a day with s (2)

Nous déjeunons au 38ème étage de la tour de Yebisu Garden Place, depuis laquelle nous avons une très belle vue sur une partie de Tokyo, du côté de la Tour de Tokyo et de Roppongi Hills. Il nous faut ensuite réfléchir à l’itinéraire de l’après midi, et nous nous mettons assez vite d’accord pour aller à Nakano Broadway, un des royaumes du monde Otaku avec Akihabara. En fait, je ne suis jamais allé à Nakano Broadway et bien que connaissant le nom de cet endroit, je ne savais pas trop ce qu’on y montrait et vendait. En fait, je savais seulement que Takashi Murakami y avait installé une boutique et un café, que j’avais envie d’aller voir. Voilà une bonne occasion de s’y rendre. Nakano est seulement à quelques stations de la gare de Shinjuku. Il faut marcher quelques centaines de mètres dans une galerie marchande couverte depuis la gare pour finalement arriver à Nakano Broadway. Il s’agit d’un grand immeuble de plusieurs étages avec de multiples boutiques. L’affiche futuriste de ce centre commercial indique tout de suite que le monde du manga et du cinéma d’animation est couvert ici. Il y a en fait beaucoup de magasins de figurines manga, qui doivent être vendues d’occasion. En fait, dans chacune des boutiques, on entre dans un monde de collectionneurs. Ici, des vieux jouets, là, des affiches de vieux films japonais, un peu plus loin, des jeux vidéos vintage. On s’amuse en regardant les prix, par exemple des cartouches de jeux Neo Géo à 420,000¥. Les jeux Neo Géo étaient inabordables à l’époque, mais ce sont maintenant des pièces de collection. Dans une boutique de vieux jouets plutôt axés Ultraman et ses divers monstres, je trouve par hasard un dinosaure mécanique Zoids que j’avais étant petit, et qui se vend 20,000¥ avec la boîte d’origine (10,000¥ sans). C’est incroyable comme certains vieux jouets peuvent prendre de la valeur. Le problème est que l’on ne sait bien sûr pas à l’avance lesquels prendront de la valeur. Certaines figurines et jouets nous rappellent des souvenirs d’enfance. Ces boutiques sont comme des mini-plongeons dans le temps. En se perdant un peu dans les couloirs du centre commercial, on finit par tomber sur le café de Murakami juste à côté d’une petite galerie d’art montrant un étrange samouraï mort-vivant. La galerie appelée Hidari Zingaro fait partie de l’espace de Takashi Murakami. Ce samouraï à tête de mort est une des pièces de l’exposition intitulée Ronin de l’artiste tatoueur Jun Cha, basé à Los Angeles. Mais il est temps de prendre un café au Bar Zingaro de Murakami. Il est bien entendu décoré d’un grand nombre de soleils colorés, dessins emblématiques de Murakami. L’endroit est assez petit mais nous avons la chance de trouver tout de suite une place. Depuis que j’ai vu la grande exposition qui lui était consacré à Roppongi Hills il y a quelques années, j’ai pris un certain intérêt à suivre le travail artistique de Murakami. J’aime notamment quand il modifie l’image de ces figures bon-enfants pour les transformer en petits créatures monstrueuses. L’univers du café Zingaro reste bon-enfant, mais attention, un grand monstre poilu guette dans un coin sombre du café.

