渋やああああっぷる

Ces quelques photographies ont été prises à Shibuya au même moment que celles noyées dans la foule du billet street clouds everywhere. L’ambiance y est cependant plus apaisée à part ces deux jeunes filles qui courent après le feu vert qui commence à clignoter. L’ambiance y est également moins oppressante à part ce gigantesque panneau digital sur le toit de Shibuya montrant une ‘affreuse’ mascotte blanche jouant à faire peur à une autre jeune fille. Comme souvent, j’aime bien délimiter mes séries de photographies par des photos d’immeubles, de la même manière que ces immeubles délimitent l’espace urbain. Ce billet est en quelque sorte une mini-représentation de ville avec sa population pressée, ces espaces urbains et ces petites touches de nature qui viennent les agrémenter.

Poster de l’album Sandokushi en noir et blanc aperçu sur le quai de la gare de métro de la ligne Ginza à Shibuya.

Le lundi 27 mai après les heures de bureau, je cours au Tower Records de Shibuya avant la fermeture pour aller acheter Sandokushi, le dernier album de Sheena Ringo dont je parle beaucoup ces derniers jours et semaines. Il est sorti le jour correspondant à la date d’anniversaire du début de sa carrière commencée il y a 21 ans. Avec la sortie de Sandokushi, je constate un certain degré de Ringo bashing, que je pressentais d’ailleurs dès l’annonce de ce nouvel album. On voit déjà apparaître des revues définitives sur l’album une journée seulement après sa sortie (comme celle de sputnik music). Je me demande comment on peut avoir un avis si appuyé après si peu de temps car un album prend en général du temps avant de se révéler, écoute après écoute. Je ressens là comme une certaine précipitation. Cela me donne l’impression que l’avis était déjà posé avant même d’avoir écouté l’album, ou peut être s’agit il d’un besoin inconscient d’être déçu. On peut être nostalgique de l’époque des premiers albums, comme je peux l’être également d’ailleurs, mais on ne peut pas souhaiter qu’un ou une artiste n’évolue pas musicalement au fur et à mesure des années. Réécouter tous les albums de Sheena Ringo et Tokyo Jihen ces derniers jours m’a rappelé qu’elle excelle également dans des styles très différents plus jazz ou pop. Le style qu’elle a construit lui est propre et inimitable, que ça soit à l’époque de ses débuts ou maintenant avec la sortie de ce nouvel album.

La variation des styles dans un même album peut être déroutante et c’est le cas pour ce nouvel album si on ne se met pas un peu en condition. Ce n’est pas particulièrement nouveau chez Sheena Ringo et la série des deux Reimport nous avait quelque part préparé à ces associations hétéroclites. Je dirais même que ça fait maintenant partie de son style. Elle ne renie pas ses premiers amours rock, ni son approche beaucoup plus orchestrée. Sandokushi mélange tout cela mais avec la particularité que tous ces morceaux s’enchainent sans intermission, comme une longue piste, ce qui est un moyen, peut être un peu artificiel certes, de créer une cohésion entre des morceaux très différents. Difficile en effet de créer un lien entre le troisième morceau plutôt léger Ma Chérie (マ・シェリ) et le morceau suivant Kakeochisha (駆け落ち者), beaucoup plus sombre et expérimental dans sa construction. Ceci étant dit, je ne sais pas par quelle alchimie bizarre mais ces enchaînements au millimètre finissent par bien fonctionner pour la cohésion d’ensemble à force de plusieurs écoutes.

