かめはめ波

Près de Harajuku, la boutique Asoko placée sur la rue Meiji change régulièrement sa devanture. Cette journée là, on avait le plaisir d’y voir dessiner le jeune Sangoku de la série Dragon Ball avec ses acolytes habituels. C’est amusant de tomber par hasard sur ce grand dessin. On aimerait que Goku nous sorte de ses paumes le fameux Kamehameha, histoire de réchauffer l’atmosphère en cette période de froid hivernal. On se contentera de les regarder, indifférents à notre pauvre sort de piétons en hiver. Les photographies de ce billet mélangent les lieux, en passant de l’immeuble noir et mystérieux Humax Pavillon de Hiroyuki Wakabayashi entrevu dans l’espace ouvert entre deux rues à Shibuya, puis vers Naka-Meguro devant une petite galerie ouverte sur la rue devant la rivière Meguro. A Ebisu, il s’agit d’une scène de rue le matin où on ressent des traces de l’animation du soir précédent. Ces traces sont invisibles mais une ambiance de calme après la tempête règne sur cette rue pratiquement vide, devant les devantures fermées des bars et restaurants. A Hiroo, on détruit un immeuble à coups de pelleteuses. La destruction prend quelques jours seulement mais on ne sait pas encore exactement quel objet architectural va naître de ce gravas de pierres et de tiges d’acier. Vu les régulations sur la hauteur des bâtiments dans le quartier, ça ne devrait pas être une tour qui va pousser par ici.

Togawa Fiction est très different de tous les autres albums de Jun Togawa 戸川純 ou de YAPOOS ヤプーズ. Il est sorti en 2004 après une période de silence pour les raisons mentionnées dans un billet précédent. La voix de Jun Togawa et l’ambiance musicale sont très différentes. Les deux premiers morceaux en particulier sont sauvages et chaotiques. Le long et sublime premier morceau Counsel Please カウンセル・プリーズ est composite flirtant avec le prog rock, ce qui est nouveau dans la discographie de Jun Togawa. Sa manière de chanter est également plus rugueuse et brute, ce qui me fait dire qu’un novice pourrait difficilement commencer par cet album si il ou elle souhaitait découvrir la discographie de l’artiste (il faut mieux par exemple commencer par Tamahime Sama). L’approche est expérimentale sous les abords de pop enjoué du deuxième morceau Open the door オープン・ダ・ドー. On ne peut pas nier une pointe de folie qui peut décontenancé l’auditeur. Il y a, dans cet album, encore moins de compromis musicaux que dans les albums précédents. La dynamique imparable des deux premiers morceaux leur donnent un impact fort mais ce sont aussi les morceaux les plus difficiles d’accès. Comme on peut le comprendre maintenant et depuis le tout premier album, Jun Togawa n’a aucune intention de faire de la musique standardisée ou formatée. Il y a tout de même plusieurs morceaux où l’on retrouve son style de voix comme ce morceau Haikei Paris ni te 拝啓、パリにて sur un voyage à Paris, d’abord mené sous les apparences d’un fleuve tranquille comme La Seine. Mais le flot se distord au milieu du morceau après les quelques mots en français « Mademoiselle Jun… ». La machine se détraque ensuite et les paroles et mélangent et deviennent confuses. C’est un morceau très intéressant dans sa construction. Le morceau suivant Sayonara Honeymoon さよならハニームーン est beaucoup plus lent et sombre. On y devine une souffrance exprimée par le timbre de sa voix et par la musique ténébreuse avec effets sonores inquiétants. Ensuite, commence le morceau titre Togawa Fiction トガワ フィクション, beaucoup plus lumineux et rapide. C’est un morceau pratiquement instrumental mais avec des ajouts d’un duo de voix, dont celle de Togawa et d’une voix masculine. J’adore la petite phrase prononcée avec un humour roublard par la voix masculine, peut être celle du compositeur du morceau Dennis Gunn, nous disant « ちょっと悪いは最高じゃ », qu’on traduirait par quelque chose comme « Être un peu mauvais, c’est ce qu’il y a de meilleur ». Le morceau fait un raccord bienvenu avec les morceaux de YAPOOS, ce qui n’est pas très étonnant vu que le compositeur est un ancien membre du groupe. Le dernier morceau concluant cet album Oshimai Choueki Home おしまい町駅ホーム, qui est d’ailleurs plutôt un mini-album car n’ayant que 6 morceaux, repart dans un certain apaisement mélodique. Sur ce mini-album, on ne retrouve pas tout à fait la gamme vocale dont on était habitué sur tous les albums de Jun Togawa. Elle a malheureusement un peu perdu de son étendue vocale, mais tente ici d’y remédier. Ce dernier morceau est très beau musicalement, avec un ensemble orchestral, le Jun Togawa Band, et la présence marquée des violons et du piano. Cet album Togawa Fiction est un objet musical à part, même dans la discographie de l’artiste. Elle ne sortira malheureusement pas de nouveaux morceaux originaux jusqu’à présent.