La suite de notre après-midi s’accélère. En revenant de Nakano, nous nous arrêtons à Shinjuku pour traverser la minuscule allée de restaurants en comptoir de Omoide Yokocho. Avant cela, il nous aura fallu attendre, coincés dans la marée humaine du samedi soir entre la gare de Shinjuku et le Studio Alta. Je n’avais jamais vu autant de monde à Shinjuku, même un samedi soir. Après Omoide Yokocho, nous longeons Kabukichō, toujours dans la foule, pour accéder un peu plus loin aux rues étroites d’un autre temps de Golden Gai. Nous n’avons pas le temps de nous y arrêter, et je serais de toute façon bien en mal de choisir un de ces bars aux portes fermées sur l’extérieur. Certains bars affichent pourtant un écriteau en anglais pour souhaiter la bienvenue. Mais j’imagine que ceux qui viennent dans ces endroits veulent y trouver une ambiance à part et ne viennent pas pour se retrouver entre touristes étrangers. Je suis allé dans un de ces bars il y a très longtemps une ou deux fois, mais je ne souviens plus duquel et à quelle occasion. Pour des raisons indépendantes de ma volonté, les souvenirs de fin de soirée dans les rues de Shinjuku se font parfois flous. Depuis Shinjuku, nous décidons de marcher vers le nouveau stade olympique avant de regagner Shibuya. Mais la fatigue se fait sentir dans les jambes et le pluie fine incessante finit par avoir raison de notre volonté initiale. Nous prenons donc plutôt la ligne de métro Fukutoshin qui nous amène en quelques minutes seulement jusqu’au centre de Shibuya. Nous voulions revoir le grand carrefour de Shibuya envahi par les flots humains. Je me souviens d’un point de vue en haut d’un des buildings du croisement. J’y suis déjà allé il y a plusieurs mois. Alors que c’était auparavant gratuit, il faut maintenant s’acquitter de 300¥ par personne pour accéder au point de vue sur le carrefour. C’est vraiment abusé, d’autant plus que les vitres de protection mouillées par la pluie ne donnent qu’une vue floue du carrefour. En redescendant du building, on se console en quelque sorte en admirant les fresques dessinées sur les murs de l’escalier nous faisant redescendre au rez-de-chaussée. J’aime beaucoup la fresque représentant deux boxeurs avec des pieuvres sur la tête ou ces autres pieuvres aux allures extra-terrestres qui me rappellent les personnages ennemis d’un des jeux de la série Metal Slug sur Neo Geo. Pour conclure cette longue tournée dans les rues de Tokyo, nous mangerons des sushis à Shibuya, avant de souhaiter bon voyage à Samy qui partira pour Hong Kong, la prochaine étape de son long voyage.

a day with s (1)

Quand on reçoit un visiteur de France, en l’occurence mon cousin Samy, c’est à chaque fois l’occasion de faire une journée marathon dans Tokyo, pour essayer de voir le maximum de choses tout en discutant non-stop. La petite différence par rapport à l’habitude est que mon cousin avait déjà passé quelques jours à Tokyo (et quelques mois à Kyoto) auparavant, donc il a fallu orienter les visites de cette journée de samedi vers les lieux qu’il n’avait pas encore visité, tout en improvisant en cours de route. C’est également l’occasion pour moi de revoir les classiques, car pour quelqu’un qui vient à Tokyo pour la première fois, il faut d’abord voir les classiques. Mais, c’est même souvent l’occasion d’aller à des endroits que je ne connaissais que par réputation. En tout cas, il nous faut à chaque fois beaucoup marcher dans les rues de Tokyo, environ 20kms cette fois-ci. Notre journée de visite ressemblait donc à un demi-marathon dans Tokyo. Et par dessus tout, je me réjouissais à l’idée de marcher toute la journée avec mon cousin que je ne vois pas très souvent, car l’effort de la marche permet en quelque sorte de libérer la parole. Tout cela en prenant des photos bien sûr.