J’en parlais déjà auparavant mais un point intéressant est l’organisation très codifiée des titres se répondant en miroir autour du point central qui est le septième morceau TOKYO. A part le premier morceau Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) qui agit clairement comme une ouverture et le dernier Anoyo no Mon (あの世の門) de fermeture, les morceaux qui se font miroir ont des styles ressemblant. Par exemple, les deux morceaux plus colorés et légers que sont Ma chérie et Jiyuudom (ジユーダム) sont placés aux 3ème et 11ème positions. Les morceaux avec des invités sont également placés de manière symétrique comme le quatrième Kakeochisha avec Atsushi Sakurai 櫻井敦司 du groupe BUCK-TICK et le dixième Isogaba Maware (急がば回れ) avec Hiizumi Masayuki ヒイズミマサユ機. Il y a plusieurs morceaux très rock comme le cinquième morceau Shijou no Jinsei (至上の人生) qui est magistral mais qui est également un des morceaux les plus anciens car datant de 2015. Il répond directement au cinquième morceau Donzoko Made (どん底まで) qui est sorti en même temps et dont la vidéo était une extension de Shijou no Jinsei. Ce morceau, par exemple, témoigne de la capacité de Sheena Ringo à faire encore maintenant des morceaux rock très puissants. C’est d’ailleurs à mon avis un des morceaux les plus marquants de sa carrière post Tokyo Jihen. Le problème est que je connais déjà ce morceau par cœur depuis le temps qu’il est sorti en single. C’est en fait le cas d’une très grande partie de l’album que l’on connaît déjà. Il y a très honnêtement beaucoup de très bons morceaux, mais l’effet de surprise a déjà disparu, ce qui est assez dommage. En même temps, on trouve tout de même de l’intérêt à les écouter dans le contexte des autres morceaux de l’album. Les nouveaux morceaux sont tous intéressants et ne sont pas plus faibles que les morceaux déjà sortis il y a longtemps. Dans les nouveaux morceaux, j’aime tout particulièrement le morceau central TOKYO. Les accords de piano au début du morceau et la mélodie qui ne se révèle pas immédiatement me plaisent beaucoup. C’est le fameux et classique morceau central que l’on trouve régulièrement sur les albums de Sheena Ringo. Je le trouve plus intéressant que Ima sur Hi Izuru Tokoro ou Shun sur Sanmon Gossip, sans atteindre par contre les hauteurs de Stem sur KSK.

Bien sûr, on pourra reprocher un certain maximalisme de certains morceaux, surtout ceux très orchestrés, mais ce maximalisme est devenu sa marque de reconnaissance, qu’on le veuille ou non. Dans une interview que j’ai écouté dimanche dernier sur la radio, J-Wave, elle nous disait qu’elle tient à cœur que l’auditeur en ait pour son comptant, que ça soit en écoutant un album ou en concert. Cela peut conduire à en faire un peu trop. Mais, écouter cette interview m’a aussi conforté dans le fait qu’elle est très honnête dans son approche musicale.

Assemblage temporaire de posters pour Ringo Expo 18 à l’entrée du Tower Records de Shibuya.

J’ai un peu de mal pour l’instant à donner un avis définitif sur l’album car mon impression évolue à chaque écoute et je l’écoute tous les jours depuis presqu’une semaine. Dans les morceaux plus anciens, la fin de l’album avec Jiyuudom et Menukidoori (目抜き通り) m’intéressent moins, même s’ils restent tout à fait appréciable. J’ai un faible pour le morceau Ma chérie, car j’aime bien sa manière de chanter un peu différente et notamment quand elle prononce maladroitement quelques phrases en français. Je reconnais des morceaux très forts comme le quatrième en duo avec Atsushi Sakurai, notamment dans la manière dont leurs voix très différentes se marient ensemble. Ce mariage de voix très différentes fonctionne aussi bien avec Hiizumi Masayuki sur le dixième morceau Isogaba Maware. J’adore sa voix et façon de chanter sur ce morceau qui me donne toujours envie d’y revenir. J’ai toujours aimé la dynamique et la passion vocale qui se dégage de Kamisama, Hotokesama (神様、仏様) avec Mukai Shutoku 向井秀徳 de Number Girl. Beaucoup reproche l’auto-tune sur Niwatori to Hebi to Buta et Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭) en duo avec Ukigumo 浮雲, mais j’ai du mal à comprendre ce qui dérange exactement, étant donné que ça apporte une variation bienvenue à sa manière de chanter (ce qui a été souvent le cas dans ces albums passés). Je reviens sur les transitions entre les morceaux car c’est ce qui m’a tout de suite marqué à la première écoute. Cette transition fonctionne particulièrement bien sur Shijou no Jinsei quand l’énorme son de guitares vient écraser les derniers sons de cuivres à la fin de Nagaku Mijikai Matsuri. Qu’on ne vienne pas dire qu’il n’y a pas de passion dans cet album.

