通りゃんせ

Les passages entre les nuages qui se découvrent petit à petit révèlent des trésors que seul le marcheur attentif peut voir. Ces chemins sont étroits et peuvent se refermer subitement sans prévenir. Avançons tant que nous le pouvons. 通りゃんせ. Les possibilités d’avancer petit à petit sur ces chemins sans rendre de compte à personne s’éteindront peut être un jour. Avançons même si on ne se sent pas invité sur ces chemins, même si on ne fait parti de ceux qu’on reconnaît de loin lorsqu’ils arpentent ces routes. Le marcheur garde ici son statut d’homme de passage et ne s’approprie pas les lieux. Les instants qu’il entrevoit dans ce monde urbain rendu flou par la densité des choses disparaîtra pour ses yeux sous un nuage opaque. Alors marchons encore un peu plus avant que ce chemin ne se referme dernière nous. 通りゃんせ.

Le titre de ce billet Tōryanse (通りゃんせ) correspond à une chanson traditionnelle japonaise pour enfants. Il s’agit également de la musique que l’on peut entendre aux passages pour piétons quand le feu passe au vert et que l’on peut traverser. La chanson traditionnelle est aussi un jeu où les enfants s’alignent par deux en formant des arches avec les bras. Chaque enfant doit passer sous la série d’arches formés par le groupe. Quand la chanson s’arrête, les arches se referment sur les enfants en cours de traversée et ils y restent prisonniers. L’utilisation de cette chanson pour les passages pour piétons est intéressante car il faut, de la même manière, se dépêcher à traverser avant que la musique ne s’arrête. Le fait qu’au Japon, on traverse strictement quand le feu est vert est peut être inconsciemment dû aux souvenirs de ces chansons et jeux de l’enfance. Et à une crainte que la route ne se referme subtilement quand le feu passe au rouge, de la même manière que dans le jeu rythmé par cette chanson enfantine. La chanson fait référence à la visite au sanctuaire des enfants à l’occasion de leur septième anniversaire. Les paroles disent que seul ceux ayant une raison particulière peuvent emprunter le chemin étroit menant au sanctuaire. La célébration des sept ans est une de ces occasions particulières, d’autant plus que dans les temps anciens la mortalité infantile était particulièrement élevée. Cette musique traditionnelle me vient en tête alors que j’écoute le morceau Atai no Tsumeato あたいの爪痕 de Necronomidol, le premier morceau de leur premier album Nemesis. La version du groupe reprend les paroles mais sur des sons de guitares. Le morceau est étrange et inquiétant, comme toujours pour les morceaux du groupe. C’est un morceau très intéressant et très bizarre dans sa construction, notamment pour ce passage au milieu du morceau qui me fait énormément penser à un morceau de Sonic Youth. J’aime d’ailleurs beaucoup les six premiers morceaux de l’album Nemesis, mais beaucoup moins les autres.

stranger than BiSH

La saison des pluies était omniprésente au mois de juin car il pleuvait pratiquement tous les jours, mais continue malheureusement en ce début du mois de juillet, particulièrement froid (et agréable de ce point de vue) pour la saison. Quand il ne pleut pas, le ciel est tellement couvert qu’on peut craindre une averse à tout moment. Je ne me souviens pas qu’il y avait eu autant de jours de pluie l’année dernière pendant cette même saison. Lorsque je sors samedi matin un peu avant midi, un léger filet de pluie ne m’arrête pas. Il faut dire que depuis le week-end dernier avec mon cousin, j’ai pris une certaine habitude à marcher sous la pluie sans parapluie et je me sens comme immunisé. Je marche vers le centre de Shibuya en réfléchissant à quel pourrait être cette fois le sujet principal de mes photographies. J’avais en tête de prendre en photo une grande affiche que j’avais vu auparavant à l’intérieur de la gare. Je ne la prendrais finalement pas en photo car elle a déjà disparu, mais resterais sur mon idée de saisir en images ces grandes affiches qui changent souvent à Shibuya. Depuis que j’ai pris en photo la grande affiche de l’agence Wack sur la façade de la gare de Shibuya, celle qui montrait le visage de Aina The End du groupe BiSH, marqué du logo de l’agence, l’intérêt me revient de saisir ces grandes fresques commerciales dans leur environnement urbain.

