白黒になる東京 (4)

Depuis la gare de Shinjuku, je marche maintenant vers Kabukichō en direction de la station de Seibu Shinjuku. Cette zone de Shinjuku a pris ce nom de Kabukichō car elle était initialement destinée à accueillir un théâtre kabuki après la seconde guerre mondiale. Ce théâtre, qui était censé s’appeler Kiku-za, n’a jamais vu le jour en raison de problèmes de financement, mais le nom de Kabukichō est resté. Des centres de divertissement se sont tout de même développés un peu plus tard, notamment un cinéma appelé Tokyu Milano-za construit en 1956 ainsi que d’autres établissements: un centre culturel, un théâtre et une patinoire. Le cinéma Tokyu Milano-za a fermé ses portes le 31 Décembre 2014. Le bâtiment a été rasé et va laisser place à une tour de 225 mètres actuellement en cours de construction. Je ne suis pas venu à Kabukichō pour voir ce nouveau building en construction qui va continuer à transformer l’image du quartier, mais plutôt pour aller voir la palissade de métal blanc qui l’entoure. Dans le cadre d’un projet intitulé Shinjuku Art Wall (新宿アートウォール・プロジェクト), une sélection de photographies de Daido Moriyama y sont affichées en grand format sur les murs Sud et Ouest. Certaines photographies sont assez connues comme celle avec des bas résille formant des motifs courbes, celle montrant des lèvres féminines prises en gros plan ou encore la photographie de câblages électriques compliqués accrochés sur un poteau. Je ne connaissais pas la plupart des autres photographies, notamment celles montrant des personnages de la série Evangelion comme Ayanami Rei. C’est une bonne idée d’utiliser ces surfaces autour des constructions pour montrer des photographies, illustrations ou autres œuvres d’art. J’ai l’impression que cette méthode d’exposition devient plus fréquente ces derniers temps. Je me souviens des palissades blanches autour du PARCO de Shibuya sur lesquelles Katsuhiro Ōtomo et Kosuke Kawamura s’étaient associés pour montrer des illustrations du manga Akira. Ce n’est pas le seul exemple d’art de rue éphémère que j’ai pu voir à Shibuya.

J’écoute souvent l’album éponyme de Millenium Parade mais je me rends compte que je n’en avais jamais parlé dans un billet à part entière, car je l’avais en fait évoqué dans des commentaires d’un ancien billet lorsque je commençais à écouter l’album en Mars 2021 un mois après sa sortie. Je l’écoute de plus en plus maintenant car c’est un album qui se révèle petit à petit. Millenium Parade (abrévié en Mirepa ミレパ) est un projet musical mené par Daiki Tsuneta, fondateur de King Gnu avec Satoru Iguchi. Alors que King Gnu a une approche rock plutôt mélodique, Millenium Parade prend une approche plus éclectique mélangeant les styles entre rock, passages plus symphoniques, des moments électroniques ou jazz et d’autres de hip-hop. J’aime beaucoup King Gnu et c’est le groupe qui réconcilie tout le monde à la maison. Je m’étais procuré sur iTunes leurs deux derniers albums, à savoir celui intitulé Sympa sorti en Janvier 2019 et leur dernier intitulé Ceremony sorti en Janvier 2020. Ceremony comprend le single Hakujitsu (白日) qui a grandement contribué à la notoriété du groupe, notamment pour la voix rare de Satoru Iguchi. Iguchi et Tsuneta sont proches car ils viennent tous les deux de la même université des Beaux Arts de Tokyo, Département Musique. Iguchi ne fait cependant pas partie de Millenium Parade mais est tout de même invité sur deux morceaux à la fin de l’album dont le morceau Familia qui le conclut. Ce morceau reste très proche de l’esprit musical de King Gnu. Daiki Tsuneta est également membre fondateur de Perimetron qui est un collectif composé de vidéastes, d’illustrateurs graphistes et de musiciens. Perimetron ressemble à une troupe d’artistes très proches partageant une même vision créative. Ce groupe réalise les vidéos de King Gnu et de Millenium Parade. Dans son ensemble, King Gnu est à mon avis plus axé mainstream que Millenium Parade qui se présente plutôt comme un concept musical. Daiki Tsuneta y compose les musiques et invite différents artistes pour les interprétations vocales et instrumentales, comme les voix féminines de l’interprète Ermhoi sur quelques morceaux comme 2992 ou Lost and Found ou encore Friday Night Plans sur le morceau Trepanation. Leurs interprétations vocales sont superbes d’ailleurs. Tsuneta chante également sur plusieurs morceaux. Les paroles sont presque toutes en anglais bien que les membres du groupe et les invités soient tous des artistes japonais, mais parfois d’origines diverses. Millenium Parade est très intéressant musicalement dans un esprit rock se mélangeant avec une approche symphonique, parfois jazz, mais gardant quelque chose d’assez chaotique. C’est d’ailleurs une image que Tsuneta recherche, car il évoque lui-même le Tokyo Chaotic Sound comme tendance principale de leur art. Il y a d’ailleurs un morceau intitulé Tokyo Choatic!!! qui se trouve être une interlude musicale. Il y a beaucoup de courtes transitions musicales dans cet album, contribuant à son approche conceptuelle. Ces transitions façonnent d’ailleurs l’ambiance générale qui se dégage de l’album. Plusieurs d’entre elles évoquent le folklore japonais, comme le tout premier morceau intitulé Hyakki Yagyō (百鬼夜行) qui fait référence à la parade nocturne des 100 démons yōkai arpentant tous les ans les rues durant les nuits d’été et provoquant la mort à ceux qui ont le malheur de croiser leur procession. Hyakki Yagyō était également le thème de la tournée de Sheena Ringo en 2015 (椎名林檎と彼奴等がゆく 百鬼夜行2015), dont j’ai le Blu-ray sans l’avoir vu car je fais durer le plaisir. Ce trait d’union m’interpelle forcément un peu. Une autre interlude de Millenium Parade s’appelle Matsuri no ato et vient reprendre des fragments du morceau suivant 2992, constituant ainsi une sorte d’introduction. Ce genre de liaisons est très intéressante. Millenium Parade s’est surtout fait connaître par le morceau Fly with Me, qui est le thème d’ouverture de la série Ghost in The Shell: SAC_2045. La vidéo animée de style futuriste par Perimetron est superbe, sans forcément reprendre le style GITS. En fait le désordre urbain me rappelle plus le manga et l’anime Tekkonkinkreet. Il se trouve que Daiki Tsuneta est fan de GITS et s’en inspire apparemment dans son approche artistique. J’adore également GITS et les autres manga cultes de Masamune Shirow (Appleseed ou Orion par exemple). La vidéo de Veil par exemple, semble être complètement influencée par l’univers de GITS avec ces tubes reliant des corps cybernétiques. Veil est un des singles du groupe mais n’est bizarrement par présent sur l’album Millenium Parade. J’aime beaucoup l’approche artistique « complète » de cet album où le même collectif autour de Daiki Tsuneta compose les musiques des morceaux, les interprète, tourne les vidéos et illustre les pochettes de leurs albums. Ça donne une certaine consistance de style et quelque chose de très puissant qui m’intéresse beaucoup.