Nous nous sommes convenus de nous rejoindre à la gare de Shibuya devant Hachiko. Mari me dit que c’est un peu ringard de se donner rendez-vous à Hachiko, ce que je conçois bien. Mais cela faisait très longtemps que je n’avais pas donné rendez-vous à quelqu’un à cet endroit et ça m’a rappelé mes vingt ans. Il est 9h du matin et il n’y a pas grand monde dans le centre de Shibuya. On reviendra dans la soirée pour faire l’experience de la traversée du carrefour en pleine affluence. Nous avions de toute façon l’intention d’aller à Meiji Jingu tôt le matin pour éviter la foule des touristes. C’était bien calculé car il n’y avait pas foule à cette heure. Il faut dire également que la météo n’était pas des plus propices à la promenade car il a plu pratiquement toute la journée. C’était heureusement une pluie assez fine pour éviter le parapluie et garder un peu de fraîcheur. Nous passons devant le gymnase olympique de Kenzo Tange qui est actuellement en pleine rénovation avant les Jeux Olympiques de 2020, pour ensuite s’enfoncer dans la forêt qui nous mène vers Meiji Jingu. Les grandes portes torii font toujours leur effet sur le visiteur au fur et à mesure qu’on approche du grand sanctuaire. Nous nous dirigeons ensuite vers la rue Takeshita à Harajuku qui restait assez peu encombré à cette heure. La multitude des boutiques de la rue commençait tout juste à ouvrir, petit à petit. La curiosité nous a poussé à aller boire une de ces boissons taïwanaises au thé et tapioca dont on parle tant ces derniers mois. Je n’avais jamais essayé mais c’était très bon. La clientèle était plutôt féminine et jeune, comme je l’imaginais, mais la curiosité a été plus forte que tous les à priori. Alors que nous marchons dans les rues de Ura-Harajuku pour ensuite rejoindre Cat Street, la pluie devient plus forte et nous nous précipitons vers l’immeuble en colimaçon Omotesando Hills de Tadao Ando. Il a quelques semaines de cela, Mari y avait aperçu par hasard Kylian Mbappé qui était de passage au Japon pour la promotion d’une marque de cosmétique. En ressortant de là, alors que la pluie se fait insistante, l’option visite de musée ou de galerie, à l’intérieur donc, se fait des plus évidentes. Ça tombe bien car le musée Nezu n’est pas très loin d’ici et l’exposition du moment, une introduction aux arts traditionnels avec pour sujet la peinture japonaise, tombait à point pour faire un tour d’horizon de l’art graphique japonais. D’autant plus que je n’étais pas retourné au musée Nezu depuis sa reconstruction complète sous la direction de l’architecte Kengo Kuma. Le bâtiment est superbe, tout autant que le jardin à l’arrière qui ressemble parfois à une jungle tant il est dense. Quelques dépendances, maison de thé et café, ainsi que de nombreuses statues viennent agrémenter les chemins en pente du jardin. Alors que nous sortons dans le jardin sous une pluie fine, une dame d’un certain âge insiste pour qu’on emprunte son parapluie alors qu’elle entre à l’intérieur du musée. Nous refusons gentiment mais l’insistence de la dame me surprend un peu. Nous devons ressembler tous les deux à des pauvres touristes perdus dans un pays mystérieux, sans repères et livrés à nous-mêmes. Mais j’exagère certainement. C’était une aimable intention, mais qui peut prendre parfois des proportions étranges. La matinée se termine déjà et nous marchons ensuite vers Yebisu Garden Place pour le déjeuner. Suite de cette journée au prochain épisode.

○○○と言えば

Le building Tokyu de la station de Shibuya montre en ce moment sur sa façade une étrange photographie en noir et blanc d’un visage marqué du mot « wack » avec un sigle ressemblant à celui de MacDonald à l’envers. Il s’agit en fait d’une affiche promotionnelle pour l’agence Wack fondée par Junnosuke Watanabe spécialisée dans les idoles alternatives, notamment, dans les plus connues, BiS et le groupe sœur BiSH. On peut dire un peu sarcastiquement que la signification du nom en anglais de cette agence ainsi que l’utilisation d’un sigle proche de celui d’une chaîne de fast food donnent une bonne idée de la qualité générale de la production musicale de cette agence. Pour être tout à fait honnête, j’avais quand même apprécié un morceau du groupe BiSH l’année dernière, mais je constate tout de même que l’imagerie accompagnant les groupes n’est pas toujours du meilleur goût. J’aime par contre assez cette affiche géante dominant le carrefour de Shibuya, accompagnée d’un barcode nous amenant sur les pages du site internet de Wack. Les autres photographies du billet se déroulent également en plein centre de Shibuya au milieu de la foule qui traverse sans cesse le carrefour, dans un flot continu qui n’en finit pas de couler entre les deux rives.

