hysterical lights

Je reviens sur les lumières de Shinjuku dont je ne peux me lasser, mais en les mélangeant cette fois-ci avec des figures dessinées que j’ai prises en photo avec mon iPhone lors d’expositions à la galerie Spiral de Aoyama et au Department store Seibu de Shibuya. Sur ces compositions photographiques, la densité extrême des lumières reflète la surabondance des informations qui viennent inonder le cerveau jusqu’à l’hystérie. C’est ma tentative de parallèle avec la musique qui va suivre.

HYS est le dernier album de YAPOOS ヤプーズ sorti en Juin 1995. Je repoussais un peu son écoute car je ne voulais pas en terminer avec la découverte de la musique du groupe. Le titre de l’album et du premier morceau HYS ヒス est un diminutif du mot anglais Hysteria. Cette hystérie est évidente à certains moments du morceau, et ce n’est pas pour me déplaire car j’aime quand Jun Togawa repousse les limites de ce qu’on a l’habitude d’entendre dans un morceau musical. L’hystérie est également dans les paroles composées d’une accumulation d’annonces de faits divers dramatiques, comme on peut le voir représenté dans le clip vidéo. D’une certaine manière, elle-même fera partie de ces faits divers dramatiques quelques mois après la sortie de l’album. J’y reviendrais un peu plus tard. Je sens des notes de folklore musical sur certains morceaux comme le deuxième Honnou no Shoujo 本能の少女 ou le dernier Akai Hana no Mankai no Shita 赤い花の満開の下, mais cette musique aux accents traditionnels est complètement remaniée par des sons rock et des sons électroniques mélangés. La voix de Jun Togawa prend également par moment ces accents de folklore, un peu comme sur certains morceaux des deux premiers albums sortis sous son nom propre (Tamahime Sama et Kyokuto Ian Shoka). Le morceau suivant Love Bazooka ラブ・バズーカ est beaucoup plus classique dans son approche pop-rock mais avec une certaine rapidité du rythme et un chant proche de celui d’une idole. Le morceau Charlotte Sexeroid no Yuutsu シャルロット・セクサロイドの憂鬱 doit être une suite du morceau Barbara Sexeroid mais en plus sombre dans le son mécanique et répétitif. La voix de Jun Togawa est ici robotique comme l’androïde du titre et entrecoupée de voix automatiques électroniques. Le cinquième morceau Shishunkibyo 思春期病 est beaucoup plus calme et posé que les morceaux habituels du groupe et apporte une sorte de coupure à l’album avant de repartir vers d’autres territoires sur le morceau suivant Shounen A 少年A. Ce sixième morceau est un des morceaux marquants de l’album, je trouve, sombre et inquiétant, comme souvent, jusqu’à terminer par des sons d’ambulance dans la nuit. J’aime beaucoup le changement de rythme au milieu du morceau où Jun Togawa scande des noms de matières scolaires après un court passage instrumental. Le morceau suivant Ijime いじめ est au piano et Jun Togawa prend sa voix enfantine. C’est un court morceau laissant vite place à un morceau plus dynamique pop-rock Soreike! Lolita Kiki Ichi Hatsu それいけ!ロリータ危機一髪, comme on en connaît d’autres sur les albums de YAPOOS. Ce n’est pas un morceau qui marque vraiment les esprits et je préfère le suivant Atashi Mou Jo Ki Dame ni Naru あたしもうぢき駄目になる, car elle y mélange son chant avec des superpositions de tonalités d’opéra aux airs maléfiques. L’album accumule un désespoir certain dans les paroles et les titres (« trouble adolescent » pour le cinquième morceau, « harcèlement » sur le septième, et l’idée que plus rien ne vaudra bientôt la peine sur le morceau neuf). Je ne peux m’empêcher de rechercher dans ces morceaux des indices qui annonceraient sa tentative de suicide, manquée heureusement, en novembre 1995. On évoque des difficultés répétées dans les rapports humains, des départs soudains de membres du groupe, des embrouilles sur des droits d’auteurs et tout le stress qu’y en est engendré. A travers les divers interviews que j’ai pu voir sur YouTube, on devine une certaine fragilité derrière cette apparence excentrique, un besoin d’être aimé qu’elle a dû avoir du mal à trouver à ce moment de sa vie. Ceci l’a poussé à écrire les mots « tout le monde me déteste » sur un mur au moment de sa tentative de disparition. Je n’étais pas au Japon à cette époque mais cela avait apparemment fait du bruit dans les médias et choqué l’opinion. Le destin est tragique pour cette famille, car la sœur de Jun Togawa, Kyoko Togawa, actrice connue et chanteuse se donnera la mort quelques années après en Juillet 2002. Les raisons sont inexpliquées mais on parle d’une raison médicale. Cette disparition va l’affecter lourdement et elle demeurera silencieuse pendant plusieurs années, jusqu’à la sortie d’un album de reprises intitulé 20th Jun Togawa en 2000, pour ses 20 ans de carrière musicale, qui la fera petit à petit sortir de son silence. Il n’y aura plus de nouveaux albums de YAPOOS, mais un mini-album intitulé CD-Y sort quand même en 2003. Il s’agit de 4 morceaux plus anciens que 2003 et qui n’avaient pas été édités jusque là. Le premier morceau Sheer Lovers シアー・ラバーズ est d’une grande tristesse et compte parmi les plus beaux morceaux du groupe. Le morceau et le mini-album ont un ton assez différent de ce que l’on connaissait jusqu’à maintenant. Sur les quatre morceaux, deux sont parlés sur une ambiance sonore théâtrale. Sur le dernier morceau intitulé (something extra), une histoire est racontée. Elle ressemble à un conte. Il s’agit d’une histoire d’amour contrariée entre deux personnages, féminin et masculin, dont les voix sont interprétées par Jun Togawa. L’histoire ne se termine pas vraiment pour le mieux, on aurait pu sans douter. Jun Togawa ne terminera pas définitivement sa carrière musicale car elle sortira un nouvel album en 2004, intitulé Togawa Fiction, dont je parlerais certainement un peu plus tard. Vu son activité dense en dix ans de 1985 à 1995, on peut comprendre que, malgré les épreuves de la vie, le besoin de création musicale était plus fort que tout.

