de l’impermanence répétée des choses

Cela fait plus de vingt ans que je parcours les rues de Tokyo avec mon appareil photo et je n’y trouve pourtant pas encore de lassitude, peut-être parce que mon regard est sans cesse renouvelé même si j’ai parcouru les mêmes rues des dizaines de fois. J’ai remarqué que ce renouvellement du regard ne s’opère que lorsque j’ai sorti l’appareil photo de mon sac et que je le tiens à la main ou en bandoulière. S’il reste au fond de mon sac, il y a de fortes chances que je passe à côté des choses qui m’entourent. Le fait d’avoir l’appareil immédiatement à disposition déclenche une sorte d’acuité visuelle et un intérêt accru pour ces choses autour de moi. Je me demande si ces choses autour de moi sont éphémères car il me semble souvent les avoir vu pour la première fois alors que je suis pourtant passé par ces lieux de nombreuses fois. Le béton et l’acier de la galerie TOM sur la première photographie se tiennent pourtant immuables au bord d’une rue de Shōtō depuis 1984. Même chose pour Earthtecture Sub-1 de Shin Takamatsu sur la troisième photographie, présente au bord d’une rue de Yoyogi Uehara depuis 1991. Ces architectures très particulières suscitent certainement le besoin de les approcher avec un regard à chaque fois renouvelé pour essayer de comprendre leurs mystères. L’éphémère n’est pas seulement celui des choses qui m’entourent mais également celui de mon regard qui change de points d’interêt et de sensibilité à chaque parcours. Cette impermanence répétée de mon propre regard ajouté au renouvèlement perpétuel de nombreuses parties de cette ville font que je n’en ai pas encore vu le bout, et que je peux entamer un nouveau parcours avec un regard à chaque fois différent. Et pour ajouter un paramètre indispensable à cette équation sensorielle, les lumières conditionnées par les saisons et les nuages qui nous surplombent modifient profondément l’appréhension que l’on peut avoir des choses. Et quand j’ai le sentiment que les choses autour de moi se répètent, je lève les yeux vers le ciel, vers des zones que l’on ne regarde pas forcément de manière spontanée. Une connaissance m’avait dit une fois, il y a de nombreuses années, que regarder mes photographies sur ce blog avait changé sa manière de regarder les rues qu’elle parcourait tous les jours. C’est un commentaire que je garde en tête encore maintenant.

J’avais acheté il y a plusieurs semaines au Disk Union de Shimokitazawa un double DVD du mythique groupe rock Number Girl mené par Shutoku Mukai (向井秀徳). Malgré une réunion éphémère plus récemment, le groupe s’est dissous il y a plus de vingt ans, le 30 Novembre 2002 après un ultime concert à Sapporo, le Sapporo Omoide in My Head Jōtai (サッポロOmoide in My Head状態). Le double DVD éponyme que je me suis procuré à Shimokitazawa est sorti le 23 Mars 2003 et il s’agit de la dernière sortie de la discographie officielle de Number Girl. Je le découvre progressivement en commençant par le premier DVD qui est un long documentaire de deux heures montrant un grand nombre d’images d’archives de leurs premiers concerts à Fukuoka d’où le groupe est originaire, du passage à la Japan Nite du festival SXSW au Texas, des séances d’enregistrements dans les studios de Tarbox Road de Dave Fridmann dans l’état de New York pour les albums Sappukei (2000) et Num-Heavymetallic (2002) et de nombreux autres extraits de concerts au Japon dont leur tout dernier morceau Omoide in My Head interprété lors de leur dernier concert à Sapporo mentionné ci-dessus. Parmi les nombreuses scènes du documentaire, celle intitulée Tokyo Freeze, prise en version acoustique attire mon attention. La vidéo datant de 2001 est très granuleuse et volontairement mal cadrée. Cette scène filmée semble improvisée. Elle a été prise dans une chambre d’hôtel à Sapporo. Elle réunit le groupe sur le tatami de la chambre d’hôtel. L’ambiance semble solennelle mais montre également la fatigue d’une fin de concert, où les membres utiliseraient leurs dernières forces pour un tout dernier morceau. Dans les paroles mi-parlées mi-chantées de Tokyo Freeze, Shutoku Mukai répète plusieurs fois les paroles « Kurikaesareru shogyōmujō, Yomi ga heru seiteki shōdō » (繰返される諸行無常、よみがへる性的衝動) qu’on peut traduire par « Impermanence répétée de toutes choses, Impulsions sexuelles ravivées ». Ces mêmes paroles me sont familières car Shutoku Mukai les prononce également sur le morceau Kamisama, Hotokesama (神様、仏様) de Sheena Ringo, sorti en 2015. Les univers de Shutoku Mukai et de Sheena Ringo se croisent sur ces paroles. Ce terme bouddhiste de l’impermanence Shogyōmujō (諸行無常) était utilisé par Sheena Ringo comme titre pour sa tournée nationale de 2023, Sheena Ringo to Aitsura to Shiru Shogyōmujō (椎名林檎と彼奴等と知る諸行無常). D’un autre côté, le terme Seiteki (性的) que Shutoku Mukai utilise dans ses paroles était présent dans l’univers de Sheena Ringo à ces débuts, notamment dans la série de compilations vidéos Seiteki Healing (性的ヒーリング), qu’on peut traduire par « Guérison sexuelle ». Le terme Shogyōmujō (諸行無常) est un des trois Sceaux du Dharma (Trilakṣaṇā dharmamudrā en sanscrit), ou marques de l’existence, constituant la philosophie fondamentale du bouddhisme, avec les concepts de Non-soi (諸法無我) et de sérénité du nirvana (涅槃寂静). Cette dernière marque est parfois remplacée par l’idée que toute expérience est caractérisée par la souffrance (Duḥkha en sanskrit). Le Shogyōmujō s’interprète comme le fait que toute chose dans ce monde change et répète son destin de naissance et de disparition, que rien ne reste toujours le même et que la vie est éphémère. Sheena Ringo utilise beaucoup les concepts et l’imagerie boudhistes dans ses morceaux et dans ses concerts. C’est également le cas pour sa dernière tournée de 2024, et d’une manière remarquable d’ailleurs. Je me rends compte que Shutoku Mukai utilise en fait très souvent ces paroles « Kurikaesareru shogyōmujō, Yomi ga heru seiteki shōdō » (繰返される諸行無常、よみがへる性的衝動) sur les morceaux de sa formation post-Number Girl, Zazen Boys, mais la première fois que ces paroles ont été utilisées était en 1999 sur le morceau Eight Beater de l’album School Girl Distortional Addict de Number Girl.

