black is beautiful さ

Je reviens assez régulièrement vers ce type de composition photographique où la beauté du noir prend le dessus sur les motifs de l’image. Pour créer ces images, je superpose plusieurs photographies de ciels nuageux jusqu’à noircir et cacher complètement la photographie d’origine. Je gomme ensuite les couches de nuages les unes après les autres, par petites touches sélectives, pour révéler certains éléments de l’image originale. Je fais en général des essais sur plusieurs photographies, pour ne retenir finalement que quelques unes que je publierais dans un billet du blog. J’aime quand des couleurs vives se dégagent du magma obscur, comme un rayon de soleil se frayant difficilement un chemin entre d’épais nuages. Je perçois dans ce type de constructions (ou plutôt de dé-construction) de l’image une notion de ‘combat’, comme dans la musique rock entre la voix humaine et la puissance écrasante de la partition musicale. L’album Double Negative du groupe Low est un très bon exemple de cette dualité que j’essaie souvent de représenter en photographies. C’est un de ces albums vers lequel je reviens régulièrement pour me rappeler la direction que doit prendre ce site.

Image extraite de la vidéo sur YouTube du morceau OTNK du groupe BiSH sur l’album FAKE METAL JACKET sorti en Janvier 2016.

Je continue doucement mais sûrement à écouter la discographie du groupe BiSH de l’agence d’idoles alternatives WACK, avec un album plus ancien intitulé FAKE METAL JACKET, sorti en Janvier 2016. Le titre est bien entendu inspiré du nom du film de Stanley Kubrick et on trouve d’ailleurs un personnage qui ressemble au sergent sadique de Full Metal Jacket dans le clip d’un des morceaux appelé MONSTERS. L’ensemble de l’album s’apparente plus au registre pop rock que leur dernier album CARROTS and STiCKS qui partait parfois dans des extrêmes punk sur quelques morceaux. Il y a beaucoup plus de consistance sur FAKE METAL JACKET, malgré les déchaînements de guitares par moments, comme sur le morceau MONSTERS, pour le citer encore. Les morceaux sont tous très accrocheurs et ne laissent pas une seconde d’ennui. Certains des morceaux de cet album sont des nouvelles versions, très similaires d’ailleurs, de leur premier opus, Brand-New Idol Shit. Rappelons, qu’avec toute la délicatesse du producteur Junnosuke Watanabe, BiSH ビッシュ tire son nom de Brand-new idol SHit (en japonais Shinsei Kuso Idol, 新生クソアイドル). Il s’agit en fait, initialement du moins, d’une réflexion sur les travers de cette industrie, sur l’attitude ‘Marche ou crève’ que doivent subir les membres de ce genre de groupes pour espérer y subsister. Je ne suis pas sûr que la réflexion de Watanabe soit très poussée ceci dit, mais la vidéo du deuxième morceau de l’album BiSH -Hoshi ga Matataku Yoru ni (BiSH -星が瞬く夜に) reflète cette idée. Ce morceau ressemble d’ailleurs à un hymne, tout comme un autre morceau Beautiful さ, qui est un des morceaux emblématiques du groupe (et qui m’inspire le titre de ce billet). Le sixième morceau OTNK, dont la vidéo assez fantaisiste voit le groupe attaqué par un crabe géant, est le premier single du groupe sorti en 2015 et fait partie des morceaux remarquables de l’album. Le rythme se tasse un peu vers la fin de l’album mais se rattrape avec l’avant dernier morceau intitulé Dear…, qui a une composition différente du reste de l’album avec des moments parlés. On ne trouvera malheureusement pas sur cet album des grands morceaux symphoniques comme My Landscape, DiSTANCE ou Stereo Future, style qui apparaîtra sur les albums et EPs qui suivent.

die for colors

Je n’ai pas beaucoup profité des feuilles jaunes et rouges de l’automne et nous entrons déjà dans le froid de l’hiver. Nous n’avons malheureusement pas beaucoup de temps pour sortir en dehors de Tokyo, dans les montagnes de Okutama par exemple, comme l’année dernière. Je me contente pour l’instant de ces quelques photographies prises un samedi matin sous la pluie. Quelques unes des photos sont prises dans l’enceinte du sanctuaire de Hikawa à Shibuya et d’autres dans les quartiers résidentiels à côté. La gigantesque pierre découpée se trouve dans un hall extérieur de l’université Kokugakuin, toujours à proximité de Hikawa. Au passage, j’aime assez les deux photographies ci-dessus de bifurcations de routes qui me sont inspirées par un tweet sur les Y-shaped junction tokyoïtes, il faudrait que j’en prenne d’autres pour en faire une série.