comme un archange de lumière à Shinjuku

Passage à Shinjuku un samedi soir pour en saisir les lumières. Je décide d’opter pour le mouvement plutôt que pour la précision. Le rythme de ce quartier la nuit aux bords de Kabukichō nous fait de toute façon tomber à la renverse. Je n’ai pas l’habitude de prendre la ville en photo la nuit et je me pose souvent la question de la meilleure approche à adopter. En marchant dans les couloirs extérieurs étroits de Omoide Yokochō, une allée desservant plusieurs mini-restaurants ouverts sur la rue et composés le plus souvent d’un unique comptoir, je me rends vite compte que l’endroit est désormais envahi de touristes tous munis d’appareils photos. A quoi bon essayer de prendre des photos à cet endroit pour essayer d’une manière réaliste de rendre l’ambiance qui y règne, quand une multitude de photographes amateurs a déjà saisi les lieux maintes fois. L’envie de « casser » l’image standard que l’on voit de Tokyo sur les flux de photos Instagram me revient souvent en tête. Sur la série ci-dessus, on pourrait croire que les photographies sont prises à la va-vite, mais certaines m’ont demandé plusieurs prises. J’ai par exemple fait une dizaine de prises de l’immeuble désormais emblématique sur la dernière photographie, avant d’obtenir une version qui me satisfasse. Lorsque je vais à Shinjuku la nuit, les photographies initiales que j’avais pris an août 2003 me reviennent toujours en tête comme une sorte de modèle, pas spécialement pour la technique, mais pour la sensation que ce paysage électrique m’avait procuré, posé sur ces images. Shinjuku, Yasukuni Dori – Thousands of moving artificial lights and screaming neons.