De Zazen Boys, je ne connaissais que deux morceaux, ceux en collaboration avec Sheena Ringo présents sur la compilation Ukina (浮き名) sortie en Novembre 2013, Crazy Days Crazy Feeling et You make me feel so bad provenant du même album Zazen Boys II sorti en 2004. Je voulais démarrer l’écoute de Zazen Boys par ce deuxième album, qui compte apparemment parmi les plus réputés du groupe, mais je trouve d’abord l’album suivant Zazen Boys III, sorti en 2006, au Disk Union de Shin-Ochanomizu. Ce troisième album est celui qui divise le plus les fans et est réputé pour être le moins accessible. Je ne commence pas par la porte d’accès la plus facile mais je ne suis pas déçu par ce que j’écoute, et ce dès le premier morceau Sugar Man. L’album est très expérimental et assez désorganisé. Shutoku Mukai donne parfois l’impression d’être en roue libre, multipliant les voix bizarres. On note tout de même une inspiration bouddhiste certaine, dans certaines manières de chanter et de parler. Les compositions de Zazen Boys sont proches du math rock, dans le sens où elles sont complexes et imprévisibles. Il faut plusieurs écoutes pour s’imprégner de l’ambiance de l’album, qui devient petit à petit indispensable, car les rythmes de guitare finissent par nous hypnotiser. Le morceau Don’t Beat en est un bon exemple. Je peux comprendre que cet album puisse être déstabilisant car un morceau comme l’instrumental Lemon Heart ressemble à une session de préparation avant de démarrer un véritable morceau, mais les sons de guitare et le rythme complexe de la batterie sont tellement intéressants que ce morceau est pour moi fascinant, notamment pour son final qui décroche complètement. On trouve tout de même sur cet album des morceaux à l’approche plus classique, comme This is NORANEKO, mais il est tout de suite suivi par le morceau METAL FICTION qui démarre d’une manière très étrange par des paroles où Shutoku Mukai prend le ton de voix d’un moine bouddhiste. Sans connaître le reste de la discographie de Zazen Boys, je me place tout de suite du côté des amateurs de cet album, car l’ensemble est assez fabuleux pour sa grande liberté conceptuelle. Du coup, j’ai eu très envie de me procurer l’album Zazen Boys II que je trouve finalement au Disk Union de Shibuya. Au passage, le design en graffiti de la couverture de ce deuxième album du groupe me rappelle un peu un design récent d’un logo de Tokyo Jihen. Sur Zazen Boys II, outre les deuxième et cinquième morceaux, Crazy Days Crazy Feeling et You make me feel so bad, que je connaissais déjà, je ne découvre que maintenant que Sheena Ringo chante également sur un troisième morceau de cet album de 15 titres. Sur ce morceau intitulé Anminbō (安眠棒), Ringo n’intervient que dans les chœurs pour répéter, avec une voix aux accents traditionnels que je ne lui connaissais pas, les paroles « Anminbō de Korosareta » (安眠棒で殺された) qu’on peut traduire par le fait d’avoir été tué par un bâton de sommeil profond. Ces paroles sont bien mystérieuses et j’ai un peu de mal à en comprendre le sens. L’album Zazen Boys II est plus accessible que le troisième opus du groupe, avec certains morceaux proches de l’ambiance sonore de Number Girl, notamment pour le son de guitare très métallique et l’approche vocale agressive. Un grand nombre de morceaux ont cependant une approche math rock distincte. Dans cet esprit, le début du sixième morceau Cold Beat est très intéressant car le rythme rapide de la guitare fait ressembler l’instrument à un beat électronique. Shutoku Mukai y chante avec un phrasé proche du rap qui caractérise également un certain nombre de morceaux du groupe. Un morceau comme Daigakusei me ramène avec un grand plaisir vers les sons dissonants de Sonic Youth. C’est peut-être en raison du nom du groupe, mais j’avais un à priori que les morceaux de Zazen Boys étaient forcément moins intéressants que ceux de Number Girl, mais je me rends en fait compte avec ces deux albums que ce n’est pas du tout le cas.

コンクリートもスウイング

Le nouveau building Ginza Sony Park, conçu par Takenaka Corporation, est officiellement toujours en construction et ouvrira ses portes en Janvier 2025. Un programme artistique de pré-ouverture intitulé ART IN THE PARK (Under Construction) s’y déroule pourtant depuis le 19 Novembre 2024 et on peut visiter le building pour voir les œuvres présentées en réservant sa place à l’avance. On y montre les créations de trois artistes: Shun Sudo, Koji Yamaguchi (山口幸士) et Takuro Tamayama (玉山拓郎). J’avais réservé ma place pour le Samedi 23 Novembre car j’étais vraiment très intrigué de voir l’intérieur de cet étrange bloc de béton ressemblant à bunker brutaliste, pourtant grandement ouvert sur le grand carrefour de Sukiyabashi à Ginza. J’étais également assez curieux de voir les graffitis floraux de Shun Sudo mis en situation dans cette architecture. Shun Sudo est familier du Ginza Sony Park, car il avait déjà agrémenté de ses illustrations les longs murs blancs entourant pendant plusieurs mois les travaux du site. Les objets lumineux conçus par l’artiste Takuro Tamayama, originaire de Gifu mais actuellement basé à Tokyo, sont particulièrement bien adaptés à l’architecture de béton du building. Les lumières rouges et vertes des tubes de ses installations viennent éclairer des pans entiers de murs du building avec un subtil dégradé de luminosité. Certains de ses objets lumineux courbes sont installés dans les sous-sols du building et apportent une ambiance tout à fait particulière, assez irréelle. Je commence la découverte du building par ses sous-sols pour ensuite remonter le grand escalier de béton qui nous amène à l’étage. Le building est tellement brut de décoffrage qu’on a du mal à vraiment comprendre s’il est terminé ou si des revêtements de surface viendront agrémenter les parois du building. On trouve toujours des échafaudages sur certaines zones en construction et on se demanderait presque s’ils sont destinés à rester là en permanence comme un élément à part entière de l’architecture. Le quadrillage métallique couvrant une grande partie des façades pouvait d’abord surprendre mais on comprend maintenant qu’il sert de support pour des grandes affiches comme celles qu’on peut voir en ce moment. Aux étages où sont montrées les fleurs boutonnées de Shun Sudo et les fleurs floues pastel de Koji Yamaguchi, les plafonds laissent apparente toute la tuyauterie des appareils d’air conditionné. Là encore, je ne sais pas si cette non-couverture est volontaire et sera permanente car il n’est pas rare de voir apparent ce genre de tubes et équipements électriques dans des bâtiments commerciaux. J’espère en fait que ce building si particulier et unique restera tel qu’on peut le voit actuellement. Le béton est plein d’aspérités et n’est pas parfaitement uniforme ou lisse comme on pourrait le voir sur les constructions de Tadao Ando. C’est un autre genre de brutalisme qu’on peut voir là et on en savoure chaque centimètre. Pour continuer la visite, je montre également quelques autres photos sur mon compte Instagram.