En ce moment, la série Netflix Stranger Things 3 envahit les rues de Shibuya. Je n’ai pas eu besoin de me laisser convaincre par ses affiches pour commencer à regarder la série, car j’avais suivi cette histoire fantastique avec une ambiance des années 80 depuis la première saison. J’attendais cette troisième saison avec beaucoup d’impatience et j’ai dévoré les 8 épisodes pendant le week-end. L’effet de surprise de la première saison n’est bien sûr plus trop présent. La satisfaction de voir l’histoire se dérouler dans les années 80 s’est également beaucoup érodé et le scénario se répète un peu et devient même très prévisible. Mais, cette troisième saison est tout de même passionnante, et il faut bien dire assez effrayante. La série finit quand même par s’essouffler et je ne pense pas qu’une quatrième saison soit nécessaire, à moins de repartir sur d’autres personnages et d’autres lieux.

Mais revenons aux affiches de Shibuya. J’aime beaucoup la taille du visage sur l’affiche de la première photographie, notamment quand on mélange ce grand visage avec la silhouette des passants. Sur le bord de la photographie, une dame tout sourire semble poser pour ma photographie mais il s’agit plutôt d’une coïncidence heureuse.

Les photographies prennent une inspiration musicale quand j’aperçois une guitare Gibson SG seule au milieu d’une devanture d’une boutique de mode. Elle me rappelle ma Gibson noire que j’ai malheureusement vendu il y a très longtemps. Il faut dire que je ne savais jouer aucun air connu et mon approche « guitaristique » était plutôt expérimentale. Je l’avais acheté à l’époque avec un amplificateur Marshall et avec la ferme intention d’apprendre à jouer. Mais la difficulté de la tâche à dépasser mes illusions les plus optimistes. Une mauvaise chute sur le manche avait mis en miettes tous mes efforts et j’avais finalement vendu la guitare et l’ampli au Book Off pour un assez bon prix d’ailleurs. Cette guitare posée là me donne envie d’aller faire un tour vers le magasin de disques Tower Records de Shibuya. Je n’ai rien à acheter en tête mais j’aime aller me promener dans les rayons pour aiguiser ma curiosité musicale. Une des nombreuses grandes affiches couvrant l’entrée du magasin montre le groupe d’anti-idoles, ou idoles alternatives, BiSH en photo pour la sortie de leur troisième album intitulé CARROTS and STiCKS (toujours avec des « i » en minuscule). Je suis presque sûr que chacun des deux mots de ce titre assez énigmatique est en fait un acronyme inventé par l’esprit décalé du producteur Junnosuke Watanabe. J’avais fait quelques pics faciles dans un billet précédent sur l’agence Wack dont BiSH est le groupe principal, mais en voyant là sous mes yeux l’annonce de ce nouvel album, ma curiosité m’a poussé à aller écouter ce que ça donne. Je sais que le groupe et son producteur sont capables de concevoir des bons morceaux. Je sais également que l’esprit rock et décalé du groupe est bien présent, s’ils veulent se donner la peine de le laisser s’exprimer pleinement dans la musique qu’ils construisent. Je suis en fait curieux de savoir si la direction prise sera celle du morceau NON TiE-UP que j’avais apprécié à l’époque.

Sur les deux photographies ci-dessus prises à l’iPhone, l’affiche de l’album CARROTS and STiCKS du groupe BiSH à l’entrée du magasin de disques Tower Records de Shibuya et, à l’intérieur, des affichettes typiques complètement faites à la main (un des nombreux paradoxes très japonais pour un pays technologique utilisant encore beaucoup ce genre d’affichages faits à la main). Sur l’affiche, les six membres de gauche à droite: AiNA THE END (アイナ・ジ・エンド), LiNGLiNG (リンリン), CENT CHiHiRO CHiCCHi (セントチヒロ・チッチ), MOMOKO GUMi COMPANY (モモコグミカンパニー), AYUNi D (アユニ・D) et HASHiYASUME ATSUKO (ハシヤスメ・アツコ).

