東京で一番美しいロックバンドだった

C’était le plus beau groupe de rock de Tokyo (東京で一番美しいロックバンドだった). J’ai vu écrite cette phrase à de nombreuses reprises sur Twitter après le dernier concert du groupe For Tracy Hyde (FTH) le Samedi soir 25 Mars 2023 dans la salle WWWX près du PARCO à Shibuya. Je l’ai aussi repris sur mon message Twitter après l’avoir vu écrite sur le compte Twitter de Yua Uchiyama (内山結愛) du groupe RAY pour lequel écrivent notamment Azusa Suga et Mav, respectivement compositeurs, guitariste et bassiste de FTH. Je voulais également rendre hommage à un excellent groupe de rock indépendant qu’il est bien dommage de voir partir. J’ai toujours considéré For Tracy Hyde (FTH) comme les chefs de file de ce rock indépendant tokyoïte penchant très fortement sur les ambiances shoegazing que j’aime tant. FTH s’inscrit très bien dans la lignée de grands groupes des années 1990 comme Ride, dont le leader Mark Gardener a d’ailleurs mixé le dernier album Hotel Insomnia, comme en quelques sortes un passage de relai. Autre détail intéressant, le leader et guitariste de FTH, Azusa Suga, portait sur scène un t-shirt de Lush, autre groupe important du shoegazing anglais de cette époque là.

Peu après la sortie de l’album Hotel Insomnia, leur meilleur album à mon avis, on avait été surpris d’apprendre l’intention du groupe de se séparer. Ça m’avait notamment pousser à aller les voir lors d’un mini-live au magasin Tower Records de Shibuya le Samedi 21 Janvier 2023, en pensant que ça serait la dernière fois que je pourrais les voir. J’avais tout de même tenté d’acheter une place pour leur dernier concert du 25 Mars à Shibuya. Il n’était par chance pas encore complet à ce moment là. Comme j’ai acheté ma place un peu tard en Janvier, j’étais placé vers le fond de la salle mais ça ne m’a bien sûr pas empêché de voir le groupe sur scène et d’apprécier pleinement la qualité musicale de ses compositions. Au fur à mesure des albums, j’ai appris à apprécier pleinement la voix d’Eureka qui s’inscrit vraiment très bien dans les musiques de ce dernier album. Sa voix y est par moment pénétrante. Pendant le concert, 19 morceaux ont été interprétés dont la quasi-totalité d’Hotel Insomnia dans l’ordre, ou presque. Vers le milieu du concert, ils sont revenus vers quelques morceaux plus anciens des albums précédents comme New Young City, Ethernity et Film Bleu, leur premier album. Ils n’ont par contre pas interprété de morceaux de leur deuxième album he(r)art de 2017 qui est celui par lequel j’ai découvert le groupe.

Azusa Suga s’est adressé plusieurs fois à la foule dans la salle et sur YouTube car le concert était retransmis gratuitement en direct. FTH a eu la bonne idée de maintenir le concert sur YouTube, ce qui fait qu’il y est toujours disponible en intégralité. On ne saura pas les raisons exactes de la séparation du groupe mais chaque membre nous a expliqué leurs projets musicaux futurs. Je pense que FTH devait arriver à une période de maturité où les évolutions futures devenaient moins claires. C’est dommage car un morceau comme House Of Mirrors sur Hotel Insomnia, assez différent du reste de l’album par son rythme plus pop et son passage hip-hop, était une direction très intéressante qui s’est révélée puissante pendant le concert. Eureka s’y est montrée beaucoup plus gestuelle, alors qu’elle se montre plutôt réservée sur scène. Sa voix est bien sûr omniprésente sur pratiquement tous les morceaux, sauf Sirens interprété seulement par Azusa Suga, mais elle parle très peu pendant les courts intermèdes avec le public. Azusa Suga lui fait d’ailleurs une gentille petite remarque sur le fait qu’elle était censée prendre la parole un peu plus tôt pendant le concert. Mais FTH est un groupe indé, d’autant plus de shoegazing, donc pas censé s’attarder à distraire les foules. On sent quand même qu’Azusa Suga voudrait que le public soit plus démonstratif, comme un public étranger par exemple. Il parle très bien anglais et nous a fait part de son regret de ne pas avoir tourné plus à l’étranger. Le public japonais se montre bien présent mais les modes d’expression sont différents, d’autant plus que l’on vient de sortir de la crise sanitaire. Il est maintenant autorisé de pousser la voix, ce qui est tout de même une bonne chose et la foule ne s’en est pas privée. La concert a duré environ deux heures qui ont passé trop vite, malgré les deux rappels. Vers la fin du concert, le groupe a posé devant le public pour une photo souvenir. J’arrive d’ailleurs à m’apercevoir vers le fond de la salle sur la gauche (pour ceux qui peuvent me reconnaître).

