le matsuri du sanctuaire de Hikawa

Nous allons tous les ans au Matsuri d’automne du sanctuaire de Hikawa à Shibuya, qui doit être le sanctuaire le plus proche de chez nous. Nous nous rendons également dans ce sanctuaire à chaque début d’année, pour qu’il nous protège, l’air de rien, des aléas d’une nouvelle année qui démarre. Pendant le Matsuri, le mikoshi est porté sur les épaules par des habitants du quartier dans les rues alentours pendant deux jours et finit sa course au sanctuaire. Il y rentre par l’avenue Meiji sur laquelle débouche la large allée du sanctuaire. Cette allée ressemble presque à une place. Un petit marché à légumes y prend souvent place le week end. Il y a également quelques restaurants dont un café assez récent et un très bon restaurant de pâtes tenu par un italien. Nous y allons de temps en temps, c’est une très bonne adresse. Pendant le Matsuri et plus particulièrement le soir alors que le mikoshi rentre au sanctuaire, ces restaurants et cafés sont ouverts sur la rue. De nombreux stands de bouffe les accompagnent. On y trouve également les stands de jeux pour enfants, qui comme partout ailleurs, les font rêver en accrochant sur leurs devantures des prix « magnifiques » comme des consoles de jeux Nintendo Switch et autres jeux que l’on ne reçoit normalement qu’à Noël ou pour un anniversaire. Les enfants ne sont pas dupes et savent déjà que seuls les lots de consolation sont à portée de mains, mais l’excitation de l’instant où tout semble possible est bien présente.

Le sanctuaire est perché en haut d’une petite colline boisée. On peut y accéder directement par la route au niveau de l’université Kokugakuin, ou par une allée de pierre démarrant de la place marchande dont je viens de parler. L’entrée de cette allée était il y a quelques années marquée par un torii de pierre, mais il a disparu depuis le tremblement de terre de Mars 2011. Il s’était effondré et n’a jamais été reconstruit. Il reste les deux socles, comme des arbres centenaires que l’on aurait coupé. L’allée pavée de pierres monte en virage vers le sanctuaire par des séries d’escaliers. On passe devant un terrain de jeux pour enfants et un autre pour les entraînements de combattants sumo. Je n’ai vu ces entraînements qu’une ou deux fois, mais ils sont impressionnants car on peut approcher les sumos et apprécier leurs techniques de près. Je venais souvent dans le parc du sanctuaire avec Zoa quand il était plus petit et quand on habitait juste au bout de la rue. Je me souviens d’une rare journée de neige sur Tokyo, un samedi matin. Nous avions passé de nombreuses heures à construire un bonhomme de neige dans un coin de l’allée, à mi-chemin de la montée vers le sanctuaire, à l’intersection de deux escaliers. Ce souvenir me revient à chaque fois que je parcours cette allée.

L’ambiance y est d’habitude très paisible et calme, si ce ne sont les cris enjoués des enfants le week-end ou le chant des grillons en plein été. Il n’y a en général pas grand monde dans l’enceinte du sanctuaire. La situation est bien différente un jour de Matsuri. La foule s’amasse dans les allées rendues plus étroites par les stands de chaque côté, et parle fort, accompagnée par la musique du festival. J’aime beaucoup la vue que l’on peut avoir depuis le haut des escaliers, sous les arbres, sur la chaîne de stands et la foule qui s’y agglutine. Les Matsuri réunissent en général les gens du quartier, mais celui de Hikawa réunit une foule plus importante. Cela reste tout de même à taille humaine et sans commune mesure avec d’autres Matsuri beaucoup plus connus à Tokyo. Zoa y avait donné rendez-vous à trois de ses copains. Avec un peu d’argent en poche, ils vont faire le tour des stands pour y trouver leur bonheur. Je suis chargé de les surveiller de loin sans qu’ils me voient, mais je surveille également le mikoshi qui entre et sort de la grande allée. Cela fait partie du cérémonial de faire durer le final du parcours du mikoshi. Un homme avec deux plaquettes de bois en mains guide le mikoshi jusqu’à son emplacement final. Il semble prendre un malin plaisir à obliger les porteurs du mikoshi à peaufiner leur arrivée devant le sanctuaire. Il leur demande plusieurs fois de recommencer leur entrée jusqu’à ce qu’elle soit parfaite. Une petite vidéo ci-dessus montre les derniers instants de l’arrivée du mikoshi. Dans un autre billet, je montrerais une version photographique alternative de ce Matsuri.