Quand Burial sort un nouvel EP, je me précipite en général pour l’acheter sur iTunes ou Bandcamp, car je sais à quoi m’attendre. Je sais que l’ambiance y sera sombre et underground, assez désespérée mais surtout très forte émotionnellement. Le son est immédiatement reconnaissable, comme s’il était joué au troisième sous-sol d’un club mal éclairé. Cette musique est pleine d’aspérités. Les voix répétitives nous parlent ici d’un amour contrarié. Les paroles « I want you, why don’t you want me / You can’t lie, I see it in your eyes » se répètent sans cesse et constituent la trame principale du premier morceau intitulé Claustro. Le deuxième morceau State Forest revient vers l’ambient pur que l’on avait découvert pour la première fois sur le EP Subtemple / Beachfires. Ce morceau semble être la suite des morceaux précédents tant l’ambiance est ressemblante. Ce morceau ne se compose que de nappes sonores semblant prendre écho dans une bâtisse monumentale comme une cathédrale. Il n’y aucune percussion et de ce fait la construction du morceau reste très floue. Le premier morceau Claustro s’inscrit également directement dans la lignée des EPs précédents, ne serait ce que pour les craquements sonores et les incursions de voix délimitant les parties à l’intérieur d’un même morceau. Malgré cette grande continuité de style, Burial introduit tout de même des nouveautés au compte-gouttes, comme la partie finale de Claustro se transformant soudainement en euro-dance. En fait, Burial peut s’aventurer vers d’autres domaines musicaux, à la limite du démodé par moment, mais ces incursions sont toujours très mesurées et parfaitement intégrées à l’ensemble. De ce fait, ces changements inattendus de style ne font que renforcer la qualité d’ensemble du morceau. Les morceaux de Burial ressemblent un peu à des prises de sons directes dans les rues ou dans les clubs. C’est un peu comme s’il capturait ces sons tels qu’on les entend à différents endroits, pour ensuite les mélanger habilement pour constituer une ambiance hybride.

Il y a quelques mois de cela, on m’a contacté pour me demander si une de mes photographies pouvait être utilisée pour le numéro 29 du magazine Gradhiva publié par le musée du Quai Branly. Il s’agit en fait d’une composition photographique que j’avais créé il y a plusieurs années représentant une figure féminine dont le visage était caché pour une structure de nuages. Il s’agit de la deuxième photographie sur le billet Structure and clouds publié en avril 2011. J’ai bien volontiers accepté d’autoriser ma photographie à être publiée sur une des pages du magazine, et j’ai demandé, comme à chaque fois qu’on me demande une photographie pour une publication, de m’envoyer un exemplaire du numéro en question, ce à quoi on m’a répondu positivement. Le numéro 29 intitulé Estrangemental de cette revue d’anthropologie et d’histoire des arts est sorti à la fin du mois de mai et depuis, je surveille ma boîte aux lettres. Mais la revue n’arrive toujours dans notre boîte aux lettres. La revue s’est peut être perdue en route? Du moins, elle ne s’est pas perdue en route pour un artiste japonais ayant lui aussi contribué à la revue en fournissant quelques photographies de sa création. Il fournit certes beaucoup plus de photographies que moi, donc je me dis qu’il a peut être reçu son exemplaire en priorité. Toujours est-il que, pour chaque publication de mes photographies dans le passé sur d’autres magazines ou livres, on m’a toujours systématiquement envoyé un exemplaire. Est ce que le musée du Quai Branly n’est pas en mesure de bien gérer la distribution pour les contributeurs au magazine ? Je décide donc de recontacter la personne qui m’avait fait la demande de la photographie et on m’indique qu’il y a certainement eu un problème car d’autres artistes au Japon ont reçu leurs exemplaires. J’avais en effet noté ce problème. Une semaine plus tard, ne voyant toujours rien arriver dans ma boîte aux lettres, je recontacte la personne, sans réponse de sa part après plusieurs jours. Je ne suis étonnamment pas surpris et c’est bien dommage car j’ai quand même fait l’effort de fournir gracieusement dans un court délai une de mes photographies qui apparaîtra au final dans un magazine payant (20 Euros pour la version papier et 4 Euros par article). Si par le plus grand des hasards, quelqu’un allait faire un tour du côté du musée du Quai Branly, je serais très curieux qu’on m’envoie une photographie des pages où se trouve la photographie en question, histoire de voir ce que ça donne dans le magazine. Ceci étant dit, j’espère que je me trompe et je ne désespère pas de recevoir un exemplaire chez moi dans les jours qui viennent. Mon espoir s’amenuise pourtant de jour en jour.

