a échappé, de peu il faut dire. Je ne me sentais pas dans l’idée de faire attendre le client de la livraison pour qu’il pose quelques secondes en plein action devant mon appareil photo. C’est finalement une bonne chose car le véritable intérêt de cette photo ne vient pas du livreur mais des paquets. La disposition de ces paquets à l’oblique venait s’accorder parfaitement avec l’angle du bâtiment de béton placé juste derrière et avec l’angle du panneau de signalisation. Je me demande maintenant si l’angle du panneau de signalisation est volontaire car, s’il avait été bousculé par une voiture, son angle aurait dû être à l’opposé vu le sens unique de circulation de cette toute petite rue. Je n’avais jusqu’à présent jamais remarqué la petite affichette de style manga au nom de Wackozaki (わこ崎), que je montre sur la première photographie du billet. Wackozaki est un illustrateur et graffeur, mais je n’ai trouvé que peu d’information sur cet artiste de rue. Il semble lié au créateur de la collégienne Alpha Uyu, qui se trouve justement au dessus de son illustration sur le poteau de cette rue très fréquentée de Daikanyama. Le choix de montrer ensuite une voiture vintage dans la sélection de photographies de ce billet n’est pas par hazard et vient dresser un lien subtil avec la musique qui va suivre.

Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介), alias Ukigumo, du groupe Tokyo Jihen est un fervent amateur de voitures anciennes, même s’il a apparemment une préférence pour les françaises de type Citroën. Je ne vais par contre pas parler de Tokyo Jihen dans la suite de ce billet car il n’y a malheureusement aucune actualité concernant le groupe. Évoquons plutôt l’autre groupe de Nagaoka, Petrolz (ペトロールズ) que je finis par découvrir suite à des pressions extérieures que je ne nommerais pas mais qui avaient bien raison d’insister. La raison pour laquelle je ne m’étais pas encore penché sur Petrolz m’échappe un peu, mais je pense que la difficulté de se procurer la musique du groupe a certainement joué. La plupart des albums ne sont bizarrement pas disponibles sur iTunes ou Bandcamp, et les CDs des quelques albums sont difficilement trouvables chez les disquaires, ou à des prix excessifs en occasion. En fait, je pense également que j’ai toujours eu inconsciemment l’idée que la force créatrice qui me parlait vraiment dans Tokyo Jihen était celle de Sheena Ringo. A vrai dire, je n’ai aucune idée du pourquoi j’avais cette impression car Ukigumo a créé plusieurs morceaux emblématiques de Tokyo Jihen, dont l’insaisissable OSCA, qui reste pour moi un des sommets créatifs du groupe. Peut-être est ce plutôt dû au fait que Ryōsuke Nagaoka est le guitariste d’appoint du groupe accompagnant la musique sympathique d’Hoshino Gen. À chaque fois que je le vois sur scène à la télévision avec Hoshino Gen, je me demande toujours s’il ne perd pas un peu son temps sachant toutes les qualités de guitariste qu’on lui connaît et qu’il a maintes fois démontré que ce soit sur des albums ou en concerts. En fait, je pense que j’ai toujours eu un peu de mal à cerner sa personnalité et son approche artistique car il reste très discret (malgré son émission radio toutes les semaines intitulée Fourgonnette, sponsorisée par Citroën). En même temps, il me donne l’image d’un électron libre, insaisissable comme son morceau OSCA et comme son jeu de guitare qui ne ressemble pas beaucoup à celui des autres guitaristes que je connais. J’imagine d’ailleurs très bien la vision que Ringo a dû avoir du personnage lorsqu’elle lui a donné le surnom de nuage mouvant (pour Ukigumo). Bref, tout cela pour dire que je ne savais pas trop à quoi m’attendre avant d’écouter l’album Renaissance, qu’on m’avait vivement conseillé.