Musicalement, le concert était proche des versions présentes sur les albums avec des démarrages et fins de morceaux parfois différents ou plus longs. Le public était très varié avec une majorité masculine, par rapport à des groupes comme Tricot par exemple. J’ai tendance à penser que FTH s’adresse aux Otakus de la musique indé shoegaze, ceux qui sont intransigeants sur la qualité de ce son rock. On sent qu’Azusa Suga est lui-même intransigeant sur la qualité des morceaux qu’il compose et nous dit même assez directement pendant le concert qu’il pense que certains morceaux sont meilleurs que d’autres. Ça fait toujours sourire le public car on est tous bien convaincu de la qualité de la musique qu’on est venu écouter ce soir. Je me reconnais plutôt bien dans ce public intransigeant, même si dans l’ensemble la moyenne d’âge devait être d’une dizaine d’années inférieure à mon âge. Ceci n’a de toute façon pas beaucoup d’importance. Ce concert était également l’occasion pour moi de rentrer à l’intérieur de l’ancien cinéma Rise conçu par l’architecte Atsushi Kitagawara, que j’ai maintes fois pris en photo de l’extérieur. En rentrant du concert à pieds, je réécoute une nouvelle fois l’album Hotel Insomnia de For Tracy Hyde pour faire durer un peu plus l’ambiance. Il faut vraiment que je continue à régulièrement assister à ce genre de concert, c’est un des enseignements que je tire de la crise sanitaire. Il faudrait même que je crée une catégorie Live report sur le blog. Et le mois prochain, ça sera le concert de Sheena Ringo. Mais en attendant, j’ré-écoute l’excellent album Spooky (1992) de Lush (j’avais un peu oublié la beauté de cet album) en écrivant ce petit compte-rendu de concert. Les photos ci-dessus sont les miennes (elles étaient autorisées pendant le concert), sauf les quatre dernières disponibles sur le compte Twitter du groupe et que je permets de montrer ici pour garder une trace de ce beau moment musical. Le concert est également disponible sur YouTube sur le compte du groupe, comme mentionné auparavant.

Pour référence ultérieure, ci-dessous est la setlist du concert final de For Tracy Hyde du 25 Mars 3023 au Shibuya WWWX:

1. Undulate, de l’album Hotel Insomnia
2. The First Time (Is The Last Time), de l’album Hotel Insomnia
3. Kodiak, de l’album Hotel Insomnia
4. Lungs, de l’album Hotel Insomnia
5. Estuary, de l’album Hotel Insomnia
6. Friends, de l’album Hotel Insomnia
7. Tsunagu Hi no Ao (繋ぐ日の青), de l’album New Young City
8. Kimi ni shite Haru wo Omou (君にして春を想う), de l’album New Young City
9. Sakura no En (櫻の園), de l’album New Young City
10. Interdependence Day – Part I, de l’album Ethernity
11. Heavenly (ヘヴンリイ), de l’album Ethernity
12. Sister Carrie, de l’album Ethernity
13. House Of Mirrors, de l’album Hotel Insomnia
14. Sirens, de l’album Hotel Insomnia
15. Milkshake, de l’album Hotel Insomnia
16. Subway Station Revelation, de l’album Hotel Insomnia
17. Leave The Planet, de l’album Hotel Insomnia
18. Can Little Birds Remember?, de l’album New Young City
19. Her Sarah Records Collection, de l’album Film Bleu

