Je ne sais pas si c’est Chanmina (ちゃんみな), avec la vidéo de son single Biscuit, qui a provoqué le retour des groupes ou chanteurs et chanteuses improvisés près du grand carrefour et de la gare de Shibuya, mais j’ai le sentiment qu’ils sont plus présents depuis quelques temps, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Ce soir là à Shibuya, j’ai pu apercevoir un rocker guitariste avec une apparence qui m’a beaucoup rappelé Kurt Cobain, avec une même chevelure blonde et portant ce qui ressemble beaucoup à une copie de l’iconique sweater en mohair rouge et noir que Kurt portait dans la vidéo du morceau Sliver et lors de concerts, notamment à la Roseland Ballroom de New York en Juillet 1993 et à l’Aragon Ballroom de Chicago en Octobre 1993. L’histoire raconte que Courtney Love aurait acheté ce sweater pour 35 livres à un fan, nommé Chris Black, après un concert de Nirvana à Belfast en Irlande du Nord en 1992. Une coïncidence intéressante était d’écouter quelques jours plus tard l’émission spéciale de Very Good Trip de Michka Assayas consacrée à l’album MTV Unplugged in New York sous le format d’une Masterclass. Ce concert pratiquement acoustique a été enregistré en Novembre 1993, quelques mois avant la mort de Kurt Cobain le 5 Avril 1994. A quelques mètres de l’apprenti Kurt, un rappeur japonais attirait une petite foule autour de lui, mais j’ai peiné à y trouver une accroche qui m’aurait fait rester plus de deux minutes. Plus près de la gare, une autre chanteuse à guitare acoustique appelée Rin (りん) était installée devant un bloc de béton. Je l’ai écouté quelques minutes, un peu distraitement. Il y avait seulement quelques personnes devant elle, mais une de ces personnes la filmait avec une petite caméra installée sur un tripod. Il n’est pas rare que ces chanteurs et chanteuses de rue aient leurs fans de la toute première heure. Peut-être s’agit il d’un membre de sa famille, mais j’avais plutôt le sentiment qu’il s’agissait d’un amateur espérant peut-être saisir en images les premiers moments d’une potentielle reconnaissance future. A quelques mètres de son emplacement, je vois encore circuler les karts touristiques qui se font de plus en plus nombreux dans les rues de Tokyo. Les agences qui proposent ce genre d’attractions se sont beaucoup développées ces deux dernières années depuis le retour des touristes étrangers. Ce qui m’étonne toujours un peu, c’est de ne jamais voir de japonais conduire ces karts, comme s’ils étaient strictement réservés aux étrangers. Ils n’attirent en tout cas plus la curiosité des passants, ce qui était pourtant le cas au tout début où les passants et les conducteurs de kart se faisaient des bonjours de manière réciproque. Le sur-tourisme actuel ne me dérange personnellement pas beaucoup, car il se limite à certains quartiers, mais je vois sur les réseaux sociaux de plus en plus de résidents étrangers pointer ce problème. J’imagine que ces mêmes résidents ont également été touristes au Japon avant de venir y vivre. En fait, peut être pas car en y réfléchissant bien, je ne suis jamais venu en touriste au Japon. Mais comme on dit toujours, il y a le bon touriste et le mauvais touriste.
Le billet précédent montrant une collection d’affiches de films de Shinya Tsukamoto (塚本晋也) dans un petit cinéma indépendant de Meguro m’a ramené vers sa filmographie. J’ai regardé trois de ses films quasiment à la suite en commençant par Hiruko the Goblin (妖怪ハンター ヒルコ) sorti en 1991, puis Bullet Ballet (バレット・バレエ) sorti en 1998 et A Snake of June (六月の蛇) sorti en 2002. Hiruko the Goblin est son deuxième film après Tetsuo: The Iron Man (鉄男) sorti en 1989, et est un peu à part dans sa filmographie car il s’agit d’un film d’horreur faisant intervenir des monstres Yōkai. On suit l’archéologue un peu excentrique Reijiro Hieda, interprété par Kenji Sawada (沢田研二), sur les traces d’un ancien ami ayant eu la mauvaise idée de libérer le monstre ancestral Hiruko d’une tombe enfouie sous une école perdue en pleine campagne. Il s’agit d’un film d’horreur qui n’est pas dénié d’un certain humour, mais l’épouvante monte en intensité et le final est particulièrement étrange. De Tsukamoto, on retrouve les plans rapides qui nous font perdre l’équilibre et une imagination débordante, parfois à la limite de l’acceptable, mais qui m’accroche à chaque fois à ses films. Il y a une ambiance un peu absurde et exagérée dans ce film qui participe à son charme. Bien sûr, il ne faut pas être repoussé par les têtes coupées et les monstres constitués de ces mêmes têtes posées sur des pattes d’araignée. Je pense que cette dernière phrase donne une bonne idée de l’ambiance du film. J’ai revu ensuite Bullet Ballet. Je l’avais vu une première fois il y a vingt ans, après Tokyo Fist. On revient ici vers un style urbain qui est plus fidèle à ce que je connais du réalisateur. Bullet Ballet se vit comme une expérience cinématographique et je comprends tout à fait le statut de cinéaste culte auquel est porté Shinya Tsukamoto. Ce n’est pas un film pour tous les yeux, car la violence y est omniprésente, mais le film n’est pas dénié d’une poésie urbaine cachée derrière ses images fortes. L’histoire est tournée autour de Goda, un publicitaire joué par Shinya Tsukamoto, dont la compagne vient de se suicider avec un revolver. Il devient fasciné par cette arme car il ne comprend pas comment elle a pu l’obtenir et se décide à en construire une pièce par pièce. Il rencontre rapidement dans les quartiers sombres de Tokyo, la jeune Chisato, jouée par Kirina Mano (真野きりな) et son gang aux prises