along the expressway

L’autoroute Metropolitan Expressway Route No.2 Meguro Line borde le grand parc de l’Institute For Nature Study à Meguro, qui contient dans son enceinte le Teien Art Museum. Le parc ressemble plutôt à une forêt laissée à elle-même, sauf pour la surface entourant le musée Teien qui est par contre très bien entretenue. Le parc-forêt est ouvert au public et permet de s’échapper des bruits de la ville pourtant proche. L’autoroute No.2 qui borde le parc se situe à l’étage, bordée elle-même de plaques de métal blanches tracées d’une ligne bleue interrompue. On s’engouffre souvent, au moins deux fois par week-end, dans le tunnel passant sous l’autoroute et bordant également le parc-forêt. À chaque passage, on renforce un peu plus la frontière entre l’espace urbain et le naturel envahissant de la forêt qui voudrait certainement reprendre ses droits. Si aucune voiture ne passait ici pendant de nombreuses années, la nature reprendrait pour sûr le dessus et viendrait envahir petit à petit cette autoroute et ce tunnel jusqu’à ce qu’ils deviennent inutilisables. J’imagine les racines de la forêt pousser petit à petit les remparts de l’autoroute, créer des fissures pour y laisser s’échapper d’autres racines qui viendraient faire éclater les parois de béton et l’asphalte des routes. Une barrière naturelle se créerait au milieu du tunnel et viendrait s’étendre vers les entrées et sorties à la recherche de la lumière. Cette autoroute et ce tunnel ne seraient bientôt qu’un lointain souvenir. On mettrait une petite plaque explicative à l’entrée des ruines du tunnel pour ne pas oublier l’urbanisme passé de ces lieux.

Au hasard d’une marche urbaine, je découvre la maison Tsuchiura conçue en 1935 par l’architecte Kameki Tsuchiura, disciple de l’architecte américain Frank Lloyd Wright. Une petite plaque explicative devant l’entrée de la maison nous explique qu’il s’agit d’une propriété culturelle tangible. Cette maison est donc un lieu protégé et elle est également référencée par la branche japonaise de l’association Docomomo qui liste les créations d’architecture moderne qu’on se doit de protéger pour leur importance culturelle. Cette maison est une des premières maisons d’architecture moderne construite au Japon. Tsuchiura l’a construite pour lui-même et son épouse. Elle se compose de deux étages avec deux chambres et un bureau à l’étage et la partie salle à manger, cuisine et salon au rez-de-chaussée. La salle de bain est au sous-sol. Cette maison, avec une structure en bois et des revêtements entièrement peints de couleur blanche, a une apparence extérieure simple. Mais l’espace ouvert à l’intérieur pour la partie salon avec une grande baie vitrée donnant sur le jardin est beaucoup plus intéressant. Un escalier intérieur nous amène à un demi-étage qui donne ensuite, dans une progression fluide, accès aux chambres au deuxième étage avec des ouvertures donnant sur l’espace ouvert du salon. Ce design intérieur et cette composition de l’espace en séquences étaient une nouveauté au Japon à cette époque. Le mobilier intérieur choisi par l’architecte était aussi d’inspiration moderniste. On le note également dans le design de la rampe d’escalier. Les quelques photographies en noir et blanc ci-dessus donnent une bonne idée de cet agencement intérieur. On peut également voir quelques photos plus récentes de l’intérieur sur le site du magazine Domus. La maison était en vente en 2016 mais a trouvé preneur. Elle se situe dans l’arrondissement de Shinagawa, mais elle est assez proche de Yebisu Garden Place. Située dans un quartier résidentiel de Kamiosaki derrière une grande résidence construite récemment, elle n’est pas facile à trouver. Je ne la cherchais pas mais mon intuition m’y a amené.

Je reviens ensuite vers Yebisu Garden Place en passant devant la grande place couverte d’un gigantesque arche d’acier et de verre. Ça faisait plusieurs mois que je n’étais pas passé ici. Je ne m’attarde en général pas à prendre le château français du restaurant Robuchon en photo car je l’ai déjà pris et montré maintes fois sur ce blog. Mais cette fois-ci, la lumière qui éclairait le château a attiré mon regard photographique. Sous cette perpective, il vient se cadrer parfaitement sous l’arche de verre. La démesure de l’endroit, dont la construction fut achevée en 1994 après l’éclatement de la bulle économique, m’étonne encore maintenant, notamment en hiver lorsque le gigantesque chandelier Baccarat est de sortie sur la place.

Je termine ma marche matinale en allant acheter du pain à la boulangerie Kobeya Kitchen du Department Store Atre de la gare d’Ebisu. Avec l’air sec de l’hiver, mes mains ont tendance à s’assécher ce qui crée parfois des cicatrices. J’avais déjà un pansement à une main mais un des doigts de mon autre main se met à saigner légèrement sans que je m’en rende compte, au moment où je m’apprêtais à payer mon pain. La jeune vendeuse de Kobeya l’avait apparemment remarqué et s’eclipse brièvement à l’arrière pour dénicher un petit pansement bleu qu’elle me propose ensuite gentiment. Je suis à la fois surpris et un peu gêné, d’autant plus qu’elle me demande de prendre mon temps pour l’appliquer sur mon doigt. C’était une charmante attention qu’on ne verrait certainement pas ailleurs. Ce genre de petite anecdote n’est à mon avis pas fréquente, ce qui m’a donné l’envie de l’écrire ici.

Difficile de passer à côté du nouveau single de Utada Hikaru, One Last Kiss, sorti récemment en parallèle au nouveau film d’animation de la série Evangelion, intitulé Evangelion: 3.0+1.0 Thrice Upon a Time. Ce morceau en est un des thèmes musicaux. En fait, on aurait tord de passer à côté de ce nouveau single tant il est bon. Je suis toujours épaté par la manière dont Hikki arrive à écrire des morceaux immédiatement accrocheurs qui ont en même temps une composition musicale intéressante, ce qui fait qu’on ne se lasse pas de les écouter même après de nombreuses écoutes. Il est le fruit d’une collaboration avec le producteur électronique AG Cook que je ne connaissais pas (car il s’est fait connaître pour ses collaborations avec Charli XCX que je n’ai jamais écouté). En fait, je suis plus familier du nom de son père Peter Cook, architecte anglais fondateur du groupe Archigram. Les pochettes du single reprennent les visages dessinés de personnages d’Evangelion, Shinji Hikari pour le CD et Rei Ayanami pour le vinyl. Les images de la vidéo du morceau ont été prises par Utada mais montées par Hideaki Anno, le réalisateur de ce nouveau film Evangelion. Je crois bien avoir vu tous les films et anime de la série Evangelion, il faudrait donc que j’aille voir celui-ci au cinéma.

Le morceau Uta (唄) de Sheena Ringo est une surprise car il est sorti l’année dernière en Janvier sans que je le remarque. Il s’agit en fait d’une reprise d’un morceau du groupe Buck-Tick pour un album tribute intitulé Parade III: Respective Tracks of Buck-Tick. Buck-Tick est groupe de la mouvance Visual Kei, formé en 1983 et toujours actif actuellement, ce qui est assez exceptionnel comme longévité. Le chanteur du groupe Atsushi Sakurai avait déjà participé à un morceau avec Sheena sur son dernier album Sandokushi. Il s’agissait du quatrième morceau Kakeochisha (駆け落ち者). J’aime beaucoup cette reprise du morceau Uta, même s’il n’est pas évident à la première écoute, tout comme le morceau original de Buck-Tick d’ailleurs. La composition à base de flûte nous ramène étonnamment à l’ambiance de l’album Hi Izuru Tokoro, mais la manière de chanter plus sombre de Sheena est plus proche de Sandokushi. On peut entrevoir ce morceau comme une curiosité mais il s’avère très intéressant après plusieurs écoutes. Je ne sais pas vraiment comment sont nés ces collaborations successives entre Atsushi Sakurai et Sheena Ringo, mais ça aiguise en tout cas ma curiosité pour la musique de Buck-Tick. Après avoir écouté quelques morceaux, je pense quand même avoir un peu de mal à m’y plonger. Je n’ai pas de mauvais à priori pour la mouvance musicale visual Kei voire gothique japonaise, car j’aime beaucoup LUNA SEA par exemple. Mais, je n’ai pour l’instant pas trouvé de morceaux du groupe qui m’ont inspiré.

渋谷 エクサントリーク

Par rapport aux photographies que je montrais de Ginza, il y a comme un contraste avec les photos que je montre ci-dessus de Shibuya. On ressent dans Shibuya comme un trop-plein par rapport à l’aspect rectiligne et bien rangé de Ginza. Toutes ces photographies ne sont pourtant pas toutes prises dans le centre de Shibuya, mais également dans des quartiers limitrophes du centre comme Daikanyama ou Nanpeidai. Visuellement, j’ai toujours eu une attirance pour les successions d’immeubles aux étages biseautés, comme sur la première photographie, peut être parce que cette esthétique urbaine conditionnée par les réglementations de construction m’avait immédiatement surpris lorsque j’ai mis pour la première fois les pieds à Tokyo. Même si les immeubles sont relativement anciens, j’y vois un aspect futuriste, du moins le futur vu des années 90. Ce type d’agencement urbain reste pour moi caractéristique de l’architecture des villes japonaises. J’aime beaucoup cette complexité visuelle, qui me rassure même. En comparaison, Ginza a l’air beaucoup plus lisse, mais il faut également regarder entre et derrière les rangées de buildings posés sur les grandes avenues. On y trouve parfois des espaces perdus à l’abri des regards. On les croirait oubliés mais il n’en est rien.

Lorsque l’on regarde en l’air au carrefour de Shibuya, on peut voir deux grandes affiches l’une à côté de l’autre pour le nouvel album de AiNA The End dont je parlais il y a quelques semaines. J’aime beaucoup cet album, à part peut-être deux morceaux plus anecdotiques, et je l’écoute très régulièrement. Il y a beaucoup d’excellents morceaux mais j’aime en particulier NaNa, Hello (ハロウ) et Seiteki Jō Yoru (静的情夜). NaNa sur ce morceau fait référence à l’actrice Komatsu Nana dont AiNA est apparemment fan. Les paroles devaient initialement mentionner son nom plusieurs fois pendant le refrain mais la production lui a indiqué qu’il fallait mieux qu’elle y renonce. AiNA nous donnait cette anecdote dans une longue vidéo d’une heure évoquant son album morceau après morceau, mais sans rentrer trop dans les détails de la création de chaque morceau. J’avais regardé en pensant qu’elle allait évoquer longuement sa collaboration avec Kameda Seiji, mais elle est restée très brève sur le sujet. Cette vidéo qui était diffusée en live streaming n’est bizarrement plus disponible sur YouTube. Elle est peut-être maintenant réservée aux membres du fan club. La surprise que nous offre AiNA est de sortir un nouveau single inattendu qui n’est pas inclus dans son nouvel album. Cette succession d’un excellent single juste après un non moins excellent album me fait un peu penser à Haru Nemuri qui sortait son album Haru to shura en 2018 ainsi qu’un excellent single Kick in the World peu de temps après. Je me souviens de cette époque pas si lointaine où j’appréciais énormément la musique de Haru Nemuri, alors que ses dernières sorties ne me touchent plus beaucoup. Sa voix et sa manière de chanter sont pourtant toujours aussi efficaces, mais je trouve qu’elle finit par se répéter et les compositions musicales sont bien en deçà de ce à quoi je m’attendais après son single Fanfarre qui ouvrait pourtant de nouveaux horizons. Parler de Haru Nemuri me fait réécouter Haru to Shura et il n’a rien perdu de son impact.