風の様に雲の様に

J’ai toujours eu une affection pour les compositions photographiques exagérant la noirceur mais j’essaie de ne pas en abuser. J’aurais parfois sur le moment l’envie de composer tous mes billets avec seulement ce genre de photographies en noir et blanc, mais ça ne me satisferait pas non plus sur la longueur. C’est certainement un des problèmes de ce blog de ne pas se fixer sur un style en particulier et de s’y tenir. Mais en même temps, je ne pense pas que mon style ait vraiment évolué pendant toutes ces années, que ça soit pour les photographies en couleur d’un côté ou celles en noir et blanc de l’autre. Comme ce blog est conçu dans la durée, je n’y opère de toute façon pas de changements radicaux et je les laisse plutôt se révéler petit à petit par eux-mêmes. Si j’y avais effectué ces changements radicaux, ce blog aurait certainement déjà terminé sa vie depuis longtemps, car ils auraient été l’occasion de remettre en question l’existence même de ce blog qui ne répond qu’à ma logique personnelle. Le noir et blanc m’est toujours inspiré par la musique que j’écoute et je suis en ce moment absorbé par celle de Buck-Tick, qui va je pense m’accompagner pendant quelques temps.

Je découvre cette fois-ci Darker than Darkness qui est le septième album de Buck-Tick sorti en 1993. Le style de cet album n’est pas gothique comme l’album que je mentionnais précédemment mais possède une ambiance de rock alternatif avec parfois quelques tendances industrielles quand les guitares deviennent abrasives comme sur le quatrième morceau Ao no Sekai (青の世界). Buck-Tick a le sens des mélodies qui accrochent rapidement. Il y a beaucoup de très bons exemples dans cet album comme le très rapide Deep Slow. Deux singles, Dress (ドレス) et Die sont sortis à l’époque et il s’agit des deux morceaux les plus apaisés. Ils comptent aussi parmi les plus beaux de cet album, surtout Dress qui semble être un des morceaux préférés des fans. Je pense également que c’est un des plus beaux morceaux que je connaisse du groupe pour l’instant, mais je commence tout juste la découverte. Dress me semble bien correspondre à l’ambiance musicale de ces années là dans les sons de synthétiseur notamment. Je n’habitais pas au Japon à cette époque mais je ressens tout de même une certaine nostalgie en écoutant ce morceau. Dans la vidéo de Dress, Atsushi Sakurai joue sur son apparence androgyne avec cheveux longs et maquillage, dans le pur esprit Visual Kei. La scène où un personnage de femme transitionne de manière presque transparente en la personne de Sakurai est assez troublante. C’est clair que le charisme de Sakurai joue dans l’impression générale que l’on peut avoir de la musique de Buck-Tick, au delà même de la qualité de son chant et des compositions électriques du groupe. Le troisième morceau Yūwaku (誘惑) avec son ambiance de bar sombre jazz est aussi un des moments que j’apprécie beaucoup sur cet album. Il y a même par moment une ambiance lynchienne dans la mystère qu’apportent certains sons. Sur plusieurs morceaux, Buck-Tick force le trait de la noirceur, comme le suggère ce titre plus noir que la noirceur, et de l’arrogance. Je comparerais la musique du groupe à l’équivalent cinématographique du film de genre. On peut y trouver des films de série Z, mais également des chef-d’oeuvres. C’est tout à fait le rapport que j’éprouve pour le Visual Kei, et Buck-Tick (comme LUNA SEA d’ailleurs) se trouve dans la deuxième catégorie. Les émotions dans les morceaux de cet album sont fortes et expressives, mais exprimées avec toute l’élégance et le romantisme sombre que réclame le genre. Il y a certes quelques morceaux moins intéressants, comme Kamikaze (神風) par exemple. D’autres morceaux ont des riffs de guitare qui peuvent sembler familiers, mais ça n’altère en rien la qualité musicale de l’ensemble. Le neuvième morceau Madman Blues -Minashigo no Yūutsu- (Madman Blues -ミナシ児ノ憂鬱-) est très particulier sur l’album car il est assez déconstruit et part sur plusieurs pistes, mais ce sont dans ces moments là que le groupe excelle, surtout dans la deuxième partie où les guitares jouent sur la dissonance. Et que dire de cette couverture d’album des plus étranges montrant une sorte de chien-loup mutant. Cet album m’a décidé à continuer la découverte de la musique de Buck-Tick. Et comme mentionnait la critique sur le site web Sputnik music, c’est intéressant de se dire qu’en cette année 1993, Nirvana sortait son dernier album In Utero, Pearl Jam l’album que je préfère du groupe Vs., The Smashing Pumpkins sortait leur album emblématique Siamese Dream, Radiohead sortait son premier album Pablo Honey tout comme Björk avec Debut et The Breeders de Kim Deal avec Last Splash. C’était mon univers musical de l’époque, bien éloigné de celui de Buck-Tick au Japon. Je me demande bien si j’aurais été en mesure d’apprécier cet album Darker than Darkness à l’époque autant que maintenant.

