how to repeat Tokyo endlessly (μ)

Je termine cette série pour le moment avec un dernier épisode. Je n’ai pas épuisé tout l’alphabet grec, ce qui veut dire que je reprendrais certainement cette série dans plusieurs semaines ou plusieurs mois. Si on devait donner un point commun à beaucoup de photographies de cette série, ce serait très certainement l’art de rue, comme ci-dessus les photographies modifiées affichées en grand tout près du nouveau PARCO en construction, où s’affichaient pendant de nombreuses semaines les dessins du Akira de Katsuhiro Otomo par Kosuke Kawamura. En fait, ce que j’aime dans cette série ‘how to repeat Tokyo endlessly’, c’est le fait qu’elle ne soit pas liée à un événement particulier ou un lieu remarquable. Il s’agit juste de photographies prises dans l’acte de vivre sa vie quotidienne, sans emphase à part celle que je peux retransmettre à travers les mots. Ces photographies laissent flotter une ambiance plutôt que d’essayer de forcer une admiration. Par dessus tout, j’aime avoir à dire et à écrire sur les choses du commun, car la liberté est plus grande. On n’est pas obligé par la beauté exubérante d’un lieu, on peut se laisser aller à ses propres impressions non pré-formatés par celles des autres. Musicalement parlant, ce conditionnement s’applique également. Par exemple, comment parler du dernier album de Lana Del Rey sans réécrire des pensées ou des avis déjà évoqués ailleurs. A priori, je n’avais pas d’attirance particulière pour la musique de Lana Del Rey que j’imaginais plutôt dans le registre du folk américain. Mais, voilà, je ne pensais pas que son dernier album Norman Fucking Rockwell me plairait autant. Du coup, il faut que je change du tout au tout mon avis sur Lana Del Rey. Et si j’avais manqué quantité de bonnes choses en ignorant ses albums jusqu’à maintenant. En général, sur la musique sortant (un peu) de mes sentiers battus, il y a un morceau qui accroche immédiatement et qui fait la différence. Il y a bien entendu le morceau Doin’ Time, mais c’est surtout Venice Bitch qui me fait comprendre qu’il s’agit là d’un album remarquable. Et dire que j’écris tous ces paragraphes pour pouvoir me relire dans 1 an, 2 ans, 5 ans ou 10 ans. Et dire que je prends toutes ces photographies pour pouvoir écrire, écrire en français pour ne pas perdre cette langue. Je le ressens malheureusement, certains mots s’effacent petit à petit si on les utilise moins.

how to repeat Tokyo endlessly (κ)

Des figures Animales fantastiques ont pris d’assaut visuellement le carrefour de la rue Kotto et de l’avenue Aoyama (ou route 246). J’ai vu trois grandes affiches noires à des coins de rue, parfois un peu cachées, mais je ne montre que deux d’entre elles en photographies ici. Il s’agit d’une campagne publicitaire pour la marque de vêtements à tendance sportive Y-3, collaboration de Yohji Yamamoto avec Adidas. Cet étrange chat féroce à trois yeux, imaginé par Yohji Yamamoto, serait né d’une combinaison d’éléments culturels japonais et maoris, pour les maillots de l’équipe de rugby des All Blacks néo-zélandais. Ce chat représente le concept maori du kaitiaki, le gardien assurant le respect de l’environnement, et l’image japonaise du Fuku Neko, le chat portant chance. Cette figure de chat mythique est utilisée sur les maillots d’entrainement de l’équipe des All Blacks. Un peu plus loin vers le quartier de Hiroo, je découvre un nouveau bâtiment à la structure intéressante, posé sur un bloc excentré d’un côté et sur quatre pilotis fins de l’autre. Je me demande comment se fait l’équilibre de l’ensemble. La grande façade de verre est très élégante mais je soupçonne que les propriétaires n’ouvriront que très rarement les grands rideaux. Avoir de grandes ouvertures vers l’extérieur est très attirant, mais ce petit immeuble attire les regards depuis la rue, surtout quand la nuit tombe et que le grand espace intérieur fait d’un haut plafond est complètement éclairé. Je repasse ensuite au centre de Shibuya alors que l’on peut maintenant entrer à l’intérieur du nouvel immeuble, toujours en construction, Shibuya Scramble Square. On peut seulement le traverser aux bas niveaux. Ce ‘neo Shibuya’ de concrétisera en grande partie l’année prochaine, mais le changement de Shibuya continuera.