Vous allez peut-être vous inquiétez du fait que je n’ai pas encore évoqué Tokyo Jihen sur ce billet alors que c’était le cas sur presque tous les billets précédents (enfin j’évoque bien Sheena Ringo un peu plus haut). Dans un souci de continuer à tester l’endurance des lecteurs de Made in Tokyo, dont le nombre est en conséquence en baisse en ce moment, je vais quand même évoquer une nouvelle fois Tokyo Jihen ici. En fait, il m’est revenu en tête d’écrire au sujet de Millenium Parade et de Daiki Tsuneta car il était invité avec le batteur de King Gnu, Yū Seki, à l’émission KanJam Kanzen Nen-SHOW (関ジャム 完全燃SHOW) en deux parties les Dimanche soir 13 et 20 Juin 2021 sur TV Asahi. L’émission est présentée par le groupe d’idoles masculines KanJani8 (関ジャニ∞), originaire du Kansai comme leur nom le suggère. Vu qu’ils sont incapables de chanter correctement, je me suis toujours demandé pour quelle raison ils s’étaient retrouvés à animer une émission musicale qui peut être par moment assez pointue. On voit d’ailleurs régulièrement qu’ils sont un peu dépassés par les discussions qui ont lieu pendant l’émission, et c’est d’ailleurs également assez régulièrement mon cas pour être très honnête. Il s’avère tout de même qu’il s’agit d’une des émissions musicales les plus intéressantes de la télévision japonaise, avec celles de la NHK dans un style certes plus formel. Les émissions de KanJam du 13 et 20 Juin ont en fait été hijackées par Tokyo Jihen remplaçant KanJani8 dans le rôle d’animateurs et les reléguant au rôle de spectateurs. L’émission avait même changé de nom pour devenir HenJam Shinra Ban-Show (変ジャム 森羅万SHOW). La mise en scène était amusante car les membres de Tokyo Jihen prétendaient être d’autres personnes liées aux membres du groupe, des frères ou des cousins. Sheena Ringo, qui présentait l’émission avec Ichiyō Izawa, prétendait être Shiina Tekuno (椎名てく乃), cousine de Sheena Ringo qui se trouve être présentatrice de profession. Izawa Ichiyō se présentait en tant que Izawa Amaō (伊澤甘王), cousin au deuxième degré de Ichiyō et journaliste. Je pense qu’on lui a donné le nom de Amaō car on sait qu’il aime les choses sucrées depuis l’épisode de Hanakin Night qui lui était consacré. Kameda Seiji devenait Kameda Seizo, petit frère de Seiji et responsable dans une entreprise. Ukigumo se présentait sous le nom de Yamigumo (闇雲), son frère jumeau et ingénieur de profession. Finalement, Hata Toshiki devenait Hatahata Toshiki (鰰(はたはた)都市紀), chercheur en poisson d’eau de mer et parent de Hata Toshiki. Cette mise en scène très compliquée provoqua bien entendu la surprise des autres personnes sur le plateau. Ce qui était amusant, c’est que Sheena prenait un malin plaisir à ne pas répondre lorsque l’on lui demandait le sens de cette plaisanterie. On ressentait assez clairement que toute cette mise en scène avait été imaginée par Sheena Ringo, certainement pour alléger le stress de ce genre d’émissions, mais on voyait que les autres membres du groupe avaient du mal à se tenir à leurs rôles imposés. Je pense que le chaos qui est en résultait était volontaire et donnait quelque chose d’assez particulier à suivre. Dans cette mise en scène, les membres de Tokyo Jihen devaient parler d’eux-mêmes à la troisième personne, n’étant que les cousins ou petits frères des véritables membres du groupe. On pouvait remarquer que Kameda avait tout de suite du mal à se tenir à cette mise en scène et Sheena le reprenait sous les sourires de tous. C’est une drôle d’idée complètement décalée.

L’autre surprise de l’émission était donc de voir Daiki Tsuneta invité avec le batteur de King Gnu, Yū Seki, à cette émission. Je me souviens que lors d’une enquête du fan club Ringohan, Sheena Ringo demandait qu’on lui suggère des artistes avec lesquels elle pourrait collaborer musicalement et j’avais proposé King Gnu. Ça me fait donc plaisir de voir une partie du groupe invité même s’il ne s’agit pas d’une participation commune à l’élaboration d’un morceau de musique. Ce sera peut être pour une autre fois, mais l’émission avait au moins le mérite d’indiquer qu’il y a des points communs entre Sheena Ringo et King Gnu. C’est en fait Sheena qui a invité Daiki Tsuneta dans l’émission et il explique lui-même qu’il ne pouvait pas refuser. Il se trouve que Sheena a assisté à un de ses premiers concerts à Tokyo il y a quelques années et qu’il se sentait donc obligé d’accepter cette invitation pour cette émission. Le ton de l’émission était volontairement piquant donc on ne sait pas trop dans quelle mesure il s’agit d’humour ou de réalité. Mes souvenirs de Tsuneta dans des émissions de télévision étaient qu’il avait une attitude un peu hautaine (je ne me souviens en fait que d’une seule émission où King Gnu était interviewé, donc mon impression est peut être fausse) mais il avait ici l’air très humble, très souriant et même un peu gêné pendant cette émission qu’on lui fasse des compliments, comme s’il y avait une relation de Kohai à Senpai entre Tokyo Jihen et King Gnu. Daiki Tsuneta dit beaucoup de bonnes choses sur Tokyo Jihen. C’est amusant de voir Sheena l’écouter avec un sourire en coin en baissant la tête. On comprend tout de suite que les commentaires élogieux de Tsuneta sur le groupe lui plaisent beaucoup. Il insiste aussi beaucoup sur le jeu de basse de Kameda et les distorsions (歪み) qu’il y introduit. L’émission prend en exemple son solo de basse sur OSCA qui remplace très bien un solo de guitare. En même temps, Sheena nous dit que la basse de Kameda vient parfois empiéter sur sa plage vocale et qu’il est parfois difficile pour elle de chanter sur un morceau quand le son de la basse devient trop présent. Cette remarque un peu piquante là encore mais volontairement humoristique fait rire toute l’assemblée. Et Ukigumo de commenter qu’avec la basse de Kameda, on n’a même plus besoin de guitare. Le sujet des distorsions occupent un bon moment de la seconde partie de l’émission car Tsuneta apprécie beaucoup cet aspect du groupe et entend même des distorsions dans la batterie de Toshiki Hata.