drifting through the underworld

J’avance comme une ombre dans la foule tokyoïte. On ne l’aperçoit pas mais on la devine fortement. Sa présence pesante et inévitable donne envie de se retourner brusquement pour la surprendre, mais on se retient au dernier moment par peur d’y voir la partie cachée de nous-mêmes, celle que l’on garde enfouie au plus profond de notre être et qui ne se dévoile qu’au paroxysme de nos peurs. Je tente de saisir ces ombres en me noyant dans la foule. Elles sont présentes, on les ressent, mais elles nous filent entre les doigts lorsqu’on croit les saisir. Je pensais bien que la photographie m’aiderait à les capturer pour ensuite les observer pendant de longues minutes. Ces ombres piègent à l’intérieur d’elles-mêmes toutes sortes de souffrances, celles que l’on refoule au fond de notre cœur mais qui ne disparaissent jamais vraiment. Elles nous suivent à la trace et ne nous quittent jamais. Même si on les avait oublié, elles sont toujours présentes, prêtes surgir et à nous sauter à la figure. Mieux ne vaut pas se retourner et aller de l’avant, en forçant le pas dans la foule pour essayer de les perdre en route. Quand le soir arrive, les ombres et les souffrances s’amenuisent. On goûte à une plénitude réparatrice jusqu’à ce que les fantômes de la nuit viennent nous traquer. Mon cœur trouve la paix sous le clair de lune, au treizième étage d’un building en cours d’abandon en plein milieu de la ville. Derrière une baie vitrée sans vitrages, je regarde la lune qui m’irradie doucement de sa lumière douce. Il n’y a aucun bruit sauf ceux de ma respiration. Je me concentre sur le flux qui pénètre au plus profond de mon corps, jusqu’à perdre contact avec la réalité des choses qui m’entourent. A ce moment là seulement, les ombres et les fantômes s’accordent à me laisser en paix.