Mais revenons un peu plus vers AiNA The End. Ce nom assez bizarre fait référence au fait qu’elle a elle-même décrété que son être précédent prit fin lors de son entrée dans l’agence Wack pour BiSH. Sa manière de se nommer m’interpelle, comme si elle se définissait des personnalités différentes. Elle nous fait donc le plaisir de sortir un nouveau morceau dans la lignée de Niji sur son premier album, mais en plus excentrique encore. Le morceau s’intitule Dare Dare Dare (誰誰誰) et est toujours arrangé par Kameda Seiji. Je me demande même si ce morceau n’est pas le meilleur qu’elle ait sorti jusqu’à maintenant. Les quelques notes inquiétantes aux claviers du début du morceau ne sont qu’une introduction à l’étrangeté des scènes que l’on voit dans la vidéo. Sa manière de chanter en déraillement vocal est très particulière et extrêmement intéressante à l’écoute. La chorégraphie dans la vidéo me fait penser à celle de Niji lorsque AiNA se tord dans tous les sens comme elle sait si bien le faire. Son personnage dans la vidéo est au bord de la folie, écrivant le même mot Dare (誰 Qui) de nombreuses fois sur les murs d’une pièce, ou s’obstruant la bouche avec des épingles à nourrice. Les images ne sont pas effrayantes mais extrêmement étranges. J’espère qu’elle continuera dans cette direction, mais c’est en même temps dangereux de montrer trop d’excentricité car on peut être facilement catégorisé comme artiste bizarre et décalé. La personnalité d’un ou d’une artiste ne se limite de toute façon pas à une seule facette, et c’est clairement le cas pour AiNA.

Ça me rappelle Sheena Ringo à l’époque de son deuxième album Shōso Strip (勝訴ストリップ). Elle était populaire mais catégorisée comme une personne excentrique et étrange. Elle a, je pense, tout fait pour donner cette image qui a cependant grandement disparue maintenant. Sans complètement disparaître cependant, cette image excentrique a été, je dirais, « allégée » par son passage dans la formation Tokyo Jihen, et par la direction artistique qu’elle a suivi ensuite. En lisant l’extrait d’interview ci-dessous, on comprend qu’elle en a souffert.

──今の時点で、椎名林檎の活動を振り返ってみて、どんなことを思うのかな。
「自分ですごく苦しくなっちゃったのが『勝訴ストリップ』の時で、あの頃、変な女扱いされたじゃないですか。それで思わず“うるさい! そんな女、いるわけないじゃん!”って今にも言いそうになったんだけど、種を蒔いたのはこっちですから、ホント苦しかったですね。しかも、あの頃は精神年齢的にまだ耐えられなかったし、忙しくて体を悪くしたっていうこともあったし……。ただ、スタッフも素晴らしかったので、自害せずにすみましたけど(笑)」

── À ce stade, que pensez-vous rétrospectivement de vos activités solo en tant que Sheena Ringo?
L’époque de Shōso Strip a été pour moi douloureuse car, à ce moment là, on me traitait comme une femme étrange. J’ai alors pensé: « C’est insupportable! Cette femme-là n’existe pas et n’a pas de raison d’exister ! ». Mais, je me dis même maintenant que je n’ai fait que récolter les graines que j’ai semé, mais c’était vraiment une période douloureuse. De plus, à ce moment-là, c’était mentalement difficile à supporter à cet âge, et j’étais très occupée au point même d’être tombée malade… Mais, le staff autour de moi était formidable, ce qui m’a évité de me faire du mal et de commettre l’irrémédiable (Rires).

Je ne retrouve plus la source exacte de cette interview mais je sais qu’elle provient du site web de Toshiba EMI bien que le lien n’est plus disponible. L’interview date de l’époque du début de Tokyo Jihen (2004 ou 2005 donc), car elle y évoque la formation du groupe, le fait qu’elle souhaitait évoluer dans un groupe dès ses débuts mais qu’elle a d’abord évolué seule en attendant. Elle évoque même en plaisantant le fait que les groupes auxquels elle faisait partie avant son début solo avaient des difficultés à l’accepter au point de la pousser dehors. Ce passage en particulier sur la souffrance qu’elle éprouvait liée à l’image qu’elle projetait m’intéresse particulièrement. Tout d’abord, car je pensais la même chose à l’époque de Shōso Strip, et c’est justement cet aspect bizarre et hors du commun qui m’attirait. C’est également intéressant car ça nous permet de mieux comprendre ses changements de directions artistiques pour développer d’autres facettes de sa personnalité multiple. Ce serait de toute façon une erreur de penser qu’un ou une artiste est condamné à évoluer sans cesse dans le même style sans changement.

Pour illustrer l’excentricité certaine de Sheena Ringo, qui contribuera à lui donner cette image de personne étrange et hors norme, je me plonge dans le DVD Seiteki Healing ~ No.2 ~ (性的ヒーリング~其ノ弐~) sorti le 30 Août 2000. Il s’agit du deuxième DVD (celui de couleur bleue avec une petite pomme en forme de tête de mort) regroupant les vidéos des morceaux de l’album Shōso Strip, à savoir Σ, Gips (ギブス), Yami ni Furu Ame (闇に降る雨), Identity (アイデンティティ) et Tsumi to Batsu (罪と罰). La vidéo de Σ est principalement tournée dans la salle de concert underground de Koenji appelée 20,000V (二十万ウォルト) dans une ambiance très sombre et à la limite de la claustrophobie. J’ai déjà été voir un concert dans cette salle il y a longtemps et j’ai un souvenir de cette ambiance underground sombre, sans avoir un souvenir précis des groupes que j’avais vu jouer. A noter que ce morceau Σ n’est pas sur l’album Shōso Strip car il s’agit d’un B-side du single Gips, mais a été interprété plusieurs fois en concert. On la voit à peine, mais on devine la présence de Hisako Tabuchi de Number Girl qui participait à l’enregistrement de ce morceau et qui était membre du groupe Hatsuiku Status pendant la tournée Gokiritsu Japon de 2000. Sheena porte d’ailleurs un haut avec les inscriptions Hatsuiku Status dans cette vidéo, qui doit être un clin d’œil à la présence de Hisako Tabuchi (et Yuka Yoshimura) même s’il ne s’agit pas du groupe Hatsuiku Status qui a enregistré Σ (Kameda y est présent à la basse). Cette vidéo en concert serait relativement classique si elle n’était pas entrecoupée de séquences particulièrement étranges montrant Sheena en train de couper des légumes tout en portant un masque à gaz. Il s’agit d’une scène bizarre et inattendue, notamment par sa façon de sourire d’une manière des plus innocentes en enlevant finalement son masque.

La vidéo de Gips est visuellement très belle et également très sombre. On voit Sheena s’écrouler par terre en tournant de l’œil, au milieu d’étranges créatures squelettiques et de figures christiques, qui sont clairement inspirées de la vidéo Heart-shaped box de Nirvana sur leur album In Utero. Les paroles de Gips contiennent également des références directes à Kurt Cobain quand elle écrit: だってカートみたいだから あたしがコートニーじゃない (Car ça ressemble à Kurt, ce qui ferait de moi Courtney). Elle évoque un peu plus tard dans le morceau un événement qui s’est passé au mois d’Avril, ce qui doit faire référence à la date de la mort de Kurt Cobain, le 5 Avril 1994: また四月が来たよ 同じ日のことを思い出して (c’est de nouveau le mois d’Avril, ce qui me rappelle ce qui est arrivé cette même journée). La manière d’écarquiller les yeux de Kurt Cobain dans Heart-shaped box me rappelle même la façon dont Sheena ouvre souvent les yeux en grand, comme elle peut le faire lors de certains concerts quand l’intensité musicale l’emporte, ou sur la vidéo de Yami ni Furu Ame présente sur le DVD. C’est la vidéo que je préfère du DVD, notamment pour son image d’une autre époque, travaillée et saturée dans des tons jaunis. Ce visage inquiétant aux yeux grands ouverts peut faire peur et semble habité d’une présence maléfique. Elle porte un étrange collier avec des crochets pointus et sort une arme à feu lors d’une scène qui nous fait comprendre sans le voir qu’elle met fin à ses jours d’une balle dans la tête (mais de manière temporaire dans la vidéo bien sûr). La présence d’une arme à feu dans cette vidéo ou dans une série de photos où elle parcourt les rues da la ville en robe de mariée, me rappelle aussi certaines images de Kurt Cobain avec un pistolet à la main. Ce regard perçant et insistant me fait penser au côté « Sadist », symbolisé d’un « S » qu’elle ajoutait elle-même à sa signature. Je vois également une image d’ange destructeur dans la photographie de la couverture de l’album Shōso Strip, où elle nous montre un visage faussement innocent, un peu comme le sourire sur la vidéo de Σ dont je parlais plus haut. Elle joue sur ce type d’images qui laissent une forte impression et construisent donc au final une représentation d’elle-même qui finit par dépasser ses intentions.

Dans ces vidéos, elle se fait également du mal, comme sur Identity où elle est traînée à toute vitesse par un cheval au galop. On la voit en tenue de cowboy kitsch et en kimono dans des décors faisant référence au western et à l’époque des samourai. On a mal pour elle de la voir se faire traîner attachée à une corde de la sorte mais cette vidéo a également un côté plutôt comique. Peut être s’agit il là d’une tentative de casser son image. La vidéo de Tsumi to Batsu est avec Honnō une des vidéos les plus emblématiques de Sheena Ringo. Les deux vidéos ont d’ailleurs été réalisées par la même personne Kimura Yutaka (木村豊), qui a également réalisé la vidéo de Aoi Sora (青い空) de Quruli sur l’album Zukan (図鑑) dont je parlais dans un billet précédent. Kenichi Asai de Blankey Jet City joue de la guitare sur Tsumi to Batsu mais n’apparait malheureusement pas sur la vidéo. Sheena, avec les yeux maquillés de noir, découpe en deux sa vieille Mercedes Benz W114 jaune des années 70 avec un katakana. On dit qu’elle a versé une larme en voyant pour la première fois sa voiture découpée lors du tournage de la vidéo. La mort de sa Mercedes méritait un enterrement et c’est ce qu’on voit sur le DVD. Sur le morceau Izonshō (依存症) où elle évoque également cette voiture, on voit une courte vidéo montrant Sheena sur un plateau au pied du Mont Fuji, avec la Mercedes placée en arrière-plan. Elle porte un Mofuku, un kimono noir utilisé pour les enterrements, et joue du Shamisen. Comme dans un enterrement bouddhiste, il s’agit d’une incinération car on verra ensuite la Mercedes exploser et brûler derrière Sheena qui ne se laisse pourtant pas perturber. L’album Shōso Strip, se concluant par le morceau Izonshō, se termine donc sur une image d’enterrement, comme KSK (加爾基 精液 栗ノ花) se terminera plus tard sur une procession funéraire (葬列).

