歪む蜃気楼

Ce soir, je sors sur le balcon sous l’air frais du début du printemps. En regardant loin devant moi, un peu plus loin encore au delà de ma vision, je plonge dans la foule qui se presse vers la gare avant 8h. Comme tous les soirs, le flot humain est flou et mouvant. Ses mouvements laissent des empreintes indélébiles sur les immeubles. On ne peut dissocier les rues de la ville de ces mouvements qui l’érodent et la façonnent petit à petit dans la douceur d’un effleurement. La ville est d’une violence douce qu’on voudrait éviter mais qui nous attire sans cesse comme un courant marin de profondeur. Nos pieds perdent l’équilibre et on s’y engouffre en apnée sans se débattre. Sortir du grand carrefour est une bouffée d’air, mais je n’ai de cesse d’y revenir une fois encore, pour laisser moi aussi mon empreinte indélébile sur les immeubles. Si l’on fixe longuement les murs de la ville, peut être pourrait on accéder à leur mémoire?

Images extraites de la vidéo de Onaji Yoru (同じ夜) par DAOKO sur son album Thank You Blue sorti en 2017.

Onaji Yoru (同じ夜). Je ne soupçonnais pas que DAOKO (ダヲコ) avait dans sa discographie un morceau aussi beau. Sur son premier album The End, AiNA utilisait ces mots Onaji Yoru dans le dernier morceau intitulé Suika (スイカ), et je n’ai pu m’empêcher d’y voir une référence au morceau Onaji Yoru de Muzai Moratorium. Une recherche rapide sur YouTube me fait découvrir un autre morceau utilisant ce même titre par DAOKO sur son album Thank You Blue sorti en 2017. L’approche artistique de DAOKO m’intéresse mais je ne trouve dans sa discographie qu’assez peu de morceaux que j’apprécie vraiment. Onaji Yoru est très différent du reste de l’album et beaucoup plus profond et mélancolique. Je ressens un besoin irrésistible de le réécouter encore et encore, car il m’aide à développer ces images ci-dessus d’un mirage déformé et à écrire ce texte qui les accompagne. Onaji Yoru me donne également l’envie de rechercher dans la discographie de DAOKO d’autres morceaux que je pourrais apprécier tout autant. Dans un style très différent, Nice Trip sur son album Shiteki Ryokō (私的旅行) me transporte vers des chaleurs insulaires bienvenues pour affronter les dernières vagues de froid avant le début du printemps. Le morceau Music (ミュージック) sur son album éponyme sorti en 2015 vient compléter cette mini playlist que j’écoute en boucle en sortant de la gare de métro.

雑司ヶ谷の姫

Nous visitons beaucoup de sanctuaires et de temples ces derniers temps. Celui que j’ai visité, seul cette fois-ci, dimanche matin dernier se trouve à Zōshigaya (雑司ヶ谷), une des stations de la ligne de métro Fukutoshin, au delà de Shinjuku et tout près d’Ikebukuro. L’envie de visiter cet endroit aurait pu être liée au nom du lieu qui m’intrigue ou au fait qu’il est traversé par un petit tram pittoresque de la ligne Toden Arakawa Line, aussi appelé Tokyo Sakura Tram. Mais je suis venu jusqu’ici pour une autre raison. Je voulais voir de plus près le temple Hōmyōji où a été tournée la vidéo de Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) de Sheena Ringo. La première fois que j’ai vu la vidéo de ce morceau il y a plus de vingt ans, certainement sur la chaîne du câble Space Shower TV que je regardais en boucle à cette époque, j’ai tout de suite été impressionné par l’ambiance qui s’en dégageait, assez déconcertante pour ses tons sombres et pour le flottement continue de l’image comme si Sheena était observée par un spectre qui lui tournerait autour. Le morceau en lui-même laisse une empreinte forte en mémoire lorsqu’on l’écoute pour la première fois, mais la vidéo contribue également beaucoup à l’impact que le morceau nous laisse. J’étais tout d’abord persuadé que la vidéo avait été tournée dans le sanctuaire Hanazono, accolé au petit quartier de Golden Gai à Kabukichō, mais je me suis ensuite rendu compte que ce n’était pas le cas. En fait, je pense que la photo de couverture du single, où l’on voit le visage de Sheena et une des rues de Golden Gai en arrière-plan, m’a initialement fait penser que la vidéo était filmée au même endroit. L’histoire raconte que Sheena a écrit ce morceau après avoir été accostée, alors qu’elle rentrait chez elle, par un rabatteur à Shibuya lui proposant de manière plutôt agressive un job dans un club peu recommandable de Kabukichō. Elle était fraîchement arrivée de Fukuoka et travaillait à cette époque là dans un magasin de disques de Shibuya. L’histoire dit également qu’elle n’a jamais mis les pieds à Kabukichō avant l’enregistrement de Kabukichō no Joō, ce qui est assez intéressant car ce morceau et sa vidéo ont eu une empreinte tellement forte qu’on a fini par associer Sheena Ringo à Shinjuku, ce qui est d’ailleurs à l’origine directe du style Shinjuku-kei dont elle est la seule représente.

Images extraites de la vidéo de Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) par Sheena Ringo sur son premier album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム).

Pour alterner avec les concerts, je me suis mis en tête de regarder les DVDs de la série Seiteki Healing en commençant par le premier (性的ヒーリング~其ノ壱~) sorti le 10 Novembre 1999. La vidéo de Kabukichō no Joō est présente sur ce DVD et la revoir m’a donné l’idée et l’envie de me rendre dans le temple où elle a été tournée. En fait, je sais depuis longtemps que cette vidéo n’est pas été tournée à Kabukichō mais dans un temple quelque part dans l’arrondissement de Toshima. Je n’avais cependant pas poussé la curiosité jusqu’à aller voir le lieu de mes propres yeux. Comme je marche souvent aux mêmes endroits en ce moment, la perspective de découvrir un nouveau lieu m’attirait beaucoup, en plus du fait de partir à la recherche de ce lieu de tournage comme on pourrait partir pour une chasse au trésor. Arrivé à Zōshigaya, je marche directement vers le temple principal de Hōmyōji. L’enceinte est assez vaste et je l’explore méthodiquement à la recherche de la série de torii rouges distinctifs des autels dédiés au renard Inari, que l’on peut voir dans Kabukichō no Joō. Je tourne en rond et ne trouve rien. Je m’approche du cimetière tout en me disant que je fais fausse route. Je décide de faire le tour de l’enceinte du temple pour voir si on peut accéder à d’autres dépendances. Le long d’une allée étroite longeant le cimetière, je tombe finalement sur un chemin étroit coincé entre des habitations et l’enceinte du temple. On y trouve une longue série de torii rouges formant un chemin zigzaguant entre les murs. Je me dis que ça doit été l’endroit que je cherche, mais je n’en ai pas la certitude. En fait, je me souviens très bien d’inscriptions en kanji affichées sur un muret en ciment gris que l’on peut voir dans la vidéo. Mais je ne retrouve pas cet endroit ici. Après avoir marché jusqu’à l’autel Inari, je reviens sur mes pas sans être vraiment convaincu d’avoir trouvé le bon endroit. En sortant du chemin, je continue à faire le tour de l’enceinte du temple, mais la rue que j’empreinte m’en éloigne et je finis par rebrousser chemin. Je refais un tour à l’entrée du temple, explore d’autres recoins mais sans succès. Les inscriptions en kanji ont peut-être été effacées avec le temps. Peut-être étaient elles spécialement écrites pour la vidéo? Cette vidéo a été tournée il y a plus de vingt ans et les lieux ont peut-être changé entre temps, l’espace intérieur du temple a peut-être été modifié. J’ai tout de même du mal à me convaincre de cela car les sanctuaires et temples sont en général des espaces immuables. Le temps passe et il faut bien que je me rende à l’évidence que je ne trouverais pas d’indices ici.

