d’une année à l’autre

Enoshima, le Mardi 31 Décembre 2024.

Nous passons la dernière journée de l’année 2024 à Enoshima, lieu que nous connaissons très bien mais vers lequel on aime revenir. Nous savons que le lendemain, le premier jour de l’année 2025, sera excessivement encombré pour le Hatsumōde (初詣). Nous essayons tout de même de rentrer assez tôt pour préparer le réveillon à la maison. Après quelques courses de dernières minutes sur le chemin du retour, nous arrivons finalement après le début de l’émission rituelle Kōhaku de la NHK, mais ce n’est pas très grave. Je voulais bien entendu voir en deuxième partie d’émission la prestation de Sheena Ringo accompagnée par Momo (もも) de Charan Po Rantan pour un duo sur le morceau Cheers beer (ほぼ水の泡) de son dernier album Hōjōya (放生会). Ce n’est pas le morceau que je préfère de l’album mais son énergie est communicative et elles arrivaient assez bien toutes les deux à la retransmettre sur scène. J’ai aimé revoir Vaundy pour le morceau Odoriko (踊り子) qui n’est pourtant pas sorti en 2024, et la prestation de Fujii Kaze (藤井風) depuis New York sur un morceau intitulé Michite Yuku (満ちてゆく) que je ne connaissais pas. Comme lors de l’un de ses précédents passages, j’ai cru au début du morceau qu’il s’agissait d’une mise en scène et qu’il allait finalement entrer par une porte dérobée sur la scène du grand hall NHK à la surprise de tous. Depuis que nous écoutons très régulièrement les deux albums de Fujii Kaze lors de nos longs trajets en voiture, j’ai changé d’avis dans mon appréciation de sa musique. Je trouve que l’émission Kōhaku a de plus en plus de passages obligés qui rigidifient petit à petit son format, entre le jeu de bilboquets pour tenter de battre chaque année un record au Guiness book, l’épreuve géante de domino, le medley Disney, le final obligé de la paire Masaharu Fukuyama (福山雅治) et Misia. Bref, il y a de moins en moins d’effets de surprise et l’émission n’avait à vrai dire pas grand chose d’exceptionnel. Elle s’est passée sans qu’on en retienne grand chose. Elle reste tout de même une consécration pour les artistes invités, et c’est ce fait là qui rend l’émission intéressante même si elle l’est pour moi de moins en moins. Une fois minuit, nous allons comme toujours au sanctuaire le plus proche. J’ai l’impression qu’il y avait plus de monde que d’habitude, mais ce n’est peut-être qu’une impression. La période de la nouvelle année est plus calme que l’année dernière qui était particulièrement occupée. Le 1er Janvier 2024, nous nous étions levés très tôt pour voir le lever du soleil. Nous nous sommes également levés tôt cette année mais pour une autre raison, amener le fiston jusqu’à la gare d’Asakusa car il allait à Nikkō avec quelques copains d’école.

Sanctuaire Hikawa à Shibuya, le Mercredi 1er Janvier 2025.

あけおめ
ことよろ
二◯二五

Les premières journées de l’année sont tellement calmes qu’on apprécierait presque l’ennui. Je n’ai même pas le courage d’écrire et je ne sais même plus quoi écrire de nouveau, ce qui explique la date relativement tardive de publication de ce billet pourtant démarré il y de nombreux jours. C’est le premier billet de cette nouvelle année mais je n’ai pas encore tout à fait fini d’épuiser les photographies que j’ai pu prendre pendant le mois de Décembre. Il me reste également à écrire le rapport du concert Ringo Expo’24 de Sheena Ringo, qui est en cours depuis plusieurs semaines et que je n’ai pas encore réussi à terminer.

Sur la petite playlist iPod de début d’année, je sélectionne quelques excellents morceaux sortis l’année dernière, qui avaient passé à travers les mailles décidément trop larges de mon filet. Je découvre quelques uns des morceaux de la playlist qui va suivre grâce à un billet de Ryo Miyauchi sur sa newsletter This Side of Japan regroupant les recommandations musicales de l’année 2024 par plusieurs contributeurs. On y trouve de tout, de l’excellent et du moins bon. J’y retrouve un certain nombre de morceaux déjà découverts cette année, ce qui m’encourage à tenter l’écoute de ceux que je ne connais pas encore. En fait, pour me contredire d’entrée de jeu, les trois premiers morceaux de cette playlist datent de 2023. Il s’agit de trois morceaux composés par Shin Sakiura et chantés par des artistes invitées: Blue Bird avec Maika Loubté et n.o.y.b avec Riho Furui. Les compositions de Shin Sakiura sont toujours impeccables et l’anglais un peu imparfait de la Franco-japonaise Maika Loubté sur Blue Bird est vraiment charmant. J’ai en fait d’abord découvert ce morceau par le remix qu’en a fait Shinichi Osawa. Le morceau remixé de Blue Bird est tellement disruptif qu’on ne reconnaît pas du tout la version originale. Il s’agit à la limite d’un tout autre morceau, qui est assez génial dans son esprit de décomposition, pour ensuite construire un tout autre édifice sonore. C’est en écoutant ce type de compositions que je me dis que Shinichi Osawa est souvent très inspiré. Je retrouve Riho Furui sur l’autre morceau n.o.y.b de Shin Sakiura. Il y a quelque chose de très fluide et de naturel dans ses compositions, un groove de nuit lumineuse qui s’accorde parfaitement avec la voix de Riho Furui. Les compositions electro-pop de Shin Sakiura ont ce petit quelque chose de lumineux qui me plait beaucoup. J’aime en fait bien le personnage et notamment la fraîcheur de son émission radio Music Bloom avec Rachel du duo hip-hop Chelmico. L’émission nous fait découvrir des morceaux pop d’Asie, sans exclure le Japon car ils avaient invité récemment le duo pop-rock Illiomote (イリオモテ), donc j’avais déjà parlé sur ce blog (qui est vraiment très complet).