銀座・林檎・EXPO十八

Je continue à marcher entre les immeubles de Ginza, sans me perdre car l’organisation des rues en quadrillage autour des grandes avenues fait qu’on a toujours un point de repère. Je voulais faire un tour d’horizon des nouveaux buildings du quartier mais j’en trouve assez peu que je ne connaissais pas déjà. Je reviens donc par défaut vers celui fait de cubes de verre, conçu par Renzo Piano pour Hermes. Depuis que l’immeuble Sony au coin de rue a été démoli, on peut l’apercevoir pleinement du carrefour, notamment depuis les hauteurs de la tour Tokyu Plaza que je prends également en photo ci-dessus. Mais ça, je l’avais déjà dit dans un billet précédent et je me répète. De ce tour d’horizon du quartier, je garde en tête la beauté des matériaux de certaines devantures comme celle de Bottega Veneta sur la première photographie. Nous sommes assez tôt le matin avant que les boutiques et Department Stores n’ouvrent pour la journée et les rues sont calmes. J’aime particulièrement marcher le matin avant que l’activité démarre, mais l’occasion ne se présente que rarement.

J’avais une légère appréhension avant de regarder le Blu-Ray du concert Ringo Expo’18 de Sheena Ringo car je me demandais si elle avait conservé sur ce dernier concert en solo toute la passion que j’ai pu voir sur ses concerts précédents. Je m’inquiétais bien entendu pour rien car ce concert est grandiose, d’un style très différent de la sobriété du dernier concert News Flash de Tokyo Jihen par exemple (qui sortira d’ailleurs en DVD/Blu-ray le 14 Avril 2021). Le budget des concerts de Sheena Ringo dans le grand espace de Saitama Super Arena est bien different de celui de Tokyo Jihen au Tokyo International Forum. Ce blu-Ray était un de mes cadeaux de Noël et je l’ai acheté au Disk Union de Shinjuku. Je me suis en fait rendu compte qu’un nouveau magasin Disk Union avait ouvert ses portes à quelques dizaines de mètres de l’ancien, mais il est malheureusement caché dans une petite rue que je n’emprunte en général pas. Cette nouvelle boutique a un rayon assez important couvrant Sheena Ringo et Tokyo Jihen, et notamment des DVDs ou Blu-Ray de concerts qui manquaient dans l’ancienne boutique. Elle est devenue ma boutique préférée.

La tournée (Nama) Ringo Expo’18 – Fuwaku no Yoyū -「(生) 林檎博’18 – 不惑の余裕 -」se déroulait en 8 dates du 20 Octobre au 30 Novembre 2018, en commençant par deux dates à Shizuoka, puis deux à Osaka, trois dates au Saitama Super Arena et au final une dernière date à Fukuoka. Pour chaque tournée, je constate que Sheena est à chaque fois fidèle à la ville de son enfance, en passant systématiquement à Fukuoka. Cette tournée est sous-titrée Fuwaku no Yoyū. Fuwaku fait référence au fait d’avoir 40 ans, et Yoyū au fait d’avoir de la marge. Sheena fête ses quarante ans pendant cette tournée et la date de la captation vidéo au Saitama Super Arena est celle de son anniversaire, le 25 Novembre. Ce sous-titre doit donner l’idée qu’on ne doit pas se laisser perturber par le fait d’avoir 40 ans et que le temps ne manque pas pour continuer à faire de belles choses. En plus de ses quarante ans, cette tournée correspond également aux 20 ans de sa carrière musicale démarrée en 1998. C’est assez fréquent dans la vidéographie de Sheena Ringo de trouver des videos de concerts correspondant exactement à ces dates d’anniversaire.

Sur cette tournée, Sheena est accompagnée par un groupe de musiciens prenant un nom de formation tirée de la science fiction, The Mighty Galactic Empire. Les noms des membres nous sont familiers, car l’air de rien, même si Sheena est annoncée en solo, elle fait toujours partie d’un groupe bien identifié. On retrouve donc Hiizumi Masayuki (alias H Zett M), ancien membre de la première phase de Tokyo Jihen, aux claviers. Hiizumi intervient en fait assez régulièrement dans les compositions et aux enregistrements de certains morceaux de la carrière de Sheena, par exemple sur Shijō no Jinsei (至上の人生) dont je parlais auparavant. Yukio Nagoshi est à la guitare électrique. Il était déjà présent sur la tournée Ringo Expo 08 et participa notamment aux enregistrements de l’album Hi Izuru Tokoro. Midorin du groupe jazz SOIL&’PIMP’SESSIONS est à la batterie et c’est également un habitué des concerts de Sheena Ringo car il était notamment aux percussions sur la tournée Tōtaikai. Kameda Seiji n’est par contre pas à la guitare basse sur cette tournée, comme c’était le cas dix ans auparavant pour Ringo Expo 08, car il s’agit de Keisuke Torigoe. Torigoe joue aussi de la contrebasse et il était également présent sur la tournée Tōtaikai. C’est également un habitué car il faisait également partie de la formation de la mini tournée Chotto Shita Reco Hatsu en 2014. Ce dernier concert accompagnant la sortie de Gyakuyunyū: Kōwankyoku n’est d’ailleurs pas disponible en DVD ou Blu-ray mais était retransmis sur la chaîne du câble WOWWOW et on peut le trouver sans trop de difficultés dans les méandres de l’internet. Un orchestre de 32 musiciens pour 10 instruments (si mon compte est bon) mené évidemment par Neko Saito vient compléter la formation The Mighty Galactic Empire. On peut également voir sur scène deux groupes de danseuses: Ai et Bambi Naka, qui signe également certaines chorégraphies, et le groupe Elevenplay composé de 4 danseuses (Kohmen, Saya, Erisa et Kaori). J’étais surpris de ne pas retrouver la troupe Idevian Crew qui était présente sur plusieurs concerts comme Bon Voyage de Tokyo Jihen ou Ringo Expo 08. Ceci étant dit, j’ai trouvé les chorégraphies sur Ringo Expo 18 bien meilleures que ce que j’avais vu jusqu’à maintenant sur un concert de SR/TJ (surtout si on compare à Bon Voyage), notamment dans la manière dont les danseuses s’intègrent à la représentation et leur interactions avec Sheena. Je dirais même qu’elles deviennent un des (nombreux) intérêts du spectacle, surtout la présence de Bambi Naka et Ai en fait, qui serait presqu’aussi forte que celle d’Aya Sato. La chorégraphie générale du concert est assurée par la copine de Sheena, la chorégraphe MIKIKO (qui chorégraphie également des spectacles de Perfume) et je pense que c’est tout simplement la raison pour laquelle c’est réussi. Le concert inclut également plusieurs artistes invités, plus nombreux qu’à l’habitude d’ailleurs, mais j’y reviendrais un peu plus tard. Le nom de science fiction de la formation The Mighty Galactic Empire évoquerait plutôt le monde de Star Wars, mais la jaquette du DVD/Bu-Ray nous rappelle évidemment l’affiche de Rencontres du 3ème Type de Steven Spielberg, film inscrit dans ma culture cinématographique l’ayant vu et revu des dizaines de fois (et même dessiné des montagnes ce qui inquiétait un visiteur de ce blog). Le concert démarre également par une allusion très marquée à ce film, sorti en 1977 aux États Unis mais en 1978 au Japon, l’année de naissance de Sheena. On ne répétera jamais assez que rien n’est laissé au hasard chez Sheena Ringo et ça en deviendrait presqu’inquiétant (mais en même temps tellement intéressant). Dans sa totalité, ce concert est excellent mais je me rends compte que je ne suis plus très objectif dans mes évaluations. Il n’y a rien à mettre de côté, par rapport à certains concerts précédents où quelques morceaux m’intéressaient moins. La playlist du concert est assez variée mais couvre beaucoup plus la deuxième partie de carrière de Sheena, et plutôt les derniers albums: Hi Izuru Tokoro, les deux Gyakuyunyū et Ukina. On trouve également un assez grand nombre de singles qui seront plus tard inclus sur l’album Sandokushi. On y trouve également quelques reprises d’anciens morceaux pop japonais et de nombreuses collaborations sur scènes qui comptent parmi les meilleurs moments du concert. Musicalement, il ne s’agit peut être pas du meilleur concert que j’ai pu voir jusqu’à maintenant, ni le plus prenant émotionnellement, mais il est de loin le plus beau et le plus abouti en terme de mise en scène.

Le premier morceau du concert est instrumental et s’intitule Kichi to no sōgū, qui veut dire rencontre avec la sagesse. J’imagine que ce titre évoque la sagesse que l’on gagne petit à petit avec les années et qu’il s’agit là d’une première évocation de son passage vers la quarantaine. Cet instrumental ressemble à un morceau de chauffe pour l’orchestre de Neko Saito qui apparaît sur scène dès le début. Sheena n’est pas encore sur scène et n’apparaîtra que dans le morceau suivant. Une étrange machine de science fiction apparaît sur les écrans vidéo en arrière plan. Elle réagit à chacun des instruments de l’orchestre joués indépendamment les uns après les autres. La machine reconnaît chaque instrument joué en donnant son nom à l’écran et compose ensuite une réponse musicale. Le dialogue entre l’orchestre et la machine se construit petit à petit et n’est pas sans nous rappeler la scène emblématique de Rencontres du 3ème type où les scientifiques dialoguent par une succession de sons avec une présence extraterrestre. La musique qui en résulte s’accélère d’ailleurs de la même manière que dans le film. Le titre de ce morceau Kichi to no Sōgū (機知との遭遇) fait d’ailleurs référence directe avec le titre japonais du film Michi to no Sōgū (未知との遭遇), sauf que l’inconnu dans le titre du film est remplacé par la sagesse dans le titre du morceau. Mais cette machine musicale aux multiples yeux rouges me rappelle aussi les créatures Ohmu du film d’animation Nausicaä de la vallée du vent. On connaît l’affection de Sheena pour ce film et pour la princesse Nausicaä qu’elle imitait quand elle était petite, donc cette inspiration me paraît naturelle. La musique de ce premier morceau se fond ensuite avec le début de Honnō mais Sheena n’entre pas encore sur scène. Mummy-D du groupe de Hip-Hop Rhymester, un des plus anciens du genre au Japon, entre d’abord seul en scène alors que la voix de Sheena en version auto-tune se joue derrière. C’est une version très différente de ce que j’ai pu entendre jusqu’à maintenant. Sheena apparaît ensuite dans une cage de verre sous des rayons de lumière et casse petit à petit à l’aide d’un poing américain le verre qui l’enferme. La ressemblance avec les scènes du clip vidéo original de Honnō va jusqu’au coup de pied final que donne Sheena sur le reste de verre qui dépasse. La première tenue de scène de Sheena est peut-être la plus belle du concert. Comme sur la tournée Tōtaikai, elle porte une grande couronne de reine ou de princesse sur la tête. Sa robe prend un air médiéval. Il s’agit d’une robe Gucci de la collection Croisière 2018 avec l’inscription volontairement modifiée en Guccy. La robe est modifiée car des modèles d’insectes y sont accrochés. Les autres membres du groupe voient également leurs tenues de scène agrémentées de ce genre d’insectes. J’aime beaucoup cette tenue de scène parce que Sheena l’accorde avec des grosses plateformes boots noires qui contrastent avec le reste. On peut se demander pourquoi Sheena ne jure que par Gucci pour ses tenues de scènes ces dernières années. Il doit y avoir l’attrait pour le style vestimentaire mais cet intérêt pour la marque est également très certainement dû au fait que le directeur créatif de Gucci, Alessandro Michele, a la même date d’anniversaire que Sheena (mais de 6 ans son aîné). On pensera ce qu’on veut de ce choix vestimentaire, mais je trouve que ces tenues sont plutôt bien adaptées à la scène et le style de Michelle s’éloigne de l’image tape-à-l’œil que l’on peut avoir de la marque depuis la période Tom Ford. J’aime beaucoup quand Sheena choisit l’excentricité dans ses tenues de scène. Celles de Ringo Expo 18 ne surpassent tout de même pas la tenue finale avec coiffe amérindienne du concert Discovery de Tokyo Jihen, dont elle avait elle-même l’air très fière. Après être sortie de sa cage de verre, Sheena chante de sa vraie voix sans auto-tune et Mummy-D continue sa partie rappée qui fonctionne en fait très bien pour le morceau. Lorsque démarre le morceau suivant Ryūkō, la voix rappée de Mummy-D devient très naturelle car on est tout de suite saisi par l’ambiance de Sanmon Gossip, album qui était un tournant dans la carrière solo de Sheena Ringo. Mummy-D est extrêmement mobile sur scène par rapport à Sheena qui est plus statique, du moins au début. Elle reste cool et intouchable, c’est le personnage qu’elle joue sur scène, mais elle laisse quand même échapper une larme. On le devine car elle s’essuie l’oeil pendant la représentation de ce morceau. J’aime beaucoup ensuite la manière par laquelle Sheena se synchronise avec les deux danseuses pour effectuer le même mouvement. Comme je le disais plus haut, les chorégraphies sont un des points forts de ce concert. Pendant ce temps là, Mummy-D contrôle le flux du morceau, présente les musiciens et souhaite un joyeux anniversaire à Sheena qui le remerciera ensuite par une tape complice dans la main et un petit sourire presque caché. L’énergie qui se dégage du morceau me donne envie de revenir vers Sanmon Gossip, que je me remets à écouter dans la foulée.