Pour finir, il faut quand même parler un peu de Anoyo no Mon (あの世の門), morceau qui conclut l’album, car il est très particulier et différent des autres morceaux. Sheena Ringo est accompagnée au chant par une chorale bulgare menée par Vanya Moneva. Le morceau n’est pas évident dès la première écoute mais très beau et envoûtant. Là encore la voix de Sheena Ringo s’accorde bien avec les voix de la chorale. J’aime un peu moins l’intervention de l’accordéon en deuxième partie du morceau (je n’aime pas beaucoup cet instrument, trop lié à une certaine image rétro parisienne). Ceci étant dit, ce morceau ouvre de belles perspectives sur ce que pourrait être la suite musicale de Sheena Ringo. Après la trilogie Sanmon Gossip/Hi Izuru Tokoro/Sandokushi, l’album et les morceaux qui suivront adapteront peut être ce style. Ça me paraitrait être une bonne idée. Ce dernier morceau contribue un peu plus à l’hétérogénéité symétrique de l’album. Il y a une sorte de paradoxe omniprésent dans l’album entre la construction introduite par la symétrie des styles et la déconstruction introduite par l’hétérogénéité des morceaux. C’est peut être là toute la beauté de l’album, comme un coup de sabot dans une certaine idée de conformité attendue, au risque d’être mal compris. Pour ma part, subsiste une part d’incompréhension, à commencer par le sens du personnage fantastique de cheval ailé portant une Gibson RD sur la pochette et de ces trois poisons du titre Sandokushi… C’est bien aussi de garder une part de mystère. Cela fait presqu’une semaine que j’écris ce billet petit à petit en écoutant l’album et je me rends compte que je l’aime de plus en plus.

Pour référence ultérieure, je garde pour mémoire ci-dessous la liste des titres de l’album.

01- 鶏と蛇と豚 Niwatori to Hebi to Buta
02- 獣ゆく細道 Kemono Yuku Hosomichi (宮本浩次 Miyamoto Hiroji)
03- マ・シェリ Ma Chérie
04- 駆け落ち者 Kakeochisha (櫻井敦司 Sakurai Atsushi)
05- どん底まで Donzoko Made
06- 神様、仏様 Kamisama, Hotokesama (向井秀徳 Mukai Shutoku)
07- TOKYO
08- 長く短い祭 Nagaku Mijikai Matsuri (浮雲 Ukigumo )
09- 至上の人生 Shijou no Jinsei
10- 急がば回れ Isogaba Maware (ヒイズミマサユ機Hiizumi Masayuki)
11- ジユーダム Jiyuudom
12- 目抜き通り Menukidoori (トータス松本 Matsumoto Tortoise)
13- あの世の門 Anoyo no Mon

16•SIXTEEN•16歳になりました

Je loupe régulièrement le coche, Made in Tokyo vient d’avoir 16 ans il y a trois jours. Il a presque l’âge de la majorité. Il a au moins l’âge de la conduite accompagnée, en compagnie d’un adulte. C’est moi l’adulte qui accompagne mais je vais certainement bientôt le laisser se débrouiller seul. C’est le sentiment que j’ai en pensant à toutes ces années passées sur ce site. J’ai vu ce site grandir jusqu’à atteindre une certaine maturité, je pense. J’ai souvent peur qu’un problème technique vienne effacer toutes ces années d’écriture et de photographies. Je fais bien entendu des sauvegardes régulièrement, mais je viens en plus de terminer de sauver en format pdf toutes les pages du site, les unes après les autres. Le fait d’avoir ouvert les quelques 400 pages d’archives du site (soit environ 4500 billets en tout) pour les sauvegarder, m’a replongé dans les seize années de blogging et m’a fait constater des évolutions, notamment le fait que j’écris plus ces dernières années. Une chose cependant n’a pas changé, c’est le mélange des sujets, souvent dans un même billet, dicté purement par l’envie de parler de ce qui me plaît. Je parle assez peu des choses qui me déplaisent. Je passe volontairement assez peu de temps à critiquer ou à grogner sur des choses qui me déplaisent. Il y a bien sûr beaucoup de choses qui me déplaisent dans la vie quotidienne ou sur ce que je peux lire ou voir sur les réseaux sociaux, mais je préfère dépenser mon énergie et mon temps à aborder ce qui m’enthousiasme. Cette approche positive peut, je l’espère, apporter une inspiration aux visiteurs. Quand je reçois des messages en ce sens, parfois en dehors des commentaires de Made in Tokyo, j’en suis particulièrement heureux.