Ces dernières années, et même en cette année 2018, il y a eu des albums de reprises d’anciens morceaux re-arrangées avec d’autres groupes comme l’album Watashi ga Nakou Hototogisu わたしが鳴こうホトトギス (2016) avec le groupe japonais Vampillia, dans un mode rock mélodique, Togawa Kaidan 戸川階段 (2016) avec le groupe Hijokaidan 非常階段 mené par Jojo Hiroshige JOJO広重, dans un style beaucoup plus noise rock, et finalement cette année des versions au piano avec Kei Ookubo おおくぼけい de Urbangarde sur l’album Jun Togawa avec Kei Ookubo (2018). Je n’ai écouté que quelques morceaux de ces albums de reprises, mais je n’arrive pas à m’enlever l’idée de la tête que je préfère grandement les versions originales qui sont difficiles à égaler tant par les qualités musicales que par la puissance de la voix de Togawa. Force est de constater, comme je le disais plus haut, qu’elle a perdu de son étendue vocale suite à des problèmes de santé. Écouter Teinen Pushiganga ou Nikuya no you ni sur les albums Tamahime Sama et YAPOOS Keikaku respectivement est une expérience incomparable à ces nouvelles versions. Ceci n’amenuise pas les qualités de pianiste de Kei Okubo, par exemple, mais pour quelqu’un comme moi qui ne découvre que maintenant et d’un bloc le répertoire entier de Jun Togawa, la comparaison est difficile à tenir. J’espère vraiment que Jun Togawa pourra dans les années qui viennent se remettre en situation d’écriture de nouveaux morceaux auxquels elle pourra adapter sa voix actuelle en pleine réformation. En attendant, j’écoute des albums Live comme Ura Tamahime Sama 裏玉姫 sorti en 1984, qui est comme un album à part entière car la plupart des morceaux ne sont pas présents sur l’album Tamahime Sama. J’adore la manière innocente et polie par laquelle elle introduit des morceaux à tendance punk sur ce Live. Tout l’art de Jun Togawa est dans un décalage subtil. Je n’ai pas parlé jusqu’à maintenant de son troisième album solo intitulé Suki Suki Daisuki 好き好き大好き, car ce n’est pas mon préféré bien qu’il s’agisse de son album le plus connu. Le morceau titre est fabuleux mais le reste de l’album me plait moins, car il joue trop sur la parodie des idoles de l’époque. Je le mets donc de côté pour l’instant, avec l’intention d’y revenir un peu plus tard.

J’écoute maintenant les trois albums de Guernica, le groupe qu’elle a formé avec le compositeur Koji Ueno et le parolier Keiichi Ohta, avant sa carrière solo, au tout début des années 1980. Les morceaux de ces albums sont inspirés de la musique des années 1920/1930, mais composées aux synthétiseurs sur le premier album Kaizo Heno Yakudo 改造への躍動. Il y a de très beaux morceaux comme ceux du EP initial du groupe Ginrin wa Utau 銀輪は唄う et Marronnier Tokuhon マロニエ読本. L’ambiance y est très particulière. On dirait des odes à la modernité et au progrès, à travers les titres et les thèmes. Je comptais d’abord écouter ces trois albums comme des curiosités mais je me surprends à y revenir. Je vais maintenant voguer vers d’autres découvertes musicales, mais la musique de Jun Togawa était une découverte exceptionnelle cette année. Certes très en retard, mais mieux vaut tard que jamais.