Cette lumière de lune au treizième étage qui m’inspire le texte imaginaire ci-dessus provient également du titre du quatorzième album du groupe de rock japonais Buck-Tick, Jūsankai ha Gekkō (十三階は月光) qu’on peut traduire par « 13ème étage avec la lumière de la lune ». Depuis le duo de Sheena Ringo avec Atsushi Sakurai (櫻井敦司), le chanteur de Buck-Tick, sur le morceau Kakeochisha (駆け落ち者 – Elopers) de l’album Sandokushi (三毒史) sorti en 2019, la musique de Buck-Tick rôdait autour de moi dans l’ombre, comme un loup prêt à sauter sur sa proie, profitant d’un moment de faiblesse. Après quelques hésitations préalables, j’ai finalement laissé le loup entrer dans la bergerie et je n’en suis pas déçu. Buck-Tick est un groupe fondé en 1983 et originaire de la préfecture de Gunma. Buck-Tick a la particularité d’être toujours actif et de ne pas avoir changé de membres tout au long de leur longue carrière et leur vingt-deux albums. Le groupe se compose de 5 membres: Atsushi Sakurai (櫻井敦司) au chant, Hisashi Imai (今井寿) et Hidehiko Hoshino (星野英彦) aux guitares, Yutaka Higuchi (樋口豊) à la basse et Yagami Toll (ヤガミトール) à la batterie. On leur attribue avec X-Japan d’être un des groupes fondateurs du style Visual Kei, pour lequel j’ai d’ailleurs quelques atomes crochus. Je n’entrais donc pas totalement dans un monde hostile car je savais à quoi m’attendre. Les styles du groupe ont évolué au fur et à mesure des années, passant par le punk rock, le rock industriel ou encore le gothique. Parmi les vingt-deux albums du groupe, c’était difficile de choisir par lequel commencer. Après quelques recherches sur internet en lisant des revues des albums, notamment celles de Sputnikmusic, je me décide pour celui que l’on dit embrasser pleinement le style gothique, ce qui me semble d’ailleurs être le plus adapté au Visual Kei. Je me lance donc dans la découverte de Buck-Tick par Jūsankai ha Gekkō. Je retrouve rapidement sur cet album le romantisme sombre que j’ai pu écouter et apprécier sur d’autres groupes rock japonais, LUNA SEA en particulier. Jūsankai ha Gekkō est un album concept composé de 18 morceaux incluant quelques interludes marquant les différents actes de ce théâtre musical d’épouvante. La composition musicale et les paroles sont sombres et seront certainement déconcertantes pour le néophyte qui n’est pas prêt à s’aventurer dans ce manoir aux multiples sons étranges. L’album est d’une beauté indescriptible qui s’écoute comme un tout, avec ces moments de rage, comme le quatrième morceau Cabaret, d’autres beaucoup plus épiques comme 夢魔-The Nightmare, d’autres encore beaucoup plus fantaisistes comme celui intitulé Seraphim. Les ambiances des morceaux de l’album diffèrent mais on y retrouve la même flamboyance, exacerbée par la présence vocale charismatique d’Atsushi Sakurai. Si musicalement, les compositions sont excellemment maîtrisées mélangeant les approches symphoniques et l’agressivité des guitares, c’est la voix émotionnellement dense, hantée et pleine de tension de Sakurai qui nous saisit de sa présence. Le morceau Passion en est un très bon exemple, et est assez typique de cet album. On peut entrer dans cet univers sombre avec un peu d’hésitation, mais il est ensuite difficile d’en sortir en cours de route car chaque morceau possède ses accroches mélodiques qui ne nous laissent pas nous s’échapper aussi facilement. Outre ceux cités ci-dessus, les morceaux Romance (Incubo) et Gesshoku (月蝕) font aussi partie de ceux que je préfère sur Jūsankai ha Gekkō, mais il est de toute façon difficile de les imaginer extraits des morceaux qui les entourent, cet album se concevant dans son ensemble comme une expérience musicale.

why not take all of me

Une grande affiche du manga Tokyo Revengers dans une des vitrines du grand magasin Seibu de Shibuya se mélange aux passants. Une Mercedes vintage fait des boucles dans le centre de Shibuya à la recherche d’un peu d’attention. Une tentative de la marque Celine de s’identifier à la culture du skateboard ne trompe certainement pas les initiés. Les hauteurs vertes de la terrasse haut perchée du building Tokyu Plaza à Harajuku nous attirent pour une pause ensoleillée quand on les regarde d’en-bas. La foule tokyoïte lève progressivement les masques du moins à l’extérieur tout en scrutant le regard des autres qui voudraient en faire autant. Une intervention de l’artiste Invader quelque part sur la rue Cat Street à Harajuku conclut ce billet sur une note fantastique qui caractériserait d’ailleurs très bien la haute qualité de ce blog. Je ne me désintéresse toujours pas des scènes de rue à Shibuya, en essayant même parfois me rapprocher de la foule. Cette foule mouvante est difficile à saisir mais autorise également plus facilement les tentatives de photographie.