Les deux morceaux qui suivent proviennent tous les deux de l’album Gyakuyunyū: Kōwankyoku où Sheena reprenait à sa manière des titres qu’elle avait écrit pour d’autres artistes. Les deux morceaux de cet album sont Amagasa écrit pour Tokio et Hiyori Hime pour Puffy AmyYumi. Il s’en dégage une atmosphère rock très dense même si Sheena n’est pas à la guitare. En fait, chose assez inhabituelle, c’est le premier concert que je vois où elle ne joue pas de la guitare. Mais Yukio Nagoshi à côté d’elle assure pour deux et nous donne des jolis brins de guitares en solo vers la fin de Amagasa. Le fond de la scène est couvert d’écrans montrant des rayons rapides de lumière et affichant les paroles du morceau. Tout s’affiche très vite, ce qui vient contraster avec la posture quasi immobile de Sheena. Hiizumi est le seul à être présenté pendant ce morceau, et il se montre un peu plus sur scène à ce moment là, mais reste assez discret par rapport à ce que j’avais pu voir de lui sur le concert Dynamite de Tokyo Jihen Phase 1. Pendant tout le long du concert, je m’attendais à ce qu’il fasse des gestes démonstratifs mais il reste à sa place car il ne s’agit pas là d’un revival de Tokyo Jihen. Midorin enchaine rapidement sur le morceau suivant Hiyori Hime, en y allant très fort à la batterie. J’avais pris l’habitude de percussions plus jazz de sa part, et on dirait même Toshiki Hata qui joue sur ce morceau en particulier. J’aime beaucoup le rythme de ce morceau et Sheena pousse sa voix sans dérailler une seconde. C’est quand même un vrai plaisir de voir qu’elle ne perd pas sa voix et qu’elle a même de la marge (le yoyū du sous-titre peut être). La puissance du son baisse ensuite de quelques tons avec le morceau très léger et délicat APPLE de Towa Tei, qui apparaît sur son album Lucky sorti en 2013 (celui avec les poix rouges dessinés par Kusama Yayoi) et qui est également repris sur Ukina, sorti la même année. Je me souviens que ce morceau avait attisé ma curiosité pour Towa Tei et que j’avais écouté et apprécié deux de ses albums a savoir Lucky (2013) et EMO (2017). Towa Tei n’intervient malheureusement pas en invité sur scène. Une vidéo animée à base de pomme est montrée en fond, tout en donnant les noms des membres de The Mighty Galactic Empire. Les danseuses Bambi Naka et Ai reviennent sur scène avec une pomme à la main et portent d’étranges blousons boursouflés au niveau des épaules. Sheena porte également au dessus d’une robe légère rosée ce même blouson couvert de fourrure avec ces sortes d’airbag sur les épaules. Ce blouson si particulier a en fait une histoire. Il a été initialement créé en 1989 par le désigner new-yorkais Dapper Dan (alias Daniel Day) en reprenant des motifs Louis Vuitton pour les manches boursouflées plutôt que les motifs Gucci de la version portée par Sheena et les danseuses pendant ce concert. Il s’avère que Dapper Dan s’était fait une réputation dans les années 80 depuis sa boutique d’Harlem auprès notamment du monde du hip-hop de l’époque, en dessinant des vêtements reprenant des logos et morceaux de tissus de marques de luxe sans autorisations préalables. Dapper Dan fut contraint de fermer sa boutique et son business en 1992 suite à une attaque en justice de la marque Fendi. Alessandro Michele de Gucci réhabilita en quelques sortes le designer en créant, vingt-huit ans après le modèle original, une nouvelle version de ce blouson avec les logos de la marque. On crut d’abord au plagiat mais il s’agissait en fait d’un hommage. Enfin, on n’en est pas absolument certain. Ce design très particulier est immédiatement remarquable, mais Sheena ne le gardera que pendant ce morceau. Elle laissera ce blouson tomber derrière elle pour ne rester qu’en robe légère rosée ressemblant à une nuisette, mais toujours avec sa grande couronne sur la tête. Les écrans vidéos derrière elle deviennent comme de gigantesques miroirs qui réfléchissent le public. Elle interprète maintenant Ma Chérie, morceau qui n’est pas encore sorti car il n’apparaitra que sur Sandokushi l’année d’après. Ce morceau est inédit mais comme il était utilisé en extrait pour une publicité Shiseido, le public devait déjà en partie le connaître au moment de ce concert. La version est identique à celle de Sandokushi sauf qu’elle chante d’une voix un peu plus grave, qui fonctionne mieux que sur l’album. Mais j’aime de toute façon beaucoup la dynamique de ce morceau dans ces deux versions.

On remonte ensuite soudainement dans le temps avec un morceau de Muzai Moratorium, Tsumi asobi. Toujours pas de guitares à l’horizon pour Sheena, mais un instrument particulier fait son apparition sur scène sous la forme de cloches tubulaires qu’elle vient frapper de manière occasionnelle pendant le morceau à l’aide de deux petits marteaux. Elle effectue également sa danse habituelle des mains pour ce morceau, mais en tenant en mains les deux petits marteaux. Cela donne un côté à la fois charmant et un peu ridicule, mais ça passe parce qu’elle sait rendre cette chorégraphie naturelle. Cette scène et la dangerosité, certes toute relative, de danser avec des marteaux en mains, me rappelle la scène du couteau dans Ringo Expo 08. Dix ans après, elle est toujours en mesure de créer ce genre de scènes un peu décalées où on a peur, en tant que spectateur, qu’elle finisse par se blesser devant nous. Ceci étant dit, les marteaux semblent quand même plus inoffensifs que la plaque de verre qu’elle brise au poing américain au tout début du concert, ou le découpage de pommes au couteau sur Ringo Expo 08. Quand elle ne danse pas avec les marteaux ou tape sur les tubes, Sheena prend sa position habituelle de côté avec la tête légèrement en arrière, en ayant l’air de maîtriser la situation. Il est clair qu’il n’y a aucune hésitation dans son chant et dans ses mouvements toujours très réfléchis. Elle a toujours cette présence théâtrale qui nous fait penser qu’elle joue un rôle devant la foule, comme une actrice. Mais les émotions transpercent et apparaissent véritable. La partition musicale est très dense et a beaucoup d’ampleur sur ce concert avec une grande complémentarité entre l’orchestre de Neko Saito que l’on oublie presque tellement il est présent et le groupe à base de guitares. Après une reprise coupée en cours de route du morceau Kojin Jugyō (datant de 1973) du groupe pop originaire d’Okinawa Finger 5, Sheena entame dans la foulée le morceau Donzoko made. Les deux morceaux se mélangent. Je suis surpris par l’intensité de son interprétation, car je n’avais jamais vraiment fait attention à ce morceau, éclipsé par l’autre morceau Shijō no Jinsei sorti sur le même single. Elle enlève sa couronne au milieu du morceau, laissant ses cheveux un peu ébouriffés. On sent l’intensité dans son visage et dans quelques mouvements brusques qui accompagnent la tension de son chant. Elle chante le morceau plus rapidement que d’habitude, me semble-t-il, et laisse échapper sa voix de temps en temps. Elle y met beaucoup de ferveur et ça fait plaisir à voir.

Kamisama, Hotokesama suit ensuite dans la playlist du concert, mais Sheena l’interprète seule sans Mukai Shutoku qui aurait pu quand même passer dire bonjour. Sheena se débrouille en fait très bien toute seule avec la voix de Mukai en bande son. Les six danseuses de la troupe accompagnent Sheena sur scène. Elles sont habillées de robes rouges ou grisâtres et drapées dans un grand foulard dans le style de l’album Hi Izuru Tokoro, qui devait d’ailleurs être vendu en produit dérivé à cette époque là. Sheena porte, elle, un kimono bleu posé nonchalamment sur sa nuisette rosée. Avec ces cheveux en bataille, elle prend un look sauvage exacerbé par les mouvements de danse, ressemblant à ceux d’un spectre, qu’elle effectue en synchronisation avec les danseuses. La chorégraphie sur ce morceau est merveilleuse, notamment quand les mouvements rapides des danseuses portant toutes le même foulard viennent se mélanger au final instrumental. La synchronisation entre l’orchestre qui dévoile tout son coffre et la chorégraphie précise et énergique des danseuses est très belle à voir. Sur la fin du morceau, avant de disparaître sans qu’on s’en aperçoive, Sheena prend une voix qui me rappelle celle du théâtre kabuki. Elle utilise cette manière de chanter de temps en temps, je l’ai entendu plusieurs fois dans d’autres concerts et j’adore quand elle fait ça. Une version instrumentale par l’orchestre de Kesho Naoshi fait office d’interlude pendant que Sheena change de tenue. Les six danseuses sont seules sur scène et on les présente par leurs noms sur les écrans géants à l’arrière. Elles portent toutes un parapluie semi-transparent à la main, celle avec une vague s’inspirant de celle de Kanagawa de Hokusai et un soleil japonais à larges rayons, qu’on retrouve également sur les petits drapeaux donnés au public. Alors que le morceau se termine doucement, une voix de petite fille commence à parler. C’est un message de la fille de Sheena Ringo qui a 5 ans, à la voix toute mignonne et appliquée. Elle a dû beaucoup s’entrainer car certaines formes verbales de politesse sont un peu compliquées. Il y a dix ans pour Ringo Expo 08, c’était son fils à l’âge de 7 ans qui avait laissé un message similaire à sa mère pour son anniversaire. Après cette interlude, le flot des violons et le son délicat de la harpe nous plongent tout de suite dans l’ambiance de Carnation, magnifique avec l’ecran gigantesque à l’arrière montrant une lune géante. Sheena est désormais vêtue d’une robe Gucci rose. Elle est désormais blonde sous un grand faisceau de lumière alors que le reste de la scène est dans les couleurs bleues nuit. Carnation n’est à priori pas le style de morceau que je préfère, mais je l’ai toujours aimé, que ça soit sur l’album Hi Izuru Tokoro ou ici sur scène. On continue ensuite avec deux morceaux de cet album à savoir Arikitarina Onna et Irohanihoheto. Son interprétation de Arikitarina Onna est assez poignante et elle est lumineuse avec ses cheveux blonds sous la lumière forte, comme si elle n’avait plus l’âge. Le solo de guitare vers la fin sous le sourire de Midorin à la batterie est très réussi. Sheena s’incline devant le public pour ce final, comme elle le fait régulièrement pour marquer le coup. Sur Irohanihoheto, les images des écrans géants se font plus dynamiques et graphiques. La scène est toujours sombre mais Sheena est seule éblouie par un spot de lumière comme une lumière de soleil trop forte. Elle ne force pas vraiment sa voix sur ce morceau et ce n’est pas l’interpretation que je préfère.

