true blue interlude

Je suis plus attentif ces derniers mois aux sorties musicales non-japonaises, grâce notamment au podcast Very Good Trip de France Inter qui m’oriente vers quelques très belles découvertes. Michka Assayas diffuse dans des episodes récents de son émission une rétrospective de titres sortis cette année qui auraient mérité être davantage diffusés. J’écoute d’abord l’épisode consacré à l’electro et j’accroche tout de suite sur le morceau Death & Romance du groupe Magdalena Bay sur leur dernier album Imaginal Disk, sorti le 23 Août 2024. Le nom de ce duo américain composé de Mica Tenenbaum et Matthew Lewin m’était familier, et je le gardais même en tête sans avoir écouté leur musique, car j’en avais entendu parler à plusieurs reprises. La synth pop à tendance rétro et alternative du morceau Death & Romance me plait tout de suite beaucoup et une première écoute de l’album sur Bandcamp me fait tout de suite l’acheter. J’aime beaucoup la manière dont la plupart des morceaux s’enchainent sur l’album sans interruption, ce qui crée un univers continu. J’adore l’approche pop un peu vaporeuse des morceaux qui n’hésite pas à s’en éloigner en cours de route pour des sons plus expérimentaux. Le tout donne un son alternatif mélangeant les styles, avec même des incursions disco sur l’excellent morceau Image. Ce morceau suivi de Death & Romance m’a tout de suite convaincu de la qualité de l’album. La très grande majorité des morceaux de cet album sont excellents, mais certains sortent quand même leur tête par dessus les autres. Outre ceux déjà cités, on peut également noter Vampire in the Corner, Tunnel Vision, entre autres. Ah, j’adore ce genre de découvertes musicales inattendues qui viendraient presque mettre sans dessus-dessous tout ce que j’ai écouté jusqu’à maintenant (et la composition classique de mes billets par la même occasion).

the streets #14

Quelques photographies prises dans le désordre à différents endroits de Tokyo mais notamment à Shibuya, Waseda, Naka-Meguro et Ebisu. Le grand panneau publicitaire de la première photographie se trouve à côté du grand magasin PARCO sur la rue en pente Kōen Dōri dans le centre de Shibuya. En regardant après coup cette première photographie sur l’ordinateur, je me suis dis que je l’avais prise légèrement de travers. Ce petit défaut m’arrive régulièrement et je me sens le besoin de rectifier l’angle de prise de vue, même si ce n’est parfois pas toujours nécessaire et au point de ne plus savoir vraiment qu’elle doit être la vue correcte. C’est le cas pour cette première photographie car j’avais fixé mon cadre en prenant la rue en pente devant moi comme ligne de référence horizontale. Le panneau publicitaire géant apparaissait en conséquence avec un angle qui ne me semblait pas naturel, et au final aucune des versions de cette photographie ne me convient vraiment. Dans un degré bien différent, une série de photographies vue sur Instagram rend bien cet effet de désorientation sur une rue résidentielle en pente. Sur la deuxième photographie, nous revenons vers le Meguro Sky Garden, un long jardin circulaire placé au dessus du grand échangeur autoroutier d’Ikejiri-Ohashi. Je l’ai déjà pris en photo plusieurs fois mais je n’y étais pas revenu depuis longtemps, car je trouvais qu’il avait un peu perdu de sa tranquillité la dernière fois où j’y étais allé. En fin d’après-midi, il n’y avait presque personne à part deux ou trois promeneurs de chiens qui promenaient en toute logique leurs chiens. Je n’avais pris la pieuvre rouge du petit parc Tako (タコ公園) à Ebisu depuis longtemps. Cette pieuvre n’est pas celle originellement construite pour le parc, elle a été renouvelée il y a plusieurs années et à perdu au passage un peu de son intérêt. En tout cas, l’ancienne et la nouvelle pieuvre d’Ebisu ne sont pas aussi sophistiquées que celle que l’on peut voir dans une vidéo du groupe PEDRO dont je parle brièvement ci-dessous. Celle de la vidéo se trouve au bord le la piscine géante du parc prefectural de Futtsu à Chiba (千葉県立富津公園). Ça devrait certainement être une bonne idée d’aller la voir un jour ou l’autre, même en hiver.

Extraits des vidéos des morceaux Crawl (クロール) du groupe Hakubi et Tokimeki (ときめき) de a子.