Je vous avais déjà parlé de Takara Araki 荒木宝 à la sortie dans son premier EP intitulé Paranoïa sur le label Tanukineiri Records. Elle vient de sortir un nouvel EP, disponible sur Bandcamp, Die for Me, mais les cinq morceaux qui composent le EP ne sont pas récents car ils datent d’il y a un an ou plus. En fait, les morceaux de ce nouvel EP semblent avoir été créé à la même époque que les morceaux de Paranoïa, d’où une certaine continuité de style, même s’ils sont dans l’ensemble moins sombres. Par rapport à Paranoïa, les morceaux de Die for Me utilisent moins d’effets et se concentrent plus sur la voix et la composition musicale que je trouve toujours très belle et évolutive tout au long des différents morceaux. Le morceau titre Die for Me reste le plus fort, mais l’ensemble des morceaux sont tous très intéressants. J’aime aussi beaucoup le deuxième morceau GODDESS. Ceci étant dit, je suis un peu dubitatif sur la pochette du EP qui reste pour moi assez énigmatique. Je suis Takara Araki sur Twitter depuis la sortie de Paranoïa. Elle y partage régulièrement ses compositions et parfois des interprétations sur les albums d’autres artistes comme le morceau Horizon sur l’album The Trip de Gimgigam sur le label Local Visions.

ステレオフォニック•フューチャー

J’aime beaucoup l’immeuble aux ouvertures courbes de tailles variables que l’on voit sur la première photographie. Ce building posé sur la grande avenue d’Aoyama a des formes organiques. Nous sommes, sur cette série, la même journée que sur le billet précédent mais un peu plus tard alors que la lumière du soleil commence à baisser un peu. Il n’est pourtant pas très tard dans d’après-midi, mais les ombres s’étendent déjà pour prendre des tailles surhumaines. Nous sommes au mois de novembre et c’est un des mois les plus agréables pour se promener dans les rues de Tokyo. On aimerait pourtant sortir de Tokyo mais les occasions se présentent peu en ce moment à part notre dernier passage à Kamakura. Nous n’avons pas encore apprécié les feuilles rougeâtres d’automne, à part celle que j’ai pu voir de manière parsemée sur le building blanc Omotesando Branches de Sou Fujimoto. Je me demande d’ailleurs s’il s’agit véritables branches plantées sur cet immeuble.

Extraits des vidéos sur YouTube des morceaux stereo future et KiND PEOPLE du groupe BiSH sur deux EPs sortis à une année d’intervalle, respectivement en novembre 2018 et novembre 2019.