Renaissance est le premier album studio du groupe. Il est sorti en 2015 et, à cette époque, Tokyo Jihen avait cessé ses activités depuis 2012. Petrolz a cependant été fondé bien avant cela, en 2005, la même année où Ukigumo a rejoint la Phase 2 de Tokyo Jihen. Ce double démarrage pour Ryōsuke Nagaoka / Ukigumo explique certainement le fait que Petrolz ne sortit son premier EP et des singles qu’à partir de l’année 2008. Après la dissolution de Tokyo Jihen en 2012, la sortie de ce premier album en 2015 sous la bannière Petrolz était peut-être comme une renaissance pour Ryōsuke Nagaoka. Petrolz est en fait un trio. Ryōsuke Nagaoka y joue bien sûr de la guitare et chante. Il est accompagné par Jungo Miura (三浦淳悟) à la basse et par Toshihide Kawamura (河村俊秀) à la batterie. On comprend tout de suite l’origine du nom du groupe, Nagaoka étant amateur d’automobiles. Renaissance se compose de 11 titres pour un peu plus de 50 minutes. On reconnaît sur chacun des morceaux le style aérien d’Ukigumo dans les riffs de guitare, mais sa voix claire et mélodieuse me donne également cette même impression. Le style est différent mais les compositions assez atypiques de chaque morceau de l’album me rappellent un peu Cero sur leur album e o. On y trouve une grande liberté stylistique même si on reste sur du rock à tendance alternative. J’ai toujours le sentiment qu’Ukigimo joue avec aisance, sans faire d’efforts et que ces sons si bien agencés lui viennent naturellement sans qu’il se fasse violence. Ce qui est particulièrement épatant sur une bonne partie des morceaux est la qualité des chœurs accompagnant les compositions. On y trouve quelque chose de ludique, que ça soit dans ses chœurs très chantant ou dans les choix d’accords de guitare. Je me dis par moment qu’on n’est pas très loin de Tokyo Jihen, et je m’attendrais presque à ce que Sheena Ringo et Ichiyō Izawa viennent apporter soudainement leurs voix au détour d’un couplet. Et quand la guitare se réveille pour des petits solo, c’est un vrai régal. L’ensemble de l’album est excellent dès le premier morceau Tight! (タイト!) et le suivant On your side, mais j’adore particulièrement l’enchainement de trois morceaux au milieu de l’album Talassa, Fuel et Profile. C’est assez exceptionnel, que ça soit au niveau de la composition musicale particulièrement inventive que du chant plein d’ampleur et de superpositions. Un morceau comme Talassa me fait en fait penser à e o de Cero. Ces morceaux sont vraiment très inspirés et ça accentue d’autant plus mon incompréhension de constater que cet album n’est pas disponible sur iTunes ou en CD au Tower Records du coin. Renaissance se révèle après plusieurs écoutes, et ne donnera pas tout son potentiel dès la première fois. Il faut s’asseoir tranquillement et lui laisser un peu temps pour diffuser son parfum. Je me surprends à avoir des mélodies me revenant en tête soudainement et avoir ensuite l’envie irrésistible d’écouter le morceau en question. Je trouve en plus qu’on se sent bien en écoutant cet album, une ambiance cool mais qui ne s’endort pas non plus sur ses amplis. Donc oui, j’avais tord de ne pas avoir écouté cet album beaucoup plus tôt, mais je n’ai que 9 ans de retard. On me le pardonnera certainement.

the streets #9

Ma série the streets poursuit tranquillement son chemin avec un neuvième épisode qui continue à cumuler des photographies désordonnées sans aucuns liens apparents les unes avec les autres. Une Mercedes Benz vintage qui pourrait bien être un modèle 250SE de 1967 est suivie par un papillon docile se laissant prendre en photo sur sa grande baie vitrée. Des autocollants de rue pris au piège par un filet semblent menacés par une plante peut-être carnivore sur la photographie qui suit. Ça faisait longtemps que je n’avais pas marché de la maison jusqu’à Shinjuku, mais ça me redonne l’occasion de passer près de la gare de Yoyogi, notamment devant la petite sortie arrière en forme d’arche métallique d’une autre époque. J’aime beaucoup cette entrée et sortie de gare car elle apparaît tellement basse depuis la rue qu’on aurait l’impression d’une porte dérobée. Et le poster qui conclut cette série hétéroclite provient du magasin Tower Records de Shinjuku. Il s’agit du groupe Band-Maid que je n’ai pourtant jamais écouté. Il me semble avoir déjà jeté une oreille sur un ou deux morceaux du groupe sans pourtant avoir vraiment accroché. Il faudra peut-être que j’écoute à nouveau si elles ont sorti un nouvel album comme le laisse présager ce grand affichage publicitaire à l’intérieur même du Tower Records. J’étais en fait venu au Tower Records de Shinjuku pour acheter le Blu-Ray du dernier live de Sheena Ringo, Sheena Ringo to Aitsura to Shiru Shogyōmujō (椎名林檎と彼奴等と知る諸行無常), auquel j’avais assisté en Mai 2023 mais que je n’avais pas encore acheté et qui manquait donc à ma chère collection. J’avais en fait un enregistrement de ce concert lorsqu’il était passé sur la chaîne payante WowWow à laquelle je m’étais abonné exprès pendant une période d’essai pour voir ce concert. Cet enregistrement avait rendu l’achat du Blu-ray moins immédiatement nécessaire, mais un problème technique inattendu ou une mauvaise manipulation (ce qui est plus probable) a fait disparaître l’enregistrement du concert du petit disque dur attaché à la télévision. Le prochain concert Ringo Expo’24 au Saitama Super Arena approchant à grands pas, l’envie de revoir le concert précédent devint presque irrésistible ou du moins nécessaire. Le Tower Records de Shinjuku est le vendeur de disques où j’étais pratiquement sûr de trouver l’édition première presse avec boîtier et livret grands formats. Il faudra un jour que je reprenne en photo ma collection complète sur Sheena Ringo mais l’ensemble ne tient plus depuis longtemps dans le cadre étroit d’un objectif photo.