Continuons donc en musique avec un excellent morceau rock intitulé Crawl (クロール) par le groupe Hakubi. Le groupe originaire de Kyoto est un duo composé de Katagiri (片桐) au chant et à la guitare et d’Aru Yasukawa (ヤスカワ アル) à la basse. Ce morceau a une excellente dynamique qui est parfaitement retranscrite dans la vidéo qui bouge sans arrêt. La voix puissante de Katagiri est vraiment convaincante, tout comme les riffs de guitare agressifs qui sont très présents dès les premiers accords. J’aime particulièrement le moment au milieu du morceau où le ton de la guitare change soudainement et se fait plus sombre tandis que la voix devient plus rapide. Cette maitrise fait vraiment plaisir à écouter. Je suis toujours très attentivement la carrière d’a子 qui vient de sortir un nouveau single intitulé Tokimeki (ときめき, heart race) le 13 Novembre 2024. Je ne suis jamais déçu par les nouvelles sorties musicales de a子. Même si ce nouveau morceau commence un peu doucement, on est très vite accroché par le refrain pop. a子 a un sens de la composition qui fait mouche à chaque fois, avec toujours ces petits décalages bienvenus, comme par exemple le découpage d’un gâteau de mariage à la tronçonneuse (qui est déconseillé) que l’on peut voir dans la vidéo. On ne retrouvera bien sûr pas de sons coupés à la tronçonneuse sur ce nouveau single car tout est parfaitement arrangé, mais il reste tout de même que son approche de la pop est atypique et je pense que sa voix est le principal facteur qui la différencie de tous/toutes les autres. Il y a quelques mois, j’avais été agréablement surpris de la voir apparaître au classement des 30 under 30 du magazine Forbes Japan, classement qui entend mettre en avant 30 personnes de moins de 30 ans qui changent le monde (「世界を変える30歳未満」30人). Je ne sais pas si ce genre de classement a beaucoup de sens car c’est tout à fait subjectif, même si a子 s’est fait un peu connaître à l’étranger par le festival SXSW aux US. C’est en tout cas une belle reconnaissance.

Extrait de la vidéo du morceau New World de Jazztronik feat. ELAIZA.

Je suis également très attentif ces derniers temps aux nouveaux morceaux d’Elaiza Ikeda (池田エライザ). J’écoute beaucoup le morceau New World qui est en fait d’un groupe nommé Jazztronik avec Elaiza au chant. Comme son nom le suggère très fortement, Jazztronik est orienté jazz. Le groupe est basé à Tokyo et se compose en fait d’un seul membre permanent, Ryota Nozaki (野崎良太) qui est pianiste, DJ et producteur. J’imagine qu’il s’entoure d’autres musiciens en fonction des besoins. Jazztronik existe depuis 1998 et a seulement sorti quelques albums et EPs. C’est un morceau très beau, très fluide, dès les premières notes de piano, qui me fait dire qu’Elaiza a cette capacité d’évoluer vers différents styles musicaux. On aimerait que Sheena Ringo lui écrive un morceau à l’avenir. Elaiza a déjà fait des appels du pied en ce sens dans le passé. Toujours dans les ambiances jazz, j’aime aussi beaucoup le nouveau morceau de Punipuni Denki (ぷにぷに電機) intitulé Chipped avec un featuring de Paul Grant, qui est musicien multi-instrumentiste et producteur californien dont les productions prennent inspiration dans le jazz, le R&B et le Hip-hop. Cette collaboration japano-américaine est intéressante et quelque chose me dit que ce type de collaboration internationale va se développer petit à petit. Le morceau est très paisible, voire reposant, comme un dimanche après-midi ensoleillé passé les pieds nus dans un parc de Tokyo ou de Californie.

Extraits des vidéos des morceaux I cannot Rain de &Tilly x Color Theory et Summer (夏) de PEDRO.

Pour changer un peu d’horizon, je découvre le très beau morceau I cannot Rain du groupe originaire de Prague &Tilly, accompagné par les synthétiseurs de Color Theory, aka Brian Hazard. J’aime beaucoup les sons rétro des synthétiseurs et le duo de voix doux et vaporeux de &Tilly. Ces sons rétro me ramènent vers une musique électronique que j’écoutais au tout début des années 2000 et que j’avais un peu oublié, Dirty Dancing de Swayzak (2002) et Alien Radio de Slam (2001). Pour revenir finalement au Japon et à la photographie de pieuvre échouée dans un jardin public, j’écoute quelques morceaux rock plus ou moins récents du groupe PEDRO mené par Ayuni D (アユニ・D) avec Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) à la guitare. Du dernier album Iji to Hikari (意地と光) sorti le 6 Novembre 2024, j’écoute beaucoup les singles Lovely Baby (ラブリーベイビー) et Aise (愛せ). Le morceau Summer (夏), qui n’est soudainement plus de saison malgré un très long été cette année, n’est pas inclus sur un album mais sur un CD accompagnant la première édition du LIVE Blu-ray/DVD Life and Memories » (生活と記憶) de PEDRO sorti pendant l’été 2021. La vidéo avec la pieuvre tentaculaire a été tournée par Masaki Okita (大喜多正毅) qui avait déjà réalisé la vidéo du morceau Orchestra de BISH, un des morceaux emblématiques des débuts du groupe sur l’album KILLER BISH sorti en 2016.