Comme je n’aime pas beaucoup terminer un billet sur une note négative, je voudrais mentionner le morceau Killer Tune Kills Me du groupe japonais Kirinji avec en invitée au chant YonYon. L’ambiance y est très clairement neo City Pop (le genre City Pop étant populaire au Japon dans les années 80), avec comme particularité la présence de cette chanteuse YonYon qui doit être coréenne vu les quelques paroles chantées dans cette langue et les passages en japonais avec un léger accent. J’adore tout simplement ce morceau, je pense que ça doit être dû à certaines sonorités musicales qui m’attirent dans ce morceau. Toujours est-il que je l’écoute en boucle et j’ai toujours un peu de mal à arrêter de l’écouter. Je ne suis pas fan de City Pop, loin de là, mais certains morceaux opèrent chez moi comme un phénomène d’addiction. Je me demande si j’y vois là une nostalgie inconsciente. Bien que le morceau vient tout juste de sortir, je dois y trouver une certaine familiarité.

渋やああああっぷる

Ces quelques photographies ont été prises à Shibuya au même moment que celles noyées dans la foule du billet street clouds everywhere. L’ambiance y est cependant plus apaisée à part ces deux jeunes filles qui courent après le feu vert qui commence à clignoter. L’ambiance y est également moins oppressante à part ce gigantesque panneau digital sur le toit de Shibuya montrant une ‘affreuse’ mascotte blanche jouant à faire peur à une autre jeune fille. Comme souvent, j’aime bien délimiter mes séries de photographies par des photos d’immeubles, de la même manière que ces immeubles délimitent l’espace urbain. Ce billet est en quelque sorte une mini-représentation de ville avec sa population pressée, ces espaces urbains et ces petites touches de nature qui viennent les agrémenter.

Poster de l’album Sandokushi en noir et blanc aperçu sur le quai de la gare de métro de la ligne Ginza à Shibuya.

Le lundi 27 mai après les heures de bureau, je cours au Tower Records de Shibuya avant la fermeture pour aller acheter Sandokushi, le dernier album de Sheena Ringo dont je parle beaucoup ces derniers jours et semaines. Il est sorti le jour correspondant à la date d’anniversaire du début de sa carrière commencée il y a 21 ans. Avec la sortie de Sandokushi, je constate un certain degré de Ringo bashing, que je pressentais d’ailleurs dès l’annonce de ce nouvel album. On voit déjà apparaître des revues définitives sur l’album une journée seulement après sa sortie (comme celle de sputnik music). Je me demande comment on peut avoir un avis si appuyé après si peu de temps car un album prend en général du temps avant de se révéler, écoute après écoute. Je ressens là comme une certaine précipitation. Cela me donne l’impression que l’avis était déjà posé avant même d’avoir écouté l’album, ou peut être s’agit il d’un besoin inconscient d’être déçu. On peut être nostalgique de l’époque des premiers albums, comme je peux l’être également d’ailleurs, mais on ne peut pas souhaiter qu’un ou une artiste n’évolue pas musicalement au fur et à mesure des années. Réécouter tous les albums de Sheena Ringo et Tokyo Jihen ces derniers jours m’a rappelé qu’elle excelle également dans des styles très différents plus jazz ou pop. Le style qu’elle a construit lui est propre et inimitable, que ça soit à l’époque de ses débuts ou maintenant avec la sortie de ce nouvel album.

