walking in a spiral: side A

Je construis souvent des séries de photographies en trois épisodes. Celui-ci est le premier épisode de cette petite série. Ces derniers temps, j’ai du mal à écrire dans le vide, alors je m’abstiens jusqu’à ce que l’inspiration d’écriture me revienne. Heureusement, l’inspiration photographique ne se tarit par encore complètement même si je passe mon temps à marcher en spirale dans la ville. Le titre de ces trois billets est inspiré d’un morceau de Liz Harris sur l’album After its own death / Walking in a spiral towards the house de son nouveau projet Nivhek. On n’est pas très loin de ses créations musicales sous le nom Grouper, avec la même noirceur et beauté imparable, mais la musique de Nivhek prend un accent un peu plus expérimental. J’écoute beaucoup cet album composé de seulement quatre morceaux allant de 8 à 20 minutes pour une durée totale d’une heure. Cette musique s’accommode bien du noir et blanc, comme souvent sur les pochettes des albums de Liz Harris, mais j’ai volontairement envie d’associer sur ce billet cette musique aux couleurs de la ville, pour le contraste. Cet album de Nivhek joue d’ailleurs sur les contrastes, car chaque morceau est découpé en petite scènes musicales alternant des voix atmosphériques et indéchiffrables aux Intrusions de sons lourds et sourds en répétition de type drone. Dans la musique de Liz Harris, on apprécie le son entre les cordes, comme si chaque note et chaque moment de silence étaient minutieusement soupesés. De Grouper, je garde toujours en tête le sublime album Ruins sorti en 2014 et j’y reviens régulièrement. L’album de Nivhek atteint cette même qualité musicale bien qu’il fasse plusieurs écoutes pour l’apprécier pleinement.

Dans une interview passée de Liz Harris sur Pitchfork, je retiens quelques mots qui m’interpellent et que j’avais noté dans un coin de mon iPad. Elle y parle de sa relation à son œuvre musicale et à son public. A propos de la sortie d’un album: “I often picture releasing an album as trying to secretly sink a heavy object in a lake – find a quiet corner, gently slip it under the surface, watch the ripples for a moment, and steal away.” A propos de son audience: “I think I pretty genuinely forget they’re there most of the time. It’s nice if people like it. I’m not making it so people like it, though. »

ハタチ

Depuis le 1er Février 2019, cela fait exactement vingt ans que je vis au Japon. Il y a vingt ans, j’étais dans l’avion qui m’amenait de Paris Charles de Gaulle à Tokyo Narita. Hier, j’étais dans l’avion qui me ramenait d’une semaine à Hong Kong vers Tokyo Haneda. Les sensations à mon arrivée à l’aéroport de Tokyo hier et il y a vingt ans sont certes bien différentes. J’y pense un peu hier, assis dans l’avion, entre deux films. A l’allée et au retour, j’ai vu deux très bons films japonais, de styles très différents mais qui m’ont tous les deux donné la larme à l’oeil par moments, car on y parle de relations enfants parents. A l’allée, sur le petit écran du fauteuil de l’avion, j’ai vu Une affaire de Famille, en japonais Manbiki kazoku 万引き家族, le film de Hirokazu Kore-Eda 是枝 裕和 ayant reçu la palme d’or à Cannes l’année dernière. C’est l’histoire d’une famille recomposée dont les liens sont assez flous, pauvre et vivant de débrouilles et de vols à l’étalage dans les petits supermarchés. L’histoire commence alors qu’ils recueillent une petite fille, Yuri battue par ses parents et délaissée à l’extérieur de l’appartement familial dans le froid. Au fur et à mesure que l’histoire se déroule, on découvre un peu plus précisément les liens entre les personnes partageant le toit d’une vielle baraque autour de la grand mère dont il profite de la pension. Le jeu des acteurs et actrices est excellent comme toujours dans les films de Kore-eda. C’est d’ailleurs là que se trouve toute la force de ses films. L’histoire est différente mais me rappelle beaucoup un autre film plus ancien de Kore-Eda, Nobody Knows 誰も知らない sorti en 2004. On y trouve la même force émotionnelle. Les enfants sont toujours au centre de l’histoire. Dans un style très différent, c’est aussi le cas du film d’animation Mirai, en japonais Mirai no Mirai 未来のミライ de Mamoru Hosoda. L’histoire du petit Kun, voyant arriver sa petit soeur Mirai dans la maison familiale, mélange les visions fantastiques qui viendront l’aider dans les épreuves de sa vie d’enfant. Parmi ces visions, celle de sa petite soeur mais plus âgée et semblant venir du futur. D’autres personnages du passé de la famille interviennent ensuite dans cette histoire très originale et bien construite. Il y a beaucoup de moments émouvants, que l’on est amené à ressentir en tant que parent. C’est un des très bons films d’animation que j’ai pu voir dernièrement.