the streets #7

C’est assez reposant pour l’esprit de prendre des photos plus abstraites en se basant simplement sur l’impression que nous donne des formes ou des superpositions de matériaux. On saisit les choses qui nous interpellent sans besoin d’expliquer descriptivement ce que l’on a devant nous. Je pourrais certainement préciser le nom des architectes de certaines des architectures montrées ci-dessus mais je les ai déjà montré plusieurs fois sur Made in Tokyo. Les billets intitulés the streets, comme le précédent, ont tendance à partir dans des directions variées, sans avoir de cohérence très précise. Ces photographies parfois énigmatiques et ces textes qui partent dans tous les sens contribuent à cette image de forêt dense dans laquelle on se perdrait, que j’aime donner à ce blog. Quand j’imagine cette forêt dense, me reviennent en tête les photographies de Yoshihiko Ueda dans le recueil intitulé Quinault prenant pour thème la forêt profonde du parc de Quinault près de Seattle aux États Unis. Je parlais de ce livre dans un billet d’Avril 2011 intitulé Structure and Clouds, sur lequel je reviens régulièrement. Sur Made in Tokyo, certains billets sont plus structurant que d’autres, comme des troncs d’arbres dont la cime dépasserait les autres arbres tout autour. Il y a un certain nombre de billets qui ont pour moi une importance toute particulière et cette importance est souvent liée aux discussions qui suivent dans les commentaires qui m’ont amené vers des directions nouvelles ou conforté dans certaines voies.

Je suis allé voir le Samedi 31 Août 2024 la grande exposition dédiée à l’artiste Japonais Keiichi Tanaami (田名網敬一) au National Art Center Tokyo (NACT). Cette exposition intitulée Adventures in Memory (記憶の冒険) a démarré le 7 Août et fermera ses portes le 11 Novembre 2024. J’ai été très impressionné par le densité de ces œuvres, souvent basées sur des collages de multiples éléments tirés de magazines ou illustrés par lui-même. Cette exposition nous montre aussi ces peintures, un grand nombre de sculptures aux formes fantastiques et objets bizarres aux couleurs fortes. On peut également y voir quelques vidéos expérimentales. Keiichi Tanaami est un artiste qui touche à tout, mais son style reste immédiatement reconnaissable. Cette exposition est la première rétrospective majeure de son œuvre, et en soixante ans de carrière, il y a vraiment beaucoup de belles choses à montrer, certaines étant parfois un peu dérangeantes. L’artiste est mort à l’âge de 88 ans le 9 Août 2024, deux jours seulement après l’ouverture de cette grande exposition. Avec l’exposition CLAMP se déroulant en même temps dans d’autres salles, les propositions artistiques axées pop culture du musée NACT sont particulièrement intéressantes en ce moment.

J’adore retrouver la musique hyperpop d’4s4ki lorsqu’elle créé d’excellent morceaux comme celui intitulé ReEnd (再終焉) de son EP Collective Obsession (集合体大好病) sorti le 4 Octobre 2024. Il s’agit d’une collaboration avec le compositeur et DJ NUU$HI et Eijun Suganami (菅波栄純), guitariste du groupe THE BACK HORN. J’aime beaucoup quand le chant rappé légèrement modifié d’4s4ki s’entoure d’une ambiance musicale qui a de l’ampleur comme ici. L’autre morceau intitulé Ganbariyasan dakara ai shite (頑張り屋さんだから愛して) que j’écoute beaucoup est nettement plus détendu, peut-être parce qu’il s’agit d’une nouvelle collaboration avec Rinahamu qui n’est pas vraiment connue pour partir dans les tours. C’est peut-être parce que les voix d’4s4ki et de Rinahamu sont différentes qu’elles se complémentent bien. Leur autre duo était sur le morceau NEXUS sur l’album Your Dreamland d’4s4ki (2020), qui reste un de ceux que je préfère de cet album. Le EP Collective Obsession démarre par une collaboration avec Dé Dé Mouse intitulée Espa Shōgakusei (エスパー小学生) qui, je trouve, va un peu trop loin dans l’agressivité électronique pour vraiment m’accrocher.