Le décor change ensuite complètement avec Kabukichō no Joō, qui imite bien entendu les rues de Kabukichō no Joō, avec sa multitude de panneaux lumineux et ses grandes portes rouges. Elle porte toujours sa robe rose, ce qui donne une sorte de contraste avec ce décor de rue reconstitué. Sur la toute fin du morceau, la voix de kabuki refait surface pour mon plus grand plaisir. Nous sommes à ce moment à la moitié du concert et le rythme ne va pas faiblir. Jinsei ha Yume Darake suit ensuite. C’est un morceau qu’elle avait initialement écrit pour l’actrice Takahata Mitsuki, et il s’agit d’un des morceaux préférés des fans. C’était aussi le morceau qui m’avait fait ré-réaliser de toute sa prouesse d’écriture musicale. Elle est d’abord seule sur scène avec le piano d’Hiizumi juste à côté, puis l’orchestre se réveille brusquement. Le morceau n’est pas simple à chanter et elle s’y donne à fond, ce qui donne une très belle performance. Le public ne s’y trompe pas et apprécie. La bonne surprise qui suit est l’arrivée sur scène de Ukigumo en costume de gentleman. Il interprète seul le morceau Tokyo ha Yoru no 7PM, composé par Sheena Ringo à partir de l’original écrit par Yasuharu Konishi pour Pizzicato Five. Ce morceau a été utilisé lors de la présentation des Jeux paralympiques de Tokyo à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Rio de Janeiro 2016. À cette époque, Sheena Ringo faisait partie, avec d’ailleurs MIKIKO, la chorégraphe de ce concert, du comité de préparation des Jeux Olympiques de Tokyo, récemment dissous. Ce qui m’amuse un peu, c’est que Sheena se proclamait être du mouvement Shinjuku-kei au début de sa carrière, en opposition au Shibuya-kei dont Pizzicato Five est le représentant le plus connu. Je n’ai que très peu d’intérêt pour Pizzicato Five, mais le version originale de Tokyo ha Yoru no 7PM chantée par Maki Nomiya est très plaisante (et l’introduction où on demande à Maki Nomiya quelle heure il est à Osaka quand il est 7h à Tokyo est assez charmante). Ukigumo sur scène prend une attitude complètement décontractée et extrêmement sympathique. Les deux danseuses Ai et Bambi Naka l’accompagnent et sont habillées d’amples tenues spatiales blanches marquées du logo de la NASA et d’un drapeau américain. Le morceau est plutôt plaisant et reste en tête longtemps après l’avoir écouté. L’interprétation d’Ukigumo n’est pas exceptionnelle mais je ne pense pas l’avoir déjà vu seul sur scène porter un morceau devant un si large public. Il y a quand même quelque chose d’attachant dans son interprétation qui n’en fait pas trop. Ukigumo reste sur scène pour le morceau suivant Nagaku Mijikai Matsuri qu’il interprète en duo avec Sheena qui apparaît dans une robe près du corps noire Yves Saint Laurent, dessinée par Hedi Slimane. Accompagnée des 6 danseuses, elles effectuent ensemble une chorégraphie synchronisée pendant qu’Ukigumo se promène sur scène toujours d’un air décontracté en s’amusant avec son petit drapeau. Il est tellement décontracté qu’il vient même s’asseoir pendant quelques minutes, pour ensuite rejoindre le centre de la scène où se trouve Sheena pour finir le morceau sur quelques paroles rappées comme il sait très bien le faire. Sheena esquisse un petit sourire et a l’air d’apprécier. Je remarque que Sheena a toujours ce genre de sourire quand Ukigumo fait son show, comme si il sortait de sa zone de confort pour faire plaisir à Sheena et qu’elle appréciait donc cet effort là. En fond sur les écrans géants, on revoit apparaître les danseuses de Matsuri du Koenji Awa Odori Shinkō Kyōkai, qui apparaissaient également lors du concert Ringo Expo 08 et plus récemment pendant l’émission Kōhaku du réveillon 2020 sur la NHK. Le morceau se termine avec le sortie de scène de Ukigumo accompagnée d’un high five de Sheena et de sourires complices qui font plaisir à voir.

Sheena Ringo interprète ensuite Shun, le morceau central de l’album Sanmon Gossip. C’est une version réussie même si j’ai une préférence pour la version de Tōtaikai. Le solo de H Zett M vaut par contre le détour et c’est le seul moment du concert où on le sent s’exprimer même si c’est forcément un peu trop court. Le morceau suivant est une reprise écourtée du morceau Koi no Jumon ha Sukitokimekitokisu datant de 1982 de Itō Sayaka. Il s’agissait du thème d’ouverture d’un dessin animé intitulé Sasuga no Sarutobi diffusé sur Fuji TV. Sheena avait 4 ans à cette époque et elle interprète peut-être ce morceau en souvenir de son enfance. Toujours est-il que j’adore maintenant la version originale de ce morceau et j’écoute assez souvent ce single au charme des années 80. Sheena est vêtue d’un manteau vert pomme, aux couleurs me rappelant la vidéo de Jinsei ha Yume Darake, mais elle l’enlèvera rapidement avant de passer au morceau suivant Chichinpuipui. Ce morceau est celui que j’aime le moins sur l’album Hi Izuru Tokoro, mais il prend une toute autre dimension sur scène. Il fonctionne beaucoup mieux en live car les « Ringo » scandés font réagir le public et sont comme une hymne à Sheena Ringo elle-même. Le grand panneau lumineux à l’arrière affichant une pomme rouge et ses mots scandés contribue à cela. Pendant ce morceau et le suivant, Sheena change encore de coiffure pour garder ses cheveux naturels coupés courts lui donnant tout d’un coup un air plus adulte. Peut être que sa robe blanche aux motifs de couleur, très longue, contribue à cette impression de maturité soudaine.

On entame ensuite la dernière partie du concert qui est à mon avis la plus grandiose. Tortoise Matsumoto apparaît sur scène pour interpréter en duo avec Sheena le morceau Menukidōri, sous un décor lumineux rappelant Ginza. Il se donne à fond sur scène et c’est génial à voir. On sent que Sheena jubile de le voir présent sur scène et de sortir le grand jeu. Le morceau en live me donne en fait une impression complètement différente de la version en single ou sur l’album Sandokushi. On voit même que Sheena se déchaîne sur ce morceau et cette joie exprimée est très communicative. C’est un grand moment du concert mais ce qui va suivre avec l’arrivée sur scène de Hiroji Miyamoto du groupe Elephant Kashimashi est encore une autre histoire. Il interprète bien entendu Kemono Yuku Hosomichi en duo avec Sheena. J’avais déjà vu ce morceau interprété dans l’émission Music Station sur TV Asahi diffusée le 9 novembre mais cette version en concert prend une toute autre dimension. Je dirais que sa performance est bestial. Sa voix, d’abord, est très puissante mais ce sont surtout ses mouvements qui impressionnent. Il bouge dans tous les sens, s’imprègne complètement de son personnage et devient même incontrôlable sur scène. Il finit par arracher sa cravate et sa chemise puis par se rouler par terre. Sheena garde son sérieux mais elle ne peut s’empêcher de sourire puis de se reprendre. Ce qui est très fort, c’est que Miyamoto réussi complètement son interprétation vocale malgré ses mouvements exagérés et théâtraux. C’est un personnage habité et je pense qu’il jubilait d’être sur scène. Je l’avais vu invité dans l’émission matinale de la NHK Asaichi présentée par les comédiens Hanamaru-Daikichi Hakata et Yurie Ōmi (qui va malheureusement quitter la NHK à la fin Mars 2021). Hiroji Miyamoto est vraiment une personnalité particulière. Il avait mentionné plusieurs fois pendant cette émission sa participation à ce morceau avec Sheena et il évoquait une grande reconnaissance et un profond respect. Le morceau qui suit, Jiyūdom, est du coup beaucoup plus calme et classique en comparaison et conclut le set avant les rappels. Elle annonce le morceau après un court message de remerciement extrêmement poli, comme d’habitude. Elle reprend les petits marteaux devant les cloches tubulaires, entourée des 6 danseuses pour un final plutôt enjoué. Sheena fait de grandes gesticulations en guise de remerciements mais tient toujours les deux marteaux en mains ce qui rend la scène assez cocasse. Je pense qu’elle le fait exprès ou alors, il est possible qu’elle ne s’en rende pas compte.

Hiroji Miyamoto revient pour les rappels, mais cette fois-ci avec sa guitare. Comme pour Kemono Yuku Hosomichi, il est très applaudi à son arrivée sur scène. Miyamoto lui souhaite plusieurs fois un bon anniversaire avant de commencer à jouer un morceau de Elephant Kashimashi, Kanashimi no Hate. Miyamoto est beaucoup plus posé sur ce morceau mais reste extrêmement expressif ce qui fait rire Sheena. Il fait sa sortie en criant « Sheena Ringo Omedetō » avec des grands signes des bras mais se trompe de sortie, ce qui donne un petit moment comique en fin de morceau. Sheena s’était changée une nouvelle fois pour un kimono rouge. Alors qu’elle était fabuleuse en kimono sur Electric Mole, je trouve que ce kimono rouge est un peu trop formel, surtout quand on le compare à sa robe noire Saint Laurent. Un bref interlude visuel et musical appelé Bonus stage, ressemblant au jeu Super Mario mais avec une musique réarrangée du jeu vidéo Famicom Ganbare Goemon! Karakuri Dōchū (がんばれゴエモン!からくり道中) de 1986, annonce l’arrivée du dernier invité. Il s’agit de Rekishi qui vient interpréter en duo l’avant dernier morceau Kira Kira bushi. Il s’agit d’un morceau écrit par Rekishi sur son album éponyme de 2011 et présent sur l’album Ukina. Sheena y participait mais sous le nom de code Deyonna. Je pense que la musique de Goemon était utilisée en introduction car il a écrit un morceau s’appelant Goemon. Il est habillé en kimono comme Sheena, avec des lunettes de soleil blanches et une coupe Afro, portant le petit drapeau en main. Il apporte une note très enjouée et même comique pour la fin du concert, et ça plait beaucoup au public. C’est difficile de passer après des monstres comme Tortoise Matsumoto et Hiroji Miyamoto, mais il apporte une note différente à cette fin de concert. Au final, ils s’approchent tous les deux du devant de la scène comme pour parler devant le public, mais ça tourne assez court car Rekishi vient demander en plaisantant jusqu’à quand ils vont parler comme ça sur le devant de la scène. On sait bien que Sheena n’est jamais très à l’aise pour parler spontanément sur scène et répète toujours un peu les mêmes remerciements. Elle se dit toujours surprise qu’après 20 ans il y ait toujours autant de personnes qui viennent la voir sur scène. Le dernier morceau Yume no Ato de Tokyo Jihen ajoute une dernière touche émotionnelle. Elle disparaît à la fin du morceau derrière un parasol avec la grande vague de Hokusai. Une version modifiée de Marunouchi Sadistics est jouée pour le générique de fin. On y voit principalement Sheena et les danseuses habillées des blousons boursouflés de Dapper Dan, mais un étrange moine dansant est aussi présent en image. Il s’agit de Strong Machine 1go (ストロングマシン1号) qui apparait dans la vidéo de Netsuai hakkaku-chū (熱愛発覚中) et qui apparaitra également plus tard dans la vidéo de Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚). Le concert se termine sur ces images mais le blu-ray propose deux bonus, dont le morceau Hai Hai, écrit par Hatsuiku Status pour la tournée Gokiritsu Japon et qui est présent sur le troisième disque de la compilation live Zecchōshū. La captation live de ce morceau date d’un autre jour, le 22 Novembre 2018. Le deuxième bonus Yoyū mi Jikan est un assortiment de messages au public par Sheena lors des diverses représentations de cette tournée. Au final, Ringo Expo 18 s’avère être une performance assez exceptionnelle, bien plus aboutie que ce qu’on pouvait voir 10 ans avant sur Ringo Expo 18 et très différente des prestations que je connais de Tokyo Jihen. Les interprétations sont toutes très bonnes, certaines exceptionnelles, mais on sent en même temps que Sheena se lâche moins émotionnellement par rapport à certains concerts où on la sentait perdre pied devant sa propre prestation. Ceci étant dit, ça n’enlève pas grand chose à la qualité du spectacle que j’ai déjà regardé trois fois. Et on se dit que Sheena Ringo a encore de la marge (余裕) pour continuer à nous montrer de belles chansons pendant quelques dizaines d’années.