Pendant que je traverse ce paysage de Shinjuku, j’écoute un autre album de YAPOOS, dans la continuation de mon écoute méthodique de la musique de Jun Togawa. Comme elle est originaire de Shinjuku, mais plutôt du côté de Shin Okubo, au delà de Kabukichō depuis la gare, je ne pouvais m’empêcher de continuer l’écoute de sa musique pendant cette marche solitaire de nuit. J’écoute maintenant Daitenshi no you ni 大天使のように qu’on peut traduire par « comme un archange » (les titres de mes billets sont souvent inspirés de paroles des morceaux que j’écoute à ce moment là). Cet album est sorti en 1988, un an après YAPOOS Keikaku. L’album commence par un morceau pop rock Watashi wa Koko de Goka 私は孤高で豪華 aux apparences classiques mais très vite trituré par la voix de Togawa mélangeant comme toujours les styles de chant sur un même morceau, passant d’une voix d’idole à une voix d’opéra, avec une pointe d’hystérie. Il y a quelques morceaux pop rock sur cet album, comme le premier, mais ce ne sont en général pas mes préférés. Je préfère le rythme un peu plus lent, et répétitif d’ailleurs, du deuxième morceau Funnu no Kawa 憤怒の河 et surtout la voix tremblotante de Togawa et ses chuchotements de rire. C’est un des très beaux morceaux de l’album, tout comme le sixième Inori no Machi 祈りの街. Sur celui-ci, sa voix est superbe, pleine d’une émotion triste. La répétition musicale là encore convient très bien, je trouve, aux ondulations de voix de Jun Togawa. La musique est belle, mais cette voix est une sorte d’addiction, qui tournerait presqu’à l’obsession si on y criait gare. Ce qu’elle peut faire avec cette voix est remarquable et parfois extrêmement bizarre comme sur le troisième morceau Haitoku Nante Kowakunai 背徳なんて怖くない où elle prend même une voix d’enfant mais qu’elle superpose vite à une autre voix beaucoup plus mûre. Cela devient pratiquement de la schizophrénie. J’adore le quatrième morceau Bojo no Tsumi 棒状の罪 à la limite du parler et de la plainte. La musique y est très accrocheuse, mais j’ai le sentiment que par rapport aux autres albums, il faut plusieurs écoutes pour saisir cet album. Il y a moins de morceaux immédiatement impactants par rapport à YAPOOS Keikaku, mais ce quatrième morceau, comme le dernier morceau de l’album Daitenshi no You ni 大天使のように, prend petit à petit une sorte d’évidence dans toute sa complexité. La beauté non conventionnelle du sixième morceau Inori no Machi 祈りの街 par exemple se révèle également progressivement pour devenir imparable. La beauté vient de l’imperfection du chant qu’on sent volontaire, une transcendance du décalage que j’aime tant en musique. Il y a plusieurs morceaux assez fous sur cet album, le huitième My God par exemple, ce qui fait que ce n’est pas spécialement un album accessible, mais ce n’est de toute façon pas ce que je recherche dans la musique de Jun Togawa. Il y a un équilibre instable dans ces constructions musicales qui me convient très bien.

like surging waves

Je plonge Tokyo dans les ténèbres dans cette série de compositions photographiques, mais ces vagues de noirceur se laissent submerger elles-mêmes par des éclats de lumière. Je mets en scène ici les buildings de verre de divers lieux à Tokyo, que ça soit à Shinagawa, Ebisu, Aoyama, Shinjuku ou ailleurs. J’aime mettre ces formes lisses à la symétrie parfaite à l’épreuve des intempéries que j’invente virtuellement. Cet environnement sombre n’est pas accueillant, mais derrière la froideur de ces lieux des lumières chaudes transpercent l’image.

