Ces quelques photographies ont été prises à Shibuya au même moment que celles noyées dans la foule du billet street clouds everywhere. L’ambiance y est cependant plus apaisée à part ces deux jeunes filles qui courent après le feu vert qui commence à clignoter. L’ambiance y est également moins oppressante à part ce gigantesque panneau digital sur le toit de Shibuya montrant une ‘affreuse’ mascotte blanche jouant à faire peur à une autre jeune fille. Comme souvent, j’aime bien délimiter mes séries de photographies par des photos d’immeubles, de la même manière que ces immeubles délimitent l’espace urbain. Ce billet est en quelque sorte une mini-représentation de ville avec sa population pressée, ces espaces urbains et ces petites touches de nature qui viennent les agrémenter.
Poster de l’album Sandokushi en noir et blanc aperçu sur le quai de la gare de métro de la ligne Ginza à Shibuya.
Le lundi 27 mai après les heures de bureau, je cours au Tower Records de Shibuya avant la fermeture pour aller acheter Sandokushi, le dernier album de Sheena Ringo dont je parle beaucoup ces derniers jours et semaines. Il est sorti le jour correspondant à la date d’anniversaire du début de sa carrière commencée il y a 21 ans. Avec la sortie de Sandokushi, je constate un certain degré de Ringo bashing, que je pressentais d’ailleurs dès l’annonce de ce nouvel album. On voit déjà apparaître des revues définitives sur l’album une journée seulement après sa sortie (comme celle de sputnik music). Je me demande comment on peut avoir un avis si appuyé après si peu de temps car un album prend en général du temps avant de se révéler, écoute après écoute. Je ressens là comme une certaine précipitation. Cela me donne l’impression que l’avis était déjà posé avant même d’avoir écouté l’album, ou peut être s’agit il d’un besoin inconscient d’être déçu. On peut être nostalgique de l’époque des premiers albums, comme je peux l’être également d’ailleurs, mais on ne peut pas souhaiter qu’un ou une artiste n’évolue pas musicalement au fur et à mesure des années. Réécouter tous les albums de Sheena Ringo et Tokyo Jihen ces derniers jours m’a rappelé qu’elle excelle également dans des styles très différents plus jazz ou pop. Le style qu’elle a construit lui est propre et inimitable, que ça soit à l’époque de ses débuts ou maintenant avec la sortie de ce nouvel album.
La variation des styles dans un même album peut être déroutante et c’est le cas pour ce nouvel album si on ne se met pas un peu en condition. Ce n’est pas particulièrement nouveau chez Sheena Ringo et la série des deux Reimport nous avait quelque part préparé à ces associations hétéroclites. Je dirais même que ça fait maintenant partie de son style. Elle ne renie pas ses premiers amours rock, ni son approche beaucoup plus orchestrée. Sandokushi mélange tout cela mais avec la particularité que tous ces morceaux s’enchainent sans intermission, comme une longue piste, ce qui est un moyen, peut être un peu artificiel certes, de créer une cohésion entre des morceaux très différents. Difficile en effet de créer un lien entre le troisième morceau plutôt léger Ma Chérie (マ・シェリ) et le morceau suivant Kakeochisha (駆け落ち者), beaucoup plus sombre et expérimental dans sa construction. Ceci étant dit, je ne sais pas par quelle alchimie bizarre mais ces enchaînements au millimètre finissent par bien fonctionner pour la cohésion d’ensemble à force de plusieurs écoutes.
J’en parlais déjà auparavant mais un point intéressant est l’organisation très codifiée des titres se répondant en miroir autour du point central qui est le septième morceau TOKYO. A part le premier morceau Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) qui agit clairement comme une ouverture et le dernier Anoyo no Mon (あの世の門) de fermeture, les morceaux qui se font miroir ont des styles ressemblant. Par exemple, les deux morceaux plus colorés et légers que sont Ma chérie et Jiyuudom (ジユーダム) sont placés aux 3ème et 11ème positions. Les morceaux avec des invités sont également placés de manière symétrique comme le quatrième Kakeochisha avec Atsushi Sakurai 櫻井敦司 du groupe BUCK-TICK et le dixième Isogaba Maware (急がば回れ) avec Hiizumi Masayuki ヒイズミマサユ機. Il y a plusieurs morceaux très rock comme le cinquième morceau Shijou no Jinsei (至上の人生) qui est magistral mais qui est également un des morceaux les plus anciens car datant de 2015. Il répond directement au cinquième morceau Donzoko Made (どん底まで) qui est sorti en même temps et dont la vidéo était une extension de Shijou no Jinsei. Ce morceau, par exemple, témoigne de la capacité de Sheena Ringo à faire encore maintenant des morceaux rock très puissants. C’est d’ailleurs à mon avis un des morceaux les plus marquants de sa carrière post Tokyo Jihen. Le problème est que je connais déjà ce morceau par cœur depuis le temps qu’il est sorti en single. C’est en fait le cas d’une très grande partie de l’album que l’on connaît déjà. Il y a très honnêtement beaucoup de très bons morceaux, mais l’effet de surprise a déjà disparu, ce qui est assez dommage. En même temps, on trouve tout de même de l’intérêt à les écouter dans le contexte des autres morceaux de l’album. Les nouveaux morceaux sont tous intéressants et ne sont pas plus faibles que les morceaux déjà sortis il y a longtemps. Dans les nouveaux morceaux, j’aime tout particulièrement le morceau central TOKYO. Les accords de piano au début du morceau et la mélodie qui ne se révèle pas immédiatement me plaisent beaucoup. C’est le fameux et classique morceau central que l’on trouve régulièrement sur les albums de Sheena Ringo. Je le trouve plus intéressant que Ima sur Hi Izuru Tokoro ou Shun sur Sanmon Gossip, sans atteindre par contre les hauteurs de Stem sur KSK.