Pour référence ultérieure, je note ci-dessous la liste de morceaux interprétés lors du concert Ringo Expo 18:

1. Kichi to no Sōgū (機知との遭遇 -Sound&Vivision-), morceau instrumental inédit
2. Honnō (本能), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ), en duo avec Mummy-D
3. Ryūkō (流行), de l’album Sanmon Gossip (三文ゴシップ), en duo avec Mummy-D
4. Amagasa (雨傘), de l’album Gyakuyunyū: Kōwankyoku (逆輸入 ~港湾局~), morceau initialement écrit pour le groupe Tokio
5. Hiyori Hime (日和姫), de l’album Gyakuyunyū: Kōwankyoku (逆輸入 ~港湾局~), morceau initialement écrit pour le groupe Puffy AmiYumi
6. APPLE, de l’album Ukina (浮き名)
7. Ma Chérie (マ・シェリ), morceau qui apparaîtra sur l’album Sandokushi (三毒史)
8. Tsumiki Asobi (積木遊び), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
9. Kojin Jugyō (個人授業), reprise du morceaux datant de 1973 du groupe pop Finger 5 (フィンガー5) originaire d’Okinawa
10. Donzoko made (どん底まで), deuxième morceau du single Shijō no Jinsei (至上の人生) et qui sera inclus sur l’album Sandokushi (三毒史)
11. Kamisama, Hotokesama (神様、仏様), single qui apparaîtra sur l’album Sandokushi (三毒史)
12. Kesho Naoshi (化粧直し), version instrumentale du morceau de l’album Adult (大人) de Tokyo Jihen
13. Carnation (カーネーション), de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
14. Arikitarina Onna (ありきたりな女), de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
15. Irohanihoheto (いろはにほへと), de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
16. Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
17. Jinsei ha Yume Darake (人生は夢だらけ), de l’album Gyakuyunyū ~Kōkūkyoku~ (逆輸入 ~航空局~), morceau initialement écrit pour Takahata Mitsuki
18. Tokyo ha Yoru no 7PM (東京は夜の七時), morceau interprété par Ukigumo (浮雲) et composé par Sheena Ringo à partir de l’original écrit par Yasuharu Konishi pour Pizzicato Five. Ce morceau était utilisé lors de la présentation des Jeux paralympiques de Tokyo à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Rio de Janeiro 2016
19. Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭), single interprété avec Ukigumo qui apparaîtra sur l’album Sandokushi (三毒史)
20. Shun (旬), de l’album Sanmon Gossip (三文ゴシップ)
21. Koi no Jumon ha Sukitokimekitokisu (恋の呪文はスキトキメキトキス), reprise du single de 1982 de Itō Sayaka, qui était le thème d’ouverture de l’anime Sasuga no Sarutobi (さすがの猿飛) sur Fuji TV
22. Chichinpuipui (ちちんぷいぷい), de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
23. Menukidōri (目抜き通り), single en duo avec Tortoise Matsumoto (トータス松本) qui apparaîtra sur l’album Sandokushi (三毒史)
24. Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道), single en duo avec Miyamoto Hiroji (宮本浩次) du groupe Elephant Kashimashi (エレファントカシマシ) qui apparaîtra sur l’album Sandokushi (三毒史)
25. Jiyūdom (ジユーダム), single qui apparaîtra sur l’album Sandokushi (三毒史)
26. Kanashimi no Hate (悲しみの果て), morceau de Elephant Kashimashi (エレファントカシマシ) sur l’album Kokoro ni Hana wo (ココロに花を) de 1996, interprété avec Miyamoto Hiroji (宮本浩次)
27. Goemon (五右衛門), interlude instrumental inspiré de Goemon pour annoncer l’arrivée de Rekishi (qui a également sorti un morceau intitulé Goemon en 2018)
28. Kira Kira Bushi (きらきら武士), morceau écrit par Rekishi (レキシ) sur son album éponyme de 2011, interprété en duo et présent sur l’album Ukina (浮き名)
29. Yume no Ato (夢のあと), de l’album Kyōiku (教育) de Tokyo Jihen
30. (Ending) Marunouchi Sadistic (丸ノ内サディスティック), version remixée (neetskills remix) utilisée en fond sonore pendant les crédits de fin du concert
31. (Bonus track) Hai Hai (はいはい), morceau écrit par Hatsuiku Status pour la tournée Gokiritsu Japon, présent sur le troisième disque de la compilation live Zecchōshū (絶頂集). La captation live de ce morceau était le 22 Novembre 2018
32. Yoyū mi Jikan (余裕み時間), assortiment de messages au public par Sheena lors des diverses représentations de cette tournée

a street supreme

Ces photographies sont des petits instants de rues, certes très classiques sur Made in Tokyo. J’aime prendre ce genre de photographies de rues sans thèmes précis, seulement des détails qui ont attiré mon oeil à un moment donné. Ce sont parfois les plantes posées devant les immeubles, ou les couleurs de certains bâtiments qui me font m’arrêter pendant quelques secondes. Les photographies suivent le rythme de ma marche et il est rare que je revienne sur mes pas pour prendre une photo que j’aurais manqué quand mon pas est trop rapide. L’acte de marcher est en fait plus important que l’acte de photographier. Si je manque une photographie cette fois-ci, je la prendrais un autre jour. J’ai d’ailleurs déjà pris en photo certains lieux montrés ci-dessus comme les immeubles rectilignes de l’avant-dernière photographie. Le léger écart (隙間) qu’on devine entre les deux barres d’immeubles m’attire. On a l’impression que ces deux constructions sont en mesure de glisser l’une sur l’autre comme des plaques tectoniques.

J’écoute intensément depuis quelques jours l’album A love supreme de John Coltrane enregistré en Décembre 1964 et sorti en Janvier 1965. Intensément car le saxophone de Coltrane, inscrit dans un quartet, opère comme une sorte d’addiction qui me fait revenir sans cesse vers cet album. Je suis complètement néophyte en Jazz mais je ne suis pas pour autant réfractaire au genre. Je pense que je ne sais tout simplement pas par où commencer. J’ai toujours eu le sentiment que je me mettrais à écouter et apprécier le jazz quand je serais plus âgé et que j’ai encore du temps devant moi. Mon attirance est plutôt pour les formes atypiques du free jazz, qui est la tendance vers laquelle se dirige la musique de Coltrane. Il y a quelque chose de magnétique dans les sonorités non évidentes de saxophone et une grande liberté harmonique qui viennent gentiment pénétrer tous les recoins de mes neurones. Il se trouve que l’album A love supreme est un grand classique du Jazz, ce qui me donne envie de continuer à chercher un peu plus dans cette direction (toute recommandation est bienvenue). On peut se demander pourquoi cette bifurcation inattendue vers cet album de jazz? Un article de Pitchfork couvrant cet album est en fait tombé sous mes yeux de manière inattendue alors que je naviguais dans les flux de Twitter ou d’Instagram. À chaque fois que je lis un roman de Haruki Murakami, il nous parle discrètement mais systématiquement de jazz avec des noms de formations que je ne connais jamais. Je me dis à chaque fois que je devrais essayer d’explorer ce qu’il nous conseille dans ses livres, mais il m’a toujours manqué un déclencheur. Le déclenchement aurait pu être le film Whiplash de Damien Chazelle, que j’adore non seulement pour les interprétations de JK Simmons et Miles Teller mais aussi pour l’interprétation musicale notamment le final tout simplement grandiose. C’est un film que je regarde régulièrement, au moins une fois par an, et je m’y suis remis cette semaine encore. Mais le véritable déclencheur de mon écoute de A love supreme est l’association des deux images ci-dessous.

En lisant l’article de Pitchfork sur A love supreme de John Coltrane et en voyant la pochette de l’album, je me suis rappelé du rapprochement évident avec la couverture du morceau A life supreme (至上の人生) de Sheena Ringo, sorti en single accompagné du morceau To Rock Bottom (どん底まで) en Janvier 2015 (soit exactement 50 ans plus tard), et qu’on retrouvera ensuite sur l’album Sandokushi (三毒史) sorti quatre ans plus tard. Le style musical de ces morceaux de Sheena Ringo n’a absolument rien à voir avec le jazz de Coltrane, car les morceaux de Sheena sont résolument rock. Mais on remarque clairement que la typographie et le cadrage des mots, ainsi que le titre anglais, font directement référence à cet album de Coltrane. Je ne connais pas la raison exacte de ce rapprochement. En repensant au morceau Flight JL005 (JL005便で) sorti l’année d’avant en 2014 sur l’album Hi Izuru Tokoro (日出処), je me souviens qu’il lui avait été inspiré par le vol JL005 reliant l’aéroport international de Tokyo et l’aéroport international John F. Kennedy à New York. J’imagine que cette influence américaine a aussi gagné ce single A life supreme. Ses influences musicales sont assez vastes mais je n’ai jamais vu John Coltrane clairement mentionné. Ceci étant dit, je ne pense pas que la photographie de couverture montre une rue enneigée de New York. Les photographies accompagnant le single ont été prises par la photographe japonaise basée à Paris, Shimmura Mari (新村真理), et je pense donc qu’il s’agit plutôt de Paris. Le site web de la photographe ne le précise malheureusement pas. D’autres photographies de nature, superbes d’ailleurs, à l’intérieur du livret sont plutôt prises en Croatie.