Je me suis procuré Anima de Thom Yorke dès sa sortie sur iTunes mais je n’en avais pas encore parlé ici. Ce ne sont pas les occasions qui manquaient mais cet album n’est pour moi, pas écoutable à tout moment. Je l’avais même acheté dès les premières heures où il était disponible sur iTunes, mais je ne l’avais pas écouté tout de suite. Je l’ai laissé reposé dans mon iPod pendant quelques jours avant la première écoute. Je savais déjà, rien qu’en voyant la pochette, que j’aimerais cet album, qu’il serait profond et inventif, mais aussi exigeant. Pour résumer mon sentiment, c’est un album sublimement déprimant. C’est beau et minutieux, construit avec précision avec une multitude de sons qui se chevauchent sans faux pas. Chaque morceau est extrêmement élégant et profondément intime. C’est sublime de bout en bout mais il faut être dans les bonnes dispositions pour l’apprécier pleinement. J’ai écouté Anima quelques fois à sa sortie et j’ai fait une longue pause jusqu’à maintenant où je me mets à le réécouter et à le redécouvrir un peu plus en profondeur. Anima est très électronique mais pourrait très bien se présenter comme un album de Radiohead. Le ton de voix de Thom Yorke est tellement marqué et reconnaissable que je ne peux que difficilement faire la distinction entre ses albums solo et ceux au sein de Radiohead. Toujours est-il que je connais très peu d’artistes capables d’évoquer une telle intensité et profondeur émotionnelle à travers seulement quelques phrases et quelques notes fussent elles électroniques. En ce sens, cet album ne déçoit pas.

how to repeat Tokyo endlessly (η)

Alors que j’écris ces lignes, je suis bien loin du centre de Shibuya où les photographies ci-dessus ont été prises. Malgré ce que je disais dans le billet précédent, il n’y a pas toujours de correspondance directe entre les textes que j’écris et les images que je montre dans un billet. Je suis assis dans les tribunes presque vide du stade olympique de Komazawa, car le fiston y fait des courses depuis le matin et pour une bonne partie de l’après-midi avec le club de son école. Pendant les temps morts le matin, je pars faire un tour dans le parc de Komazawa autour des infrastructures olympiques construites dans les années 60, pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. J’adore l’architecture que l’on voit dans ce parc et je l’ai souvent montré, mais j’y reviendrais encore une fois avec des nouvelles photographies dans un prochain billet. Après la vague de chaleur qui a suivi le typhon numéro 15, les températures se sont bien rafraîchies depuis samedi. C’est très agréable d’être assis là dans les gradins presque vide, à ne rien faire ou presque, enfin observer ce qui se passe en rêvant un peu sans oublier de soutenir le fiston quand il court. Et écrire ces quelques lignes et profiter du temps disponible.

Mais revenons quand même un peu sur les quelques photographies du billet prise en fin de journée. En haut de la petite pente Spain-zaka, on arrive en face du Department Store PARCO toujours en construction. En face de l’ancien Cinéma Rise, une petite galerie, que je ne connaissais pas, éclaire la rue. Cette galerie nommée Shibuya SR6 montrait lors de mon passage des effusions de couleurs pop, celles de personnages manga créés par l’illustratrice Mika Pikazo. Elle est apparemment reconnue pour la création du personnage de virtual YouTuber Kaguya Luna (輝夜 月). C’est un monde qui m’est totalement opaque mais j’aime bien faire le curieux lorsqu’une affiche géante pleine de couleurs attire le regard.