Je décide de repartir vers la gare en empruntant une route un peu différente me faisant découvrir un autre temple. J’apprends très vite qu’il s’agit en fait d’une dépendance faisant partie du même ensemble. Kishimojin-dō (鬼子母堂) fait partie intégrante de Hōmyōji même si ces deux temples ne sont pas directement reliés l’un à l’autre. Par rapport au reste de Hōmyōji, Kishimojin-dō se situe dans un espace beaucoup plus ouvert qui donne une impression de grandeur au bâtiment. Je visite d’abord le bâtiment principal. Une veille dame insiste pour que je prenne un petit livret explicatif car on y trouve toutes les informations nécessaires sur ce lieu. Je ne refuse pas car c’est proposé gentiment. Je dois avoir la tête d’un touriste égaré. En visitant les lieux, j’apprends que ce temple favorise les naissances et que les fidèles voulant avoir des enfants viennent prier ici depuis l’époque Edo. Je pense demander un goshuin mais je n’ai pas amené mon livret. En regardant autour de moi depuis la plateforme surélevée en bois du temple, j’aperçois un peu plus loin une série de torii qui me redonne un peu d’espoir. L’alternance de torii rouges et de tiges métalliques blanches portant des drapeaux rouges ressemble beaucoup plus à ce que j’ai pu voir sur la vidéo de Kabukichō no Joō. L’autel au fond de l’allée ressemble également à celui de la vidéo. L’allée de torii entoure un arbre Ginkgo géant de 6.30m de circonférence et 10m de haut, désigné monument national. J’emprunte l’allée dans un sens et dans l’autre pour essayer de refaire le lien avec la vidéo. En m’écartant un peu de l’allée, je découvre finalement les inscriptions en kanji que je recherchais, inscrites sur un mur de ciment gris. Les kanji sont en partie effacés mais il s’agit bien des mêmes inscriptions que dans la vidéo. Il n’y a pas de doutes, il s’agit bien du lieu de tournage. Alors que je m’approche un peu plus du mur en marchant dans les herbes hautes, un chat noir et blanc fait soudainement son apparition. Il est sorti de nulle part, ou du moins je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant. Il n’a pas peur et vient même à ma rencontre comme pour m’accueillir en ce lieu. Il s’assoit quelque instant près d’un des arbres à l’endroit exact où Sheena était assise guitare en mains dans la vidéo. J’ai à ce moment précis la certitude qu’il s’agit bien de l’endroit que je recherchais. Il n’y a plus aucun doute possible, j’ai enfin trouvé l’endroit où a été tourné Kabukichō no Joō. Je repars vers la gare de Zōshigaya avec un air satisfait, similaire à celui que je peux avoir lorsque je découvre volontairement ou par hasard de l’architecture remarquable aperçue dans des livres ou des magazines.

Images extraites de vidéos du DVD Seiteki Healing Sono Ichi (性的ヒーリング~其ノ壱~) de Sheena Ringo. De haut en bas: les crédits, Remote Controller (リモートコントローラー ) et Memai (眩暈).

Outre Kabukichō no Joō, le DVD Seiteki Healing Sono Ichi (性的ヒーリング~其ノ壱~) contient les vidéos de Kōfukuron (幸福論), Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。), Honnō (本能) ainsi qu’une version alternative de Koko de Kiss Shite. Le point intéressant est que Sheena Ringo y ajoute des vidéos supplémentaires, comme celle de Tsumiki Asobi (積木遊び) qui n’est bizarrement pas annoncée sur le livret accompagnant le DVD mais qui est bien présente à la suite d’un autre morceau. On y voit également des publicités parodiques pour d’autres morceaux de l’album Muzai Moratorium ou des B-sides de single. La courte vidéo du morceau Remote Controller (リモートコントローラー ) en B-side du single Koko de Kiss Shite ressemble à la bande annonce d’un film d’horreur. Ce morceau lui était venu en tête alors qu’elle recherchait en plein stress la télécommande de sa chaîne hi-fi. Ce sentiment est exacerbé dans cette fausse bande annonce. Memai (眩暈), l’autre morceaux en B-side sur Koko de Kiss Shite, a également sa petite vidéo aux couleurs sombres et saturées. Sheena est habillée de la même façon que dans la version alternative de la vidéo de Koko de Kiss Shite donc j’imagine que les vidéos ont été filmées en même temps. Je ne reconnais pas, par contre, les lieux où la vidéo a été tournée, qui ressemblent à une banlieue tokyoïte quelconque. Il y a également une petite vidéo amusante montrant la chaîne de production de CDs de Toshiba EMI, commentée par Sheena avec des expressions de voix volontairement exagérées. Les crédits du DVD s’affichent au dessus d’une vidéo en noir et blanc montrant un corbillard traditionnel japonais roulant dans un tunnel. Ce choix est très particulier mais l’image et l’effet visuel sont très beaux. On ne voit plus beaucoup de corbillards dans ce style traditionnel, aux formes ressemblant à un toit de temple bouddhiste. Il me semble qu’il était beaucoup plus commun d’en voir dans les rues, il y a vingt ans.

Images extraites de la vidéo de Kōfukuron Et de la version alternative de Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。) de Sheena Ringo.

Sur la vidéo de Kōfukuron, on reconnaît tout de suite le parc olympique de Komazawa, construit et utilisé pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. Les scènes de la vidéo se déroulent en partie sur la grande place située entre le stade olympique et le gymnase. Sheena est allongée sur le sol, en bas des escaliers donnant sur cette place. J’aime beaucoup ce parc, cette place très étendue et ouverte et la fine tour de contrôle ressemblant à un plongeoir monté sur une minuscule piscine. Je ne reconnais par contre pas les lieux sur les scènes alternatives de la vidéo de Koko de Kiss Shite. On y voit des images d’un collège mais pas assez pour identifier clairement le lieu. En fait c’est plutôt sa tenue et sa coiffure hirsute qui m’intéressent et m’interpellent, car ça me rappelle la mode vestimentaire que l’on pouvait voir à Harajuku et à Shibuya à cette époque, à la toute fin des année 1990. J’imagine que la vidéo a été tournée en 1999. J’aime d’ailleurs beaucoup regarder le compte Instragram du feu magazine Fruits, qui montre jour après jour ses archives photographiques des années 1999 et 2000. Je me souviens bien de ces mélanges vestimentaires volontairement mal coordonnés et multicolores, mais j’avais oublié la mode des dreadlocks que l’on voit sur de nombreuses photos. Je comprends un peu mieux pourquoi Mari était coiffée de cette façon à l’époque, avant que je la connaisse. La mode actuelle est bien différente, beaucoup plus standardisée et donc moins fantaisiste dans son ensemble. Sauf peut être pour la coloration des cheveux qui est en plein boom en ce moment et qui n’était, il me semble, pas aussi étendue à la fin 1990/début 2000.

Image extraite de la vidéo de Tsumiki Asobi (積木遊び) de Sheena Ringo.

On peut dire que Sheena change beaucoup de personnalités dans ses vidéos et brouille les pistes. La vidéo de Honnō en tenue d’infirmière est maintenant devenue iconique. Dans les émissions de radio Etsuraku Patrol, elle s’est d’ailleurs plusieurs fois défendue de voir faire du cosplay. Le kimono est régulièrement de sortie dans les vidéos de Sheena Ringo et Tsumiki Asobi est peut être bien la première video où elle apparait habillée de cette manière. Les tenues et l’image sont très colorées et saturées. Les mouvements de caméra sont tellement rapides que la vidéo donne le tournis. Je pense que c’est la première fois que je la vois, en entier du moins, et je me demande pourquoi le morceau n’était pas annoncé sur la pochette du DVD. A noter également que Sheena y joue du koto. Je parlerais certainement des autres DVDs de vidéos de cette série Seiteki Healing dans des billets suivants, car ils ont tous ce genre de petites particularités qui me donnent à chaque fois l’envie de m’étendre en écriture.

Pour revenir à Kabukichō no Joō, la formation musicale qui interprète ce morceau se nomme Zetsurin Hectopascal (絶倫ヘクトパスカル) et se compose de Sheena au chant et à la batterie, Susumu Nishikawa à la guitare électrique et Seiji Kameda à la guitare basse. Le fait que Sheena joue de la batterie sur ce morceau m’a étonné. J’aime beaucoup les surnoms donnés dans les crédits du morceau sur la pochette du single. Sheena se fait appeler Shiina “Sadist” Ringo Hime (椎名 »サディスト »林檎姫), c’est à dire la princesse sadique, qui j’imagine fait référence directe aux paroles de Kabukichō no Joō où elle prend le rôle de la fille de la reine de Kabukichō, qu’elle deviendra elle-même ensuite. Kameda se fait appeler Kameda “Man Shintan” Seiji Shishō (亀田 »マン・シンタン »誠治師匠). Je ne connais pas le sens de Man Shintan, par contre Shishō veut dire maître. Sur la pochette du single, cette appellation est également sous-titrée en Sensei en hiragana qui signifie professeur. C’est le rôle qu’il joue auprès de Sheena depuis ses débuts. Au hasard de mes recherches Internet, je tombe sur une interview de kameda assez récente datant d’avril 2019 pour une rubrique du journal Asahi en version digitale intitulée Otonatte, Omoshiroi (オトナって、おもしろい). Ce titre signifie en quelque sorte que les adultes qui ont un peu de bouteille et d’expérience des choses de la vie ont des choses intéressantes à nous raconter. Kameda revient 20 ans en arrière à l’époque de ses débuts avec Sheena en tant qu’arrangeur de ses premiers morceaux. L’interview est intéressante car elle donne une bonne idée de la relation entre Sheena et Kameda, le fait qu’elle était vue comme une personne de talent mais aussi comme une pile électrique incontrôlable par la maison de disques (Toshiba EMI). Kameda, qui se fait appelé Kame-chan par la maison de disques, était apparemment la seule personne en mesure de la faire s’épanouir musicalement, tout en jouant les remparts vis-à vis des opinions standardisées de la maison de disques afin de protéger sa vision artistique. Sheena avait 19 ans à cette époque et Kameda, de 14 ans son aîné, devait avoir une plus grande expérience et maturité dans le monde ‘impitoyable’ de la production musicale. Le fait que Sheena se surnomme elle-même comme une ‘princesse sadique’ donne l’idée qu’elle a une grande conscience d’elle-même et reconnaît être difficile à gérer et à priori sans compromis. Kameda a certainement joué le rôle de canalisateur de cette énergie mais également celui de souffre-douleur en allant sur le front face à la maison de disques. Le sadisme est peut être bien là.