Les deux photos ci-dessus sont également prises au Tower Records, mais à celui de Shibuya qui est beaucoup plus grand que sa version de Shinjuku. À l’étage des vinyls, on peut trouver deux guitares encadrées comme des œuvres d’art dans des caissons de verre. Ce sons deux guitares de Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) alias Ukigumo (浮雲), une Phantom vert menthe customisée au nom d’Ukigumo et prenant à priori la base du modèle Phantele et une RS Guitarworks Explorer Junior dont la forme me fait penser à une Flying-V qui se rêverait être une Flying Star X. La Phantom est emblématique de Tokyo Jihen et Ukigumo en a utilisé de nombreuses dans différents coloris comme le montre la couverture du magazine japonais Guitar Magazine de Juillet 2021. Je pense qu’il réserve plutôt la RS Guitarworks Exp Jr pour son groupe Petrolz, mais je n’en suis pas certain. Nicolas que j’ai rencontré avec beaucoup de plaisir cette semaine lors de son passage à Tokyo, et à Shibuya en particulier, m’a rappelé qu’il fallait vraiment que j’entame la découverte du groupe, en commençant par le live album Capture 419 enregistré le 19 Avril 2012 à Shimokitazawa Garage et l’album Renaissance sorti en 2015. C’est bien noté. Ma difficulté a été de les trouver en version CD aux magasins Disk Union à un prix abordable, mais je ne désespère pas. Notre rencontre a été l’occasion de lui transmettre en mains propres l’artbook signé de Nakaki Pantz, que je gardais précieusement (comme un trésor enfoui) à la maison pendant environ deux ans. Cela a également été l’occasion de parler de vives voix de mille choses et bien entendu des musiques japonaises qu’on aime tant.

Et dans ces musiques japonaises que j’aime tant, je mettrais cet album de la compositrice et interprète originaire d’Osaka, Asuka Kuroiwa (黒岩あすか) que je découvre soudainement et sans m’y être préparé par son dernier album Kaibutsu (怪物) sorti le 2 Octobre 2024. Cette musique rock, avec à la fois des éléments de folk et de post-rock dans l’esprit, est tout à fait fascinante et unique. La voix d’Asuka Kuroiwa y est pour beaucoup, à la frontière entre les murmures et les cris intérieurs désespérés. Le rythme lent et la beauté pénétrante de la musique du groupe accompagnant la voix d’Asuka Kuroiwa nous donnent envie de nous arrêter au calme pour apprécier ce moment d’une sensibilité rare. L’album de sept morceaux pour 38 minutes forme un ensemble dont il est difficile d’extraire et de dissocier des morceaux en particulier, qui font partie d’une expérience d’écoute démarrant par un morceau instrumental et continuant avec certains morceaux prenant le temps de se développer sur presque huit minutes. On trouve quand même une sorte d’aboutissement de la démarche sur le sublime morceau Kaibutsu (怪物) reprenant le titre de l’album. En écrivant ce billet, mes mots sont influencés par les ceux d’introduction d’une interview de l’artiste datant de 2017. L’interviewer y exprime un désir profond que l’oeuvre musicale secrète et rare d’Asuka Kuroiwa parviennent jusqu’à ceux qui en ont besoin ou qui peuvent en apprécier la valeur (この密やかにして稀有なる名作が、届くべき人のところに届いて欲しいと切に願う). Je trouve ces mots très juste car cette musique ne parviendra pas à tout le monde mais fera beaucoup de bien à ceux qui y sont réceptifs et qui l’attendait sans le savoir.