Je me rends compte en passant devant le Cinéma Rise que je n’y ai jamais vu de films. Je vais très peu au cinéma à Tokyo alors que j’y allais au moins une fois par semaine, souvent deux, quand j’étais étudiant dans les années 90. La page d’archives du Cinéma Rise, agrémentée de photographies de Mika Ninagawa et Nobuyoshi Araki, donne une liste des films, principalement d’art et d’essai, montrés dans ce cinéma pendant ses trente années d’opération. Cette liste me rappelle la multitude de bons films que j’ai pu voir à cette époque, en France dans les années 90, comme Fallen Angels de Wong Kar-Wai et Cyclo de Trần Anh Hùng. Je pense avoir entendu pour la première fois le morceau Creep de Radiohead dans Cyclo, ce qui a certainement contribué un peu pour moi à l’aura de ce film. Le morceau était sorti sur le premier album du groupe Pablo Honey depuis quelques années déjà mais ne s’est fait connaître que plus tard en France. Je me souviens que Pablo Honey était vendu avec l’album suivant The bends à sa sortie en 1995, comme un double CD. Le podcast de France Inter Pop & Co de Rebecca Manzoni, que je découvre grâce à un tweet de la journaliste Karyn Nishimura, parle justement de Creep dans un numéro assez récent. Depuis ce tweet, je suis assez assidûment ce podcast qui décortique des morceaux emblématiques. Parmi les films qui sont pour moi cultes, Cinéma Rise passait également Fargo des frères Coen en 1997. Et en 1999, The Big Lebowski des mêmes frères Coen. A cette époque, j’arrivais au Japon et je remplaçais mon appétit de cinéma des salles obscures par l’achat de DVDs toutes les semaines au HMV de Shibuya. The Big Lebowski était un de ces achats du week-end et je l’ai regardé des dizaines de fois.

how to repeat Tokyo endlessly (ζ)

Toujours Shibuya, je pourrais presque renommer ce blog tant le quartier de Shibuya est le sujet et le lieu d’un grand nombre de mes photographies. L’action des photographies ne se passe pas forcément dans le centre du quartier mais dans l’arrondissement tout entier que j’explore continuellement le samedi matin pendant environ 1h30. Je pense avoir emprunté chaque rue au moins une fois, mais le décor changeant souvent, une marche dans ces lieux est un éternel recommencement. Sur un des murs à l’entrée du Tower Records de Shibuya, PEDRO annonce finalement la sortie de son album en CD. C’est étonnant car la version digitale est déjà sortie il y a plusieurs mois et j’en parlais dans un billet précédent. J’ai du mal à comprendre les logiques de distribution de l’agence Wack. Je réécoute cet album Thumb sucker régulièrement et j’y retrouve une certaine authenticité rock que j’aime écouter dans les rues de Shibuya, justement. Il y a une agressivité sonore qu’on retrouve visuellement dans les rues du quartier. D’ailleurs, il est écrit en graffiti sur l’affiche de l’album au Tower Records la mention 渋谷のカリスマ (figure charismatique de Shibuya) à propos de l’interprète Ayuni D du groupe. Je ne pourrais pas dire si ça correspond à une réalité, ou à l’imagination d’un fan.

Je vais de temps en temps à la galerie de la boutique Diesel de Shibuya, située au sous-sol. On y montre plutôt de l’art contemporain, de la culture pop, cette même culture pop que je vois dans les rues de Shibuya et que j’aime tant photographier. L’artiste s’appelle MAD DOG JONES et il s’agit d’un Instagramer que je ne connaissais pas (les réseaux sociaux créent tellement de célébrités qu’on a du mal à toutes les connaître). Ça doit être la première fois que je vois une exposition provenant d’Instagram, si on exclut le projet de Richard Prince il y a quelques années. Cet artiste canadien crée des œuvres digitales très colorées et d’inspiration cyberpunk. On y voit des décors pseudo futuristes, pseudo Tokyoïtes, où les morceaux de villes s’entremêlent. Associer Tokyo à l’image cyberpunk de Blade Runner n’a rien de nouveau, mais je suis sensible à ces imbrications urbaines improbables qui rendent une représentation de ville irréelle. Ces dessins sont en plus très bien exécutés et très cinématographiques. J’ai pensé un moment prendre une photo à l’iPhone d’une des œuvres et la poster sur mon compte Instagram, mais je me suis vite rendu compte du ridicule de la situation. A quoi bon montrer sur Instagram une photographie qui vient initialement d’instagram. C’est comme mettre deux miroirs l’un en face de l’autre et créer des espaces infinis où on pourrait se perdre. On peut donc voir la plupart des œuvres sur le compte Instagram de l’auteur. Cette exposition intitulée AFTERL-IFE se déroule jusqu’au 14 novembre 2019.