Outre King Gnu, Chan Mari (ちゃんMARI) du groupe Gesu no Kiwami Otome (ゲスの極み乙女) et le producteur Akimitsu Honma, membre régulier de l’émission, intervenaient également. Chan Mari nous dit d’entrée de jeu être fan de Tokyo Jihen, avec une pointe d’émotion dans la voix. Elle est au clavier dans son groupe et insiste beaucoup dans l’émission sur les talents de composition de Izawa, en prenant comme exemple les solos sur le morceau Osorubeki Otonatachi (恐るべき大人達) en version live sur la tournée Discovery, sur le morceau Aka no Dōmei (赤の同盟) sur le dernier album Music ou sur Himitsu (秘密). Le producteur Akimitsu Honma note que la particularité de Tokyo Jihen est que chaque membre du groupe est capable de composer des morceaux en plus d’être musicien, ce qui est un fait rare. Il remarque certains rapprochements entre l’approche musicale de Tokyo Jihen et celle de King Gnu. Je suis assez d’accord avec cela dans le sens où ces deux groupes ne se sentent pas limité dans leurs approches musicales et sont en mesure de s’approprier différents styles en les adaptant à leurs propres atmosphères. Je ressens également une même sophistication et profondeur dans les sons qu’ils produisent, un certain perfectionnisme. Dans l’émission, en plus de cette capacité à composer, on évoque également le fait que la plupart des membres du groupe ont de multiples capacités en plus de jouer de leurs instruments d’origine, notamment celle de chanter pour Izawa et Ukigumo et de jouer de la guitare en plus des claviers pour Izawa.

L’émission aborde ensuite le fait que le groupe développe sans cesse des nouvelles versions de leurs morceaux, ce qui rend d’ailleurs les concerts intéressants car les morceaux varient souvent par rapport à ce qu’on connaît des albums. Sheena évoque une fois de plus son souci de plaire au public en proposant des interprétations nouvelles plutôt que de répéter des versions que le public connait déjà. A ce sujet, Ukigumo ne fait jamais deux fois les mêmes solos de guitare. On nous le démontre dans l’émission en prenant différents exemples en concert du morceau Killer Tune pour lequel le solo est à chaque fois diffèrent. Ukigumo nous dit que changer à chaque fois permet de ne jamais se tromper car il n’est pas nécessaire de reproduire exactement la même partition à chaque interprétation. Mais ça veut surtout dire qu’il a une excellente capacité d’improvisation ce qui désoriente d’ailleurs un peu les autres membres du groupe. En studio d’enregistrement, il improvise souvent une partition qui se trouve être meilleure que ce qui était écrit à l’origine. Le problème est qu’il ne se souvient parfois pas après coup ce qu’il a improvisé et il faut lui faire réécouter la bande de son propre passage de guitare pour qu’il puisse le reproduire à l’identique en se copiant lui-même. On lui pose la question si le changement perpétuel de version peut être dû au fait qu’il ne retient pas la partition originale et il nous confirme avec une moitié de sourire qu’il y a également un peu de cela. Sur Ukigumo, Tsuneta nous dit qu’il est un génie de la guitare car son approche musicale n’est jamais standard ou normale, et qu’il est respecté par les jeunes guitaristes.

Chan MARI évoque un peu plus tard la multiplicité des voix de Sheena, ce que j’aime aussi énormément et Akimitsu Honma parle aussi de génie pour le chant de Sheena. Il y a beaucoup de superlatifs dans cette émission, ce qui peut paraitre un peu trop. Mais ce qui est avant tout intéressant, c’est le déroulement chaotique de l’émission, comme une distorsion de la réalité, qui nous pousse à sourire. Par exemple, Yū Seki de King Gnu nous explique qu’il a été invité par Hata Toshiki dans cette émission mais lui-même n’a pas l’air très au courant. Sheena répond toujours à moitié aux questions et quand ça l’arrange. A une question de l’acteur, invité régulier de l’émission, Arata Furuta, elle nous dit qu’elle n’est pas Sheena Ringo (puisqu’elle est le personnage de Tekuno) et qu’elle n’est donc pas en mesure de répondre précisément. Elle change même rapidement de sujet en posant une question à Daiki Tsuneta. Cette mise en scène est en fait un moyen pratique pour ne pas répondre aux questions ennuyeuses. Arata Furuta lui demandait si la raison pour laquelle elle avait arrêté sa carrière solo était bien pour faire partie d’un groupe. C’est une question à laquelle elle a dû répondre tellement de fois qu’elle expédie la réponse en passant rapidement à autre chose. Un peu plus tard dans l’émission, Ukigumo nous révèle qu’on l’oblige à porter des vêtements bizarres, comme le costume d’indien qu’il a porté récemment pendant l’émission Music Station pour le morceau Ryokushu (緑酒), et que parfois c’est dur à vivre. L’éclat de rire de Tsuneta quand Ukigumo nous annonce cela fait plaisir à voir. Là encore, on ne sait pas trop si cette complainte est véritable, mais j’imagine bien Sheena obliger gentiment tout le monde à porter ces tenues de scènes, sans que personne ne soit en mesure de refuser tout en se disant que ça ne doit pas être une si mauvaise idée que cela. L’émission décortique également plusieurs morceaux mais je trouve les explications plus floues et moins convaincantes. En tout cas, j’ai appris pas mal de nouvelles choses sur le groupe, et des petites anecdotes. Le respect mutuel entre les membres du groupe, et entre Tokyo Jihen et King Gnu, transparaissait véritablement dans cette émission, et m’a d’autant plus donné envie de revenir vers les albums de Millenium Parade et de King Gnu, en alternance avec Music de Tokyo Jihen que j’écoute toujours beaucoup sans m’en lasser.

白黒になる東京 (3)

Je continue cette série montrant Tokyo en noir et blanc avec un nouvel épisode et sans savoir combien de billets au total composeront cette série. Peut-être deviendra t’elle une série au long cours qui réapparaîtra de temps en temps sur ce blog après quelques mois ou années écoulées. J’ai un peu perdu le fils des séries passées car la particularité de ce blog est d’être relativement désorganisé, ce qui est assez différent de ma vie réelle dont je parle volontairement assez peu. Enfin, les billets sont peut-être désorganisés les uns par rapport aux autres, mais les contenus de chaque billet suivent des logiques assez bien définies. Changer cette logique interne sur certains billets provoque parfois de longs débats au sein de la rédaction de Made in Tokyo. Certaines photographies du billet, notamment les premières, sont plutôt anciennes (de quelques mois) tandis que les trois dernières prises à Shinjuku sont plutôt récentes. La première photographie montre un long sous-sol du grand magasin Ginza6. Je ne soupçonnais pas l’existence de ce long couloir plutôt photogénique. J’ai pris une vingtaine de photos dans ce tunnel avec des effets de flou, des effets de mouvements en zoom et en rotation, avec l’intention de les utiliser plus tard comme matériaux pour des compositions avec d’autres photographies. Dans ma librairie de photographies sur l’iMac, j’ai beaucoup de photos prises uniquement pour servir de motifs éventuels, notamment des photos de ciel avec nuages, des photos rapprochées de murs de pierre ou de béton, comme sur la deuxième photographie. L’hortensia de ce billet, comme celle du premier billet de cette série, provient du sanctuaire Hakusan dont je parlerais très certainement dans un prochain billet. Je vais régulièrement à Shinjuku mais plus rarement à Kabukichō. Le quartier change petit à petit depuis l’implantation du grand building des cinémas Toho au printemps 2015. Je me dirige vers un nouvel immeuble en construction pour aller voir les palissades de protection qui l’entourent, mais j’en parlerais également dans un prochain billet. Les trois photographies de Shinjuku montrées sur ce billet sont en fait prises en marchant depuis la gare vers Kabukichō. Le building noir aux contours agressifs, le Yasuyo Building de l’architecte Nobumichi Akashi, est un bâtiment que j’ai déjà montré plusieurs fois sur ce blog. Je l’ai en fait montré plus que plusieurs fois car ce building était l’image d’entête de Made in Tokyo pendant 6 ans de 2010 à 2016, pour les versions 5 et 6 du blog. A cette époque, j’avais même enlevé le titre du blog pour ne laisser que cette image de building noir, positionnée à l’envers. Ce building est tellement symbolique qu’il me paraissait suffisant et il a encore maintenant pour moi une valeur particulière. Sur la dernière photographie ci-dessus, on devine une de raisons de mon passage à Shinjuku.