林檎さんの件で最初に僕が連絡を受けたのは、1997年の春か夏だったと思います。彼女が所属するレコード会社のディレクターから、「新しい女性アーティストをデビューさせることになったんだけれど、今までになかったような歌詞、今までになかったような曲、そして本人も奇想天外なアイデアを持っていて、我々では手に負えない。でも亀ちゃんだったら彼女のいいところ、僕らがどうしていいかわからないところを引き出してくれるんじゃないか」という相談を受けたんです。
そういう僕の仕事を見ていた方々が、「亀ちゃんだったらこの子と向き合えるだろう」と思ってくれたみたいです。

Je pense que la première fois que j’ai été contacté au sujet de Ringo-san était au printemps ou à l’été 1997. Le directeur de la maison de disques à laquelle elle appartient (Toshiba EMI) m’a consulté à son sujet: « Je suis censé faire les débuts d’une nouvelle artiste féminine, mais elle écrit des paroles comme j’en ai jamais vu auparavant, des chansons comme j’en ai jamais entendu avant, et la personne en elle-même a en plus des idées des plus étranges. Nous n’allons pas parvenir à la gérer nous-même. Mais si c’était toi qui t’occupait d’elle, tu pourrais faire ressortir d’elle ses bons points que nous sommes bien incapables de comprendre pour les faire émerger. » … Les gens qui suivaient mon travail semblaient penser que je serais en mesure de faire face à cette jeune fille.

その後は約1年間、一緒にデモテープを作り続けました。レコード会社からは「もっとこういうふうにして」とか「こうしないと売れないよ」とか、いろんなことを言われましたね。会議にも何度も呼び出されました。
でも僕は「今までにないものだからやるんだ、待っている人がいるから」と言って、一切の雑音をはねのけました。ある意味、林檎さんの盾になった。当時32、3歳の僕がレコード会社を相手にそれをやったわけですから、自分で言うのも変ですが、よく頑張って守ったと思います。林檎さんも、そんな僕を「師匠」と呼んで信頼してくれるようになりました。

Après cela, nous avons continué à faire des cassettes de démo ensemble pendant environ un an. La maison de disques disait diverses choses, telles que «faites plus comme ci ou plus comme ça, sinon ça ne se vendra pas». J’ai été convoqué plusieurs fois en réunion.
Mais j’ai maintenu: «Je vais le faire à sa manière car c’est quelque chose qui ne s’est jamais fait auparavant, et parce qu’elle m’attend au tournant », et j’ai rejeté tout ce bruit autour de moi. En un sens, je suis devenu un bouclier pour Ringo-san. A l’époque, j’avais 32 ou 33 ans, je l’ai fait pour une maison de disques, donc c’est bizarre pour moi de le dire, mais je pense que j’ai fait de mon mieux pour la protéger. Ringo-san m’appelait « maître » ce qui voulait dire qu’elle me faisait confiance.

L’interview nous explique aussi que le courant (électrique) a tout de suite bien passé entre eux car ils ont tous les deux des gouts très éclectiques en musique, comme on peut s’en rendre compte pour Sheena sur son album de reprises Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~). En regardant les concerts de Tokyo Jihen, j’ai toujours eu cette image de Kameda comme étant une figure rassurante, un pilier qui maintient solidement le groupe. Ce sont d’ailleurs des sujets dont on parlait intensément et passionnément avec mahl et Nicolas dans les commentaires du long billet “se perdre dans un vert profond”. Dans l’interview, Kameda revient également sur sa coupe de cheveux en iroquois qu’on peut voir sur les premiers concerts jusqu’à Electric Mole, en expliquant que Sheena lui avait demandé, et que ça avait même changé en positif la perspective qu’il a de lui même.

「師匠、もしかしたら……モヒカンとかお似合いかも」

«Maître, peut-être… peut-être que ça t’irait bien si tu te coiffais en iroquois ou quelque chose dans le genre. »

Ceci me laisse penser qu’ils travaillent bien ensemble et pendant aussi longtemps car ils ont des influences et une culture similaires mais aussi des approches complémentaires, notamment dans leurs manières d’être. On ressent à travers les propos de Kameda dans cet interview une grande inspiration mutuelle.

Et en parlant de Kameda, je viens de me rendre compte récemment à travers un message qu’il a publié sur Twitter qu’il est l’arrangeur de tous les morceaux de AiNA The End sur son premier album The End sorti le 3 Février. C’est amusant car, comme je le mentionnais déjà, j’avais indiqué le nom d’AiNA à la question de l’enquête du fan club Ringohan nous demandant de donner des idées d’artistes pour lesquels Sheena pourrait écrire des chansons. Je ne savais pas à ce moment là que Kameda était autant impliqué dans la production de l’album d’AiNA. Ça augmente tout d’un coup la probabilité que mon pronostic se réalise un jour. C’est un sujet à suivre. Sur son compte Twitter, Kameda fait un retweet d’une petite vidéo montrant AiNA devant un mur d’écrans géants affichant des extraits de ses vidéos récentes. La scène se passe dans la gare de Shibuya et je n’ai pas pu m’empêcher d’aller voir par moi-même le soir même et de prendre quelques photos. Je commence juste à écouter son album, morceau par morceau, mais pas encore en totalité. J’aime beaucoup pour l’instant les morceaux que j’ai pu écouter mais on n’atteint pas cependant l’intensité émotionnelle et visuelle du morceau Niji dont je parlais auparavant. J’aime beaucoup un morceau comme NaNa dont la musique me fait d’ailleurs un peu penser à l’ambiance musicale de Sheena Ringo. Ça doit être la touche Kameda. La voix voilée (Husky voice, comme on dit) d’AiNA The End est pourtant très différente et n’atteint pas les sommets de ce qu’on peut entendre chez Sheena. Mais j’ai le sentiment qu’AiNA admire Sheena et voudrait marcher sur ses traces. L’album est très orienté balades et certains morceaux sont un peu trop calmes et doux à mon goût, mais il faut lui reconnaître un très bon sens de la mélodie et une voix très attachante. J’y vois aussi un côté reposant qui me plait bien finalement. Il faut savoir qu’elle a écrit les paroles et la musique de tous les morceaux et que certains datent d’il y a plusieurs années. Je me demande comment les amateurs de BiSH réagissent à cet album solo d’AiNA. Je trouve personnellement que les ambiances sont très différentes et que l’album The End est plus posé que ceux qu’on connaît de BiSH qui peut partir parfois dans les extrêmes. Il est forcément plus personnel et cette ambiance me plait beaucoup.

⁂▼神山へ▼⁂

Les photographies de ce billet montrent différents lieux de Tokyo qui ne sont pas à proximité les uns des autres. Sur la première photographie, il s’agit d’une sortie de l’autoroute intra-muros au niveau de Tengenjibashi (天現寺橋). La photographie est en fait prise depuis un espace étroit entre l’autoroute principale et sa sortie. C’est une zone parallèle à l’avenue Meiji mais cachée du reste de la rue, un espace perdu en quelque sorte mais qui reste filmé 24h sur 24. La deuxième photographie montre la rivière Meguro au niveau de Naka-Meguro (中目黒). Cet escalier qui mène à la rivière m’intrigue toujours. L’accès à la rivière est interdit mais j’ai déjà-vu des gens debout au milieu de cette rivière. Ils avaient certainement emprunté cet escalier. Les deux photographies en dessous des camions colorés sont par contre prises à Kamiyamachō, une zone résidentielle assez riche à proximité du centre de Shibuya. Sur ces deux maisons individuelles, le béton est très beau. On y accède par la rue passant devant Bunkamura. Je ne suis pas très inspiré pour les textes ces derniers jours, mais je me sens ‘obligé’ d’en écrire. Comme pour ces deux maisons de béton qui cachent leur contenu, je préfère cacher le texte de ce billet des regards extérieurs. En parlant de Kamiyamachō, je me souviens que le concert Tōtaikai de Sheena Ringo qui se déroulait au Bunkamura s’intitulait Tōtaikai Heisei 25 Nen Kamiyamachō Taikai (党大会 平成二十五年神山町大会). Je n’avais pas compris au début pourquoi le nom Kamiyamachō était utilisé dans le titre car Bunkamura se trouve à Dogenzaka si on regarde précisément son adresse. Mais la proximité de Kamiyamachō a dû influencer le titre de cette petite tournée.