Je découvre ensuite le morceau A million More, du EP du même nom, de la chanteuse R&B Reina, originaire de Fukuoka. Les morceaux sont produits par Kota Matsukawa du label w.a.u, qui joue également de la basse dans le groupe qui l’accompagne. Le morceau est très beau, feutré et sophistiqué, un morceau qu’on écoute en pleine nuit avec un verre de whisky à la main. A ce propos, comme je suis très facilement influençable, j’ai changé temporairement la marque de mon whisky préféré de Chivas à Suntory AO (sacrilège familial mais temporaire), tout simplement parce que Sheena Ringo en a fait la publicité dans une très belle vidéo réalisée bien sûr par Yuichi Kodama, prenant pour décor un cabaret sombre et pour musique le carrément sublime morceau Closed Truth (茫然も自失) de l’album Hōjōya. Ce morceau est devenu au fil du temps, et grâce peut-être à l’ambiance de cette vidéo, un de mes morceaux préférés de l’album. Sa manière de chanter y est tout à fait unique. C’était également une des interprétations les plus réussies du concert Ringo Expo’24.

Je connais depuis quelque temps le groupe dansa med dig (ダンサ・メッド・ディグ), projet alternatif formé en 2016 originaire de Sendai dans la préfecture de Miyagi, car Azusa Suga de feu For Tracy Hyde avait fait part de sa découverte du groupe dans une longue interview publiée sur un blog amateur en Mai 2024. Le groupe dansa med dig se compose en fait d’un duo: Satomi Igarashi (五十嵐) au chant et à la guitare, et Hiroki Kodaira (小平) à la guitare, claviers, programmation et mixage. Ils arrivent à deux à donner une ampleur assez épatante à leur musique rock teintée de Shoegaze. L’utilisation de la réverbération sur le morceau Eyes Bright que je découvre d’abord, et certainement l’utilisation de l’anglais, contribue à cette impression. J’écoute dans la foulée leur EP intitulé Neon sorti en Février 2024, qui est dans le même esprit. Le EP ne contient que quatre morceaux pour 14 minutes, mais ce sont des minutes qu’on ne voudrait pas manquer. Ma playlist contient également le morceau The Girl and The Heron du groupe The Floatings. Le groupe, basé à Tokyo et formé en 2023, se compose de re:caco au chant et claviers, Naoki Dendo à la guitare, Hideya Masaki également à la guitare et Junya Watanabe à la basse (mais où est le batteur?). Ils se font surnommer Tokyo Neo Gazer qui résume leur son entre Shoegaze et Dream pop. Le morceau The Girl and The Heron a une composition assez classique dans un style proche de l’esprit Dream Pop, mais cela ne l’empêche pas d’être vraiment très beau. Je me demande parfois d’où vient cette inspiration mélancolique de nombreux groupes de rock alternatif tokyoïtes (par exemple, SPOOL). Enfin, ceux qui vivent à Tokyo depuis longtemps le savent assez bien. La voix de re:caco transmet magnifiquement cette mélancolie et c’est magnifique.

Les hasards des recommandations YouTube m’amènent ensuite vers le single Last Flight du groupe de rock alternatif White Hacker Innovator (破壊的価値創造), mené par la vocaliste Soan. Ce single est sorti sur le premier EP de la formation intitulé Forced Landing, sur un label japonais indépendant. J’adore l’énergie et la passion débordante qui se dégage du chant de Soan, me faisant penser lors du moment parlé à la sensibilité d’Haru Nemuri. La vidéo du morceau Last Fight est en fait liée à la vidéo d’une autre formation appelée Blooming Bungei (文藝天国) sur un morceau intitulé 破壊的価値創造, reprenant donc le nom japonais de la formation de Soan. Elle même joue dans les deux vidéos habillée de la tête au pieds de la même tenue protectrice blanche, avec des gros écouteurs autour du cou. Cette correspondance entre deux formations est très intrigante et il faudra j’explore bientôt dans son intégralité le EP Forced Landing de White Hacker Innovator. Dans les listes de fin d’année de la newsletter This Side of Japan, je trouve mentionné plusieurs fois le morceau Kimi no Mine ni Gunshot (君の胸に、Gunshot) du groupe d’idoles alternatives RYUtist. J’étais familier de ce nom de formation depuis longtemps sans avoir écouté un seul de leurs morceaux. La curiosité me pousse à écouter celui-ci car son titre me paraissait inadapté à l’image que je me faisais du groupe. Dès les premières secondes du morceau de composition électronique, je suis surpris par la beauté sensible et instable de ce que j’entends. Oui, mais je me rends vite compte que Daigo Sakuragi (櫻木大悟) du groupe D.A.N. écrit, compose et arrange ce morceau! Sa musique s’accorde vraiment bien avec le chant des trois idoles de RYUtist, même quand elles allègent un peu l’ambiance avec des petits phrasés mignons par moment. Un peu comme pour les idoles alternatives de RAY, quand des compositeurs et arrangeurs talentueux proposent des morceaux à des idoles, ça donne de très belles choses, très loin de ce que l’on pourrait imaginer de ce genre de groupes. Ensuite, il y a ce superbe morceau de Minami Hoshikuma (星熊南巫) intitulé TOKYO神VIRTUAL. Elle a également sorti des morceaux sous le nom D̴E̷A̷T̴H̴N̷Y̵A̶N̴N̷, et les lecteurs les plus attentifs se souviendront que j’ai déjà parlé sur ce blog (décidément très complet) du single intitulé Tarantula. J’adore le rythme minimaliste du morceau, la voix de Minami Hoshikuma légèrement teintée d’auto-tune, et l’esthétique hyper-pop de la vidéo réalisée par Takasuke Sato. Et pour terminer dans un esprit complètement différent, je découvre à la radio le morceau Vertigo du groupe Pablo Haiku, un trio composé de Hiyu Mori (森飛友) au chant, Fuka Nagata (永田風薫) à la guitare et Adachi (足立新) à la basse. Le trio s’est formé alors qu’ils fréquentaient l’Université des Arts de Tokyo. J’aime beaucoup l’ambiance cool du morceau qui nous incite à ralentir un peu. « I need you to slow down » nous dit la petite voix trafiquée dans les chœurs ressemblant à une sorte d’incantation. Hiyu Mori chante en anglais, mais on a l’impression qu’il n’essaie pas vraiment de forcer son accent et d’avoir un phrasé parfait, mais joue plutôt sur l’atmosphère. Et ça fonctionne particulièrement bien. Tous les morceaux de cette petite playlist m’ont accompagné pour une bonne partie de ce début d’année, que je vous souhaite bonne et heureuse.