J’écoute les morceaux du nouvel album de BiSH sur iTunes en rentrant à la maison et je suis très agréablement surpris par la qualité générale de l’album. Le premier morceau DiSTANCE est d’ailleurs assez grandiose, avec une vidéo aux couleurs magnifiques et aux paysages fantastiques, un peu comme sur la vidéo de NON TiE-UP. Le morceau a tout de suite des allures de single. J’aime beaucoup les notes de guitare et la passion vocale que déploie le groupe. Cet album est résolument de style rock même s’il flirte avec la pop à de nombreuses occasions. Il y a quelques morceaux particulièrement agressifs musicalement comme le deuxième morceau Tsui ni Shi (遂に死) et le quatrième FREEZE DRY THE PASTS. Ce sont également quelques uns de mes morceaux préférés car le bruit et la fureur des guitares est sans compromis. C’est avec ce type de morceaux que BiSH se positionne clairement en groupe anti-idole, et ce sont ces morceaux qui m’accrochent à l’album. La vidéo accompagnant le morceau Tsui ni Shi (finally death) est également des plus agressives, jusque dans la typographie rouge utilisée. Ce deuxième morceau vient d’ailleurs contrasté avec le morceau juste après, comme un jeu de chaud et froid. Ce troisième morceau MORE THAN LiKE est beaucoup plus pop, mais toujours avec un rythme très accrocheur, qui me rappelle un peu ce qu’on peut entendre chez le groupe Radwimps. Ce n’est pas un morceau particulièrement original et c’est d’ailleurs le cas de quelques morceaux de cet album, qui n’ont pas un style résolument novateur, mais qui restent malgré tout très accrocheurs et très bien construits. Le quatrième morceau FREEZE DRY THE PASTS est certainement le plus décalé, alternant les moments calmes parlés et le bruit presqu’inaudible d’un magma de guitares qui démarre subitement sans prévenir. Il y a comme une harmonie dans cet océan de bruit où on entend à peine les voix mais où les flots subtils attirent nos oreilles. Ces passages bruyants où les voix se noient dans le bruit des guitares ont même un côté addictif. CHOP ensuite part sur un autre style musical plus électronique mais tout aussi agressif voire même poussif dans le rythme.

Images extraites de la vidéo sur YouTube du morceau DiSTANCE sur le troisième album CARROTS and STiCKS du groupe BiSH.

Dans presque tous les morceaux, la voix de Ayuni D, alias PEDRO lorsqu’elle est en solo, se fait remarquer par ses accents aigus et une façon de chanter un peu particulière qui ne plaira pas à tous, contrastant avec les voix du reste du groupe, beaucoup plus portantes. Je trouve que son chant apporte quelque chose d’interessant dans l’ensemble d’un morceau. Le sixième morceau I am me. ressemble également à un single, beaucoup plus posé comme morceau de pop rock dynamique avec des allures de rock indépendant. Dans cet album, il y a tout de même des morceaux que j’aime beaucoup moins comme NO SWEET, qui ressemble trop à ce qu’on peut attendre d’un groupe d’idoles classiques. Bien sûr, il y a des petits détails décalés comme le fait que l’on puisse entendre une des chanteuses, je pense AiNA, reprendre sa respiration à chaque paroles chantées. Disons qu’il y a quelques morceaux sans véritable personnalité, mais ils sont heureusement assez peu nombreux. J’ai toujours un faible pour les morceaux les plus puissants comme O・S ou FiNALLY où les paroles scandées façon rap de manière très rapide font leur effet. FiNALLY est un de mes morceaux préférés de l’album avec Yasashii PAIN (優しいPAiN), un morceau de rock indé assez différent du reste de l’album.

Toujours est-il que cet album est très consistant. J’avais un peu peur que certains morceaux soient mièvres ou kawaii (ce que je n’aime pas en musique, à part pour Kyary car le kawaii y est décalé), mais ce n’est pas le cas sur cet album. Il s’agit en fait d’un album résolument rock avec des passages puissants et désarçonnants et d’autres plus pop-rock. En fait, ce groupe brouille les pistes car on ne s’attend pas à ce qu’un groupe d’idoles, même alternatives, chantent ce style de musique de manière si convaincante et efficace. Tout doit être bien entendu très étudié par le producteur, mais au final, ce sont des morceaux qu’on a envie d’écouter en boucle.

a day with s (2)