閏年エンディング ~其ノ弐~

Le but de ma marche en ville cette fois-ci était de trouver un bâtiment conçu par Kengo Kuma en 2009, Le Hall TOGO, se trouvant à proximité du sanctuaire Tōgō. Les formes en lamelles de bois sur l’avant et l’arrière du hall tout en longueur sont typiques du style de Kuma. J’aime surtout le design en forme de losange des murs légèrement obliques servant d’espaces pour y faire pousser des plantes. Le bâtiment a déjà plus de dix ans et on ressent déjà l’effet de l’humidité sur la surface du bois. Je découvre ce bâtiment que je ne connaissais pas du tout grâce au compte Instagram de l’amoureux d’architecture Toshy129. Je consulte de moins en moins Instagram et j’y publie également beaucoup moins, mais je garde toujours un œil sur quelques comptes surtout architecturaux qui me donneront des idées de visites ultérieures. Le compte Instagram de Toshy est extrêmement complet avec à chaque fois, ou presque, l’adresse notée, l’année de construction et le nom de l’architecte. Vu comment je galère parfois à trouver certains bâtiments sans avoir l’adresse, je me demande comment il réussit à réunir autant d’information sur l’architecture tokyoïte. Ceci-dit, je ne vois pas beaucoup de maisons individuelles dans sa liste et ce sont principalement celles-ci qui sont difficiles à trouver, et qui m’intéressent le plus, il faut bien le dire.

En remontant l’avenue Omotesando, on ne peut pas manquer de voir la grande mosaïque créée par Taniuchi Rokuro en 1975 sur l’ancienne librairie Sanyodo shoten, toujours en activité. En fait, cette mosaïque fait tellement partie du décor qu’on la remarque pratiquement plus. Je me suis rendu compte que je ne l’avais jamais prise en photo jusqu’à maintenant. Ma photographie est malheureusement incomplète. Elle s’intitule « Le trou dans le parapluie est la première étoile » (傘の穴は一番星), car le parapluie couleur bleue nuit du petit garçon est percé et la lumière qui le traverse lui fait penser à une étoile. Je n’ai pas eu la présence d’esprit d’intégrer cette étoile imaginaire dans le cadre de la photographie, certainement parce que je voulais inclure des passants dans cadre. Ça me donnera une occasion de revenir un peu plus tard pour rectifier cette omission. Sur l’avenue d’Omotesando, ce petit bâtiment préservé des reconstructions fait figure d’exception. Espérons que l’aspect symbolique de cette mosaïque lui permette d’être conservé encore longtemps à cet endroit, mais j’ai quelques doutes que cela soit suffisant.

Les deux dernières photographies montrent quelques lumières néons de la gare de Shibuya, celles de la passerelle reliant l’immeuble Scramble Square à Hikarie, et celles en sous-sol de la station de la ligne Fukutoshin, dont je montrais le dôme dans un billet précédent. Quant aux feuilles mortes qui se ramassent à la pelle, je prends la première photographie de ce billet en réécoutant à ce moment précis la reprise que fait Sheena Ringo des Feuilles Mortes de Jacques Prévert, chantée en français puis en anglais, sur l’album Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sorti en 2002. Le morceau prend le titre japonais Kareha (枯葉). Il est également interprété lors du concert Baishō Ecstasy. Je me suis mis à réécouter par petites touches cet album que j’avais acheté à l’époque mais que j’avais longtemps ignoré (à part quelques morceaux).

Alors qu’il ne reste plus que quelques jours avant la fin de l’année, l’envie me prend comme tous les ans à cette époque, de regarder les statistiques de Made in Tokyo. J’ai écrit 141 billets en cette année 2020, ce qui est à peu près similaire à l’année dernière avec 137 billets, mais beaucoup plus que les années précédentes (126 billets publiés en 2018 et 95 en 2017). Je n’ai bien entendu pas d’objectif quant au nombre de billets que je vais écrire sur ce blog, mais le fait que j’arrive d’année en année à maintenir un rythme soutenu me satisfait beaucoup. J’ai aussi le sentiment que les billets que j’ai écrit cette année sont dans l’ensemble plus longs, certainement parce que je parle beaucoup de musique japonaise, sujet qui me passionne depuis quelques années et qui est souvent le déclencheur de l’écriture d’un nouveau billet. En fait, je commence souvent à écrire un billet en pensant à la musique que j’écoute au moment de démarrer l’écriture. Les photographies que je prends sans relâche dans les rues tokyoïtes sont bien sûr l’autre principal déclencheur, mais j’ai beaucoup plus de mal à parler seulement des lieux photographiés sans les lier à une ambiance musicale. Ce besoin de liaison est loin d’être nouveau et me suit depuis de très nombreuses années (depuis toujours en fait). Pour apprécier ce blog, il faut, je pense, être sensible à ces deux éléments. Je ne prétends pas arriver à lier musique et photographie d’une manière convaincante. Il faut souvent passer par les mots pour essayer de construire un parallèle. Mes tentatives de liaison doivent souvent passer inaperçues. En regardant à la date d’aujourd’hui, il y a eu un total de 17,209 visites sur Made in Tokyo, ce qui fait une moyenne de 47 visites par jour. On est dans le même ordre l’idée que l’année dernière avec 16,381 visites et une moyenne de 45 visites par jour. Le nombre de commentaires est par contre en très nette progression avec un total de 173, ce qui est presque 3 fois plus que l’année dernière avec 62 commentaires. Ceci étant dit, beaucoup proviennent de deux ou trois personnes en particulier qui se reconnaîtront et que je remercie grandement. Je ne peux m’empêcher de renouveler mon appel aux commentaires, surtout parmi ceux qui viennent régulièrement visiter ces pages en restant silencieux. J’ai beaucoup considéré ajouter un champ avec le nombre de commentaires par billets affiché près du titre de chaque billet, comme moyen pour susciter les commentaires, mais j’ai finalement décidé de maintenir la manière actuelle. J’aime bien l’idée que les commentaires ne soient pas immédiatement visibles depuis la page principale, comme cachés à l’abri des regards, mais visibles pour ceux qui prennent la peine d’être intéressé par le sujet traité dans le billet. Comme je le dis souvent, ces statistiques ne sont pas la raison pour laquelle j’écris sur ce blog. Je pense qu’en plus de montrer Tokyo et de parler des musiques que j’aime, je ressens aussi de plus en plus le besoin d’écrire en français.

爆発サイレント

Je n’avais pas fait de superposition d’images depuis longtemps et l’envie me revient subitement en revoyant la photographie que j’ai pris récemment du dôme blanchâtre souterrain de Tadao Ando pour la station de Shibuya de la ligne Fukutoshin. Cette vaste surface unie me fait penser à l’image d’explosion silencieuse que l’on peut voir au tout début du film d’animation Akira de Katsuhiro Otomo. Le paysage urbain y est ensuite ébloui par l’éclat d’une lumière forte qui emporte tout. Dans Akira, on remarque bien entendu la puissance musicale de la bande originale du collectif Geinō Yamashirogumi, mais je me souviens avoir été également très impressionné par ces moments de silence, lorsque j’avais vu ce film pour la première fois dans une salle de cinéma. Il ne faut pas que j’oublie la force du silence.

Lorsque je suis passé à Shinjuku il y a deux semaines, ce qui était le sujet photographique de mon billet précédent, je suis passé faire un tour volontaire au Tower Records situé dans les derniers étages du Department Store Lumine tout près de la sortie Sud de la gare. Il est plus petit que l’immense Tower Records de Shibuya, auquel je vais plus régulièrement, parfois seulement pour y faire un tour voir quels sont les artistes mis en avant. Je voulais en fait revoir le poster de Sheena Ringo marqué « 新宿ハタチ。 » (Shinjuku 20 ans.) qui est affiché à l’intérieur du magasin. Juste en dessous est placée une écriture lisant « ここは新宿です » (Ici, c’est Shinjuku) avec le petit signe de pomme coupée en deux et le ‘merci’ écrit en français, désormais caractéristique de sa signature et remplaçant le ’S’ pour サディスト(Sadiste) sur lequel pousse une petite plante, qu’on pouvait voir à ses débuts. La petite plante est peut être devenue pommier pour donner la pomme actuelle. J’y pense en ce sens car la notion de croissance est plusieurs fois évoquée dans ses noms de groupes ou d’albums. Du fait qu’elle a abandonné le lycée en cours de route en Mars 1996 et qu’elle n’est donc pas allée à l’université, elle mentionne souvent le fait d’apprendre par elle-même en autodidacte, en lisant des dictionnaires par exemple, ou d’apprendre sur elle-même pour s’améliorer comme personne. C’est pour cela que j’y vois là une notion continuelle de croissance, bien qu’il s’agisse purement de mon interprétation. Je repense aussi à son intervention vers le public lors du concert Tōtaikai lorsqu’elle évoquait le nom du hall Orchard du Bunkamura de Shibuya, qui veut dire verger. Elle disait que ce nom de lieu était très adapté (ぴったりですよね) avec un petit sourire de contentement, sans que le public réagisse vraiment. Je ne sais pas exactement ce qu’elle voulait dire, à part le fait qu’on peut trouver des pommes dans un verger, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’un verger, étant un lieu où les plantes poussent, est aussi un lieu de croissance (発育). Le poster date de 1998 pour ses vingt ans de carrière. Il existe une version de cette photo avec Miyamoto Hiroji de Elephant Kashimashi à l’occasion de la sortie du single Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道) le 2 Octobre 1998. Pour ce single, Sheena avait repris le kimono, ce qui rappelle l’époque de KSK et de la tournée Sugoroku Ecstasy dont je vais parler ensuite. Sur cette photographie, les trois petits points écrits à la main nous laisse comprendre qu’elle reste silencieuse, mais son regard nous fait comprendre qu’il s’agit plutôt d’une explosion silencieuse. L’écriture-autographe placée dessous date de l’année dernière, du 14 Novembre 2019 pour être exact, ce qui correspond à la sortie le jour d’avant de son premier best-of intitulé Newton no Ringo (ニュートンの林檎). La pomme dessinée est tranchée en deux pour nous montrer ses entrailles. On retrouve un dessin similaire de pomme coupée en bas du kimono qu’elle porte pendant la tournée Sugoroku Ecstasy. Cette représentation me laisse à penser qu’elle se montre à vif, du moins pendant ses interprétations scéniques.