La variation des styles dans un même album peut être déroutante et c’est le cas pour ce nouvel album si on ne se met pas un peu en condition. Ce n’est pas particulièrement nouveau chez Sheena Ringo et la série des deux Reimport nous avait quelque part préparé à ces associations hétéroclites. Je dirais même que ça fait maintenant partie de son style. Elle ne renie pas ses premiers amours rock, ni son approche beaucoup plus orchestrée. Sandokushi mélange tout cela mais avec la particularité que tous ces morceaux s’enchainent sans intermission, comme une longue piste, ce qui est un moyen, peut être un peu artificiel certes, de créer une cohésion entre des morceaux très différents. Difficile en effet de créer un lien entre le troisième morceau plutôt léger Ma Chérie (マ・シェリ) et le morceau suivant Kakeochisha (駆け落ち者), beaucoup plus sombre et expérimental dans sa construction. Ceci étant dit, je ne sais pas par quelle alchimie bizarre mais ces enchaînements au millimètre finissent par bien fonctionner pour la cohésion d’ensemble à force de plusieurs écoutes.

J’en parlais déjà auparavant mais un point intéressant est l’organisation très codifiée des titres se répondant en miroir autour du point central qui est le septième morceau TOKYO. A part le premier morceau Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) qui agit clairement comme une ouverture et le dernier Anoyo no Mon (あの世の門) de fermeture, les morceaux qui se font miroir ont des styles ressemblant. Par exemple, les deux morceaux plus colorés et légers que sont Ma chérie et Jiyuudom (ジユーダム) sont placés aux 3ème et 11ème positions. Les morceaux avec des invités sont également placés de manière symétrique comme le quatrième Kakeochisha avec Atsushi Sakurai 櫻井敦司 du groupe BUCK-TICK et le dixième Isogaba Maware (急がば回れ) avec Hiizumi Masayuki ヒイズミマサユ機. Il y a plusieurs morceaux très rock comme le cinquième morceau Shijou no Jinsei (至上の人生) qui est magistral mais qui est également un des morceaux les plus anciens car datant de 2015. Il répond directement au cinquième morceau Donzoko Made (どん底まで) qui est sorti en même temps et dont la vidéo était une extension de Shijou no Jinsei. Ce morceau, par exemple, témoigne de la capacité de Sheena Ringo à faire encore maintenant des morceaux rock très puissants. C’est d’ailleurs à mon avis un des morceaux les plus marquants de sa carrière post Tokyo Jihen. Le problème est que je connais déjà ce morceau par cœur depuis le temps qu’il est sorti en single. C’est en fait le cas d’une très grande partie de l’album que l’on connaît déjà. Il y a très honnêtement beaucoup de très bons morceaux, mais l’effet de surprise a déjà disparu, ce qui est assez dommage. En même temps, on trouve tout de même de l’intérêt à les écouter dans le contexte des autres morceaux de l’album. Les nouveaux morceaux sont tous intéressants et ne sont pas plus faibles que les morceaux déjà sortis il y a longtemps. Dans les nouveaux morceaux, j’aime tout particulièrement le morceau central TOKYO. Les accords de piano au début du morceau et la mélodie qui ne se révèle pas immédiatement me plaisent beaucoup. C’est le fameux et classique morceau central que l’on trouve régulièrement sur les albums de Sheena Ringo. Je le trouve plus intéressant que Ima sur Hi Izuru Tokoro ou Shun sur Sanmon Gossip, sans atteindre par contre les hauteurs de Stem sur KSK.

Bien sûr, on pourra reprocher un certain maximalisme de certains morceaux, surtout ceux très orchestrés, mais ce maximalisme est devenu sa marque de reconnaissance, qu’on le veuille ou non. Dans une interview que j’ai écouté dimanche dernier sur la radio, J-Wave, elle nous disait qu’elle tient à cœur que l’auditeur en ait pour son comptant, que ça soit en écoutant un album ou en concert. Cela peut conduire à en faire un peu trop. Mais, écouter cette interview m’a aussi conforté dans le fait qu’elle est très honnête dans son approche musicale.

Assemblage temporaire de posters pour Ringo Expo 18 à l’entrée du Tower Records de Shibuya.