Nous déjeunons au 38ème étage de la tour de Yebisu Garden Place, depuis laquelle nous avons une très belle vue sur une partie de Tokyo, du côté de la Tour de Tokyo et de Roppongi Hills. Il nous faut ensuite réfléchir à l’itinéraire de l’après midi, et nous nous mettons assez vite d’accord pour aller à Nakano Broadway, un des royaumes du monde Otaku avec Akihabara. En fait, je ne suis jamais allé à Nakano Broadway et bien que connaissant le nom de cet endroit, je ne savais pas trop ce qu’on y montrait et vendait. En fait, je savais seulement que Takashi Murakami y avait installé une boutique et un café, que j’avais envie d’aller voir. Voilà une bonne occasion de s’y rendre. Nakano est seulement à quelques stations de la gare de Shinjuku. Il faut marcher quelques centaines de mètres dans une galerie marchande couverte depuis la gare pour finalement arriver à Nakano Broadway. Il s’agit d’un grand immeuble de plusieurs étages avec de multiples boutiques. L’affiche futuriste de ce centre commercial indique tout de suite que le monde du manga et du cinéma d’animation est couvert ici. Il y a en fait beaucoup de magasins de figurines manga, qui doivent être vendues d’occasion. En fait, dans chacune des boutiques, on entre dans un monde de collectionneurs. Ici, des vieux jouets, là, des affiches de vieux films japonais, un peu plus loin, des jeux vidéos vintage. On s’amuse en regardant les prix, par exemple des cartouches de jeux Neo Géo à 420,000¥. Les jeux Neo Géo étaient inabordables à l’époque, mais ce sont maintenant des pièces de collection. Dans une boutique de vieux jouets plutôt axés Ultraman et ses divers monstres, je trouve par hasard un dinosaure mécanique Zoids que j’avais étant petit, et qui se vend 20,000¥ avec la boîte d’origine (10,000¥ sans). C’est incroyable comme certains vieux jouets peuvent prendre de la valeur. Le problème est que l’on ne sait bien sûr pas à l’avance lesquels prendront de la valeur. Certaines figurines et jouets nous rappellent des souvenirs d’enfance. Ces boutiques sont comme des mini-plongeons dans le temps. En se perdant un peu dans les couloirs du centre commercial, on finit par tomber sur le café de Murakami juste à côté d’une petite galerie d’art montrant un étrange samouraï mort-vivant. La galerie appelée Hidari Zingaro fait partie de l’espace de Takashi Murakami. Ce samouraï à tête de mort est une des pièces de l’exposition intitulée Ronin de l’artiste tatoueur Jun Cha, basé à Los Angeles. Mais il est temps de prendre un café au Bar Zingaro de Murakami. Il est bien entendu décoré d’un grand nombre de soleils colorés, dessins emblématiques de Murakami. L’endroit est assez petit mais nous avons la chance de trouver tout de suite une place. Depuis que j’ai vu la grande exposition qui lui était consacré à Roppongi Hills il y a quelques années, j’ai pris un certain intérêt à suivre le travail artistique de Murakami. J’aime notamment quand il modifie l’image de ces figures bon-enfants pour les transformer en petits créatures monstrueuses. L’univers du café Zingaro reste bon-enfant, mais attention, un grand monstre poilu guette dans un coin sombre du café.

La suite de notre après-midi s’accélère. En revenant de Nakano, nous nous arrêtons à Shinjuku pour traverser la minuscule allée de restaurants en comptoir de Omoide Yokocho. Avant cela, il nous aura fallu attendre, coincés dans la marée humaine du samedi soir entre la gare de Shinjuku et le Studio Alta. Je n’avais jamais vu autant de monde à Shinjuku, même un samedi soir. Après Omoide Yokocho, nous longeons Kabukichō, toujours dans la foule, pour accéder un peu plus loin aux rues étroites d’un autre temps de Golden Gai. Nous n’avons pas le temps de nous y arrêter, et je serais de toute façon bien en mal de choisir un de ces bars aux portes fermées sur l’extérieur. Certains bars affichent pourtant un écriteau en anglais pour souhaiter la bienvenue. Mais j’imagine que ceux qui viennent dans ces endroits veulent y trouver une ambiance à part et ne viennent pas pour se retrouver entre touristes étrangers. Je suis allé dans un de ces bars il y a très longtemps une ou deux fois, mais je ne souviens plus duquel et à quelle occasion. Pour des raisons indépendantes de ma volonté, les souvenirs de fin de soirée dans les rues de Shinjuku se font parfois flous. Depuis Shinjuku, nous décidons de marcher vers le nouveau stade olympique avant de regagner Shibuya. Mais la fatigue se fait sentir dans les jambes et le pluie fine incessante finit par avoir raison de notre volonté initiale. Nous prenons donc plutôt la ligne de métro Fukutoshin qui nous amène en quelques minutes seulement jusqu’au centre de Shibuya. Nous voulions revoir le grand carrefour de Shibuya envahi par les flots humains. Je me souviens d’un point de vue en haut d’un des buildings du croisement. J’y suis déjà allé il y a plusieurs mois. Alors que c’était auparavant gratuit, il faut maintenant s’acquitter de 300¥ par personne pour accéder au point de vue sur le carrefour. C’est vraiment abusé, d’autant plus que les vitres de protection mouillées par la pluie ne donnent qu’une vue floue du carrefour. En redescendant du building, on se console en quelque sorte en admirant les fresques dessinées sur les murs de l’escalier nous faisant redescendre au rez-de-chaussée. J’aime beaucoup la fresque représentant deux boxeurs avec des pieuvres sur la tête ou ces autres pieuvres aux allures extra-terrestres qui me rappellent les personnages ennemis d’un des jeux de la série Metal Slug sur Neo Geo. Pour conclure cette longue tournée dans les rues de Tokyo, nous mangerons des sushis à Shibuya, avant de souhaiter bon voyage à Samy qui partira pour Hong Kong, la prochaine étape de son long voyage.