Le morceau Stereo Future sorti l’année dernière est de la même trempe qu’un morceau comme My Landscape dans le sens où il s’agit d’un pop-rock très orchestré sur laquelle les voix du groupe s’additionnent et grimpent en intensité à mesure que le morceau avance. J’aime beaucoup cette succession rapide des voix même si elles sont inégales en puissance. AiNA pousse à chaque fois les morceaux dans leurs derniers retranchements tandis que Ayuni apporte un contraste aiguë qui transperce l’espace. C’est un morceau encore une fois très spatial. Cette notion d’espace est d’ailleurs toujours très présente dans les morceaux de BiSH. Après le désert de Mojave et son cimetière d’avions sur My Landscape, la vidéo de Stereo Future se déroule dans une ancienne mine de pierres dans la province de Tochigi près d’Utsunomiya. On y découpait la pierre de Ohya à l’aide de machines mécaniques dont les premières dans les années 50 étaient d’origine française. Mais l’utilisation de la pierre de Ohya est plus ancienne. Elle fut à l’origine utilisée pour les tombes, pour être ensuite utilisée comme matériau architectural à l’ère Edo. La pierre était réputée comme étant résistante aux effets des tremblements de terre et aux incendies. Cette pierre fut même utilisée en 1922 par l’architecte Frank Lloyd Wright pour l’ancien Imperial Hotel, dont quelques restes ont été déplacé au parc Meiji-Mura 博物館明治村 dans la province de Aichi, près de Nagoya. Les mines de Ohya ne sont plus actives et sont désormais une propriété privée, mais on peut visiter ses tunnels à travers le projet OHYA UNDERGROUND qui propose des visites, et loue également ces espaces pour des événements, films ou vidéos musicales comme celle de BiSH ci-dessus. En regardant cette vidéo pour la première fois, j’ai d’abord pensé qu’elle avait été tournée dans les mines de pierres Awa de Nokogiri Yama à Chiba, un endroit très particulier que l’on avait parcouru dans la chaleur du mois d’août, il y a trois ans. Tout comme les plus récents morceaux DiSTANCE sur leur dernier album, NON TiE-UP auparavant, ou My Landscape, cette vidéo de Stereo Future a une ambiance très cinématographique et panoramique, qui se marie bien avec l’atmosphère et la tension du morceau. Je vois ces quelques morceaux comme une marque de fabrique de la musique et de l’imagerie du groupe, et c’est là où BiSH (et son producteur Junnosuke Watanabe) est remarquable et ne s’assimile pas à un simple groupe d’idoles (ou anti-idoles) japonaises lambda. Le dernier single de BiSH est en fait un EP de deux titres, KiND PEOPLE et RHYTHM (リズム). Je n’écoute pour l’instant que le premier morceau, accompagné également d’une belle vidéo aux contrastes de couleur très poussés. Plus que cinématographique, cette vidéo est axée sur la chorégraphie de groupe (très populaire au Japon en ce moment dans les écoles). Le morceau est musicalement moins percutant que ceux dont je parlais avant et le style de la vidéo, sur un toit d’immeuble à Tokyo peut être (je ne reconnais pas le pont derrière), n’est pas spécialement novateur, mais j’aime tout de même beaucoup ce morceau au fur et à mesure qu’il se développe.

staring at the screen that you live in

Les photographies ci-dessus montrant des vues du centre de Shibuya sont couvertes d’un léger voile trouble venant brouiller les pistes, même légèrement, entre réalité et vision fictive. Je n’essaie volontairement pas de rendre ces ajustements visuels transparent ou invisible, car j’aime à ce que ce léger décalage soit percevable. C’est d’ailleurs une de mes marques de fabrique. Comme je l’écrivais il y a longtemps sur ma page À propos, mes photographies ‘peuvent parfois sonner irréelles ou avoir un visuel décalé de la réalité’. Sur la première photographie de cette série, l’emblématique tour 109 près du grand carrefour de Shibuya porte sur sa façade arrondie une affiche géante que je trouve assez élégante dans le mouvement qu’elle représente. Elle est en tout cas très photogénique. Pour prendre la deuxième photographie, je suis monté au neuvième étage de la tour Hikarie pour voir de haut ce que donnait la vue sur la nouvelle tour près de la gare Shibuya, la tour Scramble Square qui ouvre ses portes le 1er novembre. Sur la photographie suivante, on aperçoit ces deux tours, Hikarie et Scramble Square, en face à face comme deux monstres modernes se regardant en chien de faïence. J’aime cette vue un peu à l’écart, derrière l’autoroute intra-muros de Tokyo, comme si on se mettait à l’abris d’une attaque imminente, tout en ne pouvant s’empêcher de regarder ce qui se passe. La photographie suivante montre une vue assez classique de la rivière bétonnée de Shibuya. On a beau essayer d’embellir les berges de la rivière, elle reste toujours aussi désagréable à l’œil. Ses courbes lissées sont cependant intéressantes pour le photographe, et je suis très souvent tenté de la prendre en photo, comme de nombreux autres photographes d’ailleurs. Nous allons ensuite sur le croisement de Shibuya. Là encore, je ne peux m’empêcher de prendre une photographie dans la foule quand je traverse la carrefour, sous l’œil observateur et immobile de Takeshi Kitano. La photographie qui suit montre le croisement entre l’avenue de Roppongi et celle de Meiji. Ce carrefour devient de plus en plus compliqué avec plusieurs niveaux de circulation. Une passerelle blanche toute neuve a remplacé l’ancien pont pour piétons, mais est toujours surplombé par l’autoroute intra-muros dont je parlais auparavant. Pour terminer cette petite série photographique, je m’éloigne du centre de Shibuya en suivant la ligne de train Yamanote. En chemin, une tête en forme de fantôme comme un personnage d’Halloween surveille les passants, sans rien dire.