J’ai un peu de mal pour l’instant à donner un avis définitif sur l’album car mon impression évolue à chaque écoute et je l’écoute tous les jours depuis presqu’une semaine. Dans les morceaux plus anciens, la fin de l’album avec Jiyuudom et Menukidoori (目抜き通り) m’intéressent moins, même s’ils restent tout à fait appréciable. J’ai un faible pour le morceau Ma chérie, car j’aime bien sa manière de chanter un peu différente et notamment quand elle prononce maladroitement quelques phrases en français. Je reconnais des morceaux très forts comme le quatrième en duo avec Atsushi Sakurai, notamment dans la manière dont leurs voix très différentes se marient ensemble. Ce mariage de voix très différentes fonctionne aussi bien avec Hiizumi Masayuki sur le dixième morceau Isogaba Maware. J’adore sa voix et façon de chanter sur ce morceau qui me donne toujours envie d’y revenir. J’ai toujours aimé la dynamique et la passion vocale qui se dégage de Kamisama, Hotokesama (神様、仏様) avec Mukai Shutoku 向井秀徳 de Number Girl. Beaucoup reproche l’auto-tune sur Niwatori to Hebi to Buta et Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭) en duo avec Ukigumo 浮雲, mais j’ai du mal à comprendre ce qui dérange exactement, étant donné que ça apporte une variation bienvenue à sa manière de chanter (ce qui a été souvent le cas dans ces albums passés). Je reviens sur les transitions entre les morceaux car c’est ce qui m’a tout de suite marqué à la première écoute. Cette transition fonctionne particulièrement bien sur Shijou no Jinsei quand l’énorme son de guitares vient écraser les derniers sons de cuivres à la fin de Nagaku Mijikai Matsuri. Qu’on ne vienne pas dire qu’il n’y a pas de passion dans cet album.

Pour finir, il faut quand même parler un peu de Anoyo no Mon (あの世の門), morceau qui conclut l’album, car il est très particulier et différent des autres morceaux. Sheena Ringo est accompagnée au chant par une chorale bulgare menée par Vanya Moneva. Le morceau n’est pas évident dès la première écoute mais très beau et envoûtant. Là encore la voix de Sheena Ringo s’accorde bien avec les voix de la chorale. J’aime un peu moins l’intervention de l’accordéon en deuxième partie du morceau (je n’aime pas beaucoup cet instrument, trop lié à une certaine image rétro parisienne). Ceci étant dit, ce morceau ouvre de belles perspectives sur ce que pourrait être la suite musicale de Sheena Ringo. Après la trilogie Sanmon Gossip/Hi Izuru Tokoro/Sandokushi, l’album et les morceaux qui suivront adapteront peut être ce style. Ça me paraitrait être une bonne idée. Ce dernier morceau contribue un peu plus à l’hétérogénéité symétrique de l’album. Il y a une sorte de paradoxe omniprésent dans l’album entre la construction introduite par la symétrie des styles et la déconstruction introduite par l’hétérogénéité des morceaux. C’est peut être là toute la beauté de l’album, comme un coup de sabot dans une certaine idée de conformité attendue, au risque d’être mal compris. Pour ma part, subsiste une part d’incompréhension, à commencer par le sens du personnage fantastique de cheval ailé portant une Gibson RD sur la pochette et de ces trois poisons du titre Sandokushi… C’est bien aussi de garder une part de mystère. Cela fait presqu’une semaine que j’écris ce billet petit à petit en écoutant l’album et je me rends compte que je l’aime de plus en plus.

Pour référence ultérieure, je garde pour mémoire ci-dessous la liste des titres de l’album.

01- 鶏と蛇と豚 Niwatori to Hebi to Buta
02- 獣ゆく細道 Kemono Yuku Hosomichi (宮本浩次 Miyamoto Hiroji)
03- マ・シェリ Ma Chérie
04- 駆け落ち者 Kakeochisha (櫻井敦司 Sakurai Atsushi)
05- どん底まで Donzoko Made
06- 神様、仏様 Kamisama, Hotokesama (向井秀徳 Mukai Shutoku)
07- TOKYO
08- 長く短い祭 Nagaku Mijikai Matsuri (浮雲 Ukigumo )
09- 至上の人生 Shijou no Jinsei
10- 急がば回れ Isogaba Maware (ヒイズミマサユ機Hiizumi Masayuki)
11- ジユーダム Jiyuudom
12- 目抜き通り Menukidoori (トータス松本 Matsumoto Tortoise)
13- あの世の門 Anoyo no Mon