en marchant vers l’ellipse

Je retrouve le petit bâtiment Natural Ellipse de l’architecte Masaki Endoh à Maruyamacho dans les hauteurs de Shibuya. Il n’est pas facile à trouver malgré sa blancheur immaculée qui tranche avec le reste du quartier rempli en quasi-totalité de Love Hotels ultra-décorés kitsch. Je le retrouve finalement à un détour de rue, non sans une pointe d’étonnement et de satisfaction. J’avais peur que ce petit bâtiment ait disparu car je ne l’avais pas retrouvé la dernière fois que j’ai marché par ici. En fait, Natural Ellipse est bien là debout comme sortant de terre à un coin de rue et il semble même plus blanc que la dernière fois que je l’ai vu. La surface a certainement été repeinte ou au moins nettoyée. Le building est maintenant entouré de quelques plantes vertes. En fait, on m’a appris récemment dans les commentaires de mon premier billet de 2007 sur ce bâtiment (j’ai réouvert les commentaires sur mes anciens billets) que Natural Ellipse est maintenant disponible en location d’appartement pour des courtes durées.

Je repars ensuite près de la station de Shibuya pour constater l’avancement de la destruction du quartier au Sud de la gare, à proximité du nouvel immeuble Stream. C’est un quartier que j’ai souvent pris en photos, notamment les graffitis et l’énorme illustration en noir et blanc aperçue récemment à l’arrière d’un building voué à une destruction prochaine. Le quartier est désormais complètement condamné, interdit d’accès par des barricades blanches et par quelques gardes par-ci par-là. On ne peut plus approcher la grande illustration au dos du building. Ça fait un drôle d’effet de voir tout un ensemble de bâtiments et de rues rendus complètement inaccessibles. Il s’agit du projet de redevelopment du district 1 de Sakuragaokacho qui sera composé de trois tours et contribuera un peu plus encore à la transformation de Shibuya. L’ensemble devrait se terminer en 2020/2021. Les nouvelles tours A1, A2 et B feront respectivement 36, 15 et 32 étages et seront composées de bureaux, d’espaces commerciaux et d’une zone résidentielle. Les tours A1 et A2 longeront la ligne de train JR Yamanote, tandis que la tour B résidentielle sera en retrait juste derrière.

Tiens, Radiohead sort un nouveau morceau intitulé Ill wind. Ce n’est pas vraiment un nouveau morceau car il s’agit d’une face B de leur dernier album A Moon Shaped Pool sorti en 2016, accompagnant la version vinyl. Je ne sais pas la raison pour laquelle ils ont pris tant de temps à sortir ce morceau en version digitale, mais c’est en tout cas une très bonne nouvelle tant le morceau est superbe, dans la pure continuité de style de A Moon Shaped Pool. Je me demande d’ailleurs pourquoi un morceau d’une telle qualité était relégué en face B. La voix de Thom Yorke y est belle et troublante. La musique est légèrement floue et vaporeuse, ce qui nous donne l’impression de se laisser emporter par ce vent du titre. Il s’agit peut être d’un vent cosmique comme le laisse suggérer la couverture du morceau, que j’allonge volontairement sur l’image ci-dessus. Du coup, je me remets à écouter les albums de Radiohead les uns après les autres, notamment pendant cette promenade d’une bonne heure dans Shibuya à la recherche de l’ellipse.