Comme souvent lorsque je rencontre ce genre de bâtiments bruts de béton, je me demande quelle pourrait être la musique qui correspondrait à l’ambiance qu’il dégage. La réponse semble avoir déjà été trouvée car se déroulera au Ginza Sony Plaza à partir du 16 Décembre un événement appelé sakamotocommon en lien avec le compositeur Ryuchi Sakamoto. On sait que Ryuchi Sakamoto était capable de créations expérimentales qui à mon avis s’accorderaient très bien avec cet ensemble de béton. Mais, je pense à quelque chose de plus radical en écoutant l’album Happy Trigger de MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー). Cet album m’entraine vers un rock à tendance punk et expérimentale par moments très inspiré. Il m’arrive de temps en temps de choisir un album au hasard lorsque je parcours les rayons CDs d’un disquaire Disk Union. Ici, à Shinjuku, je tombe sur cet album de MO’SOME TONEBENDER dont je ne connaissais que le nom. Le groupe a été fondé en 1997 à Fukuoka par Kazuhiro Momo (百々和宏) au chant et à la guitare, et par Isamu Fujita (藤田勇) à la batterie, accompagné par Yasunori Takei à la guitare basse et à la trompette sur cet album. Le nom du groupe est en fait une contraction des noms/prénoms de deux des membres (Momo pour MO’ et Isamu pour SOME). L’album Trigger Happy est sorti en 2003. Il se compose en tout de dix morceaux, dont deux, reprenant le titre de l’album, viennent encadrer l’ensemble dans des ambiances tres différentes, relativement apaisée pour le premier et exagérément bruitistes pour le second. Plus qu’un album, il s’agit d’un objet musical difficilement identifiable car il part parfois vers des expérimentations sonores inattendues. La base reste tout de même rock, mais les manipulations sonores éloignent chaque morceau du format classique refrain et couplets. On y trouve une grande liberté de composition et le deuxième morceau hang song en est peut-être le meilleur exemple. Ce morceau est particulièrement inspiré tout comme les suivants BIG-S et go around my head. Ce dernier morceau go around my head est pour moi le sommet de l’album. Il y a une sorte d’hystérie subtile dans la voix de Kazuhiro Momo qui me fascine vraiment et les guitares puissantes ajoutent à la tension de l’ensemble. Je trouve un certain brutalisme dans ce morceau qui est fantastique, surtout le final qui déclenche un son lourd et répétitif de guitare rythmé par une batterie ressemblant à des battements de cœur. On trouve une émotion forte dans cette forme brute à priori hostile, un peu comme dans les structures de béton du building ci-dessus. L’album s’adoucit ensuite un peu avec quelques morceaux en grande partie instrumentale comme VIEW VIEW, qui est excellent notamment pour les cuivres qui l’accompagnent.

De MO’SOME TONEBENDER, je connaissais en fait un morceau depuis longtemps, Rockin’ Ruler (ロッキンルーラ), car il était présent sur l’album compilation Ukina (浮き名) de Sheena Ringo, sorti en Novembre 2013. Ringo jouait du piano et chantait dans les chœurs de ce morceau. Rockin’ Ruler était initialement sorti en 2005 sur l’album du même nom de MO’SOME TONEBENDER. Son style rock plutôt classique est complètement différent de l’approche expérimentale de l’album Trigger Happy. La voix de Kazuhiro Momo y reste très typée, dans un style un peu similaire à la voix de Kenichi Asai de Blankey Jet City. Sur Rockin’ Ruler, il faut quand même dire que sa voix puissante effaçait complètement celle de Ringo au point où on a un peu de mal à l’entendre dans les chœurs. Comme je l’évoquais déjà précédemment, Kazuhiro Momo jouait de la guitare sur les morceaux Shūkyō (宗教) et Sōretsu (葬列) de l’album Kalk Samen Kuri-no-Hana (KSK) et accompagnait Ringo sur quelques photographies du magazine Gb d’Avril 2003, intitulé Shūgen (祝言). Le fait que l’album Trigger Happy soit sorti la même année (2003) que KSK et que cette série de photographies avait en très grande partie attiré ma curiosité. Dans les sorties musicales rock, il y a quelques années qui pour moi sont importantes et attirent mon attention: 1991 (the year punk broke), 1999 (la tension pre-millenium et mon arrivée à Tokyo) et 2003 (la sortie de KSK qui cassait tous les codes et les attentes). Je suis en fait assez curieux d’écouter les sorties rock de 2003 et des années autour, pour essayer de mieux me remémorer ou même appréhender l’environnement musical dans lequel KSK est sorti, voire comprendre l’influence que cet album a pu avoir sur d’autres groupes et artistes dans les années qui suivent.

Pour continuer un peu avec Sheena Ringo, je pensais avoir fait le tour de sa discographie depuis longtemps, mais je ne découvre que récemment un morceau que je ne connaissais pas. Il ne s’agit pas d’une composition originale mais d’une reprise du single Georgy Porgy du groupe américain TOTO, inclus sur le premier album éponyme du groupe sorti en 1978, l’année de naissance de Ringo. La reprise du morceau Georgy Porgy sorti en 2002 n’est pas créditée sous le nom de Sheena Ringo mais du groupe Yokoshima (邪) composé entre autres du frère de Ringo, Junpei Shiina (椎名純平), de Ringo bien sûr et d’un certain Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) qui n’a pas encore pris le surnom d’Ukigumo. Ryōsuke Nagaoka et Sheena Ringo chantent en duo sur ce morceau avec Junpei Shiina dans les chœurs. Ryōsuke Nagaoka connaissait en fait déjà Junpei Shiina, car un concours de circonstances l’avait amené à devenir guitariste d’appoint de son groupe de l’époque, The Evil Vibrations, lors d’un concert en 2000. L’idée de la reprise du morceau de TOTO a germé lors des enregistrements de l’album de reprises de Sheena Ringo, Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sorti cette même année 2002. Nao Numazawa (沼澤尚), le batteur de la formation pour cet album de reprise, était apparemment un disciple du père du batteur de TOTO, Jeff Porcaro, et, pendant ses années de lycée, Sheena Ringo avait repris ce morceau à la batterie avec son groupe du club de musique. Ceci a déclenché l’idée d’enregistrer une reprise du morceau, mais Ringo ne se voyait pas chanter seule toute la partie vocale masculine interprétée par Steve Lukather, le chanteur de TOTO. L’idée de faire intervenir Ryōsuke Nagaoka au chant sur ce morceau est né lors d’un trajet en voiture. Le morceau Georgy Porgy passait sur l’autoradio et Ryōsuke Nagaoka se serait mis à le chanter ce qui aurait fait comprendre à Ringo, également présente dans cette voiture, qu’il serait un très bon interprète pour un duo. Sheena Ringo dit souvent que Ryōsuke Nagaoka a une belle voix, mais je ne savais pas que ce morceau Georgy Porgy était le premier qu’il ait chanté officiellement, sous l’impulsion de Ringo. Cette petite anecdote est très intéressante car elle permet de mieux connaître les liens entre Ringo et Ukigumo, et la genèse musicale de ce dernier. Ukigumo participera ensuite à l’album KSK. Georgy Porgy ne sera finalement pas inclus sur la compilation de reprises Utaite Myōri: Sono Ichi car Ringo a estimé qu’il s’agissait d’une copie plutôt que d’une reprise. C’est vrai que la composition est identique à l’originale mais l’interprétation à deux voix par Ukigumo et Ringo n’en reste pas moins très réussi. La tension vocale de Ringo y est même fabuleuse, dans un anglais excellent. Le morceau était sorti en ligne sur le site de Toshiba EMI pour une durée très limitée en 2002 mais n’est actuellement disponible nulle part à la vente. Il faut vraiment que Sheena Ringo pense à l’épisode 2 de Utaite Myōri pour y intégrer ce genre de pépites. Ça paraît même assez incroyable qu’un aussi bon morceau, même s’il ne s’agit que d’une reprise, ne soit écoutable que sur une page YouTube non officielle.