Ceci étant dit, je ne tarde pas trop à tomber sur des nouvelles musiques intéressantes avec le Demo EP de Mariko Gotō alias DJ510mariko, qui ressemble à un Kamehameha que l’on recevrait en pleine figure. Le premier morceau NeverEnding Story ねばーえんでぃんぐすとーり commence comme un morceau typique d’idole japonaise mais est très vite maltraité, comme passé au courant triphasé les doigts dans la prise, vu la rapidité du chant et le massacre volontaire de la batterie. Le morceau est rempli d’une frénésie musicale et vocale, mais à l’énergie follement communicative. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de “destruction” de morceau standard en y apportant une interprétation non conventionnelle voire même hystérique. La tension ne va qu’en s’intensifiant au fur et à mesure des 4 morceaux du EP. Le deuxième morceau Breeeeeak out!!!!! est encore plus détonnant avec le parti pris d’une voix aiguë superposée sur des cris sourds en guise de batterie et d’une musique électronique crachotante. Le morceau suivant Yozyo-Han_tansu_dance 四畳半箪笥ダンス est beaucoup plus dansant entre guillemets mais la manière de chanter de Mariko Gotō devient plus menaçante. Le refrain est entêtant et le tout est émotionnellement très fort. Le dernier morceau Syunka_Syuutou 春夏秋冬 de ce EP commence de manière très mélodique et on se dit que ce morceau final se voudra plus reposant pour l’oreille, histoire de se dire que Mariko Gotō n’est pas aussi décalée que cela, mais en fait le répit n’est que de courte durée, car un flot de cris prend le dessus vers la fin. Le morceau mêlant calme et brutalité fonctionne très bien et encore une fois, est très fort émotionnellement. La sortie de ce EP à la toute fin de l’année est une très bonne surprise et j’espère qu’on pourra écouter de nouveaux morceaux dans ce style sans compromis l’année prochaine.

歌って、泣くな!

Je suis repassé récemment près du nouvel immeuble Shibuya Stream qui se trouve à l’entrée Sud de la gare de Shibuya. Je suis monté cette fois-ci à l’étage en empruntant les escalators couverts par une cage de verre au niveau du croisement de la rue Meiji et la route 246. Le plafond de la cage de verre est recouvert de miroirs qui reflètent la totalité des escalators et des passants qui grimpent jusqu’à l’étage. Entre la tour Shibuya Stream et la tour Tokyu Cerulean un peu plus haut en remontant la route 246, un ensemble d’immeubles est voué à une destruction imminente. J’avais vu, une fois précédente, certains de ces bâtiments décorés d’illustrations temporaires. Elles ont disparu et en marchant entre les buildings de ce quartier, je me rends vite compte que les entrées sont barricadées et que les bâtiments sont vidés de toute vie et de toute occupation. Au détour d’une rue, une grande fresque peinte en noir et blanc au dos d’un immeuble de plusieurs étages attire mon regard. On l’aperçoit à peine depuis la rue bien qu’elle soit gigantesque. J’essaie de faire le tour du bâtiment où elle est dessinée pour trouver un bon point de vue pour la prendre en photo. Le meilleur endroit pour la voir en entier est un parking désaffecté fermé aux visiteurs par quelques plots. Je rentre tout de même quelques instants sur le parking pour prendre la photographie en tête de cette article. C’est assez dommage que cet espace devant le dessin de rue ne soit pas ouvert à la vue de tous. Le dessin étant exécuté sur un immeuble qui disparaîtra bientôt, il ne reste que peut de temps pour l’apprécier. Je continue ensuite ma marche dans la partie Sud de la gare de Shibuya le long de la voie ferrée. Il y a beaucoup de vieux bâtiments et de graffiti dans ce quartier là, un peu comme à Udagawacho. Une bonne partie de ces bâtiments vont disparaître. Shibuya Stream a été construit sur l’espace laissé par la ligne de trains Toyoko, désormais enterrée dans les sous-sols de la ville. L’espace le long de la rivière de Shibuya est réaménagé en promenade piétonne, mais l’endroit peine à être agréable, tout simplement parce qu’en marchant le long de la rivière bétonnée, on a une vue sur l’arrière de la barre d’immeubles donnant sur la rue Meiji. Il n’y a rien d’agréable dans le béton écrasant la rivière et dans les façades noircies de l’arrière des buildings. Un peu plus loin toujours sur l’ancienne ligne Toyoko, un nouveau bâtiment appelé Shibuya Bridge s’est installé dans un espace courbe. Un hôtel, le Mustard Hotel y est également installé. Sous une allée couverte du Shibuya Bridge, des élégantes illustrations de scènes de rue aux couleurs rouges sont posées sur chaque pilier du passage couvert. Un peu plus loin sur l’immeuble où se trouve l’hôtel, une grande illustration est affichée au niveau du deuxième étage, montrant une ligne de train. L’intention est sans aucun doute de rappeler qu’ici passait autrefois une voie suspendue de chemin de fer.