Alors qu’on attend son prochain album Miss Anthropocene avec une certaine impatience, Claire Boucher alias Grimes ༺GRIM ≡゚S༻(⧖) nous fait patienter avec des morceaux au compte-goutte. Après We appreciate Power sorti en 2018, le nouveau morceau de Grimes s’appelle Violence. C’est le genre de morceau qui fait table rase sur toutes les autres musiques que j’écoute à ce moment là. Après avoir écouté le morceau, j’ai comme une perte d’envie d’écouter autre chose, car le reste me paraît soudain un peu fade. Ce n’est bien sûr qu’un sentiment illusoire et temporaire, car cette impression ne dure pas. Elle se reproduit pourtant de temps en temps pour des musiques qui correspondent exactement à ce que j’ai envie d’écouter au moment où je l’écoute. Sur le morceau Violence, on retrouve l’ambiance éthérée assez caractéristique du chant de Grimes. Les sons électroniques tout d’abord assez sourds voire industriels, montent assez rapidement en rythme. La voix de Grimes se fait également de plus en plus claire au fur et à mesure que le son monte jusqu’aux répétitions électroniques de la fin du morceau. J’aime toujours ces répétitions quand elles donnent l’impression d’un décrochage involontaire des machines, quand les AI toutes puissantes ne fonctionnaient plus comme prévu (pour reprendre un thème de son morceau précédent). La vidéo est également superbe surtout quand elle se concentre sur le visage de Grimes car on a du mal à deviner si son sourire est angélique ou au contraire diabolique. Cette dualité est intéressante, tout comme la chorégraphie assez saccadée par moment. D’après Pitchfork, on n’est pas sûr que ce morceau soit présent sur l’album. Moi, j’espère que tout l’album sera dans ce style là.

how to repeat Tokyo endlessly (ε)

Je garde toujours un œil curieux sur les motifs urbains à Shibuya, que ça soit les stickers amoncelés sur des coins de murs ou les imageries promotionnelles qui envahissent l’espace. Je ne sens personnellement pas submergé par ces images et je les recherche au contraire, surtout quand elles sont détournées comme ce Sonic désœuvré qui aurait perdu la forme physique suite au manque de missions à accomplir. Je ne suis pas sûr que l’image de Pikachu sur une machine de distribution automatique de boissons soit détournée et elle a même l’air officielle, mais le détournement se fait après quand on y ajoute des traits pour brouiller la visibilité. J’aime surtout ces panneaux de protection de travaux dessinés de scènes urbaines. Une image montre une rue avec les fameux poteaux et fils électriques que l’on enterre jamais. Les ombres de vrais fils électriques viennent se superposer sur les images des panneaux et cela apporte une autre dimension artistique à ces dessins éphémères presqu’anodins. Les poteaux électriques dans les rues sont devenus tellement emblématiques de la complexité, intéressante pour l’oeil du photographe, de l’urbanisme tokyoïte qu’il serait vraiment dommage de les supprimer. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait une intention forte de toute façon, car j’ai pu constater que la construction de nouvelles résidences ne s’accompagnait à priori pas de l’enterrement des fils électriques qui les entourent. La priorité est plutôt à la mise en place d’espaces verts, même sur les toits. On ne peut qu’apprécier cette introduction de verdure dans l’environnement urbain.

Je garde toujours une oreille curieuse sur la musique que crée Meirin sous le nom d’artiste Zombie-Chang, car on y trouve très souvent des brins de folie contagieuse. J’en parle régulièrement sur ses pages. Tous ses morceaux ne me plaisent pas forcément mais ils sont toujours plein d’originalité et c’est à chaque fois un plaisir de la voir évoluer sur les vidéos de ses nouveaux morceaux. Sur Gold Trance, elle joue l’attitude d’une jeune branchée à Shibuya mais qui se serait acoquinée avec des gens peu fréquentables. Ces vieux messieurs de la pègre ont l’air plus vrai que nature, tout droit sortis d’un film de Scorsese mais en version japonaise. Zombie-Chang n’a pas l’air de trop s’en inquiéter et les fait même danser une chorégraphie ridicule à contre emploi. La vidéo est très drôle et même meilleure que le morceau en lui-même. J’aime surtout les expressions forcées du visage de Meirin qui sur-jouent volontairement les scènes de la vidéo dans une autodérision certaine. Mais cette musique électronique accompagnée de la voix inhabituelle de Zombie-Chang est très addictive et décalée. On a envie d’y revenir souvent et dans la foulée, je réécoute un morceau un peu plus ancien We should Kiss, plus construit mais tout aussi fou et décalé, surtout quand il se fait interrompre par des sons de passage à niveau pour trains.