the streets #9

Ma série the streets poursuit tranquillement son chemin avec un neuvième épisode qui continue à cumuler des photographies désordonnées sans aucuns liens apparents les unes avec les autres. Une Mercedes Benz vintage qui pourrait bien être un modèle 250SE de 1967 est suivie par un papillon docile se laissant prendre en photo sur sa grande baie vitrée. Des autocollants de rue pris au piège par un filet semblent menacés par une plante peut-être carnivore sur la photographie qui suit. Ça faisait longtemps que je n’avais pas marché de la maison jusqu’à Shinjuku, mais ça me redonne l’occasion de passer près de la gare de Yoyogi, notamment devant la petite sortie arrière en forme d’arche métallique d’une autre époque. J’aime beaucoup cette entrée et sortie de gare car elle apparaît tellement basse depuis la rue qu’on aurait l’impression d’une porte dérobée. Et le poster qui conclut cette série hétéroclite provient du magasin Tower Records de Shinjuku. Il s’agit du groupe Band-Maid que je n’ai pourtant jamais écouté. Il me semble avoir déjà jeté une oreille sur un ou deux morceaux du groupe sans pourtant avoir vraiment accroché. Il faudra peut-être que j’écoute à nouveau si elles ont sorti un nouvel album comme le laisse présager ce grand affichage publicitaire à l’intérieur même du Tower Records. J’étais en fait venu au Tower Records de Shinjuku pour acheter le Blu-Ray du dernier live de Sheena Ringo, Sheena Ringo to Aitsura to Shiru Shogyōmujō (椎名林檎と彼奴等と知る諸行無常), auquel j’avais assisté en Mai 2023 mais que je n’avais pas encore acheté et qui manquait donc à ma chère collection. J’avais en fait un enregistrement de ce concert lorsqu’il était passé sur la chaîne payante WowWow à laquelle je m’étais abonné exprès pendant une période d’essai pour voir ce concert. Cet enregistrement avait rendu l’achat du Blu-ray moins immédiatement nécessaire, mais un problème technique inattendu ou une mauvaise manipulation (ce qui est plus probable) a fait disparaître l’enregistrement du concert du petit disque dur attaché à la télévision. Le prochain concert Ringo Expo’24 au Saitama Super Arena approchant à grands pas, l’envie de revoir le concert précédent devint presque irrésistible ou du moins nécessaire. Le Tower Records de Shinjuku est le vendeur de disques où j’étais pratiquement sûr de trouver l’édition première presse avec boîtier et livret grands formats. Il faudra un jour que je reprenne en photo ma collection complète sur Sheena Ringo mais l’ensemble ne tient plus depuis longtemps dans le cadre étroit d’un objectif photo.

Les deux photos ci-dessus sont également prises au Tower Records, mais à celui de Shibuya qui est beaucoup plus grand que sa version de Shinjuku. À l’étage des vinyls, on peut trouver deux guitares encadrées comme des œuvres d’art dans des caissons de verre. Ce sons deux guitares de Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) alias Ukigumo (浮雲), une Phantom vert menthe customisée au nom d’Ukigumo et prenant à priori la base du modèle Phantele et une RS Guitarworks Explorer Junior dont la forme me fait penser à une Flying-V qui se rêverait être une Flying Star X. La Phantom est emblématique de Tokyo Jihen et Ukigumo en a utilisé de nombreuses dans différents coloris comme le montre la couverture du magazine japonais Guitar Magazine de Juillet 2021. Je pense qu’il réserve plutôt la RS Guitarworks Exp Jr pour son groupe Petrolz, mais je n’en suis pas certain. Nicolas que j’ai rencontré avec beaucoup de plaisir cette semaine lors de son passage à Tokyo, et à Shibuya en particulier, m’a rappelé qu’il fallait vraiment que j’entame la découverte du groupe, en commençant par le live album Capture 419 enregistré le 19 Avril 2012 à Shimokitazawa Garage et l’album Renaissance sorti en 2015. C’est bien noté. Ma difficulté a été de les trouver en version CD aux magasins Disk Union à un prix abordable, mais je ne désespère pas. Notre rencontre a été l’occasion de lui transmettre en mains propres l’artbook signé de Nakaki Pantz, que je gardais précieusement (comme un trésor enfoui) à la maison pendant environ deux ans. Cela a également été l’occasion de parler de vives voix de mille choses et bien entendu des musiques japonaises qu’on aime tant.