Il y a apparemment une relation particulière entre le Tower Records de Shinjuku et Sheena Ringo, mais je n’en connais pas la raison exacte, à part le fait que le magasin se trouve à Shinjuku et que Sheena décrivait elle-même à ses débuts son style comme étant Shinjuku-kei, en opposition au Shibuya-kei qui était à son apogée dans les années 90 (et qui est bien heureusement mort et enterré maintenant). Elle a bien fait un mini-concert dans un Tower Records à ses débuts, mais c’était celui de Shibuya, le 20 Juin 1999. Toujours est-il que le Tower Records de Shinjuku est très extensif à son sujet. Dans le rayon CD où on trouve ses albums, on peut y voir un petit écriteau fait mains lui souhaitant un bon anniversaire pour ses 42 ans le 25 Novembre 2020. On y trouve également une cartographie assez intéressante que j’ai pris en photo ci-dessus. Au Japon, on trouve encore ce genre de présentoirs ‘analogiques’ qu’on croirait créé par des fans. La carte nous donne une vue, qui peut être incomplète nous dit-on, des liens existants entre Sheena Ringo et d’autres artistes. Sheena étant au centre, on trouve bien entendu les membres passés et présents de Tokyo Jihen tout autour, notamment Hiizumi Masayuki, sous le nom de H Zett M au sein de son groupe Hzettrio, et Kameda Seji et ses activités de producteur pour d’autres groupes en plus d’être bassiste de Tokyo Jihen. Le batteur Midorin et la formation SOIL & ‘PIMP’ Sessions sont également présents pour plusieurs collaborations sur des morceaux comme My Foolish Heart ou Koroshiya Kikiippatsu (殺し屋危機一髪). Asai Kenichi et Blankey Jet City apparaîssent bien entendu (sur la partie gauche) avec l’extrait des paroles de Marunouchi Sadistic. La danseuse Aya Sato et le danseur Mikey du groupe Tokyo GeGeGei, mentionnés sous le nom de Darkside police, apparaissent dans la vidéo du morceau Kōzen no Himitsu (公然の秘密). Aya Sato était également présente dans la superbe vidéo de Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) de l’album Sandokushi et je prédis qu’elle apparaîtra encore dans d’autres vidéos. Utada Hikaru et Sheena sont liées par le fait qu’elles étaient toutes les deux sous le même label EMI Music Japan, ce qui a forcément rendu plus facile leurs nombreuses collaborations (trois morceaux en duo) et ce qui leur donne le nom de EMI Girls. Mummy-D du groupe de Hip Hop Rhymester rappait sur le morceau Ryūkō (流行) de Sanmon Gossip. MIKIKO signait la chorégraphie absolument remarquable de Miyamoto Hiroji et Sheena sur le morceau Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道) pour l’émission Kōhaku du 31 Décembre 2018 sur la NHK. Comme Miyamoto est extrêmement mobile sur scène, je ne pensais pas qu’il avait été chorégraphié, mais qu’il bougeait simplement de son propre gré. Le contraste entre Sheena quasiment immobile en kimono et Miyamoto bougeant dans tous les sens était vraiment mémorable. MIKIKO était également chorégraphe d’une des tournées de Perfume, ce qui explique peut être le fait qu’elles soient mentionnées sur cette cartographie, outre le fait qu’elles apprécient Sheena et qu’elles ont déjà été prises en photo ensemble. Neko Saito est bien entendu présent. Il est même le sensei omniprésent sur une bonne partie de la carrière de Sheena. Sur la partie droite du diagramme, j’avais un peu oublié le groupe Doughnuts Hole composé au chant des actrices Matsu Takako, Mitsushima Hikari (mémorable dans le film beaucoup trop long Love Exposure 愛のむきだし de Sion Sono) et des acteurs Matsuda Ryūhei et Takahashi Issei, avec Hiizumi Masayuki au piano et un quarté mené par Neko Saito au violon. Sheena a écrit le morceau The Adult Code (おとなの掟) pour cette formation créée spécialement pour un drama intitulé Quartet (カルテット) diffusé en 2017 sur la chaîne TBS. Number Girl avec notamment Mukai Shutoku et Tabuchi Hisako sont là également. Le groupe étant originaire de Fukuoka, Sheena allait souvent les voir en concert et Hisako Tabuchi faisait partie du groupe Hatsuiku Status et jouait sur le morceau Σ. Les liens en bas à droite sont pour moi moins clairs, en particulier ceux avec la YMO, Hoshino Gen, Okamoto’s, jusqu’à Yamaguchi Ichiro et Sakanaktion. Il y a bien le lien entre Sheena et Towa Tei sur le morceau Apple présent sur Ukina, Towa Tei faisant partie du collectif Metafive avec Takahashi Yukihiro du Yellow Magic Orchestra. Je me souviens d’ailleurs m’être interrogé il y a quelques années sur les liens possibles entre Sheena Ringo et Takahashi Yukihiro à travers un principe de diagramme un peu similaire mais beaucoup moins ambitieux. En fait, j’adore ce genre de diagramme car j’ai très souvent fait des nouvelles découvertes musicales à travers ce genre de liens. A l’époque où Internet n’existait pas encore, je regardais les crédits mentionnés dans les livrets des albums CD des groupes que j’appréciais pour voir quels autres groupes ou artistes étaient mentionnés dans les remerciements. Au final, je ne suis pas sûr qu’il manque grand monde dans la cartographie de Tower Records. Les influences plus classiques ne sont pas forcément mentionnés, car Sheena à une culture musicale très vaste qui est loin de se limiter au rock. De son émission de Cross FM, Etsuraku Patrol, on sait qu’elle apprécie également beaucoup Kishida Shigeru et son groupe Quruli, mais je ne les vois pas mentionné sur la cartographie.

Continuons encore un petit peu la série (生)林檎 (Nama Ringo), c’est à dire la série de revues des concerts de Sheena Ringo et de Tokyo Jihen. Comme je le précisais dans le billet précédent, je vais aborder dans ce billet le live Electric Mole (エレクトリック・モール) de Sheena Ringo sorti le 17 Décembre 2003. Il s’agit d’une captation vidéo en DVD de sa dernière tournée en tant qu’artiste solo en 2003, avant la formation officielle du groupe Tokyo Jihen. Cette tournée nationale s’appelait Sugoroku Ectasy et se déroulait en 11 dates du 23 Août au 27 Septembre 2003, en commençant par deux dates à Tokyo au Shibuya Public Hall, pour continuer par Nagoya, Hiroshima, Kobe, Kyoto, Hakodate, Fukuoka et même Okinawa avec une date à Ginowan le 21 Septembre. La 11ème et dernière date, le 27 septembre 2003, est un concert additionnel à Tokyo, au fameux Nippon Budokan. La majorité de la captation vidéo est enregistrée lors de cette dernière date. Cette tournée est à la fois la dernière de Sheena Ringo et la première de Tokyo Jihen, car avant leur formation officielle plusieurs mois après cette tournée, ils étaient déjà tous présents sur scène à leurs postes attitrés. Le nom de Tokyo Jihen est même annoncé pendant ce dernier concert au Budokan, mais je ne pense pas que c’était le cas lors des autres dates. Ce qui est amusant, c’est que dans le livret accompagnant le DVD, l’écriture de leurs noms est particulière, même pour Sheena d’ailleurs, avec une première partie écrite en katakana et un seul kanji final. Ainsi, elle voit son nom écrit en シーナ リン湖, Kameda Seiji s’écrit カメダ セー時, Hata Toshiki devient ハタ トシ樹, Hirama Mikio se nomme ヒラマ ミキ緒 et Hiizumi Masayuki prend l’écriture ヒーズミ マサユ季. On sait que ce dernier aime les noms de code, car il s’appellera ensuite H Zett M dans la formation Phase 1 de Tokyo Jihen. Il garde d’ailleurs ces kanji de l’époque Electric Mole encore maintenant, notamment lors des derniers concerts de Sheena Ringo. Avant de parler du concert en lui-même, on se doit d’évoquer le packaging en forme de livre avec une couverture de couleur blanc crème montrant une représentation du Budokan. Je voulais absolument me procurer la première version du DVD appelée « Hardcover Karakuri Book Shiyō » (ハードカバー・カラクリ・ブック仕様) sortie en version limitée et qui n’est bien sûr plus disponible en neuf à la vente. Je me souviens l’avoir vu il y a plusieurs années en vente au Disk Union de Shinjuku, mais je n’étais pas en quête des DVD/Blu-ray de SR/TJ à cette époque là et je me souviens que la couverture de ce livre-coffret était en assez mauvais état. C’est un problème de ce coffret, il se jaunit facilement avec les années surtout quand il est conservé dans des étagères d’une maison mal isolée (comme il y en a beaucoup au Japon). Comme on ne le trouve pas dans les Disk Union en magasin ou sur leur site de commande en ligne, je me suis rabattu sur Mercari qui le proposait à la vente de particulier à particulier. C’est la première fois que j’utilisais Mercari. J’avais une certaine appréhension, mais je me suis aussi dit qu’au Japon, on ne risque pas grand chose quant à la qualité annoncée. On peut le trouver à tous les prix et il faut bien examiner les photos fournies qui décrivent l’objet en vente, pour se faire une idée de la qualité. Beaucoup sont abîmés par le temps, mais j’ai réussi à trouver pour 2,000 Yens une version qui était propre et sans tâches, vendue par une fille habitant Fukuoka (ce qui me paraissait être un bon présage). Un petit nettoyage précis avec un tissu légèrement alcoolisé (ce n’est pas ce qui manque à la maison en ce moment) m’a permis d’enlever les quelques traces de salissures que j’ai pu y trouver. L’objet est de couleur crème avec des inscriptions dorées. En fait, je me suis demandé s’il était complètement blanc d’origine, mais je ne pense pas. L’intérieur du livret et le CD sont impeccables. C’est vraiment un très bel objet, mais c’est dommage qu’il soit de taille aussi grande. Il est plus grand que la boîte de Sandokushi, par exemple, et je ne sais donc pas où le ranger.