Yeule, de son vrai nom Nat Ćmiel, est une artiste d’origine singapourienne mais installée depuis quatre ans à Londres. Même avant d’écouter sa musique sur son premier album intitulé Serotonin II, on ne peut pas rester indifférent à ce style à mi-chemin entre le gothique et les décalages vestimentaires qu’on peut parfois observer à Harajuku et qui sont d’ailleurs bien documenté en photographies sur le flux Twitter Tokyo Fashion. Yeule a les tatouages en plus. Les personnages de manga dessinés sur ses bras me font penser aux dessins de style ero-guro (érotique grotesque) de Suehiro Maruo. J’avais déjà mentionné auparavant le nom de ce mangaka, car il a également dessiné la couverture de l’album VOIDHYMN de NECRONOMIDOL. J’entame l’écoute de Serotonin II, avec une certaine méfiance teintée d’une espérance que la musique de ce personnage atypique soit à la mesure de l’image qu’elle projette. J’emploie le mot personnage volontairement car elle mentionne elle-même que ce nom d’artiste Yeule est tiré d’un personnage du jeu vidéo Final Fantasy, et elle met beaucoup en avant dans les quelques interviews que j’ai pu lire sa personnalité changeante. Écouter cet album se révèle vite être une expérience envoûtante. Le premier morceau Your Shadow avec ses voix fantomatiques joue le rôle d’introduction vers un univers musical céleste rempli de mystères. On se laisse ensuite très vite happé par le deuxième morceau Poison Arrow, pour ne lâcher prise qu’au dernier morceau de l’album Veil of Darkness, mélangeant piano et décrochages sonores expérimentaux. Les morceaux de Serotonin II sont à base électronique et jouent avec les nappes sonores. Tout est dans l’atmosphère. On est proche du shoegazing dans le chant de Yeule, ce qui n’est pas pour le déplaire. Certains moments des morceaux me rappellent un peu Grimes ou les morceaux les plus mélodiques de Crystal Castles. Mais il n’y a pas de ressemblance forte, seulement une ambiance qui me fait penser à ces autres artistes. Les morceaux sont dans l’ensemble sombres, mais parfois rythmés et ponctués de notes lumineuses comme des lucioles dans une prairie le soir. C’est l’image que cette musique me donne parfois, certainement car certains bruits ont été enregistrés in-situ. Cette ambiance, comme le début du morceau Pretty Bones, me rappelle un peu l’album Finally We Are No One des islandais de Múm. J’y sens des références sans vraiment les pointer du doigt. La vidéo de ce morceau Pretty Bones est d’ailleurs belle et un peu dérangeante. L’ambiance me fait un peu penser à la vidéo du morceau Without love d’Alice Glass. Dans un des morceaux en particulier, Pixel Affection, Yeule s’interroge sur nos personnalités numériques prenant le dessus sur le réel, jusqu’à ce que ça devienne insoutenable. Le personnage de la vidéo se découvre devenir inhumaine comme un cyborg de Ghost in the Shell. Il y a une grande consistance dans l’entièreté de l’album et il ressemble à un flot continu dans lequel on peut s’évanouir et s’évader, d’où cette sensation d’expérience envoûtante.

silence photographique

J’ai parfois envie de laisser parler les images sans écrire de textes, ou plutôt d’effacer les mots pour laisser s’exprimer les photographies. Ce n’est pas le fait que je n’ai rien à décrire sur les photographies de Shibuya montrées ci-dessus, mais il y a une certaine beauté à laisser les photographies s’exprimer par elles-mêmes, en silence, sans les interventions interminables de son auteur. C’est un parti pris suivi par un grand nombre de photographes qui laissent le silence photographique parler à leur place. Je n’ai peut être pas assez confiance en mes photographies pour faire de même. Pourtant, au delà des textes, ce sont principalement les photographies que les visiteurs viennent voir sur Made in Tokyo.