16•SIXTEEN•16歳になりました

Je loupe régulièrement le coche, Made in Tokyo vient d’avoir 16 ans il y a trois jours. Il a presque l’âge de la majorité. Il a au moins l’âge de la conduite accompagnée, en compagnie d’un adulte. C’est moi l’adulte qui accompagne mais je vais certainement bientôt le laisser se débrouiller seul. C’est le sentiment que j’ai en pensant à toutes ces années passées sur ce site. J’ai vu ce site grandir jusqu’à atteindre une certaine maturité, je pense. J’ai souvent peur qu’un problème technique vienne effacer toutes ces années d’écriture et de photographies. Je fais bien entendu des sauvegardes régulièrement, mais je viens en plus de terminer de sauver en format pdf toutes les pages du site, les unes après les autres. Le fait d’avoir ouvert les quelques 400 pages d’archives du site (soit environ 4500 billets en tout) pour les sauvegarder, m’a replongé dans les seize années de blogging et m’a fait constater des évolutions, notamment le fait que j’écris plus ces dernières années. Une chose cependant n’a pas changé, c’est le mélange des sujets, souvent dans un même billet, dicté purement par l’envie de parler de ce qui me plaît. Je parle assez peu des choses qui me déplaisent. Je passe volontairement assez peu de temps à critiquer ou à grogner sur des choses qui me déplaisent. Il y a bien sûr beaucoup de choses qui me déplaisent dans la vie quotidienne ou sur ce que je peux lire ou voir sur les réseaux sociaux, mais je préfère dépenser mon énergie et mon temps à aborder ce qui m’enthousiasme. Cette approche positive peut, je l’espère, apporter une inspiration aux visiteurs. Quand je reçois des messages en ce sens, parfois en dehors des commentaires de Made in Tokyo, j’en suis particulièrement heureux.

J’indiquais dans mon billet précédent que je réécoutais tous mes disques de Sheena Ringo en attendant la sortie de Sandokushi. Bien que j’ai toute ma musique sur iTunes, je ne résiste pas à l’envie de ressortir des tiroirs tous les CDs et DVDs que je possède de Sheena Ringo et de Tokyo Jihen. Il y a également quelques Singles (les derniers) et compilations comme Reimport 2 que j’ai seulement en digital. A part les DVD/Blu-ray de concerts Ringo Expo, qui m’intéressent moins en général, et les compilations de morceaux déjà sortis sur d’autres albums, il ne doit pas me manquer grand chose. J’ai a peu près tout réécouté dans le désordre chronologique à part pour Tokyo Jihen, où je ne sais pour quelle raison, je souhaite toujours les écouter du premier Kyōiku (教育) sorti en 2004 au dernier Color bars sorti en 2012. J’aime bien faire des comparaisons entre Sheena Ringo et Jun Togawa, car elles ont toutes les deux des personnalités musicales fortes en créant un univers musical qui leur est propre et qui inspire les jeunes générations d’artistes. Elles évoluent cependant à des périodes différentes, Sheena Ringo commençant sa carrière plus d’une dizaine d’années après celle de Jun Togawa. Tout comme Jun Togawa avec Yapoos, Sheena Ringo a commencé sa carrière en solo pour ensuite évoluer au sein d’un groupe, Tokyo Jihen. Je remarque quelques similitudes entre Yapoos et Tokyo Jihen, notamment le fait qu’ils aient tous les deux sorti six albums sachant que le sixième est pareillement un mini-album de quelques titres seulement. C’est assez inhabituel pour un ou une artiste de commencer en solo et ensuite vouloir évoluer au sein d’une formation, je ne peux m’empêcher d’imaginer ici une influence. Réécouter toute la discographie de Sheena Ringo me rappelle que c’est l’artiste musicale japonaise que je préfère d’assez loin. Même s’il y a des albums plus inégaux ou des morceaux que j’aime moins, la qualité de son œuvre est indéniable. Je suis maintenant prêt pour écouter la suite, très certainement demain.

Et pendant ce temps là, alors que j’écris ces quelques lignes, des hélicoptères font du bruit en survolant le centre de Tokyo, tel un Buzz l’Éclair, à l’occasion de la venue d’un président américain.