J’indiquais dans mon billet précédent que je réécoutais tous mes disques de Sheena Ringo en attendant la sortie de Sandokushi. Bien que j’ai toute ma musique sur iTunes, je ne résiste pas à l’envie de ressortir des tiroirs tous les CDs et DVDs que je possède de Sheena Ringo et de Tokyo Jihen. Il y a également quelques Singles (les derniers) et compilations comme Reimport 2 que j’ai seulement en digital. A part les DVD/Blu-ray de concerts Ringo Expo, qui m’intéressent moins en général, et les compilations de morceaux déjà sortis sur d’autres albums, il ne doit pas me manquer grand chose. J’ai a peu près tout réécouté dans le désordre chronologique à part pour Tokyo Jihen, où je ne sais pour quelle raison, je souhaite toujours les écouter du premier Kyōiku (教育) sorti en 2004 au dernier Color bars sorti en 2012. J’aime bien faire des comparaisons entre Sheena Ringo et Jun Togawa, car elles ont toutes les deux des personnalités musicales fortes en créant un univers musical qui leur est propre et qui inspire les jeunes générations d’artistes. Elles évoluent cependant à des périodes différentes, Sheena Ringo commençant sa carrière plus d’une dizaine d’années après celle de Jun Togawa. Tout comme Jun Togawa avec Yapoos, Sheena Ringo a commencé sa carrière en solo pour ensuite évoluer au sein d’un groupe, Tokyo Jihen. Je remarque quelques similitudes entre Yapoos et Tokyo Jihen, notamment le fait qu’ils aient tous les deux sorti six albums sachant que le sixième est pareillement un mini-album de quelques titres seulement. C’est assez inhabituel pour un ou une artiste de commencer en solo et ensuite vouloir évoluer au sein d’une formation, je ne peux m’empêcher d’imaginer ici une influence. Réécouter toute la discographie de Sheena Ringo me rappelle que c’est l’artiste musicale japonaise que je préfère d’assez loin. Même s’il y a des albums plus inégaux ou des morceaux que j’aime moins, la qualité de son œuvre est indéniable. Je suis maintenant prêt pour écouter la suite, très certainement demain.

Et pendant ce temps là, alors que j’écris ces quelques lignes, des hélicoptères font du bruit en survolant le centre de Tokyo, tel un Buzz l’Éclair, à l’occasion de la venue d’un président américain.

street clouds everywhere

Je n’avais pas pris de photographies de foule depuis longtemps et je m’y remets avec cette petite série de cinq photographies superposant les images. Je ne parviens cependant pas à égaler la série que j’avais créé au même endroit à Shibuya en août et septembre 2010, série que je considère comme la plus réussie selon mes propres critères créatifs dé-constructifs. Ce n’est pas forcément l’envie qui me manque de prendre en photo les foules, mais ce n’est clairement pas ma zone de confort, ni ma zone d’intérêt principal. L’envie de saisir la vie en mouvement me prend de temps en temps, mais pour ensuite mieux transformer ces images et les rendre moins évidentes. Je me suis placé ici au grand carrefour de Shibuya et j’ai saisi le mouvement comme il se présente sans forcément pointer sur des personnes ou des visages particuliers. Au développement des photographies sur l’iMac, des visages se détachent soudainement parmi le flou des mouvements. C’est intéressant parce qu’il est difficile de deviner le résultat final au moment de la prise de vue. On voit le résultat que plus tard et il est très possible que rien d’intéressant ne se profile au final sur les images.

Trois images extraites de la video du morceau intitulé 鶏と蛇と豚 (Niwatori to Hebi to Buta – Gate of Living) disponible sur Youtube, en ouverture de l’album Sandokushi de Sheena Ringo.

Depuis quelques jours, j’écoute les disques de Sheena Ringo 椎名林檎 les uns après les autres sans forcément suivre l’ordre chronologique. C’est en quelque sorte une manière de se préparer à la sortie du nouvel album Sandokushi (三毒史) lundi prochain. La sortie de ce nouvel album me donne un sentiment un peu bizarre entre l’excitation de pouvoir écouter un nouvel album original studio après cinq ans et la conviction qu’il ne s’agira certainement pas d’un grand cru comme les trois premiers albums. Ceci étant dit, pris séparément, beaucoup de morceaux des albums récents de Sheena Ringo sont très bons et très reconnaissables malgré les changements de styles musicaux. Il manque juste une cohérence d’ensemble dans les derniers albums et j’ai un peu peur que ça soit la même chose dans le dernier album, malgré le nombre de bons morceaux, pris indépendamment, que l’on connaît déjà et qui composeront le nouvel album.