de l’impermanence répétée des choses

Cela fait plus de vingt ans que je parcours les rues de Tokyo avec mon appareil photo et je n’y trouve pourtant pas encore de lassitude, peut-être parce que mon regard est sans cesse renouvelé même si j’ai parcouru les mêmes rues des dizaines de fois. J’ai remarqué que ce renouvellement du regard ne s’opère que lorsque j’ai sorti l’appareil photo de mon sac et que je le tiens à la main ou en bandoulière. S’il reste au fond de mon sac, il y a de fortes chances que je passe à côté des choses qui m’entourent. Le fait d’avoir l’appareil immédiatement à disposition déclenche une sorte d’acuité visuelle et un intérêt accru pour ces choses autour de moi. Je me demande si ces choses autour de moi sont éphémères car il me semble souvent les avoir vu pour la première fois alors que je suis pourtant passé par ces lieux de nombreuses fois. Le béton et l’acier de la galerie TOM sur la première photographie se tiennent pourtant immuables au bord d’une rue de Shōtō depuis 1984. Même chose pour Earthtecture Sub-1 de Shin Takamatsu sur la troisième photographie, présente au bord d’une rue de Yoyogi Uehara depuis 1991. Ces architectures très particulières suscitent certainement le besoin de les approcher avec un regard à chaque fois renouvelé pour essayer de comprendre leurs mystères. L’éphémère n’est pas seulement celui des choses qui m’entourent mais également celui de mon regard qui change de points d’interêt et de sensibilité à chaque parcours. Cette impermanence répétée de mon propre regard ajouté au renouvèlement perpétuel de nombreuses parties de cette ville font que je n’en ai pas encore vu le bout, et que je peux entamer un nouveau parcours avec un regard à chaque fois différent. Et pour ajouter un paramètre indispensable à cette équation sensorielle, les lumières conditionnées par les saisons et les nuages qui nous surplombent modifient profondément l’appréhension que l’on peut avoir des choses. Et quand j’ai le sentiment que les choses autour de moi se répètent, je lève les yeux vers le ciel, vers des zones que l’on ne regarde pas forcément de manière spontanée. Une connaissance m’avait dit une fois, il y a de nombreuses années, que regarder mes photographies sur ce blog avait changé sa manière de regarder les rues qu’elle parcourait tous les jours. C’est un commentaire que je garde en tête encore maintenant.

J’avais acheté il y a plusieurs semaines au Disk Union de Shimokitazawa un double DVD du mythique groupe rock Number Girl mené par Shutoku Mukai (向井秀徳). Malgré une réunion éphémère plus récemment, le groupe s’est dissous il y a plus de vingt ans, le 30 Novembre 2002 après un ultime concert à Sapporo, le Sapporo Omoide in My Head Jōtai (サッポロOmoide in My Head状態). Le double DVD éponyme que je me suis procuré à Shimokitazawa est sorti le 23 Mars 2003 et il s’agit de la dernière sortie de la discographie officielle de Number Girl. Je le découvre progressivement en commençant par le premier DVD qui est un long documentaire de deux heures montrant un grand nombre d’images d’archives de leurs premiers concerts à Fukuoka d’où le groupe est originaire, du passage à la Japan Nite du festival SXSW au Texas, des séances d’enregistrements dans les studios de Tarbox Road de Dave Fridmann dans l’état de New York pour les albums Sappukei (2000) et Num-Heavymetallic (2002) et de nombreux autres extraits de concerts au Japon dont leur tout dernier morceau Omoide in My Head interprété lors de leur dernier concert à Sapporo mentionné ci-dessus. Parmi les nombreuses scènes du documentaire, celle intitulée Tokyo Freeze, prise en version acoustique attire mon attention. La vidéo datant de 2001 est très granuleuse et volontairement mal cadrée. Cette scène filmée semble improvisée. Elle a été prise dans une chambre d’hôtel à Sapporo. Elle réunit le groupe sur le tatami de la chambre d’hôtel. L’ambiance semble solennelle mais montre également la fatigue d’une fin de concert, où les membres utiliseraient leurs dernières forces pour un tout dernier morceau. Dans les paroles mi-parlées mi-chantées de Tokyo Freeze, Shutoku Mukai répète plusieurs fois les paroles « Kurikaesareru shogyōmujō, Yomi ga heru seiteki shōdō » (繰返される諸行無常、よみがへる性的衝動) qu’on peut traduire par « Impermanence répétée de toutes choses, Impulsions sexuelles ravivées ». Ces mêmes paroles me sont familières car Shutoku Mukai les prononce également sur le morceau Kamisama, Hotokesama (神様、仏様) de Sheena Ringo, sorti en 2015. Les univers de Shutoku Mukai et de Sheena Ringo se croisent sur ces paroles. Ce terme bouddhiste de l’impermanence Shogyōmujō (諸行無常) était utilisé par Sheena Ringo comme titre pour sa tournée nationale de 2023, Sheena Ringo to Aitsura to Shiru Shogyōmujō (椎名林檎と彼奴等と知る諸行無常). D’un autre côté, le terme Seiteki (性的) que Shutoku Mukai utilise dans ses paroles était présent dans l’univers de Sheena Ringo à ces débuts, notamment dans la série de compilations vidéos Seiteki Healing (性的ヒーリング), qu’on peut traduire par « Guérison sexuelle ». Le terme Shogyōmujō (諸行無常) est un des trois Sceaux du Dharma (Trilakṣaṇā dharmamudrā en sanscrit), ou marques de l’existence, constituant la philosophie fondamentale du bouddhisme, avec les concepts de Non-soi (諸法無我) et de sérénité du nirvana (涅槃寂静). Cette dernière marque est parfois remplacée par l’idée que toute expérience est caractérisée par la souffrance (Duḥkha en sanskrit). Le Shogyōmujō s’interprète comme le fait que toute chose dans ce monde change et répète son destin de naissance et de disparition, que rien ne reste toujours le même et que la vie est éphémère. Sheena Ringo utilise beaucoup les concepts et l’imagerie boudhistes dans ses morceaux et dans ses concerts. C’est également le cas pour sa dernière tournée de 2024, et d’une manière remarquable d’ailleurs. Je me rends compte que Shutoku Mukai utilise en fait très souvent ces paroles « Kurikaesareru shogyōmujō, Yomi ga heru seiteki shōdō » (繰返される諸行無常、よみがへる性的衝動) sur les morceaux de sa formation post-Number Girl, Zazen Boys, mais la première fois que ces paroles ont été utilisées était en 1999 sur le morceau Eight Beater de l’album School Girl Distortional Addict de Number Girl.