Bien sûr, on pourra reprocher un certain maximalisme de certains morceaux, surtout ceux très orchestrés, mais ce maximalisme est devenu sa marque de reconnaissance, qu’on le veuille ou non. Dans une interview que j’ai écouté dimanche dernier sur la radio, J-Wave, elle nous disait qu’elle tient à cœur que l’auditeur en ait pour son comptant, que ça soit en écoutant un album ou en concert. Cela peut conduire à en faire un peu trop. Mais, écouter cette interview m’a aussi conforté dans le fait qu’elle est très honnête dans son approche musicale.
Assemblage temporaire de posters pour Ringo Expo 18 à l’entrée du Tower Records de Shibuya.
J’ai un peu de mal pour l’instant à donner un avis définitif sur l’album car mon impression évolue à chaque écoute et je l’écoute tous les jours depuis presqu’une semaine. Dans les morceaux plus anciens, la fin de l’album avec Jiyuudom et Menukidoori (目抜き通り) m’intéressent moins, même s’ils restent tout à fait appréciable. J’ai un faible pour le morceau Ma chérie, car j’aime bien sa manière de chanter un peu différente et notamment quand elle prononce maladroitement quelques phrases en français. Je reconnais des morceaux très forts comme le quatrième en duo avec Atsushi Sakurai, notamment dans la manière dont leurs voix très différentes se marient ensemble. Ce mariage de voix très différentes fonctionne aussi bien avec Hiizumi Masayuki sur le dixième morceau Isogaba Maware. J’adore sa voix et façon de chanter sur ce morceau qui me donne toujours envie d’y revenir. J’ai toujours aimé la dynamique et la passion vocale qui se dégage de Kamisama, Hotokesama (神様、仏様) avec Mukai Shutoku 向井秀徳 de Number Girl. Beaucoup reproche l’auto-tune sur Niwatori to Hebi to Buta et Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭) en duo avec Ukigumo 浮雲, mais j’ai du mal à comprendre ce qui dérange exactement, étant donné que ça apporte une variation bienvenue à sa manière de chanter (ce qui a été souvent le cas dans ces albums passés). Je reviens sur les transitions entre les morceaux car c’est ce qui m’a tout de suite marqué à la première écoute. Cette transition fonctionne particulièrement bien sur Shijou no Jinsei quand l’énorme son de guitares vient écraser les derniers sons de cuivres à la fin de Nagaku Mijikai Matsuri. Qu’on ne vienne pas dire qu’il n’y a pas de passion dans cet album.
Pour finir, il faut quand même parler un peu de Anoyo no Mon (あの世の門), morceau qui conclut l’album, car il est très particulier et différent des autres morceaux. Sheena Ringo est accompagnée au chant par une chorale bulgare menée par Vanya Moneva. Le morceau n’est pas évident dès la première écoute mais très beau et envoûtant. Là encore la voix de Sheena Ringo s’accorde bien avec les voix de la chorale. J’aime un peu moins l’intervention de l’accordéon en deuxième partie du morceau (je n’aime pas beaucoup cet instrument, trop lié à une certaine image rétro parisienne). Ceci étant dit, ce morceau ouvre de belles perspectives sur ce que pourrait être la suite musicale de Sheena Ringo. Après la trilogie Sanmon Gossip/Hi Izuru Tokoro/Sandokushi, l’album et les morceaux qui suivront adapteront peut être ce style. Ça me paraitrait être une bonne idée. Ce dernier morceau contribue un peu plus à l’hétérogénéité symétrique de l’album. Il y a une sorte de paradoxe omniprésent dans l’album entre la construction introduite par la symétrie des styles et la déconstruction introduite par l’hétérogénéité des morceaux. C’est peut être là toute la beauté de l’album, comme un coup de sabot dans une certaine idée de conformité attendue, au risque d’être mal compris. Pour ma part, subsiste une part d’incompréhension, à commencer par le sens du personnage fantastique de cheval ailé portant une Gibson RD sur la pochette et de ces trois poisons du titre Sandokushi… C’est bien aussi de garder une part de mystère. Cela fait presqu’une semaine que j’écris ce billet petit à petit en écoutant l’album et je me rends compte que je l’aime de plus en plus.
Pour référence ultérieure, je garde pour mémoire ci-dessous la liste des titres de l’album.
01- 鶏と蛇と豚 Niwatori to Hebi to Buta
02- 獣ゆく細道 Kemono Yuku Hosomichi (宮本浩次 Miyamoto Hiroji)
03- マ・シェリ Ma Chérie
04- 駆け落ち者 Kakeochisha (櫻井敦司 Sakurai Atsushi)
05- どん底まで Donzoko Made
06- 神様、仏様 Kamisama, Hotokesama (向井秀徳 Mukai Shutoku)
07- TOKYO
08- 長く短い祭 Nagaku Mijikai Matsuri (浮雲 Ukigumo )
09- 至上の人生 Shijou no Jinsei
10- 急がば回れ Isogaba Maware (ヒイズミマサユ機Hiizumi Masayuki)
11- ジユーダム Jiyuudom
12- 目抜き通り Menukidoori (トータス松本 Matsumoto Tortoise)
13- あの世の門 Anoyo no Mon