Je n’écoute pas très souvent de musique datant d’avant 1991 (« The Year Punk Broke »), année charnière, celle de mes quinze ans où j’ai commencé à écouter et apprécier les musiques indépendantes et alternatives. J’ai toujours un peu de mal à apprécier les musiques de la génération avant la mienne, mais je fais de temps en temps quelques exceptions quand les musiques plus anciennes sont en avance sur leur temps, ou sont des charnières importantes vers des mouvements musicaux que j’apprécierais plus tard (par exemple, les premiers albums de Sonic Youth ou ceux de The Cure). Je fais une autre exception en écoutant depuis quelques temps le premier album de Jun Togawa 戸川純, Tama Hime Sama 玉姫様, sorti en 1984. Cet un objet musical d’avant-garde vraiment bizarre mais complètement fascinant. Dès le premier morceau Doto no Renai 怒濤の恋愛, on sent tout de suite qu’il ne s’agira pas d’une musique qui laisse indifférent. On peut être tout de suite rebuté par ce premier morceau, auquel cas il faut mieux arrêter tout de suite. Mais c’est loin d’être mon cas. Le deuxième morceau Teinen Pushiganga 諦念プシガンガ est plus facilement abordable. Il commence par des coups puissants de tambours dans une ambiance folk. La voix de Togawa est tout aussi puissante et pénétrante que les percussions. C’est certainement un des meilleurs morceaux de l’album. La voix de Togawa est sûre et transperçante et même parfois excessive. A vrai dire, j’ai du mal à écrire ce texte tout en écoutant ces morceaux car la voix de Togawa est tellement absorbante, qu’on a du mal à faire autre chose en écoutant ces morceaux. On ne peut pas dire qu’elle chante d’une manière conventionnelle, et même assez hystérique sur certains morceaux comme le difficilement écoutable avant-dernier morceau Odorenai 踊れない. C’est le morceau qui me pose le plus de problèmes à l’écoute. L’album n’est pas facile d’approche car on peut être très facilement rebuter par certains sons et effets marqués des années 80 sur certains des morceaux, comme le troisième morceau Konchugun 昆虫軍. Mais cette voix au phrasé militaire sur ce morceau est fascinante au point que je ne cesse d’y revenir. J’écoute en fait cet album tous les jours depuis deux semaines. Le quatrième morceau Yuumon no Giga 憂悶の戯画 me fait penser à une scène de film inquiétant, ou plutôt une scène théâtrale car il y a une dimension scénique à cette musique. Togawa porte toutes sortes de costumes sur scène comme celui d’un insecte qu’on retrouve sur la pochette de Tamahimesama. Il y beaucoup d’excellents morceaux qui accrochent tout de suite l’oreille comme Tonari no Indojin 隣りの印度人 ou le sublime dernier morceau Mushi no Onna 蛹化の女 où Togawa chante sur le canon de Pachelbel. Le morceau donne des frissons. L’album ne dure que trente minutes mais couvre beaucoup de sensations différentes, par notamment la palette vocale entendue de Jun Togawa, la multiplicité des émotions qui s’en dégagent et cette musique parfois étrange et envoûtante. Jun Togawa a un statut de légende musicale avant-garde et je comprends un peu mieux pourquoi avec cet album. Je continuerai bientôt avec l’album suivant sorti en 1985.

永遠の門

Les photographies ci-dessus sont prises à Shinjuku mais à des endroits différents. Ce n’est pas la première fois que je prends en photographie cette dépendance du temple Taisōji 太宗寺, situé dans une rue parallèle au parc Shinjuku Gyoen. J’aime les formes courbes blanches de ce bâtiment que l’on peut observer depuis l’intérieur du cimetière. J’hésite toujours un peu à rentrer dans les cimetières mais il n’y a personne cette matinée là, donc je me permets d’y entrer discrètement sans faire un bruit. Le nombre des années vivant au Japon n’autorise pas l’irrespect des lieux. L’autre photographie est prise sur un petit parking en face d’un vieux restaurant italien où je suis entré une fois avec des amis photographes amateurs qui avaient exposé à Shinjuku à la galerie Place M. J’ai depuis perdu leurs traces. Plutôt que de prendre le vieux restaurant en photographie, j’étais plutôt intéressé par le mur végétal.