Pour rassurer un peu, la vidéo du morceau d’introduction de l’album Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) est vraiment très belle esthétiquement. La vidéo est tout juste disponible sur YouTube. Elle est dirigée, comme souvent, par le mari de Sheena Ringo, Yuichi Kodama 児玉裕一, dans une ambiance nocturne et urbaine emprunte de fantastique, notamment par la présence du personnage de cheval ailé que s’est donné Sheena Ringo sur la pochette de Sandokushi. La ville est parcourue par un immense char illuminé de matsuri représentant des serpents, un immense cochon comme une montgolfière survole la ville, une parade colorée comme des oiseaux marche en dansant dans les rues… La danseuse Aya Sato ⁂▼Åγ∂ S∂†Ο▼⁂ interprète d’une manière imagée les trois animaux du titre du morceau, à savoir le poulet, le serpent et le cochon qui représentent les trois poisons du terme bouddhiste ‘Sandoku’ (utilisé dans le titre de l’album): l’ignorance, l’avidité et la colère. Après une vue sur la tour de Tokyo, les premières images se passent à Nishi-Shinjuku devant la structure murale de verre de l’Oeil de Shinjuku (新宿の目), qui semble jouer ici le rôle d’une porte empruntée par le personnage de Sheena Ringo. Un peu plus loin dans une rue déserte, un moine fait des incantations qui font apparaître les trois personnages imagées d’animaux interprétés par Aya Sato à différents endroits de Tokyo (on reconnaît Shinbashi), tandis que le cheval ailé de Sheena Ringo observe la scène du haut de la tour Wako dans le centre de Ginza. Comme je le disais auparavant, le morceau termine assez vite et donne vraiment l’impression d’être une introduction à ce qui va suivre dans le reste de l’album. D’ailleurs à la toute fin de la vidéo, alors que l’on revient vers l’Oeil de Shinjuku, on voit des images très rapides (il faut faire des arrêts sur images) correspondant à d’autres vidéos de morceaux déjà sortis sur le futur album, notamment une image du tunnel provenant de Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道), une image de danse dans un club du morceau Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭), un personnage en costume blanchâtre qui pourrait être Tortoise Matsumoto sur Menukidori (目抜き通り) et une image d’une femme en kimono blanc rayé de dos sur Kamisama, Hotokesama (神様、仏様). Certaines images, les lieux notamment comme la tour de Tokyo et la tour Wako à Ginza, des vidéos de Menukidori et Kamisama, Hotokesama apparaissent également de manière très similaire sur le nouveau morceau Niwatori to Hebi to Buta. Tout ceci laisse penser qu’il y a des liens très étroits entre les morceaux et peut être une histoire qui se construit à travers les différents morceaux pour former un tout. Le nouvel album semble être d’une construction très réfléchie et c’est passionnant.

Cinq images extraites du court métrage intitulé 百色眼鏡 (Hyaku Iro Megane): 1) la femme en kimono rouge se révélant la nuit, 2) l’actrice Kaede Katsuragi (Koyuki), 3) la clochette au pied de la femme au kimono rouge, 4) Amagi (Kentarō Kobayashi) en promenade avec Kaede Katsuragi pour tenter de percer son secret, 5) une personnalité double, celle de Sheena Ringo.

Mahl me faisait remarquer en commentaire dans un billet précédent l’existence d’un court métrage intitulé Hyaku Iro Megane (百色眼鏡), se basant sur certains morceaux du troisième album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花), écrit communément KSK, de Sheena Ringo. Je me souviens avoir aperçu ce disque dans les rayons du Disk Union de Shinjuku ou de Shimo-Kitazawa mais je n’avais pas remarqué qu’il s’agissait d’un film au format DVD. Je pensais plutôt qu’il s’agissait d’un EP du morceau Stem (茎). Je n’avais pas regardé attentivement. Je rattrape le coup un soir de la semaine dernière en allant acheter le DVD de Hyaku Iro Megane au Tower Records de Shibuya (avec au passage une fiche plastique « clear file » offerte avec photo et logo à l’occasion de ses 20 ans de carrière). Je suis un peu surpris de le trouver facilement car il date de 2003. Je suis aussi surpris de remarquer que le DVD est en fait sorti un mois avant KSK.