Le livre attaché au coffret fait une centaine de pages. Il montre d’abord une rétrospective des CDs de Sheena Ringo sortis jusqu’à 2003, mais dans des versions photographiées qui sont dégradées, avec des boites de CDs cassées ou salies. Je ne sais pas s’il a un sens précis à cette représentation. On a l’impression que ces CDs ont été emportés dans un glissement de terrain et qu’on les aurait retrouvé beaucoup plus tard en morceaux, comme des objets archéologiques. On a l’impression qu’il s’agit d’un passé lointain et révolu, et c’est peut être le sens de cette mise en scène que de donner l’impression que la première partie de sa carrière est maintenant derrière elle. Le livre continue avec 16 illustrations de style traditionnel Ukiyo-e dessinées par Yamaguchi Hidemi, reprenant l’imagerie de certains morceaux des trois premiers albums notamment Honnō, Tsumi to Batsu, Marunouchi Sadistic ou encore STEM. Il y a même des illustrations pour des morceaux qui ne sont pas présents sur Electric Mole, comme une illustration pour le morceau Σ qui est peut être la plus étrange, montrant une dame en kimono avec un masque à gaz en train de couper une pomme. Il s’agit en fait d’une référence à la vidéo de Σ, car à la fin de celle-ci on voit Sheena, dans une cuisine avec exactement la même tenue que sur l’image, enlever le masque à gaz avec un sourire innocent. Toutes les cartes ont des petites inscriptions de dés en référence au jeu de Sugoroku qui donne son nom à cette tournée. Elles reprennent en fait des images emblématiques des vidéos de Sheena Ringo, plutôt que de coller à la playlist des morceaux interprétés pendant la tournée. Je trouve intéressant d’avoir garder Σ parmi ces images, car il ne s’agit après tout que d’un morceau B-side (de Gibs), bien qu’il soit régulièrement interprété en concert (et même dans Dynamite Out de Tokyo Jihen d’ailleurs). La suite du livret montre une série de photos prises pendant le concert au Budokan. On peut y voir les détails du kimono orné de dessins de pommes et la guitare couverte d’un damier, toujours en référence au monde du jeu. Cette guitare est une version limitée de sa guitare fétiche, une Duesenberg DSR-SR surnommée Ichimatsu (市松). La série suivante montre Sheena prise en photo sur un fond blanc dans les costumes désormais emblématiques de ses vidéos passées. Cette série de photos a certainement été prise au moment de la vidéo de Ringo no Uta, car on peut les voir mises en scène sur le DVD accompagnant le single sorti le 25 Novembre 2003, un peu avant la sortie de Electric Mole. Les dernières pages (plusieurs dizaines) du livret sont découpées au format rond du CD et compose le Karakuri (le truc ou l’astuce) énoncé dans le nom de cette édition limitée. La première page montre la photo qui sert de couverture au single Ringo no Uta, mais le découpage rond laisse entrevoir le logo stylisé de pomme inscrit sur le CD plutôt que le visage de Sheena. Il faut noter que ce live est également sorti quelques années plus tard en Blu-ray en Novembre 2013, à l’occasion de ses 15 ans de carrière musicale, mais dans ces cas là, je préfère toujours, quand c’est possible, me procurer l’édition originale.

Un peu comme sur Gekokujō Ecstasy, la vidéo du concert prend le parti pris de mélanger les scènes de concert avec des scènes de documentaire en coulisses ou pendant les répétitions. Ces scènes documentaires, au nombre de neuf, sont un peu trop nombreuses car elles viennent, à mon avis, couper l’élan et notre immersion dans le concert. J’aurais préféré, comme sur la tournée suivante Dynamite, que la partie documentaire soit mise de côté sur un autre DVD ou au début du concert. Ceci étant dit, je trouve ces documentaires indispensables pour bien comprendre la dynamique et l’état d’esprit du groupe. Il y a par exemple un long moment particulièrement émouvant où Sheena reste silencieuse, en pleine concentration, collée au rideau avant que celui-ci se lève. Le problème est quand le documentaire vient couper un morceau en deux comme c’est le cas sur le morceau Okonomi de. En plein milieu de l’interprétation du morceau, on passe brusquement à une vidéo des répétitions pour revenir ensuite vers le morceau mais dans une autre salle, différente du Budokan. Ce choix de faire une coupure est assez bizarre, mais on avait déjà vu ce principe sur Gekokujō Ecstasy où le morceau Keikoku était composé de deux parties prises dans des lieux différents (et avec une coupe de cheveux différente pour Sheena). Sur Keikoku, le raccord était par contre fait d’une manière à ce qu’il n’y ait pas de coupure son et ce n’était pas du tout gênant au final. Pour se consoler, le DVD comporte tout de même en bonus une version ininterrompue de Okonomi de et lorsqu’on la joue, elle se raccorde ensuite automatiquement avec le reste du concert. Dans le même ordre d’idée, deux morceaux de la playlist originale sont coupés au montage, à savoir Kōfukuron (le premier morceau) et Ringo no Uta (le dernier). Je suis moins sûr de cela, mais je crois aussi comprendre que Honnō et Izonshō étaient joués pendant le concert mais ont été coupés sur le montage final. Supprimer des morceaux de la playlist n’est malheureusement pas rare sur les vidéos des concerts de sa première partie de carrière. Mais là s’arrêtent les quelques critiques que je peux émettre car les interprétations sur scène sont d’une manière générale très bonnes voir exceptionnelles par moment. Je le dis sur de nombreux concerts mais on trouve cette même passion dans Electric Mole, qui ne peut pas laisser indifférent.

La tournée Sugoroku Ecstasy a une importance certaine car Sheena Ringo n’a pas fait de tournée nationale depuis celles de l’an 2000 (Gekokujō Ecstasy et Gokiritsu Japon). C’est également la seule tournée couvrant directement l’album Kalk Samen Kuri no Hana (KSK) sorti la même année, le 23 Février 2003, qui est un des albums les plus particuliers de sa discographie. Il est souvent cité comme son meilleur album par les fans étrangers mais ce n’est pas vraiment le cas au Japon où il ne s’est pas aussi bien vendu que les autres albums. Sur l’enquête 2020 du fan club Ringohan, Muzai Moratorium arrive en tête des albums préférés des fans suivi de Hi Izuru Tokoro, Sandokushi, Sanmon Gossip puis finalement KSK et Shōso Strip. J’étais aussi longtemps persuadé que KSK était mon album préféré mais, à force d’écouter la totalité de ses albums, j’ai beaucoup plus de mal à avoir un avis tranché. Electric Mole reprend la quasi totalité des morceaux de KSK, sauf le premier morceau Shūkyō et le dernier Sōretsu, plusieurs morceaux des albums précédents Muzai Moratorium et Shōso Strip et quelques reprises dont certaines tirées du deuxième disque de Utaite Myōri: Sono Ichi. Le concert commence d’une manière assez abrupte dans le vif du sujet avec le morceau Kōfukuron, la version chaotique de Muzai Moratorium. Sous les cameras qui partent dans tous les sens, Sheena est au mégaphone et Hiizumi maltraite son piano comme il sait si bien le faire, pour notre plus grand plaisir. Je parlais du kimono de Sheena un peu plus haut. Cette tenue est vraiment superbe et même iconique, très travaillée, avec des couleurs vert pomme et des lignes dorées. Une pomme mûre est dessinée sur le Obi et une pomme coupée au bas du kimono, accompagnée d’un dé et d’une figure de félin. Mais l’explosion sonique s’interrompt subitement par un silence pour laisser place à l’écran de titre. Ce morceau n’est pas interprété en entier. L’interprétation de Tsumi to Batsu, qui suit, est exceptionnelle. Je le savais en fait déjà car le morceau apparait sur la compilation live Mitsugetsu-shō, sortie en 2013 en même temps que Ukina. C’est un de ces morceaux où elle semble perdre contrôle d’elle même au profit du morceau qu’elle est en train d’interpréter. L’intensité vocale qu’elle dégage la fait se plier sur elle-même et marcher sur scène de manière aléatoire. Habillée en kimono de cette manière, je me dis que ce morceau est une forme moderne de Enka. En regardant et écoutant ce genre d’interprétation poignante, je reste à chaque fois scotché devant l’écran. J’aime aussi beaucoup les moments plus calmes dans ce morceau, lorsqu’elle ne chante pas le regard un peu ailleurs, concentrée, mais tout de même omniprésente sur scène. L’image de l’explosion silencieuse me revient en tête. Je suis toujours épaté par ce genre d’interprétation et je me demande toujours comment on peut s’en sortir ‘physiquement’ sans faire une pause un peu après. J’aime bien regarder ces moments de calme pour voir comment elle récupère, mais ils sont très courts. Elle a 25 ans lors de ce concert. Elle fait très jeune avec cette coupe au carré comme à ses tous débuts, mais le kimono nous fait aussi comprendre qu’elle est assez mature pour passer à l’étape suivante. Je trouve même à ce kimono un aspect cérémoniel, marquant une étape particulière dans une vie.