Je n’écoute pas souvent la musique de Seiko Ōmori (大森靖子) mais je reste toujours attentif aux nouveaux albums qu’elle sort. Son dernier s’intitule, dans un anglais un peu approximatif, THIS IS JAPANESE GIRL et il est sorti le 18 Septembre 2024. En survolant les morceaux de l’album, je retiens le cinquième Momoiro Danchi (桃色団地). Mon oreille est certainement attirée par le fait qu’il s’agit d’un duo avec Shūtoku Mukai (向井秀徳) et par le son très appuyé de synthétiseur vintage démarrant le morceau. Il faut aimer la façon très maniérée de chanter de Seiko Ōmori, mais il faut dire que la voix de Shūtoku Mukai est également assez particulière et quand les deux chantent en même temps, on atteint une sorte d’harmonie inattendue. Cette collaboration m’a fait me demander si Seiko Ōmori avait déjà chanté en duo avec Kazunobu Mineta (峯田和伸) de Ging Nang Boyz, une autre figure du rock indé japonais. Je me suis rappelé du single Re: Re: Love, sorti en 2019 dont la vidéo était un véritable petit drama avec les joie, chagrin et dispute d’un couple. Il y a une densité émotionnelle, à chaque fois prête à éclater, dans les morceaux de Seiko Ōmori qui ne laisse pas indifférent, même si personnellement, je n’accroche vraiment que sur certains morceaux, comme les deux mentionnés ci-dessus ou l’album TOKYO BLACK HOLE dont j’avais déjà parlé sur Made in Tokyo et vers lequel je reviens régulièrement.

美しく戦いましょう

Il faut se battre contre les chaleurs du mois de Septembre comme on le faisait au mois d’Août. Mon envie de marcher s’érode avec les degrés dépassant les normales saisonnières. Je prends donc moins de photos en ce moment et c’est une bonne chose car j’ai un peu de mal à tenir le rythme au niveau de l’écriture. Je manque parfois de courage pour me lancer dans l’écriture de certains billets, quand je sais à l’avance qu’ils vont être longs à écrire. Je suis loin de regretter de les avoir écrit une fois qu’ils sont terminés, mais c’est ce genre de longue écriture consommatrice en temps qui me font poser une fois de plus des questions sur l’utilité et la finalité de ce blog.

Je connaissais la jeune compositrice et interprète Toaka (十明) pour son chant remarquable sur le single Suzume (すずめ) de RADWIMPS pour le film d’animation Suzume (すずめの戸締まり) réalisé par Makoto Shinkai. Ce morceau avait eu beaucoup de succès et l’avait tout de suite fait connaître du grand public. Je n’avais pourtant pas suivi son actualité jusqu’à ce que son nom me revienne en tête récemment car la photographe Mana Hiraki (平木希奈) a réalisé la couverture de son dernier single intitulé Dancing on the Miror, sorti le 30 Juillet 2024. Ce n’est pas la première fois que je découvre une nouvelle ou un nouveau artiste par l’intermédiaire de cette photographe, qui est donc pour moi une très bonne source d’inspiration. Dans la foulée de ce dernier single, je me lance dans l’écoute de son excellent EP Boku Dake no Ai (僕だけの愛) composé de cinq titres. Sur le morceau Cinder ella (灰かぶり), j’adore sa voix, assez exceptionnelle il faut bien le dire, pleine de nuances qu’elle maîtrise à la perfection jusqu’aux soupirs entre certaines paroles. Elle a une voix puissante et expressive qui en impose, comme si elle prenait le dessus sur les mots qu’elle prononce. J’ai commencé l’écoute de cet EP par le dernier morceau intitulé Sanagi (蛹) qui a la composition la plus atypique. Ce genre de morceaux m’attirent particulièrement. J’aime aussi beaucoup la manière dont l’atmosphère musicale varie au fur et à mesure des morceaux. Le morceau titre Boku Dake no Ai (僕だけの愛) évolue par exemple sur un rythme folk à la guitare sèche pendant sa majeure partie, mais décolle tout d’un coup sur des hauteurs inattendues. La voix de Toaka lui permet tout à fait ce genre d’envolées et c’est un plaisir de se laisser guider par son chant. Ses morceaux ont pour la plupart une densité et une tension pop qui nous accrochent immédiatement et cette composition musicale clairement axée pop possède une inventivité certaine. Sur son dernier single New Area on dirait qu’elle chante comme elle mènerait une bataille, tant elle transmet de la force à chaque mot qu’elle prononce. Et cette bataille vocale est menée avec beaucoup d’élégance.

美しく戦いましょう。Let’s fight gracefully.