C’est intéressant d’ailleurs de voir que cet album de John Coltrane peut être source de diverses inspirations. Pitchfork publiait également un article sur une vidéo de skateboard en noir et blanc de 1995 réalisée par l’artiste Thomas Campbell et prenant le même titre que l’album de Coltrane. Les deux premiers morceaux des quatre mouvements de l’album sont d’ailleurs joués en accompagnement. Cette vidéo est commanditée par la marque de street wear Supreme. Bien que je n’ai aucune affinité pour cette marque, j’ai toujours eu une certaine attirance pour l’esthétique DIY du monde du skateboard. En fait, je pense que j’aime surtout la manière dont les skateboarders s’approprient l’univers urbain, à la limite de l’interdit. Le petit film ne se concentre d’ailleurs pas seulement sur les scènes de skateboard et montre de nombreuses scènes de rues comme un documentaire du New York des années 90. La musique pousse même à une certaine méditation.

雑司ヶ谷の姫

Nous visitons beaucoup de sanctuaires et de temples ces derniers temps. Celui que j’ai visité, seul cette fois-ci, dimanche matin dernier se trouve à Zōshigaya (雑司ヶ谷), une des stations de la ligne de métro Fukutoshin, au delà de Shinjuku et tout près d’Ikebukuro. L’envie de visiter cet endroit aurait pu être liée au nom du lieu qui m’intrigue ou au fait qu’il est traversé par un petit tram pittoresque de la ligne Toden Arakawa Line, aussi appelé Tokyo Sakura Tram. Mais je suis venu jusqu’ici pour une autre raison. Je voulais voir de plus près le temple Hōmyōji où a été tournée la vidéo de Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) de Sheena Ringo. La première fois que j’ai vu la vidéo de ce morceau il y a plus de vingt ans, certainement sur la chaîne du câble Space Shower TV que je regardais en boucle à cette époque, j’ai tout de suite été impressionné par l’ambiance qui s’en dégageait, assez déconcertante pour ses tons sombres et pour le flottement continue de l’image comme si Sheena était observée par un spectre qui lui tournerait autour. Le morceau en lui-même laisse une empreinte forte en mémoire lorsqu’on l’écoute pour la première fois, mais la vidéo contribue également beaucoup à l’impact que le morceau nous laisse. J’étais tout d’abord persuadé que la vidéo avait été tournée dans le sanctuaire Hanazono, accolé au petit quartier de Golden Gai à Kabukichō, mais je me suis ensuite rendu compte que ce n’était pas le cas. En fait, je pense que la photo de couverture du single, où l’on voit le visage de Sheena et une des rues de Golden Gai en arrière-plan, m’a initialement fait penser que la vidéo était filmée au même endroit. L’histoire raconte que Sheena a écrit ce morceau après avoir été accostée, alors qu’elle rentrait chez elle, par un rabatteur à Shibuya lui proposant de manière plutôt agressive un job dans un club peu recommandable de Kabukichō. Elle était fraîchement arrivée de Fukuoka et travaillait à cette époque là dans un magasin de disques de Shibuya. L’histoire dit également qu’elle n’a jamais mis les pieds à Kabukichō avant l’enregistrement de Kabukichō no Joō, ce qui est assez intéressant car ce morceau et sa vidéo ont eu une empreinte tellement forte qu’on a fini par associer Sheena Ringo à Shinjuku, ce qui est d’ailleurs à l’origine directe du style Shinjuku-kei dont elle est la seule représente.

Images extraites de la vidéo de Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) par Sheena Ringo sur son premier album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム).

Pour alterner avec les concerts, je me suis mis en tête de regarder les DVDs de la série Seiteki Healing en commençant par le premier (性的ヒーリング~其ノ壱~) sorti le 10 Novembre 1999. La vidéo de Kabukichō no Joō est présente sur ce DVD et la revoir m’a donné l’idée et l’envie de me rendre dans le temple où elle a été tournée. En fait, je sais depuis longtemps que cette vidéo n’est pas été tournée à Kabukichō mais dans un temple quelque part dans l’arrondissement de Toshima. Je n’avais cependant pas poussé la curiosité jusqu’à aller voir le lieu de mes propres yeux. Comme je marche souvent aux mêmes endroits en ce moment, la perspective de découvrir un nouveau lieu m’attirait beaucoup, en plus du fait de partir à la recherche de ce lieu de tournage comme on pourrait partir pour une chasse au trésor. Arrivé à Zōshigaya, je marche directement vers le temple principal de Hōmyōji. L’enceinte est assez vaste et je l’explore méthodiquement à la recherche de la série de torii rouges distinctifs des autels dédiés au renard Inari, que l’on peut voir dans Kabukichō no Joō. Je tourne en rond et ne trouve rien. Je m’approche du cimetière tout en me disant que je fais fausse route. Je décide de faire le tour de l’enceinte du temple pour voir si on peut accéder à d’autres dépendances. Le long d’une allée étroite longeant le cimetière, je tombe finalement sur un chemin étroit coincé entre des habitations et l’enceinte du temple. On y trouve une longue série de torii rouges formant un chemin zigzaguant entre les murs. Je me dis que ça doit été l’endroit que je cherche, mais je n’en ai pas la certitude. En fait, je me souviens très bien d’inscriptions en kanji affichées sur un muret en ciment gris que l’on peut voir dans la vidéo. Mais je ne retrouve pas cet endroit ici. Après avoir marché jusqu’à l’autel Inari, je reviens sur mes pas sans être vraiment convaincu d’avoir trouvé le bon endroit. En sortant du chemin, je continue à faire le tour de l’enceinte du temple, mais la rue que j’empreinte m’en éloigne et je finis par rebrousser chemin. Je refais un tour à l’entrée du temple, explore d’autres recoins mais sans succès. Les inscriptions en kanji ont peut-être été effacées avec le temps. Peut-être étaient elles spécialement écrites pour la vidéo? Cette vidéo a été tournée il y a plus de vingt ans et les lieux ont peut-être changé entre temps, l’espace intérieur du temple a peut-être été modifié. J’ai tout de même du mal à me convaincre de cela car les sanctuaires et temples sont en général des espaces immuables. Le temps passe et il faut bien que je me rende à l’évidence que je ne trouverais pas d’indices ici.

Je décide de repartir vers la gare en empruntant une route un peu différente me faisant découvrir un autre temple. J’apprends très vite qu’il s’agit en fait d’une dépendance faisant partie du même ensemble. Kishimojin-dō (鬼子母堂) fait partie intégrante de Hōmyōji même si ces deux temples ne sont pas directement reliés l’un à l’autre. Par rapport au reste de Hōmyōji, Kishimojin-dō se situe dans un espace beaucoup plus ouvert qui donne une impression de grandeur au bâtiment. Je visite d’abord le bâtiment principal. Une veille dame insiste pour que je prenne un petit livret explicatif car on y trouve toutes les informations nécessaires sur ce lieu. Je ne refuse pas car c’est proposé gentiment. Je dois avoir la tête d’un touriste égaré. En visitant les lieux, j’apprends que ce temple favorise les naissances et que les fidèles voulant avoir des enfants viennent prier ici depuis l’époque Edo. Je pense demander un goshuin mais je n’ai pas amené mon livret. En regardant autour de moi depuis la plateforme surélevée en bois du temple, j’aperçois un peu plus loin une série de torii qui me redonne un peu d’espoir. L’alternance de torii rouges et de tiges métalliques blanches portant des drapeaux rouges ressemble beaucoup plus à ce que j’ai pu voir sur la vidéo de Kabukichō no Joō. L’autel au fond de l’allée ressemble également à celui de la vidéo. L’allée de torii entoure un arbre Ginkgo géant de 6.30m de circonférence et 10m de haut, désigné monument national. J’emprunte l’allée dans un sens et dans l’autre pour essayer de refaire le lien avec la vidéo. En m’écartant un peu de l’allée, je découvre finalement les inscriptions en kanji que je recherchais, inscrites sur un mur de ciment gris. Les kanji sont en partie effacés mais il s’agit bien des mêmes inscriptions que dans la vidéo. Il n’y a pas de doutes, il s’agit bien du lieu de tournage. Alors que je m’approche un peu plus du mur en marchant dans les herbes hautes, un chat noir et blanc fait soudainement son apparition. Il est sorti de nulle part, ou du moins je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant. Il n’a pas peur et vient même à ma rencontre comme pour m’accueillir en ce lieu. Il s’assoit quelque instant près d’un des arbres à l’endroit exact où Sheena était assise guitare en mains dans la vidéo. J’ai à ce moment précis la certitude qu’il s’agit bien de l’endroit que je recherchais. Il n’y a plus aucun doute possible, j’ai enfin trouvé l’endroit où a été tourné Kabukichō no Joō. Je repars vers la gare de Zōshigaya avec un air satisfait, similaire à celui que je peux avoir lorsque je découvre volontairement ou par hasard de l’architecture remarquable aperçue dans des livres ou des magazines.

Images extraites de vidéos du DVD Seiteki Healing Sono Ichi (性的ヒーリング~其ノ壱~) de Sheena Ringo. De haut en bas: les crédits, Remote Controller (リモートコントローラー ) et Memai (眩暈).

Outre Kabukichō no Joō, le DVD Seiteki Healing Sono Ichi (性的ヒーリング~其ノ壱~) contient les vidéos de Kōfukuron (幸福論), Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。), Honnō (本能) ainsi qu’une version alternative de Koko de Kiss Shite. Le point intéressant est que Sheena Ringo y ajoute des vidéos supplémentaires, comme celle de Tsumiki Asobi (積木遊び) qui n’est bizarrement pas annoncée sur le livret accompagnant le DVD mais qui est bien présente à la suite d’un autre morceau. On y voit également des publicités parodiques pour d’autres morceaux de l’album Muzai Moratorium ou des B-sides de single. La courte vidéo du morceau Remote Controller (リモートコントローラー ) en B-side du single Koko de Kiss Shite ressemble à la bande annonce d’un film d’horreur. Ce morceau lui était venu en tête alors qu’elle recherchait en plein stress la télécommande de sa chaîne hi-fi. Ce sentiment est exacerbé dans cette fausse bande annonce. Memai (眩暈), l’autre morceaux en B-side sur Koko de Kiss Shite, a également sa petite vidéo aux couleurs sombres et saturées. Sheena est habillée de la même façon que dans la version alternative de la vidéo de Koko de Kiss Shite donc j’imagine que les vidéos ont été filmées en même temps. Je ne reconnais pas, par contre, les lieux où la vidéo a été tournée, qui ressemblent à une banlieue tokyoïte quelconque. Il y a également une petite vidéo amusante montrant la chaîne de production de CDs de Toshiba EMI, commentée par Sheena avec des expressions de voix volontairement exagérées. Les crédits du DVD s’affichent au dessus d’une vidéo en noir et blanc montrant un corbillard traditionnel japonais roulant dans un tunnel. Ce choix est très particulier mais l’image et l’effet visuel sont très beaux. On ne voit plus beaucoup de corbillards dans ce style traditionnel, aux formes ressemblant à un toit de temple bouddhiste. Il me semble qu’il était beaucoup plus commun d’en voir dans les rues, il y a vingt ans.

Images extraites de la vidéo de Kōfukuron Et de la version alternative de Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。) de Sheena Ringo.