Je n’aime à priori pas trop Mayonaka ha Junketsu dans sa version single, mais cette version live est bien meilleure et, je dirais même excellente. C’est un morceau très exigeant et Hiizumi au piano est capable à lui tout seul de remplacer l’intensité du Tokyo Ska Paradise Orchestra au complet. C’est très clairement la meilleure version que j’ai pu entendre de Mayonaka ha Junketsu, comme si le morceau avait pris un coup d’accélérateur. C’est amusant d’ailleurs de voir Sheena se précipiter sur le micro alors qu’elle s’était un peu éloignée, comme si elle avait été prise de court par le rythme du morceau. Tokyo Jihen est clairement en maîtrise parfaite de ce qui se passe sur scène et Kameda a d’ailleurs l’air de montrer des signes de satisfaction à la fin du morceau. J’aime beaucoup et j’ai beaucoup d’estime pour Izawa, mais Hiizumi est un prodige au piano. Sheena sait en tout cas bien s’entourer pour donner vie à sa musique et elle-même ne fait pas les choses à moitié car on la sent complètement investie dans le morceau qu’elle interprète. Je pense que son état d’esprit établit un certain standard de qualité nécessaire pour le groupe et j’imagine qu’ils ont tous à cœur de donner leur meilleur pour ne pas décevoir cette attente. J’imagine aussi en contre partie une certaine intransigeance, même si elle n’est pas dite, elle doit transparaître. Après un court message au public, commence ensuite Doppelgänger avec une composition musicale un peu différente de celle de l’album. La manière de chanter de Sheena au début du morceau est aussi différente. L’interprétation du morceau Okonomi de est excellente et c’était d’autant plus un sacrilège de le couper en deux, même si la petite partie documentaire au milieu du morceau est intéressante, montrant l’adaptation du morceau pour le live et une certaine assurance de Sheena sur les sons qu’elle veut rendre sur scène (et le ‘ステキ’ quand ce qui est joué en répétition par Hiizumi correspond à son attente). Les images au Budokan sont intéressantes car le public entoure la scène placée au milieu du grand hall et il semble être très proche de la scène même s’il est à l’étage. La guitare de Hirama et le piano de Hiizumi à la fin du morceau me donnent des frissons dans le dos. Le concert n’est plus filmé au Budokan sur la deuxième partie de ce morceau et sur le suivant Ishiki. Sheena sort d’ailleurs son éventail sur Ishiki et vient même éventer Hata qui ne démérite pas à la batterie comme à son habitude. Sheena a toujours une attention particulière pour Toshiki Hata.

La suite du concert change une nouvelle fois de lieu pour aller dans la salle sombre et en sous-sol de la Live House Shinjuku Loft, située en bordure de Kabukichō. Le groupe s’annonce pour la première fois en tant que Tokyo Jihen sur cette scène du Loft avant d’interpréter le morceau Suberidai. Mais la vidéo d’Electric Mole revient ensuite rapidement au Budokan pour ce morceau en alternant avec des images au Loft de Shinjuku (la version complète du morceau au Loft existe en bonus mais le son est de qualité moyenne). Sheena a les cheveux plus courts sur la scène du Loft, ce qui laisse penser que cette partie vidéo a été prise après la tournée Sugoroku Ecstasy. Parfois, elle change tellement de visage, que le seul moyen de la reconnaître est grâce à son point de beauté sur la joue gauche (celui qui est électrique et qui est le point central d’Electric Mole). Cette scène et quelques autres tout au long du DVD nous font comprendre progressivement que l’on glisse doucement de Sheena Ringo en solo vers le groupe Tokyo Jihen. Le morceau Suberidai aurait dû être son premier single mais la maison de disque en a décidé autrement pour le remplacer par Kōfukuron. Je me demande si cette contrainte est la raison pour laquelle elle a martyrisé Kōfukuron sur la version présente sur Muzai Moratorium. Le concert continue avec une reprise présente sur la compilation Utaite Myōri sorti en Mai 2002. J’aime beaucoup certains morceaux sur le premier disque de cette compilation comme Haiiro no Hitomi, Momen no Handkerchief de Ōta Hiromi, Love is Blind de Janis Ian ou Chiisana Konomi. Je me remets à l’écouter en totalité maintenant après avoir vu Electric Mole, mais j’ai une claire préférence pour le premier disque. Le deuxième disque commence par un morceau en allemand Kimi o Aisu (Ich Liebe Dich) qui me rappelle à chaque fois la publicité pseudo parodique que Sheena a fait pour Gillette avec Minagawa Makoto du groupe Gyakutai Gurikogen (虐待グリコゲン) et j’ai de ce fait un peu de mal à continuer l’écoute. Cette publicité est présente en bonus sur le DVD Seiteki Healing: Sono-San (性的ヒーリング~其ノ参~). Electric Mole reprend plutôt des morceaux du deuxième disque, à savoir Kuroi Orufe et mr. wonderful, qui m’intéressent donc moins. Ceci étant dit, l’interprétation de Kuroi Orufe est plutôt réussi avec son ambiance rouge et les solos de guitare basse de Kameda et de piano par Hiizumi.

La vidéo qui suit est une présentation des membres de Tokyo Jihen. Le nom du groupe étant écrit à la fin de cette présentation, la formation devient donc officielle à ce moment là au Budokan. Les vidéos introductives de chaque membre sont assez amusantes. On voit chaque membre du groupe pratiquer un sport, à part Hata, ce qui restera un thème continue pour Tokyo Jihen, notamment avec l’album Sports. Hirama fait du tennis, Hiizumi du football en tenue de moine shintoïste, Kameda de la natation. On saura plus tard sur la vidéo Dynamite In que Sheena fait des commentaires sur le ‘joli’ fessier de Kameda et la vue en gros plan avec son plongeon dans la piscine olympique est forcément volontaire et un brin moqueur. Il a bien sûr un bonnet de bain mais la crête d’iroquois dépasse par dessus. Le documentaire qui suit nous montera une coiffeuse lui raser la tête sous les conseils de Sheena, pour former cette crête d’iroquois en souvenir de la période Gyakutai Gurikogen (懐かしい感じ). Sur la vidéo de présentation, Sheena est en tenue de marathon avec un maillot marqué du numéro 9675, qui se prononce bien entendu Kuroneko (chat noir). On peut être certain avec Sheena que rien n’est choisi au hasard. Vers la fin de la course, elle prend une bouteille d’eau pour se la verser sur la tête et le visage, mais ses mouvements prennent soudainement une tournure lascive. Je me souviens de la vidéo de la tournée Senkō Ecstasy où le public de la petite salle de concert réclamait à plusieurs reprises que Sheena les arrose avec sa bouteille d’eau. Je me demande s’il y a un lien ou une allusion à cela. Je n’ai pas parlé de Toshiki Hata qui est le seul à ne pas être en tenue sportive. Il effectue en fait une danse avec un éventail dans les mains. On saura plus tard dans la tournée Ultra C, qu’il se débrouille très bien en danse traditionnelle Kagura. Le concert reprend depuis les coulisses avec Marunouchi Sadistic. Comme sur la tournée Gekokujō, une personne vient filmer sur scène avec une petite caméra video. Certaines des images prises sont insérées sur la vidéo finale du DVD. Les lumières deviennent rouges de nouveau et Keikoku commence avec Sheena à la guitare, l’édition spéciale Ichimatsu à damier. On peut difficilement faire plus emblématique. Le contraste entre la guitare et le kimono est plus fort que sur Zazen Ecstasy où Sheena portait plutôt un yukata. Le morceau est très réussi mais j’adore de toute façon les interprétations Live de Keikoku pour l’agressivité des ‘r’. Avant le morceau suivant Torikoshi Kurō, elle chante quelques paroles de delayed brain de Number Girl sur leur dernier album NUM-HEAVYMETALLIC sorti en 2002. On aurait voulu qu’elle le chante en entier. Je trouve Torikoshi Kurō plus complet en version studio que cette version live. C’est aussi le moment du DVD où je trouve que les parties de documentaire sont un peu trop fréquentes. Avant la reprise du morceau Minatomachi 13banchi de Misora Hibari, Sheena nous montre son kimono en tournant sur elle-même. Elle est clairement très fière d’être habillée de cette manière et le kimono correspond bien au morceau de Misora Hibari. Même si je préfère Kurumaya-san sur Dynamite Out, cette interprétation est très belle. Son interprétation de Poltergeist avec une voix légèrement tremblante et un accompagnement simple du piano est également très belle. Comme sur plusieurs autres morceaux pendant ce concert, le reste des instruments se joignent pour le final du morceau alors que Sheena, le regard vers le sol, a l’air pensive. Cette image fait un lien avec un petit clip vidéo où on voit une petite fille dessinée déambuler dans une ruelle sombre montrant des images rétrospectives de la carrière de Sheena Ringo. Il s’agit d’un fil rouge que l’on suit sur le reste d’Electric Mole.