Eternally Returning・Paradigm Shift

Une fois n’est pas coutume, je me suis décidé un peu au dernier moment à aller voir Haru Nemuri (春ねむ) en concert. Il restait des places pour la date de Tokyo de sa tournée 2024 Flee from the Sanctuary (サンクチュアリを飛び出して), qui est d’abord passée par Nagoya puis Osaka. Le concert de Tokyo avait lieu dans la salle de Shibuya WWW X le Vendredi 6 Septembre 2024. Son album Haru to Shura (春と修羅) sorti en 2018, le EP Kick in the World sorti la même année et les morceaux sortis avant cela dont le sublime Tokyo (Ewig Wiederkehren), m’avaient tellement marqué, que j’avais trouvé le EP Lovetheism suivant moins inspiré, à part le très beau Fanfarre. Je n’avais du coup pas écouté avec attention son album suivant Shunka Ryougen (春火燎原) sorti en 2022 et j’avais été assez partagé sur le EP INSAINT qui suivait en 2023. Depuis quelques temps, je suis la progression de la jeune compositrice et interprète rock Minori Nagashima (長嶋水徳), qui a participé en première partie à la date d’Osaka de la tournée d’Haru Nemuri. Cela m’a en quelque sorte rappelé à mes premiers souvenirs du choc qu’avait provoqué en moi la musique d’Haru Nemuri, mélangeant poésie rappée et rock parfois des plus virulents. Acheter un billet pour son concert a en quelque sorte attisé une flamme qui n’était pas éteinte, et je me suis ensuite mis à écouter son album Shunka Ryougen pour me préparer au concert, tout en me disant que j’avais eu tord de ne pas m’y être plongé plus tôt tant il regorge de morceaux puissants. Son style sur cet album est immédiatement reconnaissable, mais est en fait assez différent de Haru to Shura car plus varié dans son approche. Je me souviens avoir été un peu dérangé par les cris de type « death voice » qu’elle pratique sur quelques morceaux de INSAINT, mais ceux-ci interpellent sur les morceaux de Shunka Ryougen, notamment sur Never Let You Go (あなたを離さないで) et Shunka Ryougen (春火燎原), au point où cette rage qu’elle transmet dans sa voix me donne des frissons à chaque écoute. C’est un détail, mais le fait qu’elle utilise en interlude musical sur Shunka Ryougen une version, certes modifiée, du morceau Arabesque de Claude Debussy a fini par me convaincre que j’avais été très mal inspiré de ne pas avoir écouté cet album jusqu’à maintenant. Le morceau Never Let You Go (あなたを離さないで), ainsi que plusieurs autres, compte même parmi les morceaux que je préfère d’Haru Nemuri.

La prestation d’Haru Nemuri sur la scène de la salle WWW X de Shibuya, que je finis par bien connaître, était précédée de deux groupes. La première partie était assurée par un jeune artiste de 18 ans nommé Yatsui Ichijiku (奴居イチヂク) accompagné pour ce concert par le groupe EiQkessha (永Q結社). Suivait ensuite le groupe rock alternatif Mass of the Fermenting Dregs (en diminutif MOTFD ou Masudore), que je connais mieux même si je ne m’étais pas encore penché sur leur dernier album Awakening:Sleeping sorti en Août 2022. Le fait que Masudore joue en première partie d’Haru Nemuri m’a aussi convaincu que ce concert était une occasion à ne pas laisser passer. En fait, j’étais aussi très curieux de voir Haru Nemuri, car j’avais l’image d’une présence extrêmement dynamique et physique sur scène, du moins lors de ses tournées à l’étranger, où elle pouvait se jeter dans la foule. Je me suis demandé si elle pouvait être aussi proche du public sur une scène japonaise à priori plus réservée. Il s’avère qu’Haru a un talent certain pour animer la foule. Le concert démarrait à 19h pour une demi-heure en compagnie de Yatsui Ichijiku et de son groupe, suivi de Mass of the Fermenting Dregs à partir de 19:40 pour environ une heure de set et finalement Haru Nemuri à partir de 21:00 pour plus d’une heure.

Je suis arrivé quelques minutes avant 18h qui était l’heure annoncée d’ouverture de la salle WWW X. L’appel des numéros avait commencé avant l’heure et il n’y avait que peu de personnes regroupées devant la salle à ce moment là. Ça n’a pas empêché le staff de la salle de procéder à l’appel méthodique des numéros de places, et rapidement arriver jusqu’au numéro 300 vers lequel je me situais. Avec un tel numéro de place, j’aurais dû être placé dans la deuxième partie de la salle depuis la scène, mais le fait d’arriver tôt m’a permis de rentrer en avance et me placer proche de la scène au deuxième rang. Je ne souhaitais pas vraiment être trop près de la scène, sachant qu’Haru Nemuri fait parfois des sauts en diving dans la foule et qu’il faudrait éviter de se prendre une pointure de ses chaussures renforcées en pleine figure. J’entre au final dans la salle une heure en avance ce qui me laisse un peu de temps pour envoyer les messages traditionnels à Nicolas, et mahl également cette fois-ci, pour leur faire part de mon enthousiasme avant le début du concert. La salle se remplit petit à petit derrière moi. La proportion d’étrangers est plus importante que pour les concerts auxquels j’ai pu assister jusqu’à maintenant. Il faut dire qu’Haru Nemuri et Masudore font régulièrement des tournées à l’étranger, et ils entameront même très prochainement une tournée américaine. Je pense même qu’Haru Memuri et Masudore sont plus reconnus à l’étranger qu’au Japon. Pendant ce moment d’attente avant le début du concert, je reste attentif à la musique de fond qui nous fait patienter. Je me suis toujours demandé si ces morceaux d’attente étaient décidés par le management de salle ou par les artistes. Il semblerait que les choix de morceaux soient plutôt fait par l’artiste car Haru Nemuri partageait après le concert la playlist sur Twitter.

