loud lights & subtle sounds (アルファフラッシュ)

L’envie me revient de temps en temps de saisir en photo les lumières nocturnes de la ville. La longue exposition permet de créer une nouvelle vision de la ville où les formes sont étendues, distordues et parfois disproportionnée. Depuis l’écoute de la compilation Tokyo House Underground vol.1, je suis attiré en ce moment par les sons électroniques house qui m’amènent de fil en aiguille vers le courant minimal deep house avec un DJ japonais nommé So Inagawa. Je découvre trois EPs de trois titres sortis sur le label Cabaret qu’il a fondé avec DJ Masda. Étant loin d’être un spécialiste du genre, je ne connaissais pas cet artiste électronique. Ma dernière poussée de fièvre électronique remonte en fait à plus de dix ans lors que je découvrais, après ma phase obsessionnelle Autechre, beaucoup d’autres artistes notamment sur une série nommée Monad contenant une musique minimaliste, sombre et abstraite avec, par exemple, le fabuleux Mutate de Xhin sur Monad III ou le non moins fabuleux Tension de Perc sur Monad V. Je découvrais également à cette période Falling the same way de Sandwell District, qui compte parmi les plus beaux morceaux électroniques que je connaisse. La musique de So Inagawa, apparentée au minimal deep house, est beaucoup plus apaisée et évolue lentement intégrant progressivement des sons très subtils qu’il faut écouter au casque ou écouteurs pour vraiment en saisir les nuances. J’écoute donc trois EPs: Logo Queen contenant également les morceaux Scan Runner et Selfless State (morceau par lequel j’ai d’abord découvert So Inagawa et qui reste mon préféré), puis le EP Sensibilia contenant deux autres titres, Yours Sincerely et Count Your Blessings, puis finalement le EP Airier contenant également les morceaux Petrichor et Heads over the clouds. Ces trois EPs sont sortis consécutivement de 2013 à 2017. Je cite tous ces morceaux à la suite car il n’y en a pas un qui sort vraiment du lot. Ils forment un vaste ensemble qui se construit progressivement avec quelques évolutions stylistiques au fur et à mesure des EPs, sans pourtant créer de rupture. Au dessus du rythme électronique très marqué et répétitif, viennent se poser quelques samples et surtout une mélodie toujours très belle, un peu vaporeuse et apaisante. J’ai l’impression que les chaleurs du moment demandaient ce style musical. Outre ces trois EPs, je suis également subjugué par trois autres morceaux par des artistes européens qui ont la particularité d’inclure des sonorités plus classiques dans leurs trames électroniques. Je commence par le superbe Lost with K de l’italien Christopher Ledger sur son EP Seventh Orphism, qui intègre d’une manière parfaite l’émotion d’une partition de piano. Je continue avec le français Traumer sur un morceau intitulé Classroom sur un EP du même nom. Ce morceau est d’une beauté envoûtante notamment par ces sons de tabla et les chants en langue indienne intervenant en deuxième partie. Finalement, je termine cette petite série musicale électronique par le morceau Anima (Sumau Edit) du roumain Petre Inspirescu qui a l’idée saugrenue de faire intervenir une voix opératique sur son long morceau de huit minutes. Le résultat est fascinant, tout comme la totalité de cette playlist qui joue à chaque fois sur la longueur. L’ambiance musicale en devient hypnotique, comme ces images de lumières sur la ville qui ouvrent parfois des portes vers d’autres mondes.

rouge et toxique

Un ciel et des nuages rouges envahissent les rues de Shinjuku, rouges comme les yeux des insectes géants Omus dans Nausicaä lorsqu’ils sont pris d’une fureur inarrêtable. J’aime cette couleur rouge car elle donne beaucoup de force aux images mais je me limite volontairement à l’employer. De temps en temps, l’envie me prend de teinter mes photographies. La dernière fois que j’ai utilisé et mis en avant volontairement le rouge, c’était sur une série intitulée sometimes en février de cette année. J’avais beaucoup hésité avant de montrer cette série, et c’est très souvent le cas quand je tente des expérimentations d’images. Mes expérimentations sont très souvent basées sur la destruction d’images et qui dit destruction dit intervention d’une certaine forme de violence visuelle. L’emploi de la couleur rouge va dans ce sens, mais je porte également attention à ne pas forcer le trait inutilement, d’où mes restrictions naturelles. Un autre dilemme se pose à moi régulièrement, c’est la perte d’homogénéité engendrée par le mélange de photographies ‘classiques’ de lieux visités et d’architecture avec ces photographies plus expérimentales. Parfois, j’aurais envie de les séparer plus clairement mais je me dis aussi que ce mélange fait aussi l’intérêt de ces pages basées uniquement sur l’émotion que veut transmettre son auteur sans soucis de s’harmoniser avec des standards établis par d’autres. Cette liberté n’est en fait que très limitée car l’empêchement que je m’impose à moi-même me maintient dans des limites bien définies.