De Zazen Boys, je ne connaissais que deux morceaux, ceux en collaboration avec Sheena Ringo présents sur la compilation Ukina (浮き名) sortie en Novembre 2013, Crazy Days Crazy Feeling et You make me feel so bad provenant du même album Zazen Boys II sorti en 2004. Je voulais démarrer l’écoute de Zazen Boys par ce deuxième album, qui compte apparemment parmi les plus réputés du groupe, mais je trouve d’abord l’album suivant Zazen Boys III, sorti en 2006, au Disk Union de Shin-Ochanomizu. Ce troisième album est celui qui divise le plus les fans et est réputé pour être le moins accessible. Je ne commence pas par la porte d’accès la plus facile mais je ne suis pas déçu par ce que j’écoute, et ce dès le premier morceau Sugar Man. L’album est très expérimental et assez désorganisé. Shutoku Mukai donne parfois l’impression d’être en roue libre, multipliant les voix bizarres. On note tout de même une inspiration bouddhiste certaine, dans certaines manières de chanter et de parler. Les compositions de Zazen Boys sont proches du math rock, dans le sens où elles sont complexes et imprévisibles. Il faut plusieurs écoutes pour s’imprégner de l’ambiance de l’album, qui devient petit à petit indispensable, car les rythmes de guitare finissent par nous hypnotiser. Le morceau Don’t Beat en est un bon exemple. Je peux comprendre que cet album puisse être déstabilisant car un morceau comme l’instrumental Lemon Heart ressemble à une session de préparation avant de démarrer un véritable morceau, mais les sons de guitare et le rythme complexe de la batterie sont tellement intéressants que ce morceau est pour moi fascinant, notamment pour son final qui décroche complètement. On trouve tout de même sur cet album des morceaux à l’approche plus classique, comme This is NORANEKO, mais il est tout de suite suivi par le morceau METAL FICTION qui démarre d’une manière très étrange par des paroles où Shutoku Mukai prend le ton de voix d’un moine bouddhiste. Sans connaître le reste de la discographie de Zazen Boys, je me place tout de suite du côté des amateurs de cet album, car l’ensemble est assez fabuleux pour sa grande liberté conceptuelle. Du coup, j’ai eu très envie de me procurer l’album Zazen Boys II que je trouve finalement au Disk Union de Shibuya. Au passage, le design en graffiti de la couverture de ce deuxième album du groupe me rappelle un peu un design récent d’un logo de Tokyo Jihen. Sur Zazen Boys II, outre les deuxième et cinquième morceaux, Crazy Days Crazy Feeling et You make me feel so bad, que je connaissais déjà, je ne découvre que maintenant que Sheena Ringo chante également sur un troisième morceau de cet album de 15 titres. Sur ce morceau intitulé Anminbō (安眠棒), Ringo n’intervient que dans les chœurs pour répéter, avec une voix aux accents traditionnels que je ne lui connaissais pas, les paroles « Anminbō de Korosareta » (安眠棒で殺された) qu’on peut traduire par le fait d’avoir été tué par un bâton de sommeil profond. Ces paroles sont bien mystérieuses et j’ai un peu de mal à en comprendre le sens. L’album Zazen Boys II est plus accessible que le troisième opus du groupe, avec certains morceaux proches de l’ambiance sonore de Number Girl, notamment pour le son de guitare très métallique et l’approche vocale agressive. Un grand nombre de morceaux ont cependant une approche math rock distincte. Dans cet esprit, le début du sixième morceau Cold Beat est très intéressant car le rythme rapide de la guitare fait ressembler l’instrument à un beat électronique. Shutoku Mukai y chante avec un phrasé proche du rap qui caractérise également un certain nombre de morceaux du groupe. Un morceau comme Daigakusei me ramène avec un grand plaisir vers les sons dissonants de Sonic Youth. C’est peut-être en raison du nom du groupe, mais j’avais un à priori que les morceaux de Zazen Boys étaient forcément moins intéressants que ceux de Number Girl, mais je me rends en fait compte avec ces deux albums que ce n’est pas du tout le cas.

コンクリートもスウイング

Le nouveau building Ginza Sony Park, conçu par Takenaka Corporation, est officiellement toujours en construction et ouvrira ses portes en Janvier 2025. Un programme artistique de pré-ouverture intitulé ART IN THE PARK (Under Construction) s’y déroule pourtant depuis le 19 Novembre 2024 et on peut visiter le building pour voir les œuvres présentées en réservant sa place à l’avance. On y montre les créations de trois artistes: Shun Sudo, Koji Yamaguchi (山口幸士) et Takuro Tamayama (玉山拓郎). J’avais réservé ma place pour le Samedi 23 Novembre car j’étais vraiment très intrigué de voir l’intérieur de cet étrange bloc de béton ressemblant à bunker brutaliste, pourtant grandement ouvert sur le grand carrefour de Sukiyabashi à Ginza. J’étais également assez curieux de voir les graffitis floraux de Shun Sudo mis en situation dans cette architecture. Shun Sudo est familier du Ginza Sony Park, car il avait déjà agrémenté de ses illustrations les longs murs blancs entourant pendant plusieurs mois les travaux du site. Les objets lumineux conçus par l’artiste Takuro Tamayama, originaire de Gifu mais actuellement basé à Tokyo, sont particulièrement bien adaptés à l’architecture de béton du building. Les lumières rouges et vertes des tubes de ses installations viennent éclairer des pans entiers de murs du building avec un subtil dégradé de luminosité. Certains de ses objets lumineux courbes sont installés dans les sous-sols du building et apportent une ambiance tout à fait particulière, assez irréelle. Je commence la découverte du building par ses sous-sols pour ensuite remonter le grand escalier de béton qui nous amène à l’étage. Le building est tellement brut de décoffrage qu’on a du mal à vraiment comprendre s’il est terminé ou si des revêtements de surface viendront agrémenter les parois du building. On trouve toujours des échafaudages sur certaines zones en construction et on se demanderait presque s’ils sont destinés à rester là en permanence comme un élément à part entière de l’architecture. Le quadrillage métallique couvrant une grande partie des façades pouvait d’abord surprendre mais on comprend maintenant qu’il sert de support pour des grandes affiches comme celles qu’on peut voir en ce moment. Aux étages où sont montrées les fleurs boutonnées de Shun Sudo et les fleurs floues pastel de Koji Yamaguchi, les plafonds laissent apparente toute la tuyauterie des appareils d’air conditionné. Là encore, je ne sais pas si cette non-couverture est volontaire et sera permanente car il n’est pas rare de voir apparent ce genre de tubes et équipements électriques dans des bâtiments commerciaux. J’espère en fait que ce building si particulier et unique restera tel qu’on peut le voit actuellement. Le béton est plein d’aspérités et n’est pas parfaitement uniforme ou lisse comme on pourrait le voir sur les constructions de Tadao Ando. C’est un autre genre de brutalisme qu’on peut voir là et on en savoure chaque centimètre. Pour continuer la visite, je montre également quelques autres photos sur mon compte Instagram.