Pour la première partie, Yatsui Ichijiku et EiQkessha ont interprété 6 morceaux avec une énergie et une assurance assez bluffante. Le premier morceau était en fait joué par d’autres musiciens que ceux de EiQkessha puis un changement s’est opéré à partir du deuxième morceau. Les morceaux que j’ai pu écouter sur le premier et unique EP Temee no Sōmatō de mata Aou (テメェの走馬灯でまた会おう。) de Yatsui Ichijiku se base principalement sur une instrumentalisation électronique tandis que la formation lors du concert était plutôt orientée rock avec guitares et batterie. Le beat électronique était bien entendu présent et même particulièrement puissant sur certains morceaux. Yatsui Ichijuku maîtrisait très bien son set mais on sentait qu’il n’était pas complètement à l’aise lorsqu’il s’adressait à la foule pendant les quelques passages de MC. Leur set a passé assez vite car les morceaux se sont enchaînés avec beaucoup d’énergie.

Les interludes entre les groupes étaient heureusement assez courts. Pour la préparation du set de Masudore, j’étais assez surpris de voir les membres du groupe faire leurs ajustements d’instruments eux-mêmes. Il faut dire que Mass of The Fermenting Dregs est complètement indépendant, même dans la production de leurs albums, ce qui suppose qu’ils faut qu’ils fassent tout par eux-mêmes. Quelques membres du Staff étaient tout de même présents, dont une personne portant un t-shirt du feu groupe Ms.Machine, ce qui m’a bien étonné mais fait sourire. J’écoute Masudore depuis de nombreuses années et j’étais content de voir monter sur scène Natsuko Miyamoto (宮本菜津子) qui assure le chant et la guitare basse, Naoya Ogura (小倉直也) à la guitare et au chant, et Isao Yoshino (吉野功) à la batterie. Leur set est un mélange de leur dernier album Awakening:Sleeping et de quelques morceaux plus anciens. Je les connaissais tous à part un inédit qui n’est pas encore sorti en single. J’ai découvert leur dernier album Awakening:Sleeping récemment et je l’ai beaucoup aimé, notamment le long morceau quasiment instrumental intitulé 1960 qui était au centre de leur setlist de concert. Quelle puissance de guitares et de batterie! Nos oreilles n’en sortent pas tout à fait intactes, mais c’est un véritable bonheur. J’adore le jeu de guitare de Naoya Ogura, et le fait de le voir jouer sur scène, le visage caché dans ses cheveux noirs. C’est pour sûr un esthète car on a le sentiment que sa manière de se positionner sur scène est réfléchie, notamment par rapport à Natsuko Miyamoto qui se laisse entraîner par le flot des guitares et par les sensations qu’elles procurent. Il y a une certaine complémentarité dans leur manière d’être sur scène. Le batteur à l’arrière est forcément plus discret mais ça ne l’empêche pas de taper très fort. Pendant les moments de MC, Natsuko nous a rappelé la premiere rencontre de Masudore avec Haru Nemuri. C’était il y a sept ans et Haru démarrait sa carrière. Elle avait apparemment fait la première partie de Masudore et le concert d’aujourd’hui était en quelque sorte un retour d’ascenseur. Là encore, les morceaux se sont enchaînés sans temps mort avec toujours la même puissance. C’est assez agréable de reconnaître certains morceaux des premiers EPs, comme l’excellent Delusionalism par lequel j’avais découvert le groupe et que je n’avais pas écouté depuis longtemps.