J’écoute depuis quelques temps des albums des années 90 et du début des années 2000. Cette fois-ci, le premier album de POiSON GiRL FRiEND attire mon attention. Il s’intitule Melting Moment et est sorti en Mai 1992. Je suis en fait complètement absorbé voire fasciné par ce mini-album qui semble me contaminer à petite dose comme un poison lent (j’exagère juste un peu bien sûr). J’aime l’approche non conformiste des 6 morceaux qui composent cet album mélangeant des sonorités électroniques parfois proches du trip-hop avec des arrangements plus acoustiques, incluant des petits passages francophones et d’autres sonorités cosmiques étranges. La voix de Noriko Sekiguchi, qui se fait également appelée nOriKO, est très présente, parfois intime et chuchotante, transmettant une émotion pleine de mélancolie. Dans les paroles, elle évoque plusieurs fois des ruptures amoureuses, comme sur le deuxième morceau FACT 2 qui démarre par une phrase en français avec un accent charmant nous énonçant avec un brin d’insolence: « c’est fini mon amour ». nOriKO est née à Tokyo mais a passé des années de son enfance au Brésil. Elle y aurait appris le français dans une école francophone. Parmi les morceaux de ce mini-album, on trouve également une interprétation libre du morceau Quoi de Jane Birkin, complètement réimaginé et même difficile à reconnaître aux premiers abords sauf quand nOriKO y chante des paroles de la chanson originale à la manière de Jane Birkin. Je n’ai pas d’interêt particulier pour les artistes japonais s’inspirant de chansons françaises, mais ce morceau réinterprété est vraiment très beau et sa version incluant des éléments électroniques est très personnelle. Et je sais faire des exceptions, Sheena Ringo a bien chanté en français une reprise de la chanson Les feuilles mortes. À ce propos, j’ai eu la surprise de lire que Neko Saito (斎藤ネコ) joue du violon sur cet album de POiSON GiRL FRiEND, notamment sur le dernier morceau Melting Moment, qui reprend le titre de l’album. Ce dernier morceau est le plus déstructuré et également un des plus intéressants car il ne se révèle vraiment qu’après plusieurs écoutes. Les influences de POiSON GiRL FRiEND ne sont pas que francophones mais plus cosmopolites. Elle reprend également sur cet album un morceau très connu de la britannique Mary Hopkin intitulé Those Were The Days, sorti en 1968. Sur ce morceau très librement inspiré de cette chanson à succès, les arrangements électroniques se reprochent beaucoup du trip-hop mais avec des pointes proches de la musique EDM. Les paroles du morceau FACT 2 qui nous interrogent « Do you love me like you used to do?, I still love you more than everything » me rappellent à chaque fois des paroles, excellemment interprétées par Morrisey, sur le morceau de 1987 des Smiths Stop Me If You Think You’ve Heard This One Before qui nous disent d’une manière un peu insolente: « I still love you, oh, I still love you, Only slightly, only slightly less than I used to, my love ». On sait que nOriKO apprécie également la musique des Smiths, mais qu’elle soit inspirée par ce groupe sur ce morceau en particulier est ma pure interprétation. Le premier morceau long de 7 minutes, Hardly ever smile (without you), est certainement le plus emblématique de l’album. La partition de violon qui accentue régulièrement le morceau est superbe et s’accorde étonnamment bien avec la rythmique très marquée années 90 accompagnant sans discontinuer la totalité du morceau. La voix de nOriKO chantant en anglais a ce quelque chose d’à la fois très naturel et cinématographique d’art et d’essai qui lui donne un charme certain. Son nom d’artiste a également quelque chose de cinématographique, comme si elle était sortie d’un film d’espionnage d’une autre époque. Elle s’est apparemment inspirée du titre d’un album de Nick Currie, également appelé Momus. Cet album sorti en 1987 s’intitule The Poison Boyfriend. Cela encouragea Momus à proposer ses services pour l’album suivant de POiSON GiRL FRiEND intitulé Shyness sorti en Juillet 1993. Je ne connais pas l’oeuvre musicale de Momus mais je me souviens qu’il a écrit pour la chanteuse de style Shibuya-Kei Kahimi Karie, notamment le morceau Good Morning World qui avait eu beaucoup de succès à sa sortie en 1995. Je suivais même le blog de Momus lorsqu’il était basé pendant quelques années au Japon mais d’une manière très détachée car je n’avais pas particulièrement d’interêt pour le personnage. Je constatais seulement qu’un groupe d’artistes et de francophones/anglophones nipponophiles gravitaient autour de lui ce qui avait attiré inutilement ma curiosité.