Comme souvent lorsque je rencontre ce genre de bâtiments bruts de béton, je me demande quelle pourrait être la musique qui correspondrait à l’ambiance qu’il dégage. La réponse semble avoir déjà été trouvée car se déroulera au Ginza Sony Plaza à partir du 16 Décembre un événement appelé sakamotocommon en lien avec le compositeur Ryuchi Sakamoto. On sait que Ryuchi Sakamoto était capable de créations expérimentales qui à mon avis s’accorderaient très bien avec cet ensemble de béton. Mais, je pense à quelque chose de plus radical en écoutant l’album Happy Trigger de MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー). Cet album m’entraine vers un rock à tendance punk et expérimentale par moments très inspiré. Il m’arrive de temps en temps de choisir un album au hasard lorsque je parcours les rayons CDs d’un disquaire Disk Union. Ici, à Shinjuku, je tombe sur cet album de MO’SOME TONEBENDER dont je ne connaissais que le nom. Le groupe a été fondé en 1997 à Fukuoka par Kazuhiro Momo (百々和宏) au chant et à la guitare, et par Isamu Fujita (藤田勇) à la batterie, accompagné par Yasunori Takei à la guitare basse et à la trompette sur cet album. Le nom du groupe est en fait une contraction des noms/prénoms de deux des membres (Momo pour MO’ et Isamu pour SOME). L’album Trigger Happy est sorti en 2003. Il se compose en tout de dix morceaux, dont deux, reprenant le titre de l’album, viennent encadrer l’ensemble dans des ambiances tres différentes, relativement apaisée pour le premier et exagérément bruitistes pour le second. Plus qu’un album, il s’agit d’un objet musical difficilement identifiable car il part parfois vers des expérimentations sonores inattendues. La base reste tout de même rock, mais les manipulations sonores éloignent chaque morceau du format classique refrain et couplets. On y trouve une grande liberté de composition et le deuxième morceau hang song en est peut-être le meilleur exemple. Ce morceau est particulièrement inspiré tout comme les suivants BIG-S et go around my head. Ce dernier morceau go around my head est pour moi le sommet de l’album. Il y a une sorte d’hystérie subtile dans la voix de Kazuhiro Momo qui me fascine vraiment et les guitares puissantes ajoutent à la tension de l’ensemble. Je trouve un certain brutalisme dans ce morceau qui est fantastique, surtout le final qui déclenche un son lourd et répétitif de guitare rythmé par une batterie ressemblant à des battements de cœur. On trouve une émotion forte dans cette forme brute à priori hostile, un peu comme dans les structures de béton du building ci-dessus. L’album s’adoucit ensuite un peu avec quelques morceaux en grande partie instrumentale comme VIEW VIEW, qui est excellent notamment pour les cuivres qui l’accompagnent.

De MO’SOME TONEBENDER, je connaissais en fait un morceau depuis longtemps, Rockin’ Ruler (ロッキンルーラ), car il était présent sur l’album compilation Ukina (浮き名) de Sheena Ringo, sorti en Novembre 2013. Ringo jouait du piano et chantait dans les chœurs de ce morceau. Rockin’ Ruler était initialement sorti en 2005 sur l’album du même nom de MO’SOME TONEBENDER. Son style rock plutôt classique est complètement différent de l’approche expérimentale de l’album Trigger Happy. La voix de Kazuhiro Momo y reste très typée, dans un style un peu similaire à la voix de Kenichi Asai de Blankey Jet City. Sur Rockin’ Ruler, il faut quand même dire que sa voix puissante effaçait complètement celle de Ringo au point où on a un peu de mal à l’entendre dans les chœurs. Comme je l’évoquais déjà précédemment, Kazuhiro Momo jouait de la guitare sur les morceaux Shūkyō (宗教) et Sōretsu (葬列) de l’album Kalk Samen Kuri-no-Hana (KSK) et accompagnait Ringo sur quelques photographies du magazine Gb d’Avril 2003, intitulé Shūgen (祝言). Le fait que l’album Trigger Happy soit sorti la même année (2003) que KSK et que cette série de photographies avait en très grande partie attiré ma curiosité. Dans les sorties musicales rock, il y a quelques années qui pour moi sont importantes et attirent mon attention: 1991 (the year punk broke), 1999 (la tension pre-millenium et mon arrivée à Tokyo) et 2003 (la sortie de KSK qui cassait tous les codes et les attentes). Je suis en fait assez curieux d’écouter les sorties rock de 2003 et des années autour, pour essayer de mieux me remémorer ou même appréhender l’environnement musical dans lequel KSK est sorti, voire comprendre l’influence que cet album a pu avoir sur d’autres groupes et artistes dans les années qui suivent.