Hyaku Iro Megane est un court métrage de 40 minutes dont l’histoire est bien mystérieuse et ressemble à un rêve. Il s’agit de l’histoire de Amagi, un jeune homme interprété par Kentarō Kobayashi chargé par une autre personne de découvrir l’identité réelle de l’actrice Kaede Katsuragi, interprétée par Koyuki, vivant seule dans une splendide demeure. Dans son travail de détective à la recherche du vrai nom de l’actrice, il finit par s’en approcher au point de devenir amis. On ne sait si c’est un rêve ou une réalité, mais il revient le soir espionné la demeure à travers un petit trou de la palissade en bois. Il y découvrira une autre personnalité de l’actrice, habillée d’un kimono rouge et interprétée par Sheena Ringo, et semblant seulement se réveiller la nuit. L’histoire reste très mystérieuse car on ne comprend que difficilement le lien entre le personnage de Koyuki et de Sheena Ringo et la part de rêve et de réalité. Amagi se réveille d’ailleurs toujours brusquement après sa séance d’espionnage devant la palissade de Katsuragi. Un peu comme chez Haruki Murakami, une part de fantastique vient s’introduire dans le réel. Je suis d’ailleurs en train de lire le Meurtre du Commandeur en ce moment. Dans le livre, un objet d’invocation du surréel se présente sous la forme d’une petite clochette ‘suzu’. J’étais amusé de trouver également cette petite clochette au pied du personnage au kimono rouge, comme si cet objet était d’une même manière destiné à faire le lien entre le personnage réel de Kaede Katsuragi et l’imaginaire se révélant seulement la nuit. Le réel et l’imaginaire se mélangent dans ce petit film et les frontières sont très floues, comme les images pleines de couleurs à certains moments. Cela rend le film très beau et délicat. Les décors et kimonos des années 40/50 apportent aussi beaucoup à l’ambiance, la beauté classique et mystérieuse de Koyuki dans ce rôle également. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu dans un film ou à la télévision, mais je ne suis pas non plus précisément sa carrière. C’est presque inutile de le préciser, mais la musique basée sur KSK et notamment le morceau Stem ponctuant l’histoire est bien évidemment un des éléments majeurs du film. Le film ne ressemble heureusement pas à un clip vidéo pour KSK et n’est pas non plus une curiosité. C’est plutôt une extension visuelle du monde de KSK et en ce sens, cela aurait été dommage de manquer ce court métrage dans ma collection de l’oeuvre de Sheena Ringo.

Trois illustrations par Shohei Otomo visible sur son site web: Konnichiwa World! (2017), 夜露死苦 -Yoroshiku (2017) et The Spectre (2018).

Tous ces kimonos en images chez Sheena Ringo me rappellent soudainement un dessin à l’encre noire de l’artiste Shohei Otomo, fils de Katsuhiro, montrant une chanteuse un peu extravagante en kimono. Cette chanteuse ne ressemble pas spécialement à Sheena Ringo, mais je vois quand même un rapprochement dans le fait que Sheena Ringo se met souvent en scène habillée d’un kimono dans des scènes traditionnelles mises au goût du jour. L’image dessinée par Otomo joue sur l’excès. On y voit toute sorte d’accessoires accrochés à la tenue et dans les cheveux du personnage. Le kimono en lui même est également très particulier pour ses motifs iconoclastes. J’adore ce sens du détail et le noir et blanc au stylo bille joue pour beaucoup sur l’impact visuel que provoque l’image. Shohei Otomo dessine beaucoup de personnages décalés ou à contre emploi. L’image au dessus à gauche représente le chanteur du groupe Kishidan, Show Ayanocozey, en tenue de scène coiffé d’une banane surdimensionnée et d’une autre époque, mais montré comme un écolier. Shohei Otomo dessine également des représentants des forces de l’ordre dans des postures que l’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont même parfois répréhensibles. C’est certain qu’il donne une image décalée bien différente de l’image que l’on a du pays. Des trois images ci-dessus, le spectre en costume est la plus récente. L’auteur nous montre cette image en détail sur son compte Instagram. C’est une illustration mystérieuse qui glace le sang.