une couronne végétale

Je m’enfonce une nouvelle fois dans la foule de Shibuya sans objectif particulier sauf celui de traverser le grand carrefour encombré mais fluide. Je pourrais très bien emprunter des rues plus calmes, mais j’aime traverser ce carrefour sans entendre son brouhaha car je me protège les oreilles en écoutant une musique plus saine pour mes neurones. Je remonte souvent Center-gai jusqu’au magasin Disk Union, mais cette fois-ci je me décide plutôt pour Shinjuku en longeant la longue avenue Meiji. L’axe Shibuya-Shinjuku est un parcours que je connais bien et qui ne me lasse pourtant pas, pour une raison qui m’échappe. Il faut dire que j’emprunte à chaque fois un itinéraire légèrement différent.

Quelle surprise de trouver le CD de l’album éponyme de Goddess in the Morning posé sur les étagères du Disk Union de Shimo Kitazawa. Mes battements de cœur se sont accélérés pendant quelques secondes lorsque je l’ai vu dans le lot des albums non classés par ordre alphabétique que je scrute toujours par curiosité au cas où il y aurait quelque chose d’intéressant. De cet album, je ne connaissais en fait que le morceau Flower Crown (花かんむり) car il était inclus dans une compilation française intitulée Ici Tokyo (こちら東京), composée d’une sélection de morceaux japonais de styles divers (allant du rock punk à l’électronique en passant par la pop). Cette compilation sortie en 1996 a été un des premiers contacts que j’ai eu avec la musique contemporaine japonaise, à cette époque où j’étais en France. La compilation est d’une qualité et d’un intérêt très variable, mais ce morceau Flower Crown en particulier a toujours été un de mes préférés. C’est un morceau que j’ai beaucoup écouté au fur et à mesure des années, qui m’a en quelque sorte accompagné pendant presque 30 ans. Ci-dessous est un extrait de la page consacrée au groupe, tirée du livret de la compilation Ici Tokyo, du label Bond Age L’indépendant, vendue au prix conseillé à l’époque de 125 Frs.

Goddess in the morning (ゴッデス・イン・ザ・モーニング) est un duo composé d’Akino Arai (新居昭乃) et de Yula Yayoi (柚楽弥衣). Cet album éponyme est le seul qu’elles ont sorti en 1996, sous le label Biosphere Records (バイオスフィア・レコード). Il est assez court, 32 minutes pour 7 morceaux principalement chantés en japonais. Le duo utilise parfois un langage étrange qui ressemble au français comme sur le deuxième morceau intitulé Ucraine (ウクライナ). Ce langage étrange et cette manière de chanter particulière de Yula Yayoi sur certains morceaux proches du folklore celtique, sur le sixième morceau Saga (サーガ) notamment, n’est pas sans me rappeler la voix de Liz Fraser sur les albums de Cocteau Twins. Les percussions assez typiques des années 90 ont pour moi un charme nostalgique certain, mais ce sont les nombreuses envolées vocales et instrumentales que j’apprécie par dessus tout sur cet album. Le final de Flower Crown est par exemple particulièrement poignant lorsque les voix des deux chanteuses se mélangent. Le premier morceau de l’album, Reincarnation (リインカーネイション), est également l’un des plus beaux de l’album. Il y a quelque chose de divin dans la voix limpide d’Akino accompagnée de la voix mystique de Yula dans les chœurs, et l’instrumentation composée de sonorités parasites étranges ajoute un brin de mystère qui contribue à celui qui entoure ce duo.