Et dans ces musiques japonaises que j’aime tant, je mettrais cet album de la compositrice et interprète originaire d’Osaka, Asuka Kuroiwa (黒岩あすか) que je découvre soudainement et sans m’y être préparé par son dernier album Kaibutsu (怪物) sorti le 2 Octobre 2024. Cette musique rock, avec à la fois des éléments de folk et de post-rock dans l’esprit, est tout à fait fascinante et unique. La voix d’Asuka Kuroiwa y est pour beaucoup, à la frontière entre les murmures et les cris intérieurs désespérés. Le rythme lent et la beauté pénétrante de la musique du groupe accompagnant la voix d’Asuka Kuroiwa nous donnent envie de nous arrêter au calme pour apprécier ce moment d’une sensibilité rare. L’album de sept morceaux pour 38 minutes forme un ensemble dont il est difficile d’extraire et de dissocier des morceaux en particulier, qui font partie d’une expérience d’écoute démarrant par un morceau instrumental et continuant avec certains morceaux prenant le temps de se développer sur presque huit minutes. On trouve quand même une sorte d’aboutissement de la démarche sur le sublime morceau Kaibutsu (怪物) reprenant le titre de l’album. En écrivant ce billet, mes mots sont influencés par les ceux d’introduction d’une interview de l’artiste datant de 2017. L’interviewer y exprime un désir profond que l’oeuvre musicale secrète et rare d’Asuka Kuroiwa parviennent jusqu’à ceux qui en ont besoin ou qui peuvent en apprécier la valeur (この密やかにして稀有なる名作が、届くべき人のところに届いて欲しいと切に願う). Je trouve ces mots très juste car cette musique ne parviendra pas à tout le monde mais fera beaucoup de bien à ceux qui y sont réceptifs et qui l’attendait sans le savoir.

the streets #6

Je continue tranquillement ma série the streets, redémarrée récemment par les épisodes #4 et #5. La plupart des photographies de ce sixième épisode ont été prises avec mon objectif 40mm pendant une même journée légèrement pluvieuse dans la rue Cat Street, avant l’ouverture de la plupart des magasins. Cette rue quasiment piétonne est coupée en deux par la grande avenue d’Omotesando qui voyait ce jour là un défilé de policières percussionnistes. À part ce défilé, je montre peu de personnes dans les rues, à part celles qui décident soudainement de se dévoiler au détour d’un immeuble et celles de moi-même quand j’autorise mon image à se refléter contre les baies vitrées (ici avec mon magnifiquement simple t-shirt de Daoko acheté lors du concert de Shibuya).

Le premier étage de la Lurf Gallery à Daikanyama est à la fois utilisé comme café et comme espace d’exposition. J’y jette régulièrement un coup d’œil pour voir si on y montre des choses intéressantes. On y exposait cette fois-ci une série de 13 illustrations de l’artiste Masanori Ushiki intitulée « Easy Telepathy II ». Je découvre cet artiste, que je ne connaissais pas. Je suis attiré par les motifs parfois étranges mélangés aux couleurs fortes des personnages qu’il dessine, qui les rendent tout à fait unique.

Cö Shu Nie vient de sortir son nouvel album intitulé 7 Deadly Guilt le 4 Septembre 2024. Je connaissais déjà deux titres sorti en avance, Artificial Vampire et Burn The Fire, dont J’avais déjà parlé dans des billets précédents. Je continue mon écoute de ce nouvel album en choisissant les morceaux qui m’intéressent le plus. J’y découvre ceux intitulés Where I Belong et I want it all. On y retrouve toute l’instabilité mélodique caractéristique de Cö Shu Nie, notamment dans le chant fantastique de Miku Nakamura (中村未来) quand il ne s’accorde pas sur des compositions classiques. Elle a une vision tout à fait unique de l’harmonie et ces deux morceaux en sont de bons exemples. La composition rock qui accompagne Miku est comme d’habitude pleine d’inattendu et souvent proche du match rock. Le compositrice et chanteuse o.j.o est pour sûr à suivre de très près. J’avais parlé et été épaté par son premier single Bah! sorti il y a quelques mois. Elle sort son deuxième single intitulé PEOPLE DEMON qui est excellent. Il faut rappeler que la jeune tokyoïte o.j.o est vraiment très jeune car elle est collégienne et n’a que 13 ans (?!). C’est tout à fait étonnant vu la qualité de ses compositions musicales, qui n’ont rien de classique comme sur son précédent single. Elle a suivi des cours de piano et de danse dès le plus jeune âge, et sa manière non-conventionnelle de danser est également un des points intéressants de la vidéo accompagnant le morceau. On peut lui prédire que des bonnes choses à l’avenir, vu qu’elle vient déjà d’être repérée par la chaîne YouTube The First Take que lui a donné l’opportunité de chanter 60 secondes de ses deux morceaux Bah! et PEOPLE DEMON. On se demande quand même pourquoi The First Take ne diffuse pas l’intégralité de sa performance.

La sortie d’un nouveau single de Tricot est une bonne nouvelle. Si je ne me trompe pas, le groupe n’avait rien sorti de nouveau depuis leur album Fudeki (不出来) datant de Décembre 2022. Avec Tricot, on sait toujours à peu près à quoi s’attendre et je ne suis en général jamais déçu. Le nouveau single Call (おとずれ) est sorti le 5 Octobre 2024 et je me suis tout de suite précipité pour l’écouter. Les premiers accords de guitare de Motifour Kida (キダ モティフォ) et la voix d’Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) nous ramènent tout de suite vers l’ambiance rock de Tricot que j’aime tant. Retrouver les accords très précisément agencés de Kida et la puissance de la batterie de Yosuke Yoshida (吉田雄介) quand il se lance franchement au milieu du morceau est un vrai plaisir. Je trouve que le chant d’Ikkyu arrive toujours à garder cette fraicheur des premiers albums, dont on ne se lasse pas. Je ne sais pas si la bassiste Hiromi (ヒロミ・ヒロヒロ) a participé à ce nouveau single, car elle est censée être en congé maternité. Tricot continue pourtant a tourner avec un bassiste d’appoint. Un point intéressant est que Hitsuji Bungaku (羊文学) est depuis quelques mois sans batteur car Hiroa Fukuda (フクダヒロア) est en repos prolongé, mais le groupe continuant à tourner assez intensément dans divers festivals et pour leur tournée 2024, un batteur de support rejoint régulièrement le groupe. Pour l’émission télévisée CDTV de la chaîne TBS le lundi 30 Septembre 2024, Hitsuji Bungaku a fait appel à Yosuke Yoshida pour être batteur d’appoint. Sachant que Yoshida jouait sur la tournée récente de Daoko, je me dis qu’il contribue à créer des liens entre les formations musicales que j’aime et que j’ai vu en live. Je me dis aussi que Hitsuji Bungaku a fait un petit bout de chemin depuis que je les ai vu la dernière fois. Leur tournée 2024 soft soul, prickly eyes en treize dates dans tout le Japon terminait par deux concerts au Tokyo Garden Theater qui a une capacité de 8000 personnes. En comparaison, la tournée 2023 if i were an angel à laquelle j’ai assisté se terminait par deux dates au Zepp Haneda qui ne fait que 3000 places. Si les nouvelles sorties côté Tricot restent assez éparses, ce n’est pas le cas pour Ikkyu Nakajima qui sort déjà son deuxième EP en solo. Après DEAD sorti en Mai 2024, voici LOVE qui vient juste de sortir le 25 Septembre 2024. Kentarō Nakao (中尾憲太郎), le bassiste de NUMBER GIRL, produit et joue de la basse sur les deux morceaux que je préfère du EP: EFFECT et By my side. Kentarō Nakao avait déjà produit des morceaux de Tricot et même participé à l’émission spéciale de 24h non-stop du groupe, donc sa présence auprès d’Ikkyu ne m’étonne pas beaucoup. Je suis par contre moins familier du musicien Cwondo (近藤大彗) de No Buses qui contribue aux deux morceaux LOVE et Ana (あな). La guitariste de Tricot, Motifour Kida, joue sur le dernier morceau Minority (未成年) accompagnée d’Emi Nishino (西野恵未) au piano. Sur ce morceau, les sons du piano et de la guitare se mélangent avec un équilibre bancal par moment assez bizarre. Le EP contient de nombreuses petites irrégularités harmoniques de ce genre et les incursions électroniques sont également fréquentes. C’est un EP réussi, même si je le trouve inégal, qui part vers d’autres horizons, plus intimes certainement, que ce qu’on peut entendre chez Tricot.