a day with s (1)

Quand on reçoit un visiteur de France, en l’occurence mon cousin Samy, c’est à chaque fois l’occasion de faire une journée marathon dans Tokyo, pour essayer de voir le maximum de choses tout en discutant non-stop. La petite différence par rapport à l’habitude est que mon cousin avait déjà passé quelques jours à Tokyo (et quelques mois à Kyoto) auparavant, donc il a fallu orienter les visites de cette journée de samedi vers les lieux qu’il n’avait pas encore visité, tout en improvisant en cours de route. C’est également l’occasion pour moi de revoir les classiques, car pour quelqu’un qui vient à Tokyo pour la première fois, il faut d’abord voir les classiques. Mais, c’est même souvent l’occasion d’aller à des endroits que je ne connaissais que par réputation. En tout cas, il nous faut à chaque fois beaucoup marcher dans les rues de Tokyo, environ 20kms cette fois-ci. Notre journée de visite ressemblait donc à un demi-marathon dans Tokyo. Et par dessus tout, je me réjouissais à l’idée de marcher toute la journée avec mon cousin que je ne vois pas très souvent, car l’effort de la marche permet en quelque sorte de libérer la parole. Tout cela en prenant des photos bien sûr.

Nous nous sommes convenus de nous rejoindre à la gare de Shibuya devant Hachiko. Mari me dit que c’est un peu ringard de se donner rendez-vous à Hachiko, ce que je conçois bien. Mais cela faisait très longtemps que je n’avais pas donné rendez-vous à quelqu’un à cet endroit et ça m’a rappelé mes vingt ans. Il est 9h du matin et il n’y a pas grand monde dans le centre de Shibuya. On reviendra dans la soirée pour faire l’experience de la traversée du carrefour en pleine affluence. Nous avions de toute façon l’intention d’aller à Meiji Jingu tôt le matin pour éviter la foule des touristes. C’était bien calculé car il n’y avait pas foule à cette heure. Il faut dire également que la météo n’était pas des plus propices à la promenade car il a plu pratiquement toute la journée. C’était heureusement une pluie assez fine pour éviter le parapluie et garder un peu de fraîcheur. Nous passons devant le gymnase olympique de Kenzo Tange qui est actuellement en pleine rénovation avant les Jeux Olympiques de 2020, pour ensuite s’enfoncer dans la forêt qui nous mène vers Meiji Jingu. Les grandes portes torii font toujours leur effet sur le visiteur au fur et à mesure qu’on approche du grand sanctuaire. Nous nous dirigeons ensuite vers la rue Takeshita à Harajuku qui restait assez peu encombré à cette heure. La multitude des boutiques de la rue commençait tout juste à ouvrir, petit à petit. La curiosité nous a poussé à aller boire une de ces boissons taïwanaises au thé et tapioca dont on parle tant ces derniers mois. Je n’avais jamais essayé mais c’était très bon. La clientèle était plutôt féminine et jeune, comme je l’imaginais, mais la curiosité a été plus forte que tous les à priori. Alors que nous marchons dans les rues de Ura-Harajuku pour ensuite rejoindre Cat Street, la pluie devient plus forte et nous nous précipitons vers l’immeuble en colimaçon Omotesando Hills de Tadao Ando. Il a quelques semaines de cela, Mari y avait aperçu par hasard Kylian Mbappé qui était de passage au Japon pour la promotion d’une marque de cosmétique. En ressortant de là, alors que la pluie se fait insistante, l’option visite de musée ou de galerie, à l’intérieur donc, se fait des plus évidentes. Ça tombe bien car le musée Nezu n’est pas très loin d’ici et l’exposition du moment, une introduction aux arts traditionnels avec pour sujet la peinture japonaise, tombait à point pour faire un tour d’horizon de l’art graphique japonais. D’autant plus que je n’étais pas retourné au musée Nezu depuis sa reconstruction complète sous la direction de l’architecte Kengo Kuma. Le bâtiment est superbe, tout autant que le jardin à l’arrière qui ressemble parfois à une jungle tant il est dense. Quelques dépendances, maison de thé et café, ainsi que de nombreuses statues