i’m tired of seeing things

Le titre du billet ne correspond pas à une lassitude de prendre des photographies de Tokyo, mais plutôt au contraire à un sentiment de trop plein, étant donné que je prends en ce moment plus de photographies que mon rythme de publication ne le permet. Sur les photographies ci-dessus, nous sommes d’abord de retour dans le centre de Shibuya lors d’une journée très ensoleillée faisant apparaître la nouvelle tour de verre de la station de Shibuya comme un mirage au fond du paysage. En abordant la tour 109 depuis le côté gauche, on a l’impression qu’elle a été avalée par le bruit urbain alentour. Lorsqu’on l’approche depuis le grand carrefour de Shibuya, elle apparaît plutôt comme un landmark se détachant clairement des buildings aux alentours par son design lisse et moderne. Le haut de la tour subit quelques travaux car le logo 109 va changer de style. En s’enfonçant un peu dans les rues arrières du centre de Shibuya, on retrouve très rapidement le brouhaha urbain mélangeant les formes et les couleurs. Je me sens obligé de photographier car ce Shibuya là disparaîtra, comme c’est le cas de la zone sud de la gare, à côté de la tour Stream, en redevelopment complet. C’est un peu triste mais c’est le courant des choses. Je montre les deux dernières photographies, prises sur l’avenue Meiji et à Hiroo, pour la lumière plutôt que pour l’objet montré. Cette lumière créant des ombres depuis une vieille moto Indian et éclairant le bout des toitures des temples est tout ce qui importe.

Le dernier album Double Negative du groupe rock slowcore Low est un chef d’oeuvre conceptuel. C’est un monument musical fait de matières abrasives, construit sur un terrain rugueux composé de bruits et de multiples sonorités particulières. C’est sur cet espace inhospitalier que les voix d’Alan Sparhawk et de Mimi Parker viennent se poser en essayant de forcer la voie. L’ensemble donne le sentiment d’un univers musical instable. Le premier morceau Quorum donne une bonne introduction à cet univers. On retrouve cet atmosphère où la voix peine à émerger du son dans les morceaux de shoegazing, mais la musique de Low est plus expérimentale. Des moments plus calme aux sonorités industrielles alternent les passages musicaux altérées. Les morceaux sont en général au tempo lent, ce qui est constitutif du style slowcore. Le deuxième morceau Dancing and Blood me fait penser à l’univers de Burial pour le côté brumeux d’une ville industrielle où se dégagent des voix écorchées. Ce qui fonctionne très bien dans cet album, ce sont les passages très mélodiques alternant avec la dureté des lieux. Les morceaux s’enchaînent sans interruption, ce qui donne l’impression d’un vaste ensemble musical vivant. Les morceaux de Double Negative jouent avant tout sur les émotions, et j’y suis très sensible. Il y a une grande tristesse dans certains morceaux comme le troisième Fly, qui donne la chair de poule. Parfois, la voix est soumise à des obstacles bruitistes semblant insurmontables comme sur le morceau Tempest. Le morceau est difficile à la première écoute, comme le serait un combat et se révèle être, au fur et à mesure des écoutes, d’une beauté indescriptible. J’adore particulièrement la toute fin du morceau, comme une mécanique qui se bloque en boucle infinie. On a même l’impression qu’une présence extra-humaine se dégage de ce bruit en mode drone. Il y a parfois de belle éclaircies franches aux allures pop comme le sixième morceau Always trying to work it out, mais la voix claire en duo est tout de même soumise aux basses lourdes comme des bombardements au fond du paysage et se fait finalement avalée par un torrent magnétique final. Double Negative fait surgir les images. Les nappes musicales de The Son, The sun par exemple m’évoque un vent en terrain désertique, presque lunaire, puis des ambiances de temple oriental dans la pénombre. A ce moment, je pense à nouveau à Burial sur le EP Subtemple. Leurs univers sombres ont certaines ressemblances par moments. On peut écouter et se procurer cet album sur Bandcamp. On peut y lire une description en anglais qui me parle beaucoup. J’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog du sentiment de dualité, ici vue comme un combat, entre la beauté de la voix humaine et la rugosité destructrice du bruit environnemental.