Le magasin de disques Tower Records de Shinjuku avait monté une petite exposition sur Tokyo Jihen à l’occasion de la sortie de l’album Music (音楽) et il fallait bien évidemment que je vienne voir à quoi tout cela ressemblait. L’exposition est toujours en cours et se terminera le 28 Juin. Je m’étais décidé, pour cet album, à suivre le chemin typique de l’OTK, ce qui est assez fatiguant tout en étant assez amusant. Je n’étais pas le seul à venir prendre en photo les tenues du groupe qui étaient présentées. Le Tower Records de Shinjuku occupe les 7ème et 8ème étages du Department Store Flags, et on pouvait trouvé quatre set de tenues d’émissions aux 4ème et 7ème étages. Au quatrième étage, on pouvait voir les tenues récentes très colorées utilisées pour le morceau Ryokushu (緑酒) interprété pendant l’émission Music Station sur la chaine Asahi TV, le Vendredi 14 Mai 2021. Au 7ème étage, dans un espace aménagé du Tower Records, on pouvait voir trois autres sets de tenues, celles portées pour Gunjō Biyori (群青日和) lors de l’émission FNS du 9 Décembre 2020 (certainement mes préférées), et d’autres plus traditionnelles: des yukata blancs portés pour l’émission Music Station du 14 Août 2020 et les kimono bleus marqués de l’année 2020 pour la 71ème édition de l’émission la NHK Kōhaku du 31 Décembre 2020. On pouvait également y voir devant une affiche géante du groupe sur le toit du New Sky Building de Shinjuku, des néons reprenant l’écriture du titre de l’album et deux tourne-disques pour vinyles marqués des signes des membres du groupe. Ce tourne-disques aux allures vintage n’est pas en ventre à ma connaissance, tout comme la broche en forme de plume de paon sur le yukata blanc. Cette broche était apparemment vendue ou donnée aux membres du fan club Ringohan il y a quelques années, et on ne peut pas l’acheter maintenant, à part d’occasion et pour un prix assez élevé sur Mercari. Dans ce magasin Tower Records de Shinjuku, j’ai pu constater que le poster des 20 ans de carrière de Sheena Ringo ainsi que la cartographie des liens musicaux, que je montrais dans un billet précédent, sont toujours présents.

un escalier rouge comme les autres

Nous sommes un peu moins actifs ces dernières semaines dans notre quête des sceaux goshuin des sanctuaires et temples de Tokyo. Le dernier date déjà d’il y a plusieurs semaines, celui du sanctuaire Suga dans l’arrondissement de Shinjuku près de la station de Shinanomachi. Le nom de ce sanctuaire provient d’une anecdote de la mythologie japonaise impliquant le dieu Susano no Mikoto, l’impétueux jeune frère de la déesse du soleil Amaterasu no Mikoto. Après avoir terrassé un monstrueux serpent à 8 têtes, il dit qu’il se sentait rafraîchi (私の心は清々しい), qui se prononce « suga suga shii » d’où est tiré le nom du sanctuaire Suga. Ce sanctuaire est également réputé pour 36 portraits de poètes de l’ère Heian (Sanjurokkasen) disposés sur la plafond du sanctuaire.

Juste à côté du sanctuaire Suga, l’escalier aux barres rouges est d’apparence des plus banales mais il est en fait mondialement connu et le lieu est visité par les touristes du monde entier, pour la simple et unique raison qu’il apparaît dans le film d’animation Kimi no Na ha (Your Name). Nous ne sommes pas allés à cet endroit exprès bien que j’ai beaucoup aimé le film comme tout le monde. C’était en fait une heureuse surprise de trouver cet endroit un peu par hasard. Enfin, à peine car cet escalier est clairement nommé sur Google Maps. Il y avait très peu de touristes au moment où nous y sommes passés, mais j’imagine qu’il doit être beaucoup plus encombré en temps normal et que tout le monde doit se prendre en photo dans la position exacte de l’affiche que je montre ci-dessus. Le film d’animation est assez fidèle au lieu réel. Le réalisme est d’ailleurs est des particularités les plus frappantes du cinéma de Makoto Shinkai.

just can’t help it

Je ne peux m’empêcher de prendre en photo les dessins sur les murs dès que j’en aperçois au hasard de mes promenades en ville. Les couleurs de la nature urbaine sont parfois tellement prononcées qu’on a l’impression qu’elles sont dessinées au feutre épais ou à la bombe de peinture. La cinquième photographie ne montre pas un dessin de rue mais la manière dont l’ancienne voiture apparaît derrière un fin rideau grillagé a quelque chose de très graphique qui donne l’impression qu’elle est dessinée dans un cadre de manière un peu floue. La dernière photographie montre la devanture ultra-colorée du magasin A Bathing Ape Kids à Jingumae. Je n’y suis jamais entré car j’ai passé l’âge depuis longtemps mais je sais qu’on trouve à l’intérieur une piscine de bananes de toutes les couleurs. On l’aperçoit à peine sur cette photographie. La quatrième photographie a été prise entre Shin-Okubo et Shinjuku le long de la voie ferrée. Comme je le montrais dans un billet précédent à Takadanobaba, les murs sous les ponts routiers sont assez souvent couverts d’illustrations. Et si ce ne sont pas des illustrations, ce sont des graffitis désorganisés qui envahissent ces espaces cachés du reste de la rue. Les deux premières photographies à Aobadai et à Daikanyama ne sont pas non plus des graffitis. J’aime beaucoup les personnages ressemblant à des barbapapa que l’on peut voir sur la deuxième photographie. Je pense les avoir déjà montré auparavant sur made in tokyo, mais je ne peux m’empêcher de les prendre en photo à chaque fois que je passe devant. I just can’t help it.