笑いながらデストロイ

Il y a comme une symétrie dans cette série de photographies prises entre Shibuya et Harajuku avec un détour jusqu’à Kita Sando. La symétrie se présente notamment entre la première photographie et la dernière. La jeune fille qui prend toute la place en traversant un carrefour est un peu comme la voie express intra-muros transperçant un des grands carrefours de Tokyo près de la gare de Shibuya. Ce dernier carrefour est d’ailleurs en plein renouvellement car une nouvelle plateforme circulaire blanche est en cours de construction. La tour principale de la gare dessinée par Kengo Kuma est bien avancée, mais les derniers étages sont toujours en construction et on a bien du mal à savoir quelle sera sa hauteur finale. La maison individuelle Wood/berg de la deuxième photographie est également de Kengo Kuma, dans un style avec lamelles de bois immédiatement reconnaissable. Je l’ai souvent prise en photographie, mais j’aime bien la revoir dès que je passe dans le coin. Elle ne semble pas être attaquée par les années. Je repasse aussi devant la bâtiment brut de béton GA Gallery par Makoto Suzuki + AMS Architects. J’aime beaucoup dans ce bâtiment le mélange des vitrages inaltérables et du béton qui prend l’âge et les intempéries petit à petit. Alors que je marche vers Yoyogi pour me rendre jusqu’à Sangūbashi, je trouve malheureusement assez peu d’architecture qui m’intéresse, à part cette autre maison individuelle de la quatrième photographie, élégante toute de noir vêtue. Pour revenir à la pancarte publicitaire de la première photographie, c’est comme si ce personnage féminin allongé sur la rue allait sans crier gare détruire la ville avec un grand sourire.

J’ai découvert Mariko Gotō 後藤まりこ sur son EP Demo sorti récemment en décembre 2018 sous le nom DJ510MARIKO et sous un style électronique. Mais, elle évoluait avant cela au sein de la formation fusion jazz-punk Midori ミドリ fondée en 2003. Le style est assez particulier car il mélange à la fois le piano pour la partie jazz et les guitares et le chant torturé pour la partie punk. J’écoute d’abord l’album Aratamemashite Hajimemashite Midori desu あらためまして、はじめまして、ミドリです sorti en 2008 puis deux albums précédents First ファースト et Second セカンド♥ sortis respectivement en 2005 et en 2007. Que dire de cette musique à part qu’elle détonne franchement. Il suffit d’écouter le deuxième morceau Yukikosan ゆきこさん de l’album Aratamashite… pour se rendre compte de l’intensité sonore de cet assaut vocal et musical. Mariko Gotō commence le morceau par un cri « Destroy! » qui trouve réponse par des cris similaires d’un autre membre du groupe. Ce dialogue hystérique et énervé prend quand même parfois des moments d’adoucissement avec les notes de piano, avec un phrasé presque digne d’une idole et un solo de batterie. Mais ce n’est que de courte durée car le cri de ralliement du morceau reprend de plus bel. C’est vraiment un morceau particulier qui vaut la peine d’être écouté, si on n’a pas les oreilles sensibles bien sûr. Un autre morceau qui vaut le détour, c’est le premier morceau de Second, Doping☆Noise Noise Kiss ドーピング☆ノイズノイズキッス, très mouvementé et torturé. Mariko Gotō et ses musiciens ont clairement du mal à tenir en place en jouant ce morceau. Le reste de ces albums jouent dans un style similaire, mais avec parfois quelques morceaux plus « doux » comme des ballades de santé, le morceau 5 byōshi 5拍子5拍子 par exemple, ou des morceaux qui prennent des rythmes différents comme le morceau A.N.A. sur First. Parfois Mariko Gotō va trop loin dans l’excès vocal comme sur le premier morceau de First, bien que le morceau démarrait plutôt bien. On retrouve dans ces morceaux qui se perfectionnent petit à petit au fur et à mesure des albums, le même mélange du chaud et du froid. Les sauts d’humeur que l’on ressent à l’intérieur des morceaux rendent ces morceaux intéressants et assez imprévisibles. L’attitude et l’ambiance scéniques devaient certainement laisser une forte impression. On a comme l’impression que Midori libère en musique et en paroles une tension trop forte avant qu’elle n’éclate dans les doigts.

