Je joue encore une fois avec mes photographies en y ajoutant cette fois-ci des halos de lumière de couleur orangée. Ces lumières superposées proviennent des feux de la nuit à Shibuya. Elles donneraient presque une ambiance martienne aux décors de Tokyo ou peut être plutôt une impression de monde parallèle. Les photographies modifiées du billet ont été prises dans différents lieux de Tokyo et de sa proche périphérie. La première photographie est un bâtiment universitaire dans un des quartiers de Sagamihara, un peu à l’écart du centre de Tokyo. Le bloc de béton et le toit en pente me font penser à un visage de robot ou à un casque Kabuto. C’est une forme originale et élégante, qui observe depuis les hauteurs le campus universitaire.
La deuxième photographie montrant un escalier grimpant vers l’autoroute suspendue intra-muros est une de mes obsessions depuis que j’ai lu les trois tomes du roman 1Q84 de Haruki Murakami. Je recherche depuis quelque temps l’escalier qu’emprunte Aomame, au début du roman, pour descendre de l’autoroute suspendue et entrer malgré elle dans le monde parallèle de 1Q84 imaginé par Murakami. Je pense que cet escalier de secours et de maintenance sur la photographie du dessus est celui du roman. Dans 1Q84, Aomame prend un taxi qui monte sur la voie express numéro 3 en direction de Shibuya et qui reste bloqué dans les bouchons un peu après Sangenjaya. L’escalier ci-dessus se trouve bien sur la voie express numéro 3 après Sanganjaya, au niveau de Ikejiri-ōhashi. Dans le roman, le chauffeur du taxi indique également à Aomame que si elle descend par cet escalier, elle peut facilement marcher vers une station de train Tokyu qui l’amènerait rapidement à Shibuya. Il y a bien une station Tokyu à proximité de l’escalier et c’est celle de Ikejiri-ōhashi. Il n’y a pas de doutes, il s’agit bien de l’escalier décrit dans 1Q84. Et dire que cet escalier est en fait la porte vers un monde parallèle au nôtre. On a du mal à l’imaginer en regardant la photographie ci-dessus.
Les deux photographies suivantes nous ramènent vers la longue rue Komazawa, le long de laquelle j’avais marché depuis la station de Naka-Meguro, il y a quelques semaines. De cette longue marche, j’ai souvenir de la chaleur et de la peau moite. J’ai également souvenir de cette statue interrogatrice d’un renard de sanctuaire. C’est très commun de trouver ce type de statues dans les sanctuaires, mais ce renard là avait un air malicieux. Dans un monde parallèle, il ne se contenterait pas de regarder fixement le visiteur de passage, mais engagerait plutôt la conversation en faisant des remarques désobligeantes. Ces longues heures d’observation lui auraient permis de bien comprendre le genre humain, ainsi que ses nombreux défauts qu’il prendrait un malin plaisir à exposer en pleine figure aux quelques visiteurs égarés dans ce sanctuaire. Près de la même rue Komazawa un peu plus loin, j’avais aperçu un petit objet architectural de béton aux coins biseautés et ouverts avec des vitrages. Il s’agit d’un cabinet médical d’acuponcture. Dans les zones résidentielles de Tokyo, on voit régulièrement des blocs de béton se faire remarquer du reste des maisons individuelles toutes plus banales les unes que les autres. Sur la photographie ci-dessus, je la montre en situation parmi les autres maisons du quartier, au moment où elle émerge du reste du paysage urbain pour mon œil photographique. Cet angle est similaire à la troisième photographie de ma série récente sur Moriyama House. Ce type de photographie en situation est en général la première photographie que je prends d’une maison intéressante, lorsque je l’approche doucement sans faire de bruit, comme si j’approchais un animal craintif. La maison se dévoile petit à petit alors que je l’approche. Je regarde ses angles, sa matière, sa géométrie et je suis à l’affut de formes dissonantes.
Les deux dernières photographies du billet quittent le calme des rues de Komazawa pour la foule du dimanche après-midi à Shinjuku. Nous sommes ici au pied de la relativement nouvelle tour Newoman, au niveau de la sortie Sud de la gare de Shinjuku. Je passe souvent dans cette petite rue envahie de piétons, car nous stationnons en général la voiture dans le parking du Department Store Takashimaya juste à côté. Cette petite rue traverse par en dessous la longue avenue Kōshū Kaidō qui passe juste devant la sortie Sud de la gare de Shinjuku. Kōshū Kaidō est une ancienne route de la période Edo, menant jusqu’aux montagnes au delà de Hachiōji, et qui prend la numérotation de Route 20. A l’époque où je conduisais une moto, je ne connaissais cette rue que par son numéro et je l’empruntais assez souvent. Nous passons régulièrement mais en général que très rapidement à Shinjuku et je n’ai en général pas assez de temps pour prendre des photographies. Ce quartier m’attire toujours, peut être parce qu’il s’agissait d’un des quartiers de prédilection de Daido Moriyama, et que cette qualité photographique du quartier reste imprimée quelque part au fond de mon cerveau. Quand mon agenda du week-end le permettra et après la saison des pluies qui bat son plein en ce moment, il faudra que je revienne ici faire une exploration urbaine et photographique.
Photographies extraites des videos des morceaux Dark Spring et Black Car de Beach House sur l’album 7 disponible sur Youtube.
Le titre de ce billet m’est inspiré par un des morceaux du nouvel album de Beach House intitulé sobrement 7 (il s’agit de leur septième album). J’ai toujours écouté Beach House au compte-goutte, des morceaux par-ci par-là sur les albums précédents, morceaux que j’ai toujours beaucoup aimé d’ailleurs, mais je ne sais pour quelles raisons, je ne m’étais jamais plongé dans un album en entier. La musique de Beach House est de style Dream pop avec une grande force d’evocation, je dirais même cinématographique. Comme sur les deux vidéos ci-dessus des morceaux Dark Spring et Black Car, la musique sur cet album est sombre et profonde. Écouter cet album provoque une sensation étrange entre la voix souvent presque chuchotée de Victoria Legrand, comme une lumière diluée dans l’obscurité, et la musique dense qui l’accompagne. Pourtant cette voix a beaucoup de force et de présence même si elle ne se force pas. L’ensemble de l’album est envoûtant du début à la fin. Cette musique m’inspire, en l’écoutant le soir après minuit, la construction d’images au dessus où la lumière orangée surgit d’un rêve. A cet heure là, je n’ai même plus de souvenirs très clairs. Etais-je éveillé ou déjà parti dans mon sommeil vers un monde parallèle.