椎名さんのお耳に届くなら一層頑張りたい

Dans une interview sur le site web musical Mikiki de Tower Records au sujet de son nouvel EP LOVE, Ikkyu nous fait part du fait que sa collaboration avec Sheena Ringo sur le morceau Chirinuru wo (ちりぬるを) de son dernier album Hōjōya (放生会) avait en quelque sorte eu une influence sur son nouvel EP. Sheena Ringo lui avait dit qu’elle avait écouté et apprécié son EP précédent DEAD. Ikkyu a donc créé son nouvel EP en imaginant que Ringo l’écouterait peut-être et elle nous dit que ça l’a en quelque sorte poussé à s’appliquer. Je retranscris ci-dessous la partie de l’interview provenant du site Mikiki évoquant ce point en particulier. Cela me donne l’occasion d’utiliser l’open AI ChatGpt pour voir comment l’outil a évolué au niveau de la traduction de textes. Je pense qu’il se débrouille plutôt bien même s’il faut toujours lire le résultat avec attention (par exemple, ChatGpt traduit « 放生会 » en « Hōjōkai » plutôt que le correct « Hōjōya »).


Cette transcription sur ChatGpt m’a poussé à utiliser un peu plus l’outil en lui posant des questions très précises. J’ai pris le thème de cette collaboration passée entre Sheena Ringo et Ikkyu Nakajima pour l’interroger un peu plus. Connaissant déjà les réponses, cela m’a permis de vérifier où l’outil en est en terme d’auto-apprentissage sur des sujets très spécifiques, mais largement couverts sur internet. Il s’avère que l’outil a une base de données plus actuelle qu’auparavant mais fait de très nombreuses erreurs, en les annonçant parfois avec un aplomb qui nous forcerait presqu’à le croire. Je montre ci-dessous des captures d’écrans de ChatGpt pour illustrer le niveau de justesse de l’outil, et il reste pour moi très peu fiable et je dirais même à éviter.






L’avantage de l’intelligence artificielle serait pour moi de répondre à des sujets spécifiques qui ne sont pas immédiatement disponibles sur un site internet. Je vois qu’on en est encore loin. Je me contenterais peut-être de l’outil pour des traductions, qui me semblent à priori meilleures que sur Google Traduction.

DAOKOWWWX

Le souci avec les concerts, c’est qu’on les attend pendant longtemps et les deux heures de live passent ensuite beaucoup trop vite. J’avais acheté mon billet pour le concert de DAOKO il y a environ deux mois, en me demandant à quoi pouvait bien ressembler ses concerts et quel pouvait bien être le spectateur type. Je me suis vite rendu compte qu’il n’y a pas de spectateur type, tout comme pour tous les autres concerts auxquels j’ai déjà assisté, car le public est divers et varié avec des tranches d’âges très différentes. J’ai toujours une petite crainte que le public soit beaucoup plus jeune que moi, mais je réalise à chaque fois que ce sont des inquiétudes infondées, même si l’âge moyen doit resté bien inférieur au mien. DAOKO ayant 27 ans, j’imagine que la moyenne d’âge des spectateurs du concert devait se trouver dans cet ordre d’idée. Il semblait y avoir des habitués qui l’interpellaient pendant les passages de MC devant le public. C’est d’ailleurs un aspect que je n’avais pas trop rencontré lors de précédents concerts, où personne ne se lançait vraiment à énoncer à haute voix ses pensées devant tout le reste de la salle vers l’artiste sur scène. J’ai aussi compris que la personnalité de DAOKO donnait envie au public de lui parler. Elle s’est exprimée plusieurs fois pendant le concert en prétendant ne pas être douée pour ces passages MC, mais il n’en est rien. Des concerts que j’ai pu voir jusqu’à maintenant, DAOKO est très certainement la plus bavarde. Elle nous dit d’ailleurs qu’on lui avait fait la remarque lors du concert d’Osaka, une semaine avant celui de Tokyo, qu’elle s’était beaucoup exprimée devant la foule et qu’elle ressentait comme une pression à s’exprimer autant pendant ce concert à Shibuya. DAOKO exprime ses pensées assez directement, elle aime plaisanter, l’autodérision et ça la rend extrêmement sympathique. Je pense que c’est la raison pour laquelle certaines personnes du public l’interpelle avec parfois un petit air taquin. Ce qui est amusant c’est qu’elle ne voulait pourtant pas trop parler pour qu’on ne dise pas ensuite sur les réseaux sociaux qu’elle parle trop plutôt qu’elle ne chante. Mais personnellement, j’adore ces moments avec le public, surtout qu’on la sentait particulièrement heureuse sur scène devant ses fans venus la voir.

J’ai donc assisté au concert qui se déroulait le Vendredi 14 Juin 2024 dans la salle WWW X de Shibuya en face du Department Store PARCO. Je connais bien la Live House WWW / WWW X car j’ai déjà assisté à deux autres concerts dans le passé dans ces salles: ceux de For Tracy Hyde dans la salle WWW X et de a子 dans la salle WWW. Ce concert à Shibuya était un des deux concerts de la petite tournée « Daoko “Slash-&-Burn” Tour 2024« . La première date était à Osaka le 9 Juin 2024 dans une salle nommée Anima (comme le titre d’un de ses albums). Le concert démarrait à 19h avec une ouverture des portes, comme toujours très organisée, un peu avant 18:15. La salle fait environ 600 places débouts et mon billet était dans le premier tiers. Il n’a pas fallu trop de temps pour entrer, prendre une bière au comptoir et trouver une place dans la salle. C’est devenu comme une routine même si l’excitation avant concert est toujours intacte. Pour cette tournée, Daoko est accompagnée d’un groupe de trois musiciens: Shunsuke Ochi (越智俊介) à la guitare basse, Yusuke Yoshida (吉田雄介) à la batterie et Masayuki Yoshii (吉井雅之) en manipulateur, c’est à dire assurant toute l’instrumentation électronique et les effets de voix, notamment. Au moment de la présentation des membres du groupe au début du concert, Daoko a même pris quelques dizaines de secondes pour expliquer le rôle précis du ’manipulateur’ situé juste derrière elle sur la scène.