Pour continuer un peu avec Sheena Ringo, je pensais avoir fait le tour de sa discographie depuis longtemps, mais je ne découvre que récemment un morceau que je ne connaissais pas. Il ne s’agit pas d’une composition originale mais d’une reprise du single Georgy Porgy du groupe américain TOTO, inclus sur le premier album éponyme du groupe sorti en 1978, l’année de naissance de Ringo. La reprise du morceau Georgy Porgy sorti en 2002 n’est pas créditée sous le nom de Sheena Ringo mais du groupe Yokoshima (邪) composé entre autres du frère de Ringo, Junpei Shiina (椎名純平), de Ringo bien sûr et d’un certain Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) qui n’a pas encore pris le surnom d’Ukigumo. Ryōsuke Nagaoka et Sheena Ringo chantent en duo sur ce morceau avec Junpei Shiina dans les chœurs. Ryōsuke Nagaoka connaissait en fait déjà Junpei Shiina, car un concours de circonstances l’avait amené à devenir guitariste d’appoint de son groupe de l’époque, The Evil Vibrations, lors d’un concert en 2000. L’idée de la reprise du morceau de TOTO a germé lors des enregistrements de l’album de reprises de Sheena Ringo, Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sorti cette même année 2002. Nao Numazawa (沼澤尚), le batteur de la formation pour cet album de reprise, était apparemment un disciple du père du batteur de TOTO, Jeff Porcaro, et, pendant ses années de lycée, Sheena Ringo avait repris ce morceau à la batterie avec son groupe du club de musique. Ceci a déclenché l’idée d’enregistrer une reprise du morceau, mais Ringo ne se voyait pas chanter seule toute la partie vocale masculine interprétée par Steve Lukather, le chanteur de TOTO. L’idée de faire intervenir Ryōsuke Nagaoka au chant sur ce morceau est né lors d’un trajet en voiture. Le morceau Georgy Porgy passait sur l’autoradio et Ryōsuke Nagaoka se serait mis à le chanter ce qui aurait fait comprendre à Ringo, également présente dans cette voiture, qu’il serait un très bon interprète pour un duo. Sheena Ringo dit souvent que Ryōsuke Nagaoka a une belle voix, mais je ne savais pas que ce morceau Georgy Porgy était le premier qu’il ait chanté officiellement, sous l’impulsion de Ringo. Cette petite anecdote est très intéressante car elle permet de mieux connaître les liens entre Ringo et Ukigumo, et la genèse musicale de ce dernier. Ukigumo participera ensuite à l’album KSK. Georgy Porgy ne sera finalement pas inclus sur la compilation de reprises Utaite Myōri: Sono Ichi car Ringo a estimé qu’il s’agissait d’une copie plutôt que d’une reprise. C’est vrai que la composition est identique à l’originale mais l’interprétation à deux voix par Ukigumo et Ringo n’en reste pas moins très réussi. La tension vocale de Ringo y est même fabuleuse, dans un anglais excellent. Le morceau était sorti en ligne sur le site de Toshiba EMI pour une durée très limitée en 2002 mais n’est actuellement disponible nulle part à la vente. Il faut vraiment que Sheena Ringo pense à l’épisode 2 de Utaite Myōri pour y intégrer ce genre de pépites. Ça paraît même assez incroyable qu’un aussi bon morceau, même s’il ne s’agit que d’une reprise, ne soit écoutable que sur une page YouTube non officielle.

the streets #9

Ma série the streets poursuit tranquillement son chemin avec un neuvième épisode qui continue à cumuler des photographies désordonnées sans aucuns liens apparents les unes avec les autres. Une Mercedes Benz vintage qui pourrait bien être un modèle 250SE de 1967 est suivie par un papillon docile se laissant prendre en photo sur sa grande baie vitrée. Des autocollants de rue pris au piège par un filet semblent menacés par une plante peut-être carnivore sur la photographie qui suit. Ça faisait longtemps que je n’avais pas marché de la maison jusqu’à Shinjuku, mais ça me redonne l’occasion de passer près de la gare de Yoyogi, notamment devant la petite sortie arrière en forme d’arche métallique d’une autre époque. J’aime beaucoup cette entrée et sortie de gare car elle apparaît tellement basse depuis la rue qu’on aurait l’impression d’une porte dérobée. Et le poster qui conclut cette série hétéroclite provient du magasin Tower Records de Shinjuku. Il s’agit du groupe Band-Maid que je n’ai pourtant jamais écouté. Il me semble avoir déjà jeté une oreille sur un ou deux morceaux du groupe sans pourtant avoir vraiment accroché. Il faudra peut-être que j’écoute à nouveau si elles ont sorti un nouvel album comme le laisse présager ce grand affichage publicitaire à l’intérieur même du Tower Records. J’étais en fait venu au Tower Records de Shinjuku pour acheter le Blu-Ray du dernier live de Sheena Ringo, Sheena Ringo to Aitsura to Shiru Shogyōmujō (椎名林檎と彼奴等と知る諸行無常), auquel j’avais assisté en Mai 2023 mais que je n’avais pas encore acheté et qui manquait donc à ma chère collection. J’avais en fait un enregistrement de ce concert lorsqu’il était passé sur la chaîne payante WowWow à laquelle je m’étais abonné exprès pendant une période d’essai pour voir ce concert. Cet enregistrement avait rendu l’achat du Blu-ray moins immédiatement nécessaire, mais un problème technique inattendu ou une mauvaise manipulation (ce qui est plus probable) a fait disparaître l’enregistrement du concert du petit disque dur attaché à la télévision. Le prochain concert Ringo Expo’24 au Saitama Super Arena approchant à grands pas, l’envie de revoir le concert précédent devint presque irrésistible ou du moins nécessaire. Le Tower Records de Shinjuku est le vendeur de disques où j’étais pratiquement sûr de trouver l’édition première presse avec boîtier et livret grands formats. Il faudra un jour que je reprenne en photo ma collection complète sur Sheena Ringo mais l’ensemble ne tient plus depuis longtemps dans le cadre étroit d’un objectif photo.