Le morceau Gibs suit ensuite mais j’ai déjà entendu des versions live plus poignantes que la version de Electric Mole. Des points de lumière sont sur-imprimés sur la vidéo sur le final du morceau. Il y a beaucoup d’effets spéciaux ajoutés post-production sur ce DVD comme des superpositions d’images, des glissements subtils d’images sur Doppelgänger qui laissent déjà présager le dédoublement de personne qu’on verra plus tard, ou cette neige de points de lumière sur-imprimés. On ne retrouve pas ce genre d’effets, qui peuvent paraître d’une autre époque, sur les autres vidéos de concerts que j’ai pu voir. Ils fonctionnent parfois très bien comme sur la toute fin de Gibs. Alors que Sheena n’est plus visible sur scène pour le final instrumental rallongé, la caméra nous montre le micro doré seul sur un fond noir. Pendant un très bref instant, Sheena apparaît dans un flash de lumière rouge comme un fantôme (un yurei) pour disparaître immédiatement après. La petite partie documentaire qui suit avant Meisai est la meilleure du DVD. Le groupe se prépare pour la reprise. On les voit marcher dans les couloirs. Un peu plus tard, Sheena entre sur scène et vient se coller la tête légèrement en avant contre le rideau pendant un long moment, comme je le mentionnais un peu plus haut. L’image se teint ensuite de rouge et on entend le bruit d’un cœur qui bat dans le silence. On imagine la concentration pour le morceau qui va suivre. Meisai est rapide et Sheena marche sans arrêts sur la piste en trouvant même un peu de temps pour encourager des poings Hata à la batterie. L’interprétation est très bonne mais pas autant que celle de STEM qui suit, très sombre et dans une version rock complètement différente de celle de l’album. J’aime beaucoup les versions très orchestrées de STEM mais celle-ci en version rock est vraiment excellente, notamment le final chaotique mélangeant guitares et piano. Pendant cette explosion de guitares au final, Sheena reste stoïque comme l’impose la formalité du port du kimono. Ses mouvements sont retenus, mesurés, par rapport aux mouvements du reste du groupe. Elle sait très bien mélanger le chaud et le froid, les moments de tension intense dans le chant et les moments de calme en quasi immobilité dans des mouvements très contrôlés. J’y vois une approche très théâtrale de la scène, attitude qu’elle applique dans beaucoup de concerts et qui contribue à rendre ces scènes emblématiques. La mise en scène de ses mouvements couvre même sa sortie. Alors qu’on vient d’entendre un tourbillon sonore, elle sort doucement de la scène avec une petite courbette très distinguée. C’est un des grands moments du concert et la version que je préfère de STEM. Il s’agit en fait du dernier morceau du concert avant les rappels. Le passage vidéo qui suit est très intriguant car des textes évoquant son grain de beauté sont montrés en superposition sur d’autres images. On peut se poser la question de savoir si elle l’a déjà enlevé avant le concert et que celui qu’elle a sur le visage est un faux. Le groupe laisse les kimono de côté pour le final composé de trois morceaux: la reprise mr.wonderfull, Tadashii Machi et Odaijini. L’excellente interprétation de Tadashii Machi mélange les images de concerts et de répétitions comme un générique de fin. Mais, on revient vers le clip vidéo avec la petite fille dessinée et des images de Sheena quand elle était petite fille. Le set se termine finalement sur Odaijini qui est aussi une interprétation mémorable. Le micro tombe à terre pour le final.

Après les crédits de fin, on revient vers une dernière séquence vidéo concluant le DVD. Sheena apparaît soudainement en double (son Doppelgänger) et les deux personnes sont assises l’une en face de l’autre. L’une des Sheena est celle du passé car on la voyait assise près d’une série de tenues symbolisant les principaux morceaux de la première partie de sa carrière. Elle disparaît petit à petit tandis que la nouvelle Sheena se lève et marche droit devant la caméra. Elle passe sa main sur son visage et efface le point de beauté sur la joue gauche. Sur le tout dernier morceau du DVD, Ringo no Uta, enregistré au Budokan, on voit clairement qu’elle n’a plus son point de beauté, ce qui laisse penser qu’il était dessiné sur sa joue pendant le reste du concert et effacé seulement au final. Ringo no Uta n’est pas montré en entier pour nous indiquer que l’histoire n’est pas terminée et se poursuivra sans ce grain de beauté mais avec Tokyo Jihen. Enlever le grain de beauté si distinctif et par lequel on pouvait tout de suite la reconnaître même si elle changeait souvent de personnalité visuelle était un moyen, à mon avis, d’enlever une distinction, qui la ferait revenir comme une artiste normale dans un groupe de musiciens. C’est à mon avis le sens de cette mise en scène très présente sur le DVD.

Electric Mole est très attachant et il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une représentation classique d’un concert. Il essaie plutôt de montrer un cheminement dans une sorte de film document. En le revoyant une deuxième et troisième fois, je l’apprécie dans ce format alors que mon attente initiale était de voir un concert non-stop au Budokan. Il n’empêche que j’aimerais aussi voir ce concert non-stop en DVD ou Blu-ray avec l’ensemble des morceaux, car les interprétations y sont excellentes. Pour les 20 ans de Electric Mole (en 2023) et les 25 ans de sa carrière, pourquoi ne pas sortir une version collector complète de ce live? On pourrait éventuellement l’accompagner d’un CD bonus avec des morceaux jamais sortis jusqu’à maintenant. Je découvre par exemple un excellent morceau de 2007, Tamatebako (玉手箱), que Sheena avait écrit pour une pièce de théâtre kabuki appelée Sannin Kichisa (三人吉三). Ces petites merveilles devraient être disponibles en CD.

Pour référence ultérieure, je note ci-dessous la liste des morceaux présents sur le DVD Electric Mole:

1. Kōfukuron ~Etsuraku-hen~ (幸福論 〜悦楽編〜 一部), extrait du morceau du 1er album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
2. Tsumi to Batsu (罪と罰), du 2ème album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
3. Mayonaka ha Junketsu (真夜中は純潔), 6ème single présent sur aucun album
4. Doppelgänger (ドツペルゲンガー), du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(1ère partie documentaire)
5.1. Okonomi de (おこのみで) (avant), du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(2ème partie documentaire)
5.2. Okonomi de (おこのみで) (après), du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
6. Ishiki (意識), du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(3ème partie documentaire)
7. Suberidai (すべりだい), en B-side du premier single Kōfukuron (幸福論)
8. Kuroi Orufe (黒いオルフェ), reprise du morceau Manhã de Carnaval de Luiz Bonfá et Antônio Maria, présent sur l’album de reprise Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sur le Disc 2: Mori-pact Disc (森パクトディスク)
(4ème partie documentaire)
9. Marunouchi Sadistic (丸の内サディスティック), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
10. Keikoku (警告), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
11. delayed brain (一部), court extrait du morceau de Number Girl sur l’album NUM-HEAVYMETALLIC (2002)
12. Torikoshi Kurō (とりこし苦労), du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(5ème partie documentaire)
13. Minatomachi 13banchi (港町十三番地), reprise du single de Misora Hibari datent de 1957
14. Poltergeist (ポルターガイスト), du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(1er Clip vidéo)
15. Gibs (ギブス), du 2ème album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
(6ème partie documentaire)
16. Mesai (迷彩), de l’album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
17. STEM (茎), de l’album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(7ème partie documentaire)
18. Shiroi Hana no Sakukoro (白い花の咲く頃) (一部), court extrait du morceau de Okamoto Atsuo datant de 1950
19. mr. wonderful, reprise d’un morceau de 1955 de Jerry Bock, George David Weiss, and Larry Holofcener, présent sur l’album de reprise Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sur le Disc 2: Mori-pact Disc (森パクトディスク)
20. Tadashii Machi (正しい街), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
(2ème Clip vidéo)
(8ème partie documentaire)
21. Odaijini (おだいじに), de l’album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
(3ème Clip vidéo)
(9ème partie documentaire)
22. りんごのうた (一部), extrait du single sorti le 25 Novembre 2003