DAOKO a interprété avec son groupe 23 morceaux pendant ce concert, dont, sans surprise, la totalité des douze morceaux du nouvel album Slash & Burn. Les morceaux du dernier album étaient entrecoupés par ceux d’albums et EPs plus anciens allant jusqu’à sa période indépendante avec le morceau Fog de son tout premier album HYPER GIRL (向こう側の女の子) et en passant bien sûr par son titre à grand succès Uchiage Hanabi (打ち上げ花火), dans sa version solo sans Yonezu Kenshi, de l’album Shiteki Ryokō (私的旅行). Elle démarre le set par le morceau SLUMP du dernier album et donne d’entrée de jeu le ton du concert. Par rapport à l’album, je trouve la voix de DAOKO beaucoup plus marquée et puissante, avec des parties rappées plus agressives qui entraînent très rapidement le public. Je m’étais donné une petite liste de morceau que je voulais qu’elle interprète pendant ce concert et SLUMP en faisait partie, tout comme Otogi no Machi (御伽の町) de l’album Anima. Ce morceau déchaîne même le public tant elle donne de la passion dans sa voix. La particularité du chant de DAOKO est qu’elle marque distinctement la dernière syllabe des mots qu’elle prononce dans son flot rappé, ce qui joue beaucoup sur le rythme et l’énergie qu’elle transmet à la salle. Cette énergie se transmet bien entendu en écoutant les albums mais est beaucoup plus palpable et même décuplée en live. Les spectateurs sont du coup assez vocaux à la fin de chaque morceau. Les paroles des morceaux de DAOKO sont denses, en raison de la composante rap quasiment omniprésente sur tous ses morceaux. J’ai cru voir un petit iPad posé en bas du micro et je pense qu’elle le regardait discrètement de temps en temps pour ne pas perdre le fil sur ses morceaux les plus récents.

Sur scène DAOKO bouge beaucoup, fait beaucoup de mouvements de bras parfois à destination du public, et les spectateurs font de même en réponse. Elle est vêtue d’une robe noire un brin gothique, assez ample avec un papillon (てふてふ – 蝶々) dans le dos en guise de noeud Obi (帯留め). Le début du concert continue sur un flot dense avec deux morceaux du EP MAD composé par Yohji Igarashi, à savoir MAD et spoopy, qui poussent la foule à bouger sur place et à la suivre dans ses mouvements. Le morceau Abon (あぼーん) du dernier album continue dans cette lancée très dynamique et contagieuse jusqu’au plus calmes Nanchatte (なんちゃって) et BLUE GLOW de l’album Slash & Burn et Ututu du EP du même nom. Je ne connaissais pas ce morceau Ututu aux airs jazz qui me plaisent beaucoup. Sur la totalité du set, il n’y avait que trois morceaux que je ne connaissais pas ou peu dont le très pop fighting pose du EP the light of other days, Fog dont je parlais plus haut et Ututu. Au milieu du concert, écouter le morceau Suisei (水星) a provoqué en moi une certaine émotion car il s’agit, avec ShibuyaK, de mon point d’entrée vers le monde musical de DAOKO. J’aurais aimé qu’elle interprète ShibuyaK car nous étions à Shibuya, mais ça n’a pas été le cas. Sans forcément passer tous les morceaux en revue, il y avait pour moi de nombreux points forts venant du dernier album, le mystérieux Kō×2 + Uso×2 (好×2 + 嘘×2) puis le turbulent GAMEOVER, le profond et hypnotique Akame no Biru (赤目のビル) que j’écoute religieusement comme tout le monde dans la salle, et un de ses meilleurs morceaux Tenshi ga ita yo (天使がいたよ) juste avant les rappels. C’est clair qu’on ne s’ennuie pas pendant son set, car son approche du chant est sans cesse mouvante, entre l’agressivité du hip-hop, ses transitions soudaines vers une voix de type idole, les effets sonores apportés sur sa voix par le manipulateur électronique…

Pendant un des passages adressés au public, elle se pose la question du surnom qu’elle pourrait donner à ses fans (un peu comme Sheena Ringo avec les OTK). Au début de sa carrière, elle se rappelle que la couleur bleue était prépondérante auprès des fans car elle portait elle-même beaucoup de bleu, notamment au moment de l’album Thank You Blue qui l’a fait connaître du grand public. Mais elle porte beaucoup moins de vêtements de couleur bleue et prend le soin de nous préciser qu’elle n’a jamais fait de fixation sur cette couleur. Elle nous fait part que ce surnom qu’elle imagine pour ses fans devait être en anglais, car elle a aussi un nombre de fans assez important à l’étranger, et propose finalement le nom « D(Daoko)-Lovers ». J’avais en fait déjà connaissance de cette appellation car elle l’a évoqué pour la première fois lors du concert d’Osaka la semaine d’avant, et je l’avais lu sur les réseaux sociaux. Je ne suis à vrai dire pas totalement convaincu par cette appellation mais on verra bien si elle restera dans les mémoires. Le passage qui suit devient un peu plus émotionnel car elle nous partage sa joie d’être sur scène avec son public et qu’elle aimerait qu’on la suive jusqu’à ses derniers jours (qu’on souhaite le plus tard possible). Elle demande ensuite ou public de lever la main si c’est la première qu’on assiste à un de ses concerts. Nous ne sommes pas en majorité mais les nouveaux venus comme moi sont assez nombreux ce qui semble lui faire plaisir. Après ses débuts indépendants il y a plus de 10 ans, elle est ensuite passée sur un label majeur en connaissant un succès certain et des collaborations notables, avec Yonezu Kenshi (comme mentionné plus haut), mais aussi Yasuyuki Okamura (岡村靖幸) pour le single Step-up Love (ステップアップ), un duo avec Beck, un passage à Kōhaku sur NHK, mais a ensuite fait le choix de revenir vers une voie plus alternative et loin du mainstream avec l’album Anima. Je pense qu’elle a fait le choix d’être proche de ce qu’elle recherche sans subir l’influence des labels. Ça doit être une raison pour laquelle son dernier album est auto-produit sur son label Tefu Tefu (てふてふ) comme le papillon de son logo, et plus sur la Major Toy’s Factory. Ce genre de transitions doit être source de nombreux doutes et questionnements et je comprends la joie, qu’elle nous transmet sur scène, d’être parmi des habitués qui la suivent tout au long de son parcours et parmi de nouveaux ’adhérents’ qui viennent de la découvrir par son nouvel album.