J’avoue qu’il m’était un peu difficile de reprendre le fil de l’écriture sur les concerts de Sheena Ringo et Tokyo Jihen après avoir vu Electric Mole. Il y avait tellement de choses à dire sur Electric Mole que le courage me manquait un peu de commencer à écrire sur le concert suivant, en pensant au temps que j’ai passé sur le billet d’Electric Mole. Mais l’envie de continuer ma découverte de ces concerts était trop forte et je poursuis donc tranquillement avec Just Can’t Help It de Tokyo Jihen. La tournée “DOMESTIC! Just can’t help it” n’est en fait pas la première tournée de la nouvelle formation de Tokyo Jihen en Phase 2 (第二期) car une courte série de deux concerts en deux dates sous le nom de « DOMESTIC! Virgin LINE » a d’abord eu lieu les 19 et 21 Février 2006 au Nippon Budokan de Tokyo et au Osaka-jō Hall respectivement. Cette mini tournée Virgin Line accompagnait en fait le nouvel album Adult (大人) sorti le 25 Janvier 2006 et était un tour d’essai pour le nouveau groupe voyant Ukigumo remplacer Mikio Hirama et Ichiyō Izawa remplacer Masayuki Hiizumi. “DOMESTIC! Just can’t help it” se déroule la même année mais sur un nombre beaucoup plus important de dates, 21 dates en tout, et couvre tout le pays en démarrant par le Hall de Kamakura (鎌倉芸術館) le 7 Avril pour terminer au Convention Center d’Okinawa (沖縄コンベンションセンター) le 30 Mai 2006. La captation vidéo sur le DVD Just Can’t Help It est sortie le 6 Septembre 2006 et montre un enregistrement de l’avant dernière date, le 26 Mai 2006 au NHK Hall de Tokyo, à Shibuya. Il s’agit quand même du premier concert de la Phase 2 de Tokyo Jihen disponible en DVD, car Virgin Line n’est jamais sorti en DVD ou Blu-Ray, à part quelques morceaux sur la compilation vidéo Live Chin Play Kō Play (珍プレー好プレー), dont je parlerais certainement dans quelques semaines. Cette compilation est sortie beaucoup plus tard en 2012 au moment de la séparation du groupe. En fait, Virgin Line a été diffusé en version tronquée (12 morceaux sur 18), mais avec une partie documentaire en plus, dans une émission spéciale intitulée “Tokyo Jihen Live in Nippon Budokan” diffusée sur la chaine Fuji Television le 25 Mars 2006. On peut voir cette émission sur internet en cherchant bien. Je comprends le titre de cette tournée comme voulant signifier que le groupe ne peut s’empêcher de vouloir se produire en live. Il n’y a pas de partie documentaire sur ce live, contrairement à ce qu’on avait l’habitude de voir sur les vidéos de Dynamite, Electric Mole ou encore Gekokujyo Ecstasy. Par contre, le DVD a la particularité d’intégrer des scènes vidéo originales dans le film du concert. Ces images additionnelles s’intègrent en fait très bien car le son n’est pas coupé ou altéré (à part sur un morceau). Elles donnent même une dimension contemplative au concert, que je trouve très bien pensée. Si dans l’ensemble, je trouve les versions des morceaux joués sur Just Can’t Help It moins percutantes que sur Dynamite Out avant ou sur un concert comme Ultra C plus tard, ce concert est extrêmement intéressant d’un point de vue visuel. Je ne dirais pas que le concert n’est pas intéressant musicalement car les interprétations sont impeccables comme toujours.

Just Can’t Help It reprend la quasi totalité des morceaux de l’album Adult sauf le troisième Keshō Naoshi et le neuvième Tasogare Naki (attention, nouvelle symétrie détectée), quelques morceaux de l’album précédent Kyōiku, quelques reprises et morceaux de la carrière solo de Sheena Ringo, et un nouveau morceau qui sortira plus tard sur le troisième album Variety. Le DVD reprend également la totalité des morceaux joués le 25 Mai 2006 au NHK Hall, sans supprimer de morceaux, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Je me suis procuré ce DVD en l’achetant à un particulier sur Mercari pour un très bon prix. En fait, je cherchais le boitier original qui est différent de la boite plastique actuelle, car j’avais déjà le DVD de ADULT VIDEO prenant le même type de packaging et de design. Le concert Just Can’t Help It et les vidéos de morceaux sur ADULT VIDEO fonctionnent un peu comme une paire, en complément de l’album Adult. ADULT VIDEO est sorti avant Just Can’t Help It, le 23 Mars 2006. En fait, j’aime beaucoup le côté un peu provocateur de la couverture de Just Can’t Help It, qui utilise des photos de modèles. Ce ne sont bien entendu pas des photos des membres du groupe. Dans le même ordre d’idée, le titre du DVD ADULT VIDEO a un nom qui peut être trompeur. Tokyo Jihen va en fait au bout de leur concept de noms d’albums s’inspirant de catégories de chaines télévisées (Discovery, News, Sports, Variety, Education et Adult). Je me demande d’ailleurs le nom qu’ils donneront à leur prochain album en 2021. En pensant au teaser du futur album, je pense à un nom en lien avec l’auto-moto. Le DVD ADULT VIDEO contient 6 vidéos, celles de Kabuki, Himitsu, Koi ha Maboroshi, Shuraba, Kenka Jōtō et Tasogare Naki. Le vidéos sont de qualités variables, celle de Shuraba étant la plus aboutie. La vidéo de Himitsu est intéressante car le morceau est différent de l’album, incluant une partie rappée par Ukigumo. Cette version aurait pu être sur l’album à mon avis. La vidéo de Koi ha Maboroshi est amusante et j’étais surpris de voir le comédien Gekidan Hitori y participer. Kenka Jōtō met Hata Toshiki à l’honneur. Il y effectue une danse Kagura dans un lieu qui semble être la mine de pierre Oya à Tochigi (qui est d’ailleurs régulièrement utilisée pour des vidéos). Mais revenons plutôt au concert Just Can’t Help It.

Le concert commence comme une scène de théâtre pour le morceau Yukiguni. Sheena Ringo y est habillée d’un kimono blanc sur un fond bleu nuit et sur un sol blanc imitant la neige. Je me suis d’abord demandé s’il s’agissait de la mise en scène actuelle que l’on pouvait voir lors du concert mais on comprend rapidement que ce n’est pas le cas car les véritables images sur la scène du NHK Hall et celles en studio se mélangent. Elle est également habillée du même kimono sur scène, ce qui fait que les images en studio et celles sur scène s’accordent très bien. Ce kimono lui sera arraché brusquement à la fin du morceau au moment où démarre le deuxième morceau Genjitsu wo Warau. L’interprétation de Yukiguni est très prenante mais c’est surtout cette mise en scène neigeuse qui laisse une forte impression. Alors qu’ils étaient dans la pénombre sur le premier morceau, les membres du groupe apparaissent plus clairement sur Genjitsu wo Warau. Ukigumo intervient d’ailleurs au chant dans la deuxième partie du morceau. Sheena reste cependant sur le devant de la scène par rapport au reste du groupe placé un peu à l’arrière. Cette disposition changera d’ailleurs au fur et à mesure dans les concerts qui suivront. Sheena est principalement au centre de la scène et elle sera plutôt placée à droite près de la batterie de Hata sur les concerts suivants. Ukigumo est placé derrière Sheena sur ce concert et on le verra se déplacer entre les claviers de Izawa et Sheena sur les concerts suivants. Shōjo Robot prend une version beaucoup plus rock que celle que l’on connaîtra bien plus tard sur la compilation Reimport 2. Ce n’est pas pour me déplaire bien que j’aime aussi la version originale de ce morceau réimporté qu’elle a initialement écrit pour sa copine Rie Tomosaka. Les morceaux s’enchainent tellement vite qu’on a du mal à saisir le démarrage du morceau suivant Kabuki. En fait, une présentation de chaque membre du groupe est faite avant le début de ce morceau. Kabuki est très réussi. Il fonctionne notamment très bien car elle sur-joue ses mouvements de visages.