En ce moment, j’écoute beaucoup l’album électronique Feed Forward du collectif Sandwell District, sorti en 2010. Je connais quelques morceaux depuis longtemps comme le superbe Falling the same way, morceau de 9:40 minutes grandiose pour sa spatialité. Lorsqu’on écoute ce morceau, on est tout de suite absorbé par l’ambiance créée par ces nappes musicales jusqu’à ce que démarre ensuite un rythme inarrêtable formant la colonne vertébrale du morceau. J’ai écouté ce morceau pour la première fois il y a sept ans et j’y reviens très régulièrement, comme une référence électronique, lorsque je suis à court d’idées sur les prochains morceaux a découvrir. Sur cet album, je m’étais inconsciemment limité à ce morceau sans écouter le reste de l’album parce que j’avais l’impression que le reste de l’album ne pourrait de toute façon pas atteindre ce sommet. C’est d’une manière assez vrai car Falling the same way fait de l’ombre à tout le reste de l’album. En écoutant l’album Feed Forward maintenant, je découvre cependant beaucoup de beaux morceaux comme le triptyque Immolare qui nous fait entrer dans un monde sombre, dans une ambiance post-industrielle qui semble avoir été noyée dans une mer toxique. L’ambiance est à la limite angoissante, avec des sons qu’on croirait venir d’insectes, comme ceux peuplant la fukaï, la forêt toxique en pleine extension de Nausicaä. La pochette grise de l’album avec cet être portant un scaphandre correspond bien à cette idée d’un univers hostile non habitable. Les morceaux suivants Grey cut out et Hunting lodge maintiennent cette ambiance post apocalyptique, mais Haunting lodge va un peu plus loin dans la puissance martelante du son électronique, jusqu’à développer une addiction. Ce morceau nous entraine dans des bas-fonds tandis que Falling the same way, qui suit juste après, nous ramène vers la lumière, celle qui perce à travers l’obscurité et envahit soudainement tout l’espace de sa clarté. Dans cette ambiance aux vents tourmentés, on attend que la machine se révèle petit à petit. Elle martèle d’un son clair jusqu’à l’infini, du moins on aimerait que ce son ne s’arrête jamais. Les quelques morceaux beaucoup plus minimalistes qui suivent ont un peu de mal à rivaliser en intensité avec Falling the same way. N’oublions pas que cet album est construit par un collectif, et que les ambiances résultantes varient suivant les influences de chaque membre.

Je parle un peu soudainement de Nausicaä dans le texte ci-dessus car je viens de le revoir pour la première fois depuis plus de 15 ans. L’émission radio « Les chemins de la philosophie » animée par Adèle Van Reeth sur France Culture diffusait à la fin avril et début mai quatre épisodes intitulés « Philosopher avec Miyazaki ». Les émissions faisaient intervenir des spécialistes et abordaient quatre films d’animation de Hayao Miyazaki et du studio Ghibli à savoir Ponyo sur la falaise, Porco Rosso, Princesse Mononoke et Nausicaä de la vallée du vent. Les émissions étaient toutes très intéressantes pour les amateurs de l’univers de Miyazaki. Elles s’efforçaient à déchiffrer les principaux thèmes de son œuvre. La cohabitation entre la nature, l’humain et la technologie est un des thèmes récurrents, tout comme le parcours initiatique du Héros. Ces éléments composent d’ailleurs le cœur du film d’animation Nausicaä de la vallée du vent, sorti en 1984. J’ai eu très envie de le revoir après avoir écouté les émissions et j’essaierais très certainement de lire le manga du même Hayao Miyazaki dont le film est tiré. Je ne reviendrais pas sur l’histoire du film car d’autres l’expliquent très bien, notamment cette analyse très intéressante de Guillaume Lasvigne sur le site Courte-Focale. Après l’avoir regardé, je ne soupçonnais pas être touché à ce point, par l’atmosphère du film, par la qualité de ce monde et de ses protagonistes dont on sait peu de choses (Miyazaki nous suggère plutôt que nous explique), par la volonté intouchable du personnage de Nausicaä, par l’émotion qui se dégage dans son désir de voir cohabiter des êtres bien différents et a priori hostiles les uns envers les autres. La musique toujours très juste de Joe Hisaishi contribue beaucoup à l’émotion qui se dégage de ces images. Je pense que Ghibli doit beaucoup à Hisaishi pour transporter le spectateur. Juste après voir vu le film, je télécharge sur iTunes quelques morceaux de la bande sonore du film, notamment le thème d’ouverture et un autre morceau très sensible Fukaï nite composé de notes de musique légères comme des gouttes de lumières, ou des petits flocons de pollen envahissant le ciel, comme ceux sur l’image ci-dessus qui retombent sur le corps de Nausicaä, alors qu’elle s’allonge sur le dos bombé d’un Omu dans la forêt toxique fukaï, protégée par un masque à oxygène. L’émotion qui se dégage de cette musique, en se remémorant certains passages du film, est magnifique. Une musique d’exception lorsqu’elle se marie bien avec les images transforme pour moi un bon film en un moment d’émotion pure qui nous dégage de toute notion temporelle, pendant le temps où on est plongé profondément dans ces images et ces sons. Dans un style complètement différent, les images de la route défilant dans la nuit sous le morceau « I’m deranged » de David Bowie dans le film Lost Highway de David Lynch est aussi un moment d’exception. Je me souviens encore très clairement du moment où j’ai vu le film pour la première fois au cinéma lorsque j’étais étudiant. Dès les toutes premières images sous la voix de Bowie, j’étais convaincu de la qualité du film. David Lynch a très bien compris que ce rapport émotionnel est indispensable.