Je m’écarte quelques instants de la musique de Jun Togawa avec YAPOOS pour revenir au tout début des années 1980. En 1981 pour être précis, le groupe d’Osaka INU mené par Kō Machida 町田康 sort un disque essentiel de punk japonais. Je ne suis pas particulièrement amateur de musique punk, sauf quand elle est suffisamment créative dans ses envolées de fureur. C’est le cas de cet album Meshi Kuuna! メシ喰うな!(qu’on peut traduire en anglais en « Don’t eat food »). Les guitares sont rapides et le rythme condensé de chacun des morceaux fuse dans l’urgence. L’album a presque 40 ans mais il reste extrêmement actuel dans sa facture, c’est même assez surprenant. C’est certainement dû au fait que le punk suit des codes bien particuliers qui n’ont pas beaucoup évolué avec les années. Là encore, je n’y connais pas grand chose en punk, à fortiori japonais, mais je pense que j’aime cet album de INU car il déborde d’une tension émotive, exprimée par le chanteur. Kō Machida, sous le nom de scène Machizō Machida, 19 ans à la sortie de cet album, chante ces paroles comme une complainte. On a même l’impression qu’il s’agit de pleurs de douleur par moments sur certains morceaux. C’est une manière de chanter tellement particulière et imprégnante! Côté guitares, on n’atteint pas la densité et la rapidité électrique de groupes comme Boris, mais la musique est pareillement pleine de distorsions et de triturages sonores. Les morceaux s’enchainent avec la rapidité de l’éclair, mais s’entrecoupent parfois de passages parlés, comme le morceau Damu Damu Dan ダムダム弾. Ce morceau a un style très différent du reste de l’album. Dans sa répétition entêtante, il me fait penser à un chant bouddhiste que l’on peut entendre pendant une cérémonie dans un temple. Le morceau qui suit Yume no naka he 夢の中へ continue l’apaisement musical avec une partition très mélodique. Ce n’est qu’une accalmie avant la reprise des hostilités avec le morceau titre et emblématique Meshi Kuuna! メシ喰うな! dont l’atmosphère et la puissance m’impressionnent à chaque écoute. INU ne sortira qu’un seul album pendant sa courte carrière de 1979 à 1981, mais Kō Machida formera d’autres groupes après INU. Mais, plus surprenant, Kō Machida est également écrivain, récompensé du prestigieux prix littéraire Akutagawa en 2000, pour son histoire courte intitulée Kiregire. Il s’agit de sa troisième œuvre littéraire après un recueil de poèmes sorti en 1992 et un premier roman publié en 1996. Il connait plus de succès comme écrivain que comme musicien punk. C’est en tout cas un changement de trajectoire intéressant, et je serais bien curieux de lire certains de ses ouvrages.

スーパーポジション

La superposition d’images, ici à Shibuya, est une de mes activités favorites ces derniers temps sur ce blog, car elle agit comme un filtre de lumière qui révèle certains éléments d’une photographie et en cache d’autres. Au final, on obtient une atmosphère très différente de l’objet visuel initial.