Je découvre l’atmosphère instrumentale post-rock de World’s End Girlfriend ワールズ・エンド・ガールフレンド, projet musical solo de Katsuhiko Maeda 前田勝彦, sur l’album The Lie Lay Land sorti en Février 2005. Tout comme pour l’album Pink de Boris sorti cette même année 2005 et que je ne découvre que maintenant plus de 10 ans après, j’ai l’impression d’être passé à côté de beaucoup de bonnes musiques indépendantes japonaises à l’époque. Le premier morceau de l’album The Lie Lay Land que j’écoute avec passion en ce moment s’intitule Phantasmagoria Moth Gate. Comme son nom l’indique, il ressemble à une porte, mais qui parait d’abord infranchissable, comme une épreuve d’initiation, pour protéger un trésor ou bien un lieu où il ne faut mieux pas aller. Le titre du deuxième morceau We are Massacre n’est pas beaucoup plus accueillant mais le morceau en lui même est beaucoup plus mélodique avec instruments à cordes et batterie lente. L’ambiance n’en reste pas moins sombre et inquiétante avec de nombreuses incrustations de voix qui semblent être tirées d’un film, d’épouvante peut être. Mais ces voix ne prennent pas le dessus sur la musique qui domine le tout, comme si cette musique s’imposait volontairement au dessus de souvenirs qu’on aimerait oublier, de mauvais rêves qu’on voudrait repousser au fin fond du cerveau mais qui essaient pourtant de resurgir. Cette musique est très cinématographique et hantée. Elle est très attirante également. Elle est superbement exécutée et dense. Me vient parfois en tête la musique post-rock de Godspeed You! Black Emperor mais avec ici moins de guitares. L’atmosphère de ce disque est très changeante allant au sein d’un même morceau de l’acoustique ou du violon vers des sons plus électriques ou même des passages électroniques. On dirait que la musique est enregistrée par temps d’orage où des bourrasques de vent viennent parfois bousculer le morceau vers d’autres cimes. C’est tout cela que l’on retrouve dans le troisième morceau au titre encore plus inquiétant Satan Veludo Children. Ce morceau se termine même avec des cuivres pour achever ce mélange sonore atypique. Cet univers onirique continue sur les autres morceaux de l’album. Avec Garden in the ceiling, on a l’impression de pénétrer dans un grenier peuplé d’objets étranges, une ancienne chambre d’enfant dans laquelle les ombres et le souvenir des voix resteraient encore imprimées sur les murs et les objets. The Owl of windward revient vers les cuivres qui mènent subtilement le morceau au dessus de toutes sortes de bruits aux airs diaboliques. On devine les cris d’un chat noir et des mouvements de balançoire. On essaie de deviner dans cet univers sonore des scènes de films aux coloris sépia d’une fin d’après midi. Avec Scorpio Circus, commencent ensuite une série de morceaux monumentaux par leur longueur de plus de dix minutes. Ils reprennent les éléments précédents dans une interprétation fleuve, alternant les moments d’accalmie et les chutes dans les précipices. Des décrochages sonores viennent également perturber le morceau. Song cemetery est un morceau plus court construit d’une mélodie calme et délicate, avant de reprendre un long morceau atmosphérique de 14 minutes. L’album se termine ensuite sur une mélodie apaisée comme une fin de film, une fin de rêve.