Les deux photos ci-dessus sont également prises au Tower Records, mais à celui de Shibuya qui est beaucoup plus grand que sa version de Shinjuku. À l’étage des vinyls, on peut trouver deux guitares encadrées comme des œuvres d’art dans des caissons de verre. Ce sons deux guitares de Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) alias Ukigumo (浮雲), une Phantom vert menthe customisée au nom d’Ukigumo et prenant à priori la base du modèle Phantele et une RS Guitarworks Explorer Junior dont la forme me fait penser à une Flying-V qui se rêverait être une Flying Star X. La Phantom est emblématique de Tokyo Jihen et Ukigumo en a utilisé de nombreuses dans différents coloris comme le montre la couverture du magazine japonais Guitar Magazine de Juillet 2021. Je pense qu’il réserve plutôt la RS Guitarworks Exp Jr pour son groupe Petrolz, mais je n’en suis pas certain. Nicolas que j’ai rencontré avec beaucoup de plaisir cette semaine lors de son passage à Tokyo, et à Shibuya en particulier, m’a rappelé qu’il fallait vraiment que j’entame la découverte du groupe, en commençant par le live album Capture 419 enregistré le 19 Avril 2012 à Shimokitazawa Garage et l’album Renaissance sorti en 2015. C’est bien noté. Ma difficulté a été de les trouver en version CD aux magasins Disk Union à un prix abordable, mais je ne désespère pas. Notre rencontre a été l’occasion de lui transmettre en mains propres l’artbook signé de Nakaki Pantz, que je gardais précieusement (comme un trésor enfoui) à la maison pendant environ deux ans. Cela a également été l’occasion de parler de vives voix de mille choses et bien entendu des musiques japonaises qu’on aime tant.

Et dans ces musiques japonaises que j’aime tant, je mettrais cet album de la compositrice et interprète originaire d’Osaka, Asuka Kuroiwa (黒岩あすか) que je découvre soudainement et sans m’y être préparé par son dernier album Kaibutsu (怪物) sorti le 2 Octobre 2024. Cette musique rock, avec à la fois des éléments de folk et de post-rock dans l’esprit, est tout à fait fascinante et unique. La voix d’Asuka Kuroiwa y est pour beaucoup, à la frontière entre les murmures et les cris intérieurs désespérés. Le rythme lent et la beauté pénétrante de la musique du groupe accompagnant la voix d’Asuka Kuroiwa nous donnent envie de nous arrêter au calme pour apprécier ce moment d’une sensibilité rare. L’album de sept morceaux pour 38 minutes forme un ensemble dont il est difficile d’extraire et de dissocier des morceaux en particulier, qui font partie d’une expérience d’écoute démarrant par un morceau instrumental et continuant avec certains morceaux prenant le temps de se développer sur presque huit minutes. On trouve quand même une sorte d’aboutissement de la démarche sur le sublime morceau Kaibutsu (怪物) reprenant le titre de l’album. En écrivant ce billet, mes mots sont influencés par les ceux d’introduction d’une interview de l’artiste datant de 2017. L’interviewer y exprime un désir profond que l’oeuvre musicale secrète et rare d’Asuka Kuroiwa parviennent jusqu’à ceux qui en ont besoin ou qui peuvent en apprécier la valeur (この密やかにして稀有なる名作が、届くべき人のところに届いて欲しいと切に願う). Je trouve ces mots très juste car cette musique ne parviendra pas à tout le monde mais fera beaucoup de bien à ceux qui y sont réceptifs et qui l’attendait sans le savoir.

the streets #6

Je continue tranquillement ma série the streets, redémarrée récemment par les épisodes #4 et #5. La plupart des photographies de ce sixième épisode ont été prises avec mon objectif 40mm pendant une même journée légèrement pluvieuse dans la rue Cat Street, avant l’ouverture de la plupart des magasins. Cette rue quasiment piétonne est coupée en deux par la grande avenue d’Omotesando qui voyait ce jour là un défilé de policières percussionnistes. À part ce défilé, je montre peu de personnes dans les rues, à part celles qui décident soudainement de se dévoiler au détour d’un immeuble et celles de moi-même quand j’autorise mon image à se refléter contre les baies vitrées (ici avec mon magnifiquement simple t-shirt de Daoko acheté lors du concert de Shibuya).

Le premier étage de la Lurf Gallery à Daikanyama est à la fois utilisé comme café et comme espace d’exposition. J’y jette régulièrement un coup d’œil pour voir si on y montre des choses intéressantes. On y exposait cette fois-ci une série de 13 illustrations de l’artiste Masanori Ushiki intitulée « Easy Telepathy II ». Je découvre cet artiste, que je ne connaissais pas. Je suis attiré par les motifs parfois étranges mélangés aux couleurs fortes des personnages qu’il dessine, qui les rendent tout à fait unique.

Cö Shu Nie vient de sortir son nouvel album intitulé 7 Deadly Guilt le 4 Septembre 2024. Je connaissais déjà deux titres sorti en avance, Artificial Vampire et Burn The Fire, dont J’avais déjà parlé dans des billets précédents. Je continue mon écoute de ce nouvel album en choisissant les morceaux qui m’intéressent le plus. J’y découvre ceux intitulés Where I Belong et I want it all. On y retrouve toute l’instabilité mélodique caractéristique de Cö Shu Nie, notamment dans le chant fantastique de Miku Nakamura (中村未来) quand il ne s’accorde pas sur des compositions classiques. Elle a une vision tout à fait unique de l’harmonie et ces deux morceaux en sont de bons exemples. La composition rock qui accompagne Miku est comme d’habitude pleine d’inattendu et souvent proche du match rock. Le compositrice et chanteuse o.j.o est pour sûr à suivre de très près. J’avais parlé et été épaté par son premier single Bah! sorti il y a quelques mois. Elle sort son deuxième single intitulé PEOPLE DEMON qui est excellent. Il faut rappeler que la jeune tokyoïte o.j.o est vraiment très jeune car elle est collégienne et n’a que 13 ans (?!). C’est tout à fait étonnant vu la qualité de ses compositions musicales, qui n’ont rien de classique comme sur son précédent single. Elle a suivi des cours de piano et de danse dès le plus jeune âge, et sa manière non-conventionnelle de danser est également un des points intéressants de la vidéo accompagnant le morceau. On peut lui prédire que des bonnes choses à l’avenir, vu qu’elle vient déjà d’être repérée par la chaîne YouTube The First Take que lui a donné l’opportunité de chanter 60 secondes de ses deux morceaux Bah! et PEOPLE DEMON. On se demande quand même pourquoi The First Take ne diffuse pas l’intégralité de sa performance.