Sur la vidéo de Kōfukuron, on reconnaît tout de suite le parc olympique de Komazawa, construit et utilisé pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. Les scènes de la vidéo se déroulent en partie sur la grande place située entre le stade olympique et le gymnase. Sheena est allongée sur le sol, en bas des escaliers donnant sur cette place. J’aime beaucoup ce parc, cette place très étendue et ouverte et la fine tour de contrôle ressemblant à un plongeoir monté sur une minuscule piscine. Je ne reconnais par contre pas les lieux sur les scènes alternatives de la vidéo de Koko de Kiss Shite. On y voit des images d’un collège mais pas assez pour identifier clairement le lieu. En fait c’est plutôt sa tenue et sa coiffure hirsute qui m’intéressent et m’interpellent, car ça me rappelle la mode vestimentaire que l’on pouvait voir à Harajuku et à Shibuya à cette époque, à la toute fin des année 1990. J’imagine que la vidéo a été tournée en 1999. J’aime d’ailleurs beaucoup regarder le compte Instragram du feu magazine Fruits, qui montre jour après jour ses archives photographiques des années 1999 et 2000. Je me souviens bien de ces mélanges vestimentaires volontairement mal coordonnés et multicolores, mais j’avais oublié la mode des dreadlocks que l’on voit sur de nombreuses photos. Je comprends un peu mieux pourquoi Mari était coiffée de cette façon à l’époque, avant que je la connaisse. La mode actuelle est bien différente, beaucoup plus standardisée et donc moins fantaisiste dans son ensemble. Sauf peut être pour la coloration des cheveux qui est en plein boom en ce moment et qui n’était, il me semble, pas aussi étendue à la fin 1990/début 2000.

Image extraite de la vidéo de Tsumiki Asobi (積木遊び) de Sheena Ringo.

On peut dire que Sheena change beaucoup de personnalités dans ses vidéos et brouille les pistes. La vidéo de Honnō en tenue d’infirmière est maintenant devenue iconique. Dans les émissions de radio Etsuraku Patrol, elle s’est d’ailleurs plusieurs fois défendue de voir faire du cosplay. Le kimono est régulièrement de sortie dans les vidéos de Sheena Ringo et Tsumiki Asobi est peut être bien la première video où elle apparait habillée de cette manière. Les tenues et l’image sont très colorées et saturées. Les mouvements de caméra sont tellement rapides que la vidéo donne le tournis. Je pense que c’est la première fois que je la vois, en entier du moins, et je me demande pourquoi le morceau n’était pas annoncé sur la pochette du DVD. A noter également que Sheena y joue du koto. Je parlerais certainement des autres DVDs de vidéos de cette série Seiteki Healing dans des billets suivants, car ils ont tous ce genre de petites particularités qui me donnent à chaque fois l’envie de m’étendre en écriture.

Pour revenir à Kabukichō no Joō, la formation musicale qui interprète ce morceau se nomme Zetsurin Hectopascal (絶倫ヘクトパスカル) et se compose de Sheena au chant et à la batterie, Susumu Nishikawa à la guitare électrique et Seiji Kameda à la guitare basse. Le fait que Sheena joue de la batterie sur ce morceau m’a étonné. J’aime beaucoup les surnoms donnés dans les crédits du morceau sur la pochette du single. Sheena se fait appeler Shiina “Sadist” Ringo Hime (椎名 »サディスト »林檎姫), c’est à dire la princesse sadique, qui j’imagine fait référence directe aux paroles de Kabukichō no Joō où elle prend le rôle de la fille de la reine de Kabukichō, qu’elle deviendra elle-même ensuite. Kameda se fait appeler Kameda “Man Shintan” Seiji Shishō (亀田 »マン・シンタン »誠治師匠). Je ne connais pas le sens de Man Shintan, par contre Shishō veut dire maître. Sur la pochette du single, cette appellation est également sous-titrée en Sensei en hiragana qui signifie professeur. C’est le rôle qu’il joue auprès de Sheena depuis ses débuts. Au hasard de mes recherches Internet, je tombe sur une interview de kameda assez récente datant d’avril 2019 pour une rubrique du journal Asahi en version digitale intitulée Otonatte, Omoshiroi (オトナって、おもしろい). Ce titre signifie en quelque sorte que les adultes qui ont un peu de bouteille et d’expérience des choses de la vie ont des choses intéressantes à nous raconter. Kameda revient 20 ans en arrière à l’époque de ses débuts avec Sheena en tant qu’arrangeur de ses premiers morceaux. L’interview est intéressante car elle donne une bonne idée de la relation entre Sheena et Kameda, le fait qu’elle était vue comme une personne de talent mais aussi comme une pile électrique incontrôlable par la maison de disques (Toshiba EMI). Kameda, qui se fait appelé Kame-chan par la maison de disques, était apparemment la seule personne en mesure de la faire s’épanouir musicalement, tout en jouant les remparts vis-à vis des opinions standardisées de la maison de disques afin de protéger sa vision artistique. Sheena avait 19 ans à cette époque et Kameda, de 14 ans son aîné, devait avoir une plus grande expérience et maturité dans le monde ‘impitoyable’ de la production musicale. Le fait que Sheena se surnomme elle-même comme une ‘princesse sadique’ donne l’idée qu’elle a une grande conscience d’elle-même et reconnaît être difficile à gérer et à priori sans compromis. Kameda a certainement joué le rôle de canalisateur de cette énergie mais également celui de souffre-douleur en allant sur le front face à la maison de disques. Le sadisme est peut être bien là.

林檎さんの件で最初に僕が連絡を受けたのは、1997年の春か夏だったと思います。彼女が所属するレコード会社のディレクターから、「新しい女性アーティストをデビューさせることになったんだけれど、今までになかったような歌詞、今までになかったような曲、そして本人も奇想天外なアイデアを持っていて、我々では手に負えない。でも亀ちゃんだったら彼女のいいところ、僕らがどうしていいかわからないところを引き出してくれるんじゃないか」という相談を受けたんです。
そういう僕の仕事を見ていた方々が、「亀ちゃんだったらこの子と向き合えるだろう」と思ってくれたみたいです。

Je pense que la première fois que j’ai été contacté au sujet de Ringo-san était au printemps ou à l’été 1997. Le directeur de la maison de disques à laquelle elle appartient (Toshiba EMI) m’a consulté à son sujet: « Je suis censé faire les débuts d’une nouvelle artiste féminine, mais elle écrit des paroles comme j’en ai jamais vu auparavant, des chansons comme j’en ai jamais entendu avant, et la personne en elle-même a en plus des idées des plus étranges. Nous n’allons pas parvenir à la gérer nous-même. Mais si c’était toi qui t’occupait d’elle, tu pourrais faire ressortir d’elle ses bons points que nous sommes bien incapables de comprendre pour les faire émerger. » … Les gens qui suivaient mon travail semblaient penser que je serais en mesure de faire face à cette jeune fille.

その後は約1年間、一緒にデモテープを作り続けました。レコード会社からは「もっとこういうふうにして」とか「こうしないと売れないよ」とか、いろんなことを言われましたね。会議にも何度も呼び出されました。
でも僕は「今までにないものだからやるんだ、待っている人がいるから」と言って、一切の雑音をはねのけました。ある意味、林檎さんの盾になった。当時32、3歳の僕がレコード会社を相手にそれをやったわけですから、自分で言うのも変ですが、よく頑張って守ったと思います。林檎さんも、そんな僕を「師匠」と呼んで信頼してくれるようになりました。

Après cela, nous avons continué à faire des cassettes de démo ensemble pendant environ un an. La maison de disques disait diverses choses, telles que «faites plus comme ci ou plus comme ça, sinon ça ne se vendra pas». J’ai été convoqué plusieurs fois en réunion.
Mais j’ai maintenu: «Je vais le faire à sa manière car c’est quelque chose qui ne s’est jamais fait auparavant, et parce qu’elle m’attend au tournant », et j’ai rejeté tout ce bruit autour de moi. En un sens, je suis devenu un bouclier pour Ringo-san. A l’époque, j’avais 32 ou 33 ans, je l’ai fait pour une maison de disques, donc c’est bizarre pour moi de le dire, mais je pense que j’ai fait de mon mieux pour la protéger. Ringo-san m’appelait « maître » ce qui voulait dire qu’elle me faisait confiance.

L’interview nous explique aussi que le courant (électrique) a tout de suite bien passé entre eux car ils ont tous les deux des gouts très éclectiques en musique, comme on peut s’en rendre compte pour Sheena sur son album de reprises Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~). En regardant les concerts de Tokyo Jihen, j’ai toujours eu cette image de Kameda comme étant une figure rassurante, un pilier qui maintient solidement le groupe. Ce sont d’ailleurs des sujets dont on parlait intensément et passionnément avec mahl et Nicolas dans les commentaires du long billet “se perdre dans un vert profond”. Dans l’interview, Kameda revient également sur sa coupe de cheveux en iroquois qu’on peut voir sur les premiers concerts jusqu’à Electric Mole, en expliquant que Sheena lui avait demandé, et que ça avait même changé en positif la perspective qu’il a de lui même.

「師匠、もしかしたら……モヒカンとかお似合いかも」

«Maître, peut-être… peut-être que ça t’irait bien si tu te coiffais en iroquois ou quelque chose dans le genre. »

Ceci me laisse penser qu’ils travaillent bien ensemble et pendant aussi longtemps car ils ont des influences et une culture similaires mais aussi des approches complémentaires, notamment dans leurs manières d’être. On ressent à travers les propos de Kameda dans cet interview une grande inspiration mutuelle.

Et en parlant de Kameda, je viens de me rendre compte récemment à travers un message qu’il a publié sur Twitter qu’il est l’arrangeur de tous les morceaux de AiNA The End sur son premier album The End sorti le 3 Février. C’est amusant car, comme je le mentionnais déjà, j’avais indiqué le nom d’AiNA à la question de l’enquête du fan club Ringohan nous demandant de donner des idées d’artistes pour lesquels Sheena pourrait écrire des chansons. Je ne savais pas à ce moment là que Kameda était autant impliqué dans la production de l’album d’AiNA. Ça augmente tout d’un coup la probabilité que mon pronostic se réalise un jour. C’est un sujet à suivre. Sur son compte Twitter, Kameda fait un retweet d’une petite vidéo montrant AiNA devant un mur d’écrans géants affichant des extraits de ses vidéos récentes. La scène se passe dans la gare de Shibuya et je n’ai pas pu m’empêcher d’aller voir par moi-même le soir même et de prendre quelques photos. Je commence juste à écouter son album, morceau par morceau, mais pas encore en totalité. J’aime beaucoup pour l’instant les morceaux que j’ai pu écouter mais on n’atteint pas cependant l’intensité émotionnelle et visuelle du morceau Niji dont je parlais auparavant. J’aime beaucoup un morceau comme NaNa dont la musique me fait d’ailleurs un peu penser à l’ambiance musicale de Sheena Ringo. Ça doit être la touche Kameda. La voix voilée (Husky voice, comme on dit) d’AiNA The End est pourtant très différente et n’atteint pas les sommets de ce qu’on peut entendre chez Sheena. Mais j’ai le sentiment qu’AiNA admire Sheena et voudrait marcher sur ses traces. L’album est très orienté balades et certains morceaux sont un peu trop calmes et doux à mon goût, mais il faut lui reconnaître un très bon sens de la mélodie et une voix très attachante. J’y vois aussi un côté reposant qui me plait bien finalement. Il faut savoir qu’elle a écrit les paroles et la musique de tous les morceaux et que certains datent d’il y a plusieurs années. Je me demande comment les amateurs de BiSH réagissent à cet album solo d’AiNA. Je trouve personnellement que les ambiances sont très différentes et que l’album The End est plus posé que ceux qu’on connaît de BiSH qui peut partir parfois dans les extrêmes. Il est forcément plus personnel et cette ambiance me plait beaucoup.