Vient ensuite le morceau Himitsu. Sheena y est très mobile en effectuant ses petits mouvements saccadés de côté désormais très classique. Des scènes avec des flammes dans une sorte de vieil hangar s’intercalent avec les vrais scènes du concert de manière transparente, ce qui est assez bien fait car on ne remarque pas quand se fait la transition. On la voit même boxer dans le vide à un moment, comme sur la vidéo beaucoup plus récente du morceau Blue ID qu’on a pu voir sur Music Station le 25 Décembre 2020. Sur Himitsu, Izawa assure au piano mais reste très concentré et n’occupe pas la scène comme Hiizumi le faisait sur Dynamite. Il a l’air beaucoup plus détaché et je comprends qu’on ait pu lui reprocher cela au début de Tokyo Jihen phase 2. Ça changera plus tard dans les autres concerts. La reprise de The Lady is a Tramp suit ensuite. Ce n’est pas la première fois que je l’entends et ce morceau n’a rien d’indispensable, surtout que la version vidéo prend un effet de vieux films en noir et blanc et une altération du son le rendant moins net. Genjitsu ni Oite est un morceau composé par Hiizumi et il est excellemment interprété par Izawa. J’ai des frissons dans le dos à chaque fois que j’écoute ce morceau. Ce qui est très beau, c’est qu’Izawa engage directement sur le morceau Kao qui est un morceau que j’adore, notamment la version avec Hirama sur le concert Dynamite Out. En regardant la playlist, je me suis d’abord demandé comment le groupe allait interprété ce morceau sans Hirama, mais la version de Just Can’t Help It est seulement instrumentale. Le morceau Kao sur Dynamite Out avec Hirama est pour moi emblématique et ça aurait été difficile de l’égaler. D’ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi il n’a jamais été intégré dans un album. Cette version instrumentale dans Just Can’t Help It est très belle, mais on ne peut s’empêcher de la comparer avec celle de Dynamite. Comme ces deux concerts sont assez proche l’un de l’autre, on est tenté de comparer et je pense que Dynamite était meilleur, avec plus de folie dans le groupe. En fait, c’est peut être aussi du au fait que Dynamite était accompagné de scènes de documentaire, ce qui n’est pas le cas de Just Can’t Help It. Ces scènes documentaires provoquent à mon avis un attachement plus fort.

Pendant ces deux morceaux instrumentaux, des scènes filmées en costumes d’époque nous sont montrées, notamment le kimono blanc qui accompagnera tout le concert comme un fil rouge. Sheena change ensuite de tenue et on la voit apparaitre en manteau avec un bonnet sur la tête, ce qui contraste grandement avec les costumes de la scène précédente. Jusui Negai est toujours un grand moment, cette interprétation est très réussie même si je préfère celle de Dynamite. Sheena monte en intensité dans sa voix de la même manière et écarquille les yeux à certains moments donnant une grande force à son interprétation. Il y a beaucoup de tension dans son chant et son visage, mais qui reste à mon avis un peu plus contenue que dans la version de Dynamite. Il y a quand même beaucoup de belles choses dans ce morceau, comme la force du final au piano d’Izawa, ce petit passage montrant Hata retenant ses mouvements en attendant le bon moment pour frapper, et le final où Sheena dit quelque chose hors du micro. On n’entend pas ce qu’elle dit et je me demande bien ce que ça peut être. Mirrorball est un nouveau morceau, écrit par Ukigumo, qui sera présent sur leur album suivant Variety et qui est joué pour la première fois lors de ce concert. En l’écoutant, je repense tout de suite à l’ambiance de Variety qui était une page tournée dans la carrière de Tokyo Jihen. La version est bien entendu un peu différente de celle de l’album notamment au niveau de la partition de guitare de Ukigumo et le chant plus typé de Sheena. Les images sur ce morceau en particulier contiennent beaucoup d’effets spéciaux comme pour reproduire les multiples écrans d’une boule à facettes. Avant le morceau Tegami écrit par Izawa, une scène filmée en studio montre Ukigumo assis sur une chaise longue. On retrouve en fait ce même mobilier sur scène. Sheena s’assoie par exemple sur un fauteuil individuel LC2 de Le Corbusier. L’interprétation de Tegami est très poignante. Une partie des images pendant ce morceau montrent soudainement Sheena avec sa guitare face à l’océan. Je ne sais pas où sont tournées ces images très contemplatives, certainement quelque part au Japon, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer le Nord Ouest français.

La version de Service est très amusante car Sheena ne l’interprète pas seule, mais avec chaque membre du groupe positionné en ligne sur le devant de la scène, chacun portant un mégaphone en main. C’est la première fois que je vois Kameda, Hata, Ukigumo et Izawa chantés dans un mégaphone, ce qui était jusque là réservé à Sheena. C’est amusant d’entendre la voix très amicale de Kameda à travers le mégaphone qui est censé donner une sonorité agressive. Vers la fin du morceau, un rideau descend pendant que le groupe change de tenue. Seule Sheena reste sur le devant la scène avec deux personnes en kimono portant des lanternes. Une fois que le rideau s’ouvre à nouveau, le groupe continue le morceau d’une manière assez détendue mais qu’on sait chorégraphiée, ne serait-ce que pour la position finale qui ressemble à certaines photographies promotionnelles du groupe à cette époque. Le groupe se présente ensuite. Sheena prend la parole mais d’une manière très brève car il n’y a soit-disant pas assez de temps. Izawa commence les présentations, faisant volontairement l’imbécile en essayant de se courber le dos tout en se présentant comme s’appelant Izawa-Bauer. Il fait bien entendu référence à la patineuse artistique Arakawa Shizuka qui venait juste d’obtenir la médaille d’or aux Jeux Olympiques d’hiver au début de l’année 2006 à Turin, avec notamment cette courbure Ina Bauer qui avait beaucoup fait parler les médias à cette époque. Sheena fait un signe de la tête comme quoi ce n’est pas tout à fait ressemblant et se tourne vers Hata qui ne se présente pas correctement non plus. Sheena le traite gentiment de menteur, tandis qu’Izawa veut refaire sa présentation en faisant le mouvement Ina Bauer une nouvelle fois. Sheena lui coupe rapidement le sifflet, car il ne faudrait pas qu’il se casse quelque chose, et passe ensuite à Ukigumo qui se contente d’un « Onegaishimasu ». Kameda essaie de nous faire croire à un tour de magie, mais c’est Hata qui revient sur le devant de la scène et qui remporte très facilement ce concours de présentation en imitant un jonglage de ballon imaginaire. La vidéo du DVD représente ce ballon imaginaire en le dessinant sur l’image, mais il ne devait bien sûr pas être visible dans la salle. Cette scène est celle que l’on peut voir en fond pendant la sélection du menu sur le DVD. On savait que Hata est un habile danseur, il le montre d’ailleurs quelques fois en sautant sur scène, mais il s’avère très doué dans cette représentation assez comique de jonglage footballistique. Sheena est assise sur sa chaise LC2 d’un air assez amusé mais on la sent un peu inquiète de ce que Hata va faire. Je ne peux m’empêcher de penser que ces moments n’étaient pas prévus par Sheena et que les membres du groupe prennent un malin plaisir à saboter une présentation en bonne et due forme. C’est un moment très sympathique du concert.