Le concert se termine avec les rappels composés de deux morceaux. Il aura fallu l’applaudir longtemps avant qu’elle revienne sur scène, car elle nous explique que la salle de repos et de préparation des artistes est située a l’étage et qu’elle s’est fait mal au dos il y a quelques jours ralentissant ses mouvements dans les escaliers. Je ne sais pas la véracité de cette excuse car elle n’avait pas du tout l’air d’avoir des douleurs au dos sur scène. Elle commence par le morceau BANG! de l’album Thank You Blue puis au final, NovemberWeddingDay de Slash & Burn. Elle nous explique qu’elle a écrit ce morceau pour sa grande sœur qui s’est mariée, mais qu’elle avait du mal adhérer vraiment à son propre morceau car elle est elle-même célibataire à 27 ans. Elle conclut finalement que ce morceau n’est pas vraiment une chanson de mariage mais un cri d’amour envers ses fans. Pour une raison technique assez floue, ou une erreur qu’elle aurait commis dans le texte, elle décide de chanter ce morceau une deuxième fois, et ça conclura ce superbe set. Et quand il est finalement l’heure de partir car les lumières se sont rallumées, je ne peux m’empêcher de passer par la boutique pour acheter un t-shirt reprenant le nom stylisé DAOKO à l’avant et le logo de papillon à l’arrière. Le nom stylisé de DAOKO n’utilise que des forme de triangles et des ronds pleins, ce qui correspond très bien avec les néons intérieurs de la salle WWW X, que je montre en photo ci-dessus pour me rappeler de cette correspondance involontaire. J’achète en fait assez souvent un t-shirt avant ou après un concert que je vais voir et, cette fois-ci, je le porte dès le lendemain pour regarder DAOKO à la télévision.

C’est assez surprenant de voir à la télévision un ou une artiste qu’on a vu le jour d’avant en concert. Elle était en fait invitée par Sheena Ringo pour interpréter en duo le morceau 余裕の凱旋 (a triumphant return) de son album Hōjōya (放生会), lors de l’émission With Music sur la chaîne Nippon Television (日テレ). Sheena Ringo et DAOKO étaient toutes les deux habillées de la même robe blanche avec inscriptions rouges en français, de boots surélevées et d’un chapeau de fanfare. Elles se ressemblaient même beaucoup sur scène avec une chevelure blonde similaire. Je suis comme fasciné par les photos de DAOKO dans cette tenue, car je trouve que ça lui va très bien même si ce n’est pas une tenue qui est en adéquation avec son style de musique, ni un style vestimentaire facilement portable dans la vie de tous les jours. Je ne sais pas si Ringo a fait le choix de cette tenue, mais je lui trouve un petit brin de magie. Ce n’est pas désagréable de voir Ringo et DAOKO chanter ensemble à la télévision, d’autant plus qu’il s’agit d’un des morceaux que je préfère de l’album, même si j’ai beaucoup de morceaux préférés sur l’album Hōjōya. Ringo avait écrit un message officiel pour donner ses impressions sur l’album Slash & Burn, sur DAOKO avait relayé sur Twitter avec une joie et une émotion non dissimulée. Je me demande quelle peut être pour DAOKO l’influence de ce duo avec Ringo sur les ventes de son album Slash & Burn. J’imagine qu’elle doit être très bénéfique. Ringo mentionnait sur son message qu’elle aimerait voir DAOKO en live, mais j’imagine bien qu’elle n’était pas présente dans la salle du WWW X, sinon on l’aurait très certainement remarquée. Je n’étais en tout cas pas mécontent de voir le batteur Yusuke Yoshida, échappé temporairement de Tricot, sur scène avec DAOKO. Je l’avais bien sûr entendu jouer lors du concert de Tricot le mois dernier, et c’était intéressant de le retrouver une nouvelle fois sur scène dans un configuration très différente. Sans surprise, il s’en est sorti merveilleusement bien. Il a l’air d’être doué en toute circonstance, en plus d’être sympathique bien qu’assez discret. Sur le morceau Kō×2 + Uso×2 (好×2 + 嘘×2), j’étais d’ailleurs assez surpris de l’entendre jouer du djembe, car je ne l’ai jamais vu jouer de ce genre de percussions africaines lors de concerts de Tricot.

La plupart des photographies ci-dessus ont été prises pendant le concert par le photographe Sei Shimura, qui était pas loin derrière moi car je me reconnais de dos à droite sur la première photographie du billet. DAOKO les a publié sur ses comptes Twitter et Instagram. Certaines de photos sont les miennes, nais il était interdit de photographier et de filmer pendant la durée du concert, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Ça devrait être même systématique, mais ça reste encore très largement la règle implicite au Japon.

。.。:+* ゚ ゜゚ *+:。.。:+* ゚ ゜゚ *+:。.。.。:+* ゚ ゜゚ *+

Pour référence ultérieure, je note ci-dessous la playlist du concert Slash & Burn tour 2024 de DAOKO au WWW X de Shibuya le 14 Juin 2024:

1. SLUMP de l’album Slash & Burn
2. Otogi no Machi (御伽の町) de l’album Anima
3. FTS de l’album Slash & Burn
4. MAD du EP MAD avec Yohji Igarashi
5. spoopy du EP MAD avec Yohji Igarashi
6. Abon (あぼーん) de l’album Slash & Burn
7. Nanchatte (なんちゃって) de l’album Slash & Burn
8. Ututu du EP UTUTU
9. BLUE GLOW de l’album Slash & Burn
10. Cinderella step de l’album Thank You Blue
11. Suisei (水星) de l’album Daoko
12. ONNA de l’album Slash & Burn
13. Kō×2 + Uso×2 (好×2 + 嘘×2) de l’album Slash & Burn
14. Fog de l’album HYPER GIRL (向こう側の女の子)
15. GAMEOVER de l’album Slash & Burn
16. Ai no Loss (愛のロス) de l’album Anima
17. fighting pose du EP the light of other days
18. Akame no Biru (赤目のビル) de l’album Slash & Burn
19. Sute chatte ne (捨てちゃってね) de l’album Slash & Burn
20. Uchiage Hanabi (打ち上げ花火) (DAOKO SOLO ver.) de l’album Shiteki Ryokō (私的旅行)
21. Tenshi ga ita yo (天使がいたよ) de l’album Slash & Burn
22. BANG! de l’album Thank You Blue
23. NovemberWeddingDay de l’album Slash & Burn