新宿’37°C

Quand il fait 37 degrés dans les rues de Tokyo avec une humidité terrible, il est difficile de prendre son temps pour faire des zigzags volontaires dans les rues pour y photographier la vie urbaine. On marche d’un point A vers un point B en accéléré et en recherchant les points d’ombre. On ralentit un peu quand on passe devant les portes vitrées des Department Stores pour profiter du froid de l’air conditionné qui s’y échappe quand les portes s’ouvrent. Je brave tout de même cette fournaise amplifiée par la réverbération des immeubles pour faire une boucle rapide dans Shinjuku 3-chōme, autour du Department Store Isetan où nous avons stationné la voiture. Mari est à l’intérieur, mais je vais, moi, faire un tour jusqu’au magasin Sekaido au bout de la rue, pas très loin du parc Shinjuku Gyoen. On trouve toute sorte de matériel de dessin à Sekaido. J’y achète tout ce qui m’est nécessaire pour dessiner mes formes organiques et futuristes. Cette fois-ci, je n’ai besoin de rien mais j’aime quand même y aller, faire le tour de l’étage où l’on peut y trouver toutes sortes de crayons, couleurs, papiers, encres… J’aime l’atmosphère un peu fouillis qui y règne. On a l’impression qu’on pourrait y trouver des trésors. J’essaie en quelque sorte de trouver dans ce lieu une forme d’inspiration, même si ça n’a jamais vraiment été le cas. Mais j’y reviens sans cesse dès que l’occasion se présente.

Image provenant de la vidéo disponible sur YouTube du morceau Acid Rain de l’album Maze to Nowhere de Lorn.

La puissance du morceau électronique Acid rain par Lorn me donne à chaque fois des frissons. La vidéo qui accompagne le morceau est fascinante car elle semble reproduire à l’inverse une scène d’accident de voiture impliquant des danseuses « cheerleaders », sans qu’on puisse vraiment comprendre précisément quel est le déroulement exact de la scène. Les mouvements très particuliers des danseuses évoquent une scène tournée à l’inverse, et cette musique inquiétante semble distordre le temps. Au final, ce morceau et la vidéo donnent une impression de distorsion de la réalité, qui est purement fascinante. Il y a quelque chose d’organique et de viscéral dans cette musique, elle semble chercher à survivre péniblement. Je l’écoute en boucle sans me lasser. Ce morceau se trouve sur la deuxième partie de l’album Maze to Nowhere de Lorn, disponible sur Bandcamp. Cet album est sorti il y a 4 ans, en Septembre 2014, mais je ne sais pour quelle raison, il s’est affiché dans les recommandations YouTube sur mon compte dernièrement, d’où ma découverte assez tardive.

Image provenant de la vidéo disponible sur YouTube du morceau Kick in the world de Haru Nemuri.

Dans la foulée de son album Haru to Shura 春と修羅 sorti il y a quelques mois seulement, Haru Nemuri 春ねむり sort déjà un nouveau single qui détonne intitulé Kick in the world. Le morceau démarre dans le style que l’on connaît de Haru Nemuri, avec des paroles empreintes de poésie parlées à la limite du rap. Mais, quand le refrain s’engage, c’est un déchaînement d’énergie qui nous monte soudainement aux oreilles. Le titre du morceau est chanté comme un cri dont l’intensité est renforcée par un flot puissant de guitares. C’est un morceau très accrocheur. Je suis surpris qu’elle sorte aussi rapidement un aussi bon morceau après cet excellent album sorti très récemment. Ça me laisse penser que Haru Nemuri doit fourmiller d’idées créatrices, ce qui est de très bonne augure pour la suite. Je pense même, qu’avec son style résolument novateur, elle mène une nouvelle voix dans le rock alternatif japonais. L’arme ultime de la musique 歌の最終兵器, comme elle aime s’appeler. C’est bon d’avoir ce genre d’esprit novateur dans le paysage musical.

Je me suis rendu au magasin Tower Records de Shibuya pour me procurer le CD du EP Kick in the world, ce que je ne fais plus très souvent ces derniers temps. En fait, le CD contient un mini-livret additionnel qui est donné au comptoir après l’achat, donc je me suis décidé à faire le déplacement. C