Après cet intermède, le morceau C’m’on Let’s go!, qui est une reprise du groupe japonais BARBEE BOYS, est très réussie. Deux personnes du staff habillés en serveurs de restaurant entrent en scène avec des caméras vidéo, ce qui est devenu assez habituel depuis le concert Gekokujyo Ecstasy. Izawa passe à la guitare sur ce morceau et montre une certaine complicité avec Ukigumo. Je me dis à ce moment là que par rapport à Hiizumi, le groupe a gagné un deuxième guitariste en plus d’un pianiste avec l’arrivée d’Izawa dans la formation. Sheena s’est ensuite changée une nouvelle fois en une tenue noire plus formelle que celle d’avant et entame une excellente version de Blackout. Comme de nombreux morceaux de SR et TJ, c’est un morceau à la composition complexe qu’elle doit être la seule en mesure de chanter. J’avais vu dans une ancienne émission musicale du dimanche soir KanJam qui analysait certains morceaux de Sheena Ringo qu’un des chroniqueurs de l’emission comparait son travail d’écriture musicale au travail d’un architecte (en ne citant pas moins que Frank Lloyd Wright). Cette idée de dresser un parallèle entre musique et architecture me parle beaucoup, car ce sont deux sujets qui m’intéressent beaucoup. J’avais d’ailleurs auparavant parlé un peu de cette idée mais plutôt sur les musiques électroniques d’Aphex Twin et Autechre (qui n’est à mon avis rien d’autre que de l’architecture déconstructiviste retranscrite en musique). On peut parfois se demander comment un bâtiment aux formes et aux équilibres complexes peut parvenir à une harmonie visuelle et fonctionnelle. D’une même manière, on trouve ce même genre d’harmonie dans les constructions pourtant complexes et non évidentes de Sheena Ringo. Ce que disait également un des chroniqueurs de KanJam est qu’il est rare qu’un ou une même artiste puisse à la fois être capable de créer ce genre structures musicales complexes et en même temps avoir la voix nécessaire pour les interpréter. A la fin du morceau Blackout, Sheena laisse tomber le manteau noir et reste en robe plus légère blanche et engage ensuite un mouvement courbé en arrière nous rappelant le Ina Bauer qu’essayait de faire Izawa sans grand succès. Elle y arrive beaucoup mieux qu’Izawa, rappelons qu’elle a fait du ballet étant petite. Cette démonstration ressemble à un gentil pied de nez à Izawa.

Le concert continue avec Honnō, un des deux morceaux avec Marunouchi Sadistic en rappels, que Sheena reprend de sa carrière solo. Cette version n’est pas meilleure que celle de Gekokujyo Esctasy, mais ça fait plaisir de voir Hata avec le sourire taper de toutes ses forces sur sa batterie. La version de Superstar, qui suit ensuite, est peut être une des plus belles que j’ai entendu, même si Sheena n’est pas cette fois-ci à la guitare. Là encore, des images vidéo se mélangent avec les images sur scène. Elles sont raccords car Sheena est habillée exactement de la même manière. Elle force plus sa voix que d’habitude sur ce morceau entrainé peut être par les mouvements de tête d’Izawa au piano et de Ukigumo à la guitare. Le final instrumental est aussi un peu plus long que d’habitude, si je me souviens bien, ce qui laisse un peu de temps à Sheena pour faire un lent mouvement d’inclinaison avant en remerciement au public. Le morceau Dynamite ensuite se présente comme une version moins dynamique que celle qu’on connaissait sur Dynamite Out. Sheena porte le morceau seule en dansant sur le devant de la scène, même s’il y a quelques chœurs de Ukigumo à l’arrière. On n’atteint pas l’intensité de la version sur Dynamite Out, qui était de toute façon emblématique de ce concert là et difficile à surpasser. La vidéo est accompagnée de prises de vue en noir et blanc de rues américaines qui n’étaient pas non plus indispensables. On notera tout de même le ‘Bonjour’ prononcé en français par Sheena vers la fin du morceau, et le très mignon ‘Arigatō’ à la toute fin. Ce n’est peut être pas la meilleure version que j’ai entendu, mais j’aime bien cette version de Shuraba. Je trouve cependant Omatsuri Sawagi plus intéressant car Sheena la chante d’une voix plus basse que la normale, du moins au début puis l’interprétation se normalise ensuite par rapport à ce que l’on connaît sur l’album. Le petit drapeau rouge et blanc reprenant le design de la pochette de Kyōiku est de sortie et Sheena fait des mouvements tellement amples qu’ils en deviennent disgracieux. Le dernier morceau officiel du concert avant les rappels est Kenka Jōtō et c’est une version très particulière et mémorable qui est jouée. Hata puis Sheena prononcent d’abord quelques phrases dans l’esprit de ce qu’on peut entendre dans une pièce de théâtre kabuki, avec en plus un petit côté démoniaque. Comme dans le théâtre kabuki, certaines personnes du public en général les habitués répondent aux acteurs sur scène. On retrouve ce même dialogue mais je ne sais pas s’il s’agit vraiment de personnes du public, ou plutôt le staff du groupe qui crie ces phrases depuis les premiers rangs. Il s’agit peut être de voix enregistrées. Cela donne en tout cas un sacré effet. Alors que le morceau se déroule à peu près normalement mais dans une version un peu plus agressive que d’habitude, le morceau fait une courte pause et prend ensuite des allures de hard rock/metal. Cette partie est jouée par Sheena devant des écrans de fond montrant des flammes géantes. Kenka Jōtō, devenu polymorphe, reprendra à la normale un peu après. Le contraste entre l’agressivité de ce passage metal et le personnage de Sheena sur scène, toujours en robe légère, est très intéressant, surtout quand elle se permet à la fin de remercier le public avec une toute petite voix innocente.