recording complexity

Je reviens avec une nouvelle série de photographies dans ce quartier légèrement à l’écart du centre de Shibuya mais tout de même proche de la station JR. L’endroit est photogénique par la multitude de graffitis et de stickers affichés dans les recoins de ces rues. La multitude des graffitis va de pair avec la multiplication des panneaux et plaquettes d’interdiction de dessiner sur ces murs. Les murs ou portes à l’arrière de certains buildings sont parfois déjà tellement encombrés de graphismes qu’on se demande à quoi peut bien servir un tel avertissement. Un nouveau graffiti sur ces murs ne viendrait que cacher les autres graffitis existants, dans le principe que rien ne dure éternellement. Parmi la masse des formes et couleurs, parfois très grossières, parfois inquiétantes, parfois en détournements amusants de personnages connus, il y a aussi des créations originales qui attirent le regard. J’aime beaucoup les petits monstres de rues très colorés et à l’air cruel de Bortusk Leer. Ils sont dessinés sur un papier de journal ou de magazine et ensuite collés sur les murs. On en voit assez peu à ma connaissance dans les rues de Tokyo, mais j’en avais déjà vu au moins un autre dans un autre quartier de Shibuya et trois dans ce quartier ici. Je me demande quelle est la proportion d’artistes de rue étrangers à investir les rues de Tokyo. J’ai l’impression que Tokyo est un passage obligé pour les artistes urbains et qu’ils aiment y laisser leur trace. Il y a très longtemps maintenant les petits personnages longilignes de l’artiste français André étaient apparus soudainement dans un des quartiers près de Ebisu. Un d’entre eux est encore sur un coin de mur et je n’y fais même plus attention. Il fait partie intégrante du décor urbain. Comme quoi, l’éphémère peut être parfois fait pour durer et brave les années et les intempéries jusqu’à ce que l’immeuble les portant finisse par disparaître. La désorganisation des graffitis sur ces murs de Shibuya a quelque chose de très tokyoïte, et reflète en quelque sorte la complexité urbaine de cette ville. Ayant peur du vide, cette complexité me rassure et j’ai envie de la conserver quelque part en photographies, avant qu’elle ne disparaisse pour de bon. Je vois maintenant un sens à mes dessins futuro-organiques, saisir et conserver sur papier cette complexité toute urbaine.