viennent agrémenter les chemins en pente du jardin. Alors que nous sortons dans le jardin sous une pluie fine, une dame d’un certain âge insiste pour qu’on emprunte son parapluie alors qu’elle entre à l’intérieur du musée. Nous refusons gentiment mais l’insistence de la dame me surprend un peu. Nous devons ressembler tous les deux à des pauvres touristes perdus dans un pays mystérieux, sans repères et livrés à nous-mêmes. Mais j’exagère certainement. C’était une aimable intention, mais qui peut prendre parfois des proportions étranges. La matinée se termine déjà et nous marchons ensuite vers Yebisu Garden Place pour le déjeuner. Suite de cette journée au prochain épisode.

○○○と言えば

Le building Tokyu de la station de Shibuya montre en ce moment sur sa façade une étrange photographie en noir et blanc d’un visage marqué du mot « wack » avec un sigle ressemblant à celui de MacDonald à l’envers. Il s’agit en fait d’une affiche promotionnelle pour l’agence Wack fondée par Junnosuke Watanabe spécialisée dans les idoles alternatives, notamment, dans les plus connues, BiS et le groupe sœur BiSH. On peut dire un peu sarcastiquement que la signification du nom en anglais de cette agence ainsi que l’utilisation d’un sigle proche de celui d’une chaîne de fast food donnent une bonne idée de la qualité générale de la production musicale de cette agence. Pour être tout à fait honnête, j’avais quand même apprécié un morceau du groupe BiSH l’année dernière, mais je constate tout de même que l’imagerie accompagnant les groupes n’est pas toujours du meilleur goût. J’aime par contre assez cette affiche géante dominant le carrefour de Shibuya, accompagnée d’un barcode nous amenant sur les pages du site internet de Wack. Les autres photographies du billet se déroulent également en plein centre de Shibuya au milieu de la foule qui traverse sans cesse le carrefour, dans un flot continu qui n’en finit pas de couler entre les deux rives.

Quand Burial sort un nouvel EP, je me précipite en général pour l’acheter sur iTunes ou Bandcamp, car je sais à quoi m’attendre. Je sais que l’ambiance y sera sombre et underground, assez désespérée mais surtout très forte émotionnellement. Le son est immédiatement reconnaissable, comme s’il était joué au troisième sous-sol d’un club mal éclairé. Cette musique est pleine d’aspérités. Les voix répétitives nous parlent ici d’un amour contrarié. Les paroles « I want you, why don’t you want me / You can’t lie, I see it in your eyes » se répètent sans cesse et constituent la trame principale du premier morceau intitulé Claustro. Le deuxième morceau State Forest revient vers l’ambient pur que l’on avait découvert pour la première fois sur le EP Subtemple / Beachfires. Ce morceau semble être la suite des morceaux précédents tant l’ambiance est ressemblante. Ce morceau ne se compose que de nappes sonores semblant prendre écho dans une bâtisse monumentale comme une cathédrale. Il n’y aucune percussion et de ce fait la construction du morceau reste très floue. Le premier morceau Claustro s’inscrit également directement dans la lignée des EPs précédents, ne serait ce que pour les craquements sonores et les incursions de voix délimitant les parties à l’intérieur d’un même morceau. Malgré cette grande continuité de style, Burial introduit tout de même des nouveautés au compte-gouttes, comme la partie finale de Claustro se transformant soudainement en euro-dance. En fait, Burial peut s’aventurer vers d’autres domaines musicaux, à la limite du démodé par moment, mais ces incursions sont toujours très mesurées et parfaitement intégrées à l’ensemble. De ce fait, ces changements inattendus de style ne font que renforcer la qualité d’ensemble du morceau. Les morceaux de Burial ressemblent un peu à des prises de sons directes dans les rues ou dans les clubs. C’est un peu comme s’il capturait ces sons tels qu’on les entend à différents endroits, pour ensuite les mélanger habilement pour constituer une ambiance hybride.