La sortie d’un nouveau single de Tricot est une bonne nouvelle. Si je ne me trompe pas, le groupe n’avait rien sorti de nouveau depuis leur album Fudeki (不出来) datant de Décembre 2022. Avec Tricot, on sait toujours à peu près à quoi s’attendre et je ne suis en général jamais déçu. Le nouveau single Call (おとずれ) est sorti le 5 Octobre 2024 et je me suis tout de suite précipité pour l’écouter. Les premiers accords de guitare de Motifour Kida (キダ モティフォ) et la voix d’Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) nous ramènent tout de suite vers l’ambiance rock de Tricot que j’aime tant. Retrouver les accords très précisément agencés de Kida et la puissance de la batterie de Yosuke Yoshida (吉田雄介) quand il se lance franchement au milieu du morceau est un vrai plaisir. Je trouve que le chant d’Ikkyu arrive toujours à garder cette fraicheur des premiers albums, dont on ne se lasse pas. Je ne sais pas si la bassiste Hiromi (ヒロミ・ヒロヒロ) a participé à ce nouveau single, car elle est censée être en congé maternité. Tricot continue pourtant a tourner avec un bassiste d’appoint. Un point intéressant est que Hitsuji Bungaku (羊文学) est depuis quelques mois sans batteur car Hiroa Fukuda (フクダヒロア) est en repos prolongé, mais le groupe continuant à tourner assez intensément dans divers festivals et pour leur tournée 2024, un batteur de support rejoint régulièrement le groupe. Pour l’émission télévisée CDTV de la chaîne TBS le lundi 30 Septembre 2024, Hitsuji Bungaku a fait appel à Yosuke Yoshida pour être batteur d’appoint. Sachant que Yoshida jouait sur la tournée récente de Daoko, je me dis qu’il contribue à créer des liens entre les formations musicales que j’aime et que j’ai vu en live. Je me dis aussi que Hitsuji Bungaku a fait un petit bout de chemin depuis que je les ai vu la dernière fois. Leur tournée 2024 soft soul, prickly eyes en treize dates dans tout le Japon terminait par deux concerts au Tokyo Garden Theater qui a une capacité de 8000 personnes. En comparaison, la tournée 2023 if i were an angel à laquelle j’ai assisté se terminait par deux dates au Zepp Haneda qui ne fait que 3000 places. Si les nouvelles sorties côté Tricot restent assez éparses, ce n’est pas le cas pour Ikkyu Nakajima qui sort déjà son deuxième EP en solo. Après DEAD sorti en Mai 2024, voici LOVE qui vient juste de sortir le 25 Septembre 2024. Kentarō Nakao (中尾憲太郎), le bassiste de NUMBER GIRL, produit et joue de la basse sur les deux morceaux que je préfère du EP: EFFECT et By my side. Kentarō Nakao avait déjà produit des morceaux de Tricot et même participé à l’émission spéciale de 24h non-stop du groupe, donc sa présence auprès d’Ikkyu ne m’étonne pas beaucoup. Je suis par contre moins familier du musicien Cwondo (近藤大彗) de No Buses qui contribue aux deux morceaux LOVE et Ana (あな). La guitariste de Tricot, Motifour Kida, joue sur le dernier morceau Minority (未成年) accompagnée d’Emi Nishino (西野恵未) au piano. Sur ce morceau, les sons du piano et de la guitare se mélangent avec un équilibre bancal par moment assez bizarre. Le EP contient de nombreuses petites irrégularités harmoniques de ce genre et les incursions électroniques sont également fréquentes. C’est un EP réussi, même si je le trouve inégal, qui part vers d’autres horizons, plus intimes certainement, que ce qu’on peut entendre chez Tricot.

椎名さんのお耳に届くなら一層頑張りたい

Dans une interview sur le site web musical Mikiki de Tower Records au sujet de son nouvel EP LOVE, Ikkyu nous fait part du fait que sa collaboration avec Sheena Ringo sur le morceau Chirinuru wo (ちりぬるを) de son dernier album Hōjōya (放生会) avait en quelque sorte eu une influence sur son nouvel EP. Sheena Ringo lui avait dit qu’elle avait écouté et apprécié son EP précédent DEAD. Ikkyu a donc créé son nouvel EP en imaginant que Ringo l’écouterait peut-être et elle nous dit que ça l’a en quelque sorte poussé à s’appliquer. Je retranscris ci-dessous la partie de l’interview provenant du site Mikiki évoquant ce point en particulier. Cela me donne l’occasion d’utiliser l’open AI ChatGpt pour voir comment l’outil a évolué au niveau de la traduction de textes. Je pense qu’il se débrouille plutôt bien même s’il faut toujours lire le résultat avec attention (par exemple, ChatGpt traduit « 放生会 » en « Hōjōkai » plutôt que le correct « Hōjōya »).


Cette transcription sur ChatGpt m’a poussé à utiliser un peu plus l’outil en lui posant des questions très précises. J’ai pris le thème de cette collaboration passée entre Sheena Ringo et Ikkyu Nakajima pour l’interroger un peu plus. Connaissant déjà les réponses, cela m’a permis de vérifier où l’outil en est en terme d’auto-apprentissage sur des sujets très spécifiques, mais largement couverts sur internet. Il s’avère que l’outil a une base de données plus actuelle qu’auparavant mais fait de très nombreuses erreurs, en les annonçant parfois avec un aplomb qui nous forcerait presqu’à le croire. Je montre ci-dessous des captures d’écrans de ChatGpt pour illustrer le niveau de justesse de l’outil, et il reste pour moi très peu fiable et je dirais même à éviter.






L’avantage de l’intelligence artificielle serait pour moi de répondre à des sujets spécifiques qui ne sont pas immédiatement disponibles sur un site internet. Je vois qu’on en est encore loin. Je me contenterais peut-être de l’outil pour des traductions, qui me semblent à priori meilleures que sur Google Traduction.