Je parle beaucoup de musique en ce moment sur Made in Tokyo, et cette musique que j’écoute influence et inspire plus ou moins fortement les séries de photographies que j’y montre. Cette association entre musique et photographies est présente depuis très longtemps sur ces pages et j’ai déjà essayé quelques fois d’expliquer cette interaction, notamment quand il s’agit de shoegazing. Lorsque je publie un nouveau billet sur WordPress, un tweet est automatiquement publié sur Twitter. Je ne m’étais jamais préoccupé du texte de ce tweet automatique, jusqu’à il y a quelques semaines. Je m’enforce ces derniers temps à adapter le texte du tweet pour résumer le billet que je publie en indiquant la musique associée. J’ajoute même volontairement l’adresse Twitter du groupe ou musicien / musicienne en question pour voir si j’obtiendrais une réaction à mon billet (bien que le message soit en français, et que je n’écoute pratiquement pas de musique francophone). Il n’est pas rare que le groupe / musicien / musicienne interagisse par un like ou un retweet de mon billet les mentionnant (par exemple Otoboke Beaver, Utae, Oyasumi Hologram ou Fujichao), ce qui fait toujours plaisir. Mais c’est encore mieux quand mon billet suscite une réaction écrite comme celle, en japonais ci-dessus, du groupe de shoegazing japonais For Tracy Hyde. Tous les groupes ne sont pas très présents ou actifs sur Twitter et leur interaction n’intervient en rien sur mon appréciation de leur musique, mais ce type de message personnalisé de remerciement fait quand même plaisir. J’ignorais auparavant complètement Twitter mais je regarde un peu plus régulièrement ces derniers mois, car j’y reçois de temps en temps des retours sur les billets du blog. Même s’ils restent assez peu nombreux, je reçois plus de retours sur mes tweets de billets du blog que de commentaires sur le blog. Ce qui m’amène à réfléchir à l’utilité d’activer les commentaires sur le blog. Tout se passe maintenant dans l’immédiateté et prendre du temps pour écrire un commentaire semble être d’une autre époque. J’aime à penser que ce blog n’est pas attaché à une époque, j’y aborde d’ailleurs volontairement jamais les événements d’actualité. D’autres le font d’ailleurs suffisamment, sur Twitter justement, mais il faut souvent faire abstraction des torrents d’aigreur qui inondent ce réseau social. J’aime l’idée d’un espace hors de ce temps là, mais il faut tout de même s’y accrocher pour trouver la force et la motivation de continuer.

love u so much

Les quelques photos ci-dessus sont une continuation de la série précédente à Shibuya montrant les graphismes de rues, plus ou moins organisées ou sauvages. Nous sommes ici le long de la voie de train menant à la station Sud de Shibuya. Une partie du quartier à l’écart du centre nerveux de Shibuya à été détruit et remplacé par une nouvelle tour annexe à celle de la station.

Le titre du billet n’est pas une déclaration d’amour pour la musique punk rock du groupe des quatre filles de Otoboke Beaver, mais presque. J’avais déjà été emballé par le EP Love is short l’année dernière et notamment le morceau final coup de poing de 19 secondes intitulé いけず Mean, et je découvre un peu tard un autre morceau tout aussi ravageur appelé あなたわたし抱いたあとよめのめし Anata Watashi Daita ato Yome no Meshi. Les paroles et le titre du morceau se placent du point de vue d’une maîtresse délaissée par un homme, qui après lui avoir fait l’amour, rentre à la maison manger le repas préparé par sa femme. Cette situation n’est apparemment pas une expérience vécue par une des membres du groupe, mais le morceau condensé en 2 minutes joue comme un défouloir de cette colère. Le morceau est ultra-rapide et dense en guitares. Les voix de la chanteuse Accorinrin accompagnée du reste du groupe ne s’arrêtent pas un seul instant. La densité et l’énergie du morceau sont étonnantes et me feraient même sourire. En fait, il n’y a rien de pesant dans l’atmosphère de ce punk rock. Comme sur les autres morceaux du EP Love is short, j’éprouve même une certaine satisfaction quand les voix se transforment en cris (par exemple à la marque de 1min30 du morceau), qui n’ont d’ailleurs rien d’hystériques. L’énergie du morceau et le rythme sont si denses qu’on a l’impression que la chanteuse n’a plus le choix que de libérer ce trop plein d’énergie par les cris. En attendant le prochain morceau ou EP.