Sur l’interface d’édition de Made in Tokyo, j’ai en général toujours un ou plusieurs articles en cours d’écriture. J’y jette d’abord une série de photographies ou de compositions ordonnées avant de commencer à écrire le texte qui accompagnera ces images. J’écrivais d’abord mes textes sur un bloc note papier à couverture souple Moleskine, pour ensuite les retranscrire sur le blog. Depuis quelques mois déjà, j’ai changé de manière de faire, car j’écris maintenant mes textes sur l’application Notes de l’iPhone, iPod ou iPad, avec l’avantage que les textes écrits sur un appareil peuvent se synchroniser automatiquement avec les autres. J’ai pris une certaine habitude à écrire mes textes dans le métro le soir sur le chemin du retour, avec la « musique du moment » dans les oreilles. Dans cette configuration, l’écriture sur papier n’est pas aisé. J’arrive étrangement à accéder à une grande concentration dans le métro lorsque je m’isole les oreilles des bruits alentours. Les annonces du métro prennent bien sûr le dessus sur la musique mais finissent par se faire oublier dans la longueur. Je finis rarement d’écrire un texte pendant un seul trajet retour, mais je m’y prends petit à petit en complétant parfois le soir à la maison.

Pendant que j’écris ces lignes, la « musique du moment » est celle du groupe japonais Supercar スーパーカー avec un album assez « ancien » intitulé Three Out Change, sorti en 1998. Il s’agit en fait du premier album de ce groupe désormais inactif depuis 2005. Après quelques passages récents vers la J-Pop, je reviens vers une musique plus rock et alternative. L’album est assez long avec 17 morceaux mais ils ont tous une mélodie accrocheuse et l’alternance de la voix masculine, de Kōji Nakamura 中村 弘二, et de la voix féminine, de Miki Furukawa 古川 美季, est bienvenue. C’est le cas notamment pour un des singles de l’album, l’excellent morceau Lucky. J’aime en général beaucoup cette alternance dans les voix. Le groupe, originaire du Nord du Japon à Aomori, a sorti cinq albums pendant leur courte carrière musicale. Je pense m’y plonger un peu plus dans les semaines ou les mois qui viennent.

J’explore également un peu plus ces derniers temps la musique rock indé de Kinoko Teikoku きのこ帝国 avec le EP Long Goodbye sorti la même année que l’album Eureka dont je parlais auparavant. Cet EP est court mais excellent, dans la même veine que Eureka. J’aime la voix de Chiaki Satō 佐藤千亜妃 et la manière dont elle se conjugue avec l’électricité des guitares. C’est dommage que Kinoko Teikoku n’ont pas conservé ce style et ce son sur leurs albums les plus récents.

collapsing

Depuis très longtemps, même avant que j’habite au Japon, j’ai l’image d’un lieu en tête, mais cette image n’est pas précise et en fait très floue. Ce lieu me revient parfois en tête quand je marche en ville à Tokyo, comme un phénomène de déjà-vu. J’ai en tête cette image depuis, je pense, plus de vingt ans, avant ma venue à Tokyo. J’ai la certitude que ce lieu se trouve en ville et à Tokyo. Il s’agit peut être d’une image de Tokyo que j’ai vu en photographie sur un livre ou un magazine en France, ou dans un film. A cette époque où je rêvais de Japon, cette image a peut être nourri mon imaginaire et est peut être restée inscrite dans mon inconscient. Ce n’est pas une obsession car je n’y pense que de temps à autre, mais depuis que je vis à Tokyo, c’est comme si je recherchais sans relâche ce lieu à travers mes nombreuses marches en ville. Le problème est que ce lieu tient plus de la sensation que d’un lieu clairement défini. Il pourrait s’apparenter à un type d’espace qu’on pourrait trouver à différents endroits dans Tokyo, sans qu’il ait une appartenance forte avec un quartier précis. J’ai quelques certitudes sur certains aspects du lieu, mais également beaucoup d’incertitudes. Le lieu se trouve à priori au deuxième étage d’un immeuble ou d’une maison. Il n’est pas accessible directement depuis l’extérieur, protégé de la rue, mais en même temps proche de l’activité, des bruits et des voix de la rue. Un deuxième étage, comme un observatoire des activités urbaines, semble correspondre à mon image. Je ne suis pas certain s’il s’agit d’un lieu de travail ou d’un lieu de vie. Il me semble être entre les deux, peut être un lieu où on y poursuit une passion ou un hobby. Le lieu n’est pas spécialement confortable et me semble encombré de choses sans que cette image soit précise, comme des objets qu’on entrevoit à travers une vitre semi-opaque. Il s’agit certainement d’objets permettant la création de quelques chose, car je ressens ce lieu comme un espace de création. Ce n’est pas un lieu vide, il y a une certaine animation des choses dans ce lieu. La structure de l’endroit n’est pas simple car on devine de nombreux angles depuis l’extérieur, depuis un petit balcon sur lequel quelques plantes ont poussé sans entretien jusqu’à envahir la terrasse du balcon et empêcher son accès depuis l’intérieur. Cette image d’un lieu n’est pas un souvenir du passé mais un lieu du présent voire un lieu dans le futur. Il doit certainement inconsciemment représenter mes peurs et mes aspirations.