couleurs et alignements

Quelques couleurs glanées à différents endroits de Tokyo sous la lumière forte et le ciel sans nuages d’hiver. Il fait froid mais l’ambiance du tout début d’année est agréable dans un Tokyo en grande partie vide de sa population. A vrai dire, comme je prends assez peu souvent les gens en photographie, on peut avoir l’impression que Tokyo est une ville vide de population à longueur d’année. Sur cette petite série de cinq photographies, j’aime particulièrement la première montrant l’arbre aux enfants こどもの樹 par Tarō Okamoto 岡本 太郎. Cette statue aux têtes colorées est prisonnière de barrières depuis quelques temps déjà. Les couleurs se répètent sur un immeuble de l’avenue Meiji à proximité du croisement de Harujuku, sur des véhicules développés par Toyota stationnés en groupe à l’arrière d’un building, sur un alignement de figurines sur le bord d’une fenêtre quelque part près de Sangūbashi. L’alignement sur cette photographie se poursuit sur la photographie d’affiches de films sur un des murs de béton d’un cinéma indépendant à Shibuya. Sur cette dernière photographie, j’aime surtout le contraste entre le papier fragile et coloré des affiches et le béton massif et grisâtre. Pour m’accompagner en musique en cette froide journée des congés de début d’année, j’écoute la musique de Susumu Hirasawa.

Je connais le compositeur et interprète Susumu Hirasawa 平沢進 depuis que j’ai vu son nom apparaître dans les crédits sur certains morceaux de YAPOOS sur l’album Dadadaism. Il a composé les musiques de deux morceaux Virus et Kondoru ga Tonde kuru sur Dadadaism, mais également des morceaux précédents à cet album comme Virgin Blues. J’écoute l’album Technique of Relief 救済の技法 (Kyuusai no Gihou) sorti en 1998. Il s’agit d’une musique électronique orchestrale extrêmement dense, que je dirais même épique, avec une approche symphonique teintée de world music. C’est un style musical assez différent de ce que j’ai l’habitude d’écouter, très efficace et dynamique sur certains morceaux, poussant à la méditation sur d’autres morceaux, comme sur le quatrième, Ghost Bridge par exemple. Sur ce morceau, j’ai l’impression de connaître cette voix depuis très longtemps, même avant mon arrivée au Japon. C’est une sensation assez bizarre. Il y a parfois dans ces morceaux une tristesse cinématographique, une intensité émotionnelle forte sur des morceaux comme Moon Time. La voix tout en nuances de Hirasawa y est pour beaucoup. Les morceaux sont tous très mélodiques, mélangeant parfois des sonorités sud asiatiques comme sur le morceau Strange Night of the Omnifiscience 万象の奇夜, un autre morceau qui me fait faire une pause dans ce que fait pour apprécier sereinement ces notes. J’ai développé une sorte d’addiction pour cet album que j’ai déjà écouté plus de vingt fois, je pense. Je ne pense pas me lancer dans la découverte méthodique de l’oeuvre musicale de Susumu Hirasawa ou de son groupe P-MODEL avant sa carrière solo, car sa discographie est extrêmement étendue. Je vais piocher au hasard quelques albums, peut être celui qui contient des morceaux de la bande originale du superbe film d’animation Paprika de Satoshi Kon 今敏.