a beautiful place

On pourrait croire volontiers en l’absence de graffiti à Tokyo, mais il n’en est rien. On en trouve un peu partout à Shibuya et j’aime les prendre régulièrement en photographie. À vrai dire, à Tokyo, les graffeurs s’attaquent rarement aux murs et devantures de bâtiments récents ou bien entretenus, mais semblent plutôt s’attaquer aux surfaces des vieux immeubles, comme si c’était plus « acceptable ». De la même manière, un premier graffiti ou autocollant posé sur un mur ou un boîtier électrique rend l’ajout d’autres graffitis ou autocollants « possible » car d’autres l’ont déjà fait. Les autocollants se retrouvent donc agglutinés sur des petites surfaces bien délimitées. C’est ce que je montre sur les deux premières photographies de l’article, les autocollants se chevauchent et se superposent sur une une plaque blanchâtre de petite taille, tandis que le mur portant cette plaque reste inaltérée. Cette petite plaque blanchâtre devient même une petite œuvre d’art urbain. En regardant les quelques photographies de graffitis montrées régulièrement sur Made in Tokyo, on pourrait même avoir l’impression que Tokyo est remplie de ce genre de dessins et graphismes de rues, mais il n’en est rien non plus. Il est relativement facile par une phrase ou quelques photographies de donner une vue définitive sur Tokyo, alors que cette ville n’a rien de binaire. Cette réflexion me revient en tête en voyant les très nombreuses photos circulant ces derniers mois sur Internet nous montrant un soit disant Tokyo aux airs de Blade Runner, en ajoutant tout simplement un filtre bleuté sur les photographies. Ca semble un peu léger pour représenter l’univers de Blade Runner. D’ailleurs, en me promenant à Meguro la semaine dernière, j’ai eu beaucoup de mal à m’imaginer dans l’univers de Blade Runner. J’aurais certainement du me rendre dans certains quartiers de Shinjuku un jour de pluie. Ceci étant dit, je pense aussi contribuer à donner une vue altérée et biaisée de cette ville et c’est même souvent volontaire.

Image de couverture du premier LP de Aya Gloomy intitulé Riku no Kotō 陸の孤島. Quelques morceaux à écouter sur Soundcloud et Youtube, notamment Shizuka ni kieru 静かに消える et Tomedonaku afure とめどなくあふれ.

Encore une très belle découverte musicale, Aya Gloomy avec son premier album Riku no Kotō 陸の孤島. L’album est sorti il y’a un peu plus d’un mois en Avril 2018. Je l’écoute et réécoute très souvent ces derniers jours, tant j’adore cette musique électronique assez minimaliste, laissant beaucoup de place à la voix particulière de Aya Gloomy. J’aime beaucoup cette voix et cette façon de chanter en séparant clairement les mots, comme sur le morceau Shizuka ni Kieru 静かに消える (disparaître en silence), ou d’une manière très désinvolte et même distordante sur certains morceaux. La musique devient parfois répétitive et inquiétante comme sur le superbe 2020 / Tokyo destruction, peut être une référence au Neo Tokyo de Akira « about to explode » (comme disait l’affiche du film d’animation). Le morceau est entrecoupé de sons sourds de percussions et de sons de clochettes rappelant la musique de Geinoh Yamashirogumi, donc la référence à Akira semblerait plus que probable. Le morceau suivant Tomedonaku afueru とめどなくあふれ est tout aussi étrange et superbe. La voix se force tandis que la musique semble aller au ralenti en menaçant de stopper à tout moment. Les deux derniers morceaux Drive et I sink sont un peu différents car moins minimalistes dans le son et plus chargées et distordus. C’est encore une fois une musique décalée, alternative et très personnelle, qui me plait beaucoup et me laisse dire qu’il y a beaucoup de choses intéressantes à découvrir sur la scène musicale japonaise en dehors du mainstream.

Aya Gloomy, en fait Aya Yanase, est un personnage assez mystérieux aux cheveux d’un rouge éclatant (ou bleu dernièrement à en croire les photographies sur son Instagram). Quelques vidéos sur YouTube pour la chaîne musicale du câble Space Shower TV nous montre Aya Gloomy dans des scènettes pleines de second degré. Elle nous parle de soit disant voyages dans l’espace, joue les artistes blasées auprès d’une journaliste et d’une fan, prétend avoir gagné 10 milliards de yens avec les ventes de son premier album et utilise un synthétiseur qui distord l’espace. Il y a tout un univers autre de la musique de Aya Gloomy. S’il fallait faire un parallèle outre-pacifique, je rapprocherais cette musique à celle de Grimes, plutôt sur les premiers albums comme Halfaxa. Tiens, je vais réécouter Grimes, en attendant que Claire Boucher sorte son nouvel album tant attendu.