Double Negative is, indeed, a record perfectly and painfully suited for our time. Loud and contentious and commanding, Low fights for the world by fighting against it. It begins in pure bedlam, with a beat built from a loop of ruptured noise waging war against the paired voices of Sparhawk and Parker the moment they begin to sing during the massive “Quorum.” For forty minutes, they indulge the battle, trying to be heard amid the noisy grain, sometimes winning and sometimes being tossed toward oblivion. In spite of the mounting noise, Sparhawk and Parker still sing. Or maybe they sing because of the noise. For Low, has there ever really been a difference?

Cette musique est pour sûr prenante et il faut se trouver dans de bonnes conditions pour l’écouter. En ce qui me concerne, j’aurais du mal à l’écouter à la légère. Je ne connaissais pas du tout le groupe Low, bien qu’ils soient actifs depuis 1993. Double Negative me donne envie de creuser un peu plus cet univers.

Écouter la musique de Low m’inspire une dernière image évoquant un certain minimalisme et les formes non évidentes d’une présence humaine derrière le bruit urbain.

autour de la forteresse de Shōtō

C’est un fait assez rare à vrai dire, mais j’ai une grande quantité de photographies à montrer sans avoir pour l’instant de textes écrits pour les accompagner. Il est possible que je les montre sans légendes dans les billets qui vont suivre, mais pour le moment j’essaie d’y ajouter quelques mots, pour me souvenir du contexte des photographies et parce que j’aime parfois me relire après plusieurs années. De temps en temps, je prends un mois au hasard de ma page d’archives et je relis les textes et revois les photographies de quelques billets. J’aime me remémorer ces instants passés et le fait d’y mentionner l’inspiration musicale du moment me replonge un peu plus dans l’ambiance des lieux. Les photographies ci-dessus sont prises dans le quartier de Shōtō 松濤 à deux pas du centre de Shibuya. J’étais parti à la recherche de M House du groupe d’architectes SANAA qui a été malheureusement détruite et temporairement remplacée par un terrain vague, comme je l’indiquais dans un billet précédent. Les photographies ci-dessus sont donc prises pendant cette période « intermédiaire » où je recherche dans les rues, tel un chasseur, l’objet d’architecture qui m’intéresse, avant d’atteindre le but de mon déplacement. Cette chasse à l’architecture se passe la plupart du temps dans un quartier que je ne connais pas ou peu, mais je connais relativement bien Shōtō, pour m’y être promené plusieurs fois. Du moins, j’ai le sentiment de connaître ce quartier. J’y retrouve bien entendu la galerie TOM, faite de béton brut, par l’architecte Hiroshi Naito, et le musée d’art de Shōtō par l’architecte Seiichi Shirai. Ce sont tous les deux des bâtiments très particuliers que j’aime beaucoup revoir quand je passe dans le coin. Mais lors de ma marche à Shōtō, deux autres bâtiments m’ont impressionné ou plutôt intrigué, celui des deux premières photographies et celui de la troisième. Sur la troisième photographie d’abord, cette maison individuelle est particulière car elle mélange les styles: une structure occidentale faite de briques et une toiture et certaines structures de tradition japonaise. Le résultat est assez étonnant et fonctionne bien, je trouve. L’ajout des fenêtres, ronde ou placée sur une arête de la façade, ajoute un côté moderne inattendu. Mais le choc visuel vient du bâtiment des deux premières photographies. Il est difficile à prendre dans sa totalité en raison de sa taille et de la faible largeur de la rue. Cette maison particulière ressemble à une forteresse moyenâgeuse par la présence d’une énorme porte d’entrée qui fait penser à un pont-levis, par les immenses façades pratiquement exemptes d’ouvertures et par sa ressemblance à une tour de garde. Pour sa couleur, on dirait le château d’un royaume des sables. Je serais très curieux d’en connaître l’architecte et de comprendre comment est arrangé l’intérieur de cette forteresse. Une chose est sûr, les propriétaires de ce domaine fortifié veulent se protéger de l’extérieur. Bien que je n’ai pas pu voir M House, mon passage à Shōtō m’a fait découvrir d’autres architectures qui valent à elles seules le détour.