Deux ans après le Cheetah EP, Aphex Twin sort enfin un nouvel EP intitulé Collapse incluant cinq morceaux, dont T69 collapse dont je parlais auparavant, dans le style et l’esprit que l’on connaît de Richard D. James. C’est une bonne chose, car ces sons électroniques sont tout simplement beaux et percutants. Il y a une atmosphère et une intensité qui nous poussent à l’introspection. J’ai le même sentiment que pour Autechre que cette musique est une évolution avant-garde de ce que nos sens pourrait venir à accepter dans le futur comme un standard musical. Mais tandis qu’Autechre est parti depuis quelques temps vers des sphères insondables et qu’on a du mal à les suivre sans passer par une formation immersive des sens, la musique électronique d’Aphex Twin reste très accessible car elle ne renie pas la mélodie. Les mélodies, parfois aux sonorités Sud asiatiques d’ailleurs sur cet EP, sont par contre et bien entendu malmenées et sans cesse transpercées de minuscules cliquetis électroniques. Toutes ces notes et incursions électroniques sont extrêmement bien maîtrisées, c’est le génie d’Aphex Twin, mais donne également l’impression que les machines tentent de prendre le dessus, comme une intelligence artificielle qui apprend à auto-générer ses sons par tâtonnements. Il y a un côté anxiogène dans certains morceaux, mais ils sont rapidement contrebalancés par des pointes de lumières. Chaque morceau de ce EP a un déroulement imprévisible, ce qui rend l’ensemble extrêmement intéressant à l’écoute.

we speak silence

La voie rapide est désormais bien lointaine et ne s’arrête pas sur son passage. Pour arriver dans ces régions retirées, il faut soit se perdre soit s’engager volontairement dans les longs et étroits chemins qui y mènent. Ces contrées se vident de plus en plus. Beaucoup de ceux qui y cultivaient une matière enrichissante pour l’esprit ont préféré arrêter et se soumettre aux méthodes plébiscitées par tous. On les voit maintenant sur la voie rapide ou plutôt on les voit disparaître dans la masse des messages qui s’accumulent, presque tous identiques. Je vais parfois m’aventurer sur cette voie rapide mais elle m’étourdit par sa densité. Je m’y noie parfois et il faut mieux bien s’accrocher pour s’en extraire à la prochaine sortie de secours. Les contrées à l’écart sont devenus un monde de silence. Trop occupé à foncer dans le flot digital, on oublie l’existence et la voix de ces villages qui ont pourtant fait, il y a quelques années, toute la richesse de ce monde. La richesse est pourtant toujours là. Elle est silencieuse aux oreilles des autres, mais elle est toujours active et construit petit à petit des monuments digitaux en espérant que quelques uns s’y perdent ou viennent volontairement les rejoindre.

La série d’images de ce billet donne une version alternative du Matsuri d’automne au sanctuaire de Hikawa.