À la fin du set de Masudore, la scène prend une toute autre forme. La batterie est poussée à droite et des équipements électroniques sont mis en place. Après le DJ et le batteur, Haru Nemuri entre ensuite en scène sur le morceau Destruction Sisters du dernier EP INSAINT puis enchaîne rapidement sur deux morceaux de son premier album Haru to Shura, Narashite (鳴らして) puis Sekai wo Torikaeshite Okure (せかいをとりかえしておくれ), ce qui met tout de suite la foule dans de bonnes conditions. Haru bouge beaucoup sur scène, danse en se laissant entraîner par le flot et le rythme de ses morceaux. Elle encourage d’entrée de jeu le public à montrer sa présence et à faire corps avec elle. Elle arrive très bien à engager le public, d’une manière que je n’avais pas constater sur les concerts que j’ai pu voir ces dernières années à Tokyo. Je pense que son expérience des concerts à l’étranger se ressent sur scène au Japon. Et une fois que le public est chaud, la tension ne redescend pas de si tôt et l’accompagne jusqu’au bout. Haru dépense beaucoup d’énergie sur scène, ça se voit et elle est même obligée de prendre quelques moments de pause entre deux morceaux pour souffler. Elle en profite pour s’addresser au public. On ressent qu’elle s’investit pleinement dans sa musique, ce qui me rappelle que les émotions qu’elle transmet sont tout à fait authentiques et même touchantes. Je me souviens avoir été parfois un peu agacé par ses coups de gueule nombreux sur les réseaux sociaux, mais on ressent à travers ses mots qu’il s’agit d’angoisses véritables qui la prennent au cœur et qu’elle a besoin de transmettre. Elle nous en parle un peu pendant ses passages adressés au public. Alors qu’elle semble épuisée après un morceau au milieu du set, une personne dans la foule lui demande si elle va bien: « Daijōbu ? ». Elle répond par la négative en rigolant: « Daijōbu ja nai! ». Et elle nous indique que cette question est en fait fort à propos car son prochain single prendra justement ce titre et ses paroles. Elle nous annonce qu’il s’agit d’une collaboration sur un EP avec le groupe américain Frost Children composé de deux sœurs. Le morceau Daijoubu Desu est disponible au moment où j’écris ces lignes, mais ne l’était pas au moment du concert.

Le set d’Haru Nemuri se compose de 14 morceaux sans rappels. Il faut dire que, dans sa totalité, ce concert dépasse déjà les 2h et demi. J’adore quand Haru se rapproche au plus près du public. On sent qu’elle en a besoin. Il y a une balustrade entre la scène et le public et elle n’hésite pas à monter dessus en s’aidant des mains du public pour se placer au dessus de l’audience. Elle a même fait un saut dans la foule à la fin du morceau Sekai wo Torikaeshite Okure. Comme j’étais au deuxième rang, il est arrivé plusieurs fois qu’elle se tienne debout juste devant moi. Je n’aime pas beaucoup me distraire du concert en prenant des photos ou des bouts de films mais je n’ai pas pu m’empêcher à ces moments là. Pour le dernier morceau intitulé Ikiru (生きる), elle se tenait également juste devant moi. L’émotion était très grande à ce moment là car elle retenait ses larmes à la toute fin du concert. C’est un moment très particulier que j’ai pu filmer et que je regarde encore maintenant, un peu plus d’une semaine après le concert. Encore une fois, on se dit qu’elle ne triche pas et que son attitude correspond souvent à un excès émotionnel. Le morceau Shunka Ryougen (春火燎原) qui précédait Ikiru était particulièrement prenant car elle a fondu en larmes en plein milieu. J’ai pensé à ce moment là qu’elle avait craqué, mais en fait non, elle reprend le dessus et continue à chanter. Je ressens cette dualité entre fragilité et force dans son chant, et cela a toujours été un aspect que j’ai aimé dans la musique d’Haru Nemuri. Ce concert me rappelle à tout cela, ponctué de messages existentiels entre la vie et la mort. Sa voix peut être puissante et dure sur des morceaux comme I refuse (わたしは拒絶する) et Never Let You Go (あなたを離さないで). En live, cette voix ressemblant à un cri est réminiscente du death metal. Elle donne froid dans le dos lorsqu’on l’écoute.