Il y a quelques mois de cela, on m’a contacté pour me demander si une de mes photographies pouvait être utilisée pour le numéro 29 du magazine Gradhiva publié par le musée du Quai Branly. Il s’agit en fait d’une composition photographique que j’avais créé il y a plusieurs années représentant une figure féminine dont le visage était caché pour une structure de nuages. Il s’agit de la deuxième photographie sur le billet Structure and clouds publié en avril 2011. J’ai bien volontiers accepté d’autoriser ma photographie à être publiée sur une des pages du magazine, et j’ai demandé, comme à chaque fois qu’on me demande une photographie pour une publication, de m’envoyer un exemplaire du numéro en question, ce à quoi on m’a répondu positivement. Le numéro 29 intitulé Estrangemental de cette revue d’anthropologie et d’histoire des arts est sorti à la fin du mois de mai et depuis, je surveille ma boîte aux lettres. Mais la revue n’arrive toujours dans notre boîte aux lettres. La revue s’est peut être perdue en route? Du moins, elle ne s’est pas perdue en route pour un artiste japonais ayant lui aussi contribué à la revue en fournissant quelques photographies de sa création. Il fournit certes beaucoup plus de photographies que moi, donc je me dis qu’il a peut être reçu son exemplaire en priorité. Toujours est-il que, pour chaque publication de mes photographies dans le passé sur d’autres magazines ou livres, on m’a toujours systématiquement envoyé un exemplaire. Est ce que le musée du Quai Branly n’est pas en mesure de bien gérer la distribution pour les contributeurs au magazine ? Je décide donc de recontacter la personne qui m’avait fait la demande de la photographie et on m’indique qu’il y a certainement eu un problème car d’autres artistes au Japon ont reçu leurs exemplaires. J’avais en effet noté ce problème. Une semaine plus tard, ne voyant toujours rien arriver dans ma boîte aux lettres, je recontacte la personne, sans réponse de sa part après plusieurs jours. Je ne suis étonnamment pas surpris et c’est bien dommage car j’ai quand même fait l’effort de fournir gracieusement dans un court délai une de mes photographies qui apparaîtra au final dans un magazine payant (20 Euros pour la version papier et 4 Euros par article). Si par le plus grand des hasards, quelqu’un allait faire un tour du côté du musée du Quai Branly, je serais très curieux qu’on m’envoie une photographie des pages où se trouve la photographie en question, histoire de voir ce que ça donne dans le magazine. Ceci étant dit, j’espère que je me trompe et je ne désespère pas de recevoir un exemplaire chez moi dans les jours qui viennent. Mon espoir s’amenuise pourtant de jour en jour.

Comme je n’aime pas beaucoup terminer un billet sur une note négative, je voudrais mentionner le morceau Killer Tune Kills Me du groupe japonais Kirinji avec en invitée au chant YonYon. L’ambiance y est très clairement neo City Pop (le genre City Pop étant populaire au Japon dans les années 80), avec comme particularité la présence de cette chanteuse YonYon qui doit être coréenne vu les quelques paroles chantées dans cette langue et les passages en japonais avec un léger accent. J’adore tout simplement ce morceau, je pense que ça doit être dû à certaines sonorités musicales qui m’attirent dans ce morceau. Toujours est-il que je l’écoute en boucle et j’ai toujours un peu de mal à arrêter de l’écouter. Je ne suis pas fan de City Pop, loin de là, mais certains morceaux opèrent chez moi comme un phénomène d’addiction. Je me demande si j’y vois là une nostalgie inconsciente. Bien que le morceau vient tout juste de sortir, je dois y trouver une certaine familiarité.