avec un autre gang rival. Une relation particulière se crée entre eux, platonique peut-être. Goda et Chisato n’ont en tout cas pas peur de la mort et n’ont rien à perdre. Je ne sais pas s’il y a une influence, mais je revois en Chisato, aux cheveux très courts et à la personnalité mystérieuse, le personnage de Faye dans Chungking Express dont je parlais très récemment. Je ne suis apparemment pas le seul à y penser (ce blog a décidément une logique impeccable dans l’agencement de ses billets). Esthétiquement, le film entièrement en noir et blanc est très beau, tout comme les membres du gang exagérément stylisés. J’aime aussi beaucoup ce film pour sa musique composée par le fidèle Chu Ishikawa (石川忠) dans un style entre rock industriel et passages électroniques plus apaisés. Ces compositions musicales s’accordent parfaitement aux images souvent iconiques du film. J’écoute beaucoup cette bande originale aussi variée qu’excellente de bout en bout. De nombreux plans nous montrent Nishi-Shinjuku au loin, donc j’imagine que cette histoire se déroule dans les bas-fonds de la banlieue de Shinjuku, ayant disparus depuis longtemps. Comme dans Tokyo Fist, on y retrouve le thème de la ville qui écrase les individus et celui du besoin de libération par la violence et la douleur. Ce dernier point est une composante essentielle de la filmographie de Shinya Tsukamoto et on retrouve ce thème dans le film A snake of June, que je regarde ensuite. Je le dis encore, mais les films de Tsukamoto ne sont pas pour tous. Ils sont en tout cas très marquants et c’est le cas également de ce film là. On remarque tout de suite l’image, d’un monochrome bleuté superbe, et la malaisante générale qui nous suit pendant tout le film. L’histoire tourne autour du personnage de Rinko Tatsumi, interprétée Asuka Kurosawa (黒沢あすか), aide sociale sauvant des vies au téléphone en essayant de convaincre ceux qui l’appellent de tenir bon à la vie. C’est le cas du suicidaire Iguchi, également interprété par Shinya Tsukamoto, qui se voit sauver par les paroles de Rinko et qui se sent ensuite redevable. La personnalité décalée et extrême d’Iguchi amènera Rinko dans une spirale malsaine qui la fera sortir malgré elle et au prix d’une grande souffrance de sa vie monotone. De nombreuses scènes montrent sa vie de couple avec Shigehiko, interprété par Yuji Kohtari (神足裕司), dans une demeure en béton brut que l’on imaginerait très bien avoir été conçue par Tadao Ando. Mais Shigehiko fuit le foyer pour sa vie de bureau, en plus d’être un maniaque obsessionnel de l’hygiène. Les interventions d’Iguchi dans cette vie de couple dysfonctionnelle se teintent de voyeurisme sexuel et de manipulations. Il s’agit là encore d’un film décalé qui nous amène vers les parts sombres des individus pour accéder finalement à une forme de libération qui passe par la douleur. Ces deux films Bullet Ballet et A snake of June ne sont pourtant pas complètement noirs et désespérés car une redemption pointe à l’horizon, provoquée en partie par les personnages interprétés par Tsukamoto lui-même. Les films de Tsukamoto montre souvent un cheminement souvent destructeur, mais de cette destruction nait une nouvelle réalité. Ces films ne sont pas disponibles sur les plateformes de streaming mais on peut assez facilement les trouver sur Internet du côté d’archive.org, qui nous donne malgré tout accès à des films qui seraient malheureusement assez difficiles à trouver autrement.
Pour continuer encore un peu dans les ambiances underground, j’écoute l’excellent nouveau single de Yeule intitulé Evangelic Girl is a Gun, qui sera inclus dans son futur album prenant le même nom. L’ambiance y est sombre mélangeant un rock bruitiste à tendance industriel avec des glitches électroniques caractéristiques de sa musique. Je n’ai jamais été déçu jusqu’à maintenant par la musique de Yeule, et je trouve même que ce morceau passe une nouvelle étape qui laisse présager le meilleur pour son nouvel album. L’accroche y est immédiate et la densité nous fait y revenir. J’espère qu’elle prévoira dans le futur une tournée passant par le Japon et Tokyo, car je serais très curieux de voir l’atmosphère de ses concerts, tout en me demandant quel public pourrait bien y assister. Je suis sûr que son public japonais est nombreux dans les milieux underground.
Le titre du billet « and if you dare to get hurt I will be there my friend » est extrait des paroles du morceau Yzobel composé par l’artiste français Gyeongsu et chanté par Croché. J’avais découvert ce morceau il y a plusieurs mois dans un episode de Liquid Mirror de NTS Radio, celui de Février 2023 que je réécoute maintenant. Cet extrait des paroles me semblait tout d’un coup correspondre à l’ambiance qui se dégage de manière diffuse dans ce billet. Pour revenir ensuite à l’épisode d’Avril 2025 de Liquid Mirror que je mentionnais récemment, je retiens particulièrement l’excellent morceau instrumental intitulé Weaver par K-MPS & Finn Kraft qui me transporte à chaque écoute. Je réalise assez vite que ce morceau est basé assez amplement sur un sample du morceau Crazy for You de Slowdive sur leur troisième album studio Pygmalion sorti en 1995 (le moins Shoegaze de leurs albums). Pour être plus précis, Weaver est en fait basé sur une version démo alternative de Crazy for You disponible sur le deuxième CD de la réédition de Pygmalion en 2010. K-MPS & Finn Kraft en maintiennent le rythme initial mais rajoute de nombreuses nappes électroniques donnant une dimension plus aérienne par rapport aux morceaux originaux de Slowdive.