Une petite vidéo interlude démarre ensuite avant les rappels. Elle nous montre principalement les lieux vides des scènes vidéos ajoutées au concert, notamment ce paysage en bord de mer. On voit également une image de la scène ressemblant à une maquette avec une étrange voie ferrée qui sort du décor. Le groupe revient ensuite sur scène en tenue beaucoup plus décontractée, pour jouer deux morceaux Tōmei Ningen et Marunouchi Sadistic, qui sont des grands classiques des concerts de Tokyo Jihen. La version de Marunouchi Sadistic sur ce concert est plus proche de celle qu’on entendra plus tard sur Ringo Expo 08 que celle de Muzai Moratorium. Izawa se lance dans des nouveaux arrangements au piano qui nous font découvrir Marunouchi Sadistic sous un autre jour, même si cette version n’est pas fondamentalement différente de celle qu’on connaît sur Sanmon Gossip. Les lumières s’éteignent sur ce morceau et une vidéo nous montre ensuite une image de train, comme pour montrer un départ vers de nouveaux horizons, ceux de Variety peut être. Sheena est assise sur une banquette d’un train vide et y interprète seule à la guitare acoustique le morceau Rakujitsu qu’on trouve en B-side de Shuraba. Elle est habillée de la même manière qu’à la fin du concert. Ce morceau était apparemment inclus dans les rappels car les dernières images reviennent au NHK Hall de Shibuya. La vidéo revient finalement vers le train avec Sheena seule à la guitare, comme si ça faisait référence à un souvenir d’un concert passé. L’image un peu floue joue dans ce sens. Je ne sais pas très bien ce que veut dire ce passage de train en mouvement. Il s’agit peut être seulement d’une promesse auprès des fans qu’elle restera sans cesse en mouvement créatif. On est, au moment de ce concert, qu’au début de l’aventure Tokyo Jihen et il y aura beaucoup de bonnes choses à suivre.

Pour référence ultérieure, je note ci-dessous la liste des morceaux présents sur le DVD de Just Can’t Help It:

1. Yukiguni (雪国) du 2ème album Adult (大人)
2. Genjitsu wo Warau (現実を嗤う) du 1er album Kyōiku (教育)
3. Shōjo Robot (少女ロボット), reprise du morceau composé par Sheena Ringo pour Rie Tomosaka et qu’on retrouve sur Reimport Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~ (逆輸入 ~航空局~).
4. Kabuki (歌舞伎) du 2ème album Adult (大人)
5. Himitsu (秘密) du 2ème album Adult (大人)
6. Sono Onna Fushidara ni Tsuki (その淑女ふしだらにつき), reprise du morceau The Lady Is a Tramp écrit et composé par Lorenz Hart et Richard Rodgers, présent en B-side du single Gunjō Biyori (群青日和)
7. Genjitsu ni Oite (現実に於て) du 1er album Kyōiku (教育)
8. Kao (顔), version instrumentale du morceau présent en B-side du single Gunjō Biyori (群青日和)
9. Jusui Negai (入水願い) du 1er album Kyōiku (教育)
10. Mirrorball (ミラーボール), morceau original de Petrolz et qu’on retrouvera plus tard sur le 3ème album Variety (娯楽/バラエティ)
11. Tegami (手紙) du 2ème album Adult (大人)
12. Service (サービス) du 1er album Kyōiku (教育)
13. C’m’on Let’s go!, reprise d’un morceau de BARBEE BOYS, écrit par Imamichi Tomotaka
14. Blackout (ブラックアウト) du 2ème album Adult (大人)
15. Honnō (本能), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ) de Sheena Ringo
16. Superstar (スーパースター) du 2ème album Adult (大人)
17. Dynamite (ダイナマイト), reprise du morceau de Brenda Lee et présent en B-side sur le single Sōnan (遭難)
18. Shuraba (修羅場) du 2ème album Adult (大人)
19. Omatsuri Sawagi (御祭騒ぎ) du 1er album Kyōiku (教育)
20. Kenka Jōtō (喧嘩上等) du 2ème album Adult (大人)
21. (Encore) Tōmei Ningen (透明人間) du 2ème album Adult (大人)
22. (Encore) Marunouchi Sadistic (丸の内サディスティック), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム) de Sheena Ringo
23. (Encore) Rakujitsu (落日), présent en B-side du single Shuraba (修羅場)

閏年エンディング ~其ノ伍~

Comme tous les ans pendant cette même période de fin Décembre, on me confie la mission d’aller chercher très tôt le matin au sanctuaire Ana Hashimangu les talismans qui nous protégeront pour la nouvelle année qui arrive. Pour aller jusqu’à la station de Waseda où se trouve le sanctuaire, je passe par la station de Takadanobaba et les quelques minutes nécessaires pour changer de ligne de train me laisse assez de temps pour prendre quelques photos de la grande fresque dédiée à Osamu Tezuka dessinée sous les voies de train. Sur le retour, je descends volontairement à la station Shin-Ōkubo pour aller voir à quoi ressemblent les rues remplies de boutiques coréennes mais il est un peu trop et rien n’est ouvert. En sortant de la station de Shin-Ōkubo, me revient tout de suite en tête une vidéo de l’émission Gokigenyō (ごきげんよう) du 4 Septembre 1991, que j’avais vu sur YouTube il y a quelques années. J’avais regardé cette émission car Jun Togawa en était l’invitée et c’était une période où j’écoutais presqu’exclusivement la musique de Jun Togawa, soit en solo ou avec son groupe Yapoos. Dans cette vidéo, elle revient dans les quartiers de son enfance de Shinjuku à Shin-Ōkubo, en marchant dans les rues de ces quartiers jusqu’à Kabukichō et en y rencontrant parfois des connaissances. J’aime revenir de temps en temps vers cette vidéo pour voir la manière d’être de Jun Togawa, car j’y ressens une sorte d’équilibre instable entre son excentricité naturelle et son besoin de normalité. En marchant depuis Shin-Ōkubo, je n’essaie pas forcément de reconnaître les endroits où Jun Togawa et le présentateur de l’émission ont marché, mais je passe volontairement devant l’école primaire Toyama qui est mentionné dans le morceau intitulé Toyama Shōgakkō Kōka 〜 Aka-gumi no Uta (戸山小学校校歌〜赤組のうた) de son deuxième album Kyokutō Ian Shōka (極東慰安唱歌). Dans la vidéo, elle passe en fait devant le collège Toyama plutôt que l’école primaire. Les quartiers filmés en 1991 et ceux de maintenant ont très certainement beaucoup changé car presque 30 ans se sont écoulés. A la télévision, il n’est pas rare de voir des émissions musicales revenant sur les Eighties, mais je n’y ai jamais entendu de morceaux de Jun Togawa. Elle était pourtant connue à cette époque, même invitée par l’intermédiaire de Takahashi Yukihiro du YMO à l’émission de Tamori, Telephone Shocking de Waratte ii Tomo! (笑っていいとも! テレフォンショッキング) le 4 Juillet 1985. Elle a même été invitée plusieurs fois, mais j’aime beaucoup revoir cet extrait d’émission de 1985, quelques mois avant la sortie de son troisième album Suki Suki Daisuki (好き好き大好き), dont le morceau titre est certainement son morceau le plus connu. Elle a une personnalité très pure mais on devine tout de suite sa fragilité, qui n’apparait pas vraiment dans ses morceaux comme celui que je mentionne ci-dessus. Même si elle prétendait vouloir faire des chansons d’idoles, c’est une musique complètement atypique, qui est également très loin de la city pop en plein succès à cette même époque.