Une des surprises du concert était de voir le rappeur GOMESS soudainement débouler sur scène sur le morceau Rock’n’roll never dies (ロックンロールは死なない). Les deux avaient déjà chanté en duo sur le morceau sore eyes sorti en 2016. GOMESS assurait également la première partie de cette tournée d’Haru Nemuri à Nagoya et Osaka. Je connaissais son nom depuis longtemps pour des morceaux de Yackle (烏の餌 et Judge) avec la compositrice et interprète Utae dont j’ai souvent parlé sur ce blog. Pendant toute une partie de ce morceau, Haru se trouvait une nouvelle fois debout en hauteur portée par la main d’une spectatrice, tandis que GOMESS faisait des aller-retours sur scène. Il avait l’air d’être impressionné par l’ambiance qui régnait dans la salle. Sa voix puissante contribuait à mon avis très bien à faire monter la température. Je trouve que le costume de scène d’Haru et sa coiffure étaient très travaillés et vraiment magnifiques. Le costume un brin futuriste a été conçu par Lisa Tsuchiya. Alors que le concert s’achève déjà, Haru Nemuri accompagnée de son groupe descendent de la scène pour une photographie avec le public. On peut d’ailleurs me voir sur la gauche de la photo. Tout le concert a été filmé par un amateur de Glasgow qui lui avait demandé la permission préalable et qui avait déjà filmé son concert à Glasgow. J’espère que cette vidéo sera présente sur YouTube prochainement. Les photographies du billet sont prises par moi-même, par le photographe attitré Ed Sōta et par un membre du public nommé Yuasa qui a fait un travail intéressant sur le rendu de ses photos ressemblant à un traitement HDR. Je me permets de mélanger ces photos avec les miennes pour illustrer convenablement ce rapport de concert. Il est 22:30 et c’est le moment de sortir de la salle. En entrant, je n’avais pas vu un beau bouquet de fleurs au nom de NHK Venue 101. Je ne pense pas qu’Haru Nemuri soit déjà passée dans cette émission musicale de la NHK. Elle passera peut-être dans un avenir proche, ce qui serait une bonne nouvelle pour Haru en terme de visibilité locale. Sur les tables près de la sortie, des flyers annoncent déjà le prochain concert d’Haru Nemuri qui se déroulera dans cette même salle WWW X de Shibuya. Il s’agira d’un concert à deux artistes car Haru partagera l’affiche avec les rappeurs expérimentaux japonais Dos Monos, pour un concert le 11 Novembre 2024. Je ne connais pas la musique de Dos Monos, mais je connais par contre Zo Zhit, un des trois rappeurs du groupe, pour un duo avec AAAMYYY sur le morceau Tengu de son album Annihilation. Zo Zhit était également présent lors du concert Option C d’AAAMYYY. Sa voix puissante m’intéresse depuis un moment, et il faut que je jette prochainement une oreille attentive à la musique de Dos Monos.

Pour reference ultérieure, je note ci-dessous les set lists des trois groupes et artistes participant à la tournée Haru Nemuri Tour 2024 | Flee from the Sanctuary (サンクチュアリを飛び出して) le 6 Septembre 2024 dans la salle WWW X de Shibuya. Pour Yatsui Ichijuku, je lui ai en fait demandé directement et il m’a gentiment et très rapidement donné sa playlist sur Twitter.

Yatsui Ichijiku (奴居イチヂク) with EiQkessha (永Q結社):

1. テメェの走馬灯でまた会おう。
2. 首都圏絆創膏
3. TECHNICS
4. 愛いびぃ愛らゔゆぅ
5. ヨミへ…。
6. 魂のlv./永Q結社

Mass of the Fermenting Dregs (マスドレ – MOTFD):

1. Dramatic, de l’album Awakening:Sleeping
2. Sugar, de l’album No New World
3. New Order, de l’album No New World
4. Aoi, Koi, Daidaiiro no Hi (青い、濃い、橙色の日), du EP World is Yours
5. 1960 de l’album Awakening:Sleeping
6. New song
7. Delusionalism, du EP Mass of the Fermenting Dregs
8. Slow-motion Replay (スローモーションリプレイ), de l’album No New World
9. ASAHINAGU (あさひなぐ), de l’album No New World
10. World is Yours (ワールドイズユアーズ), du EP World is Yours

Haru Nemuri (春ねむり):

1. Destruction Sisters (ディストラクション・シスターズ), du EP INSAINT
2. Narashite (鳴らして), de l’album 春と修羅 (Haru to Shura)
3. Sekai wo Torikaeshite Okure (せかいをとりかえしておくれ), de l’album 春と修羅 (Haru to Shura)
4. I refuse (わたしは拒絶する), du EP INSAINT
5. Never Let You Go (あなたを離さないで), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)
6. Souzou suru (そうぞうする), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)
7. Who the fuck is burning the trees (森が燃えているのは), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)
8. Pandora (パンドーラー), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)
9. Flee from the Sanctuary (サンクチュアリを飛び出して), du EP INSAINT
10. Kick in the World (déconstructed), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)
11. Rock’n’roll never dies (ロックンロールは死なない) feat.GOMESS, de l’album 春と修羅 (Haru to Shura)
12. Inferno (インフェルノ), du EP INSAINT
13. Shunka Ryougen (春火燎原), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)
14. Ikiru (生きる), de l’album Shunka Ryougen (春火燎原)

Et quelques videos pour conclure:
En complément du billet, je montre ci-dessous trois vidéos que j’ai pris pendant le concert et que j’ai publié sur Twitter, dont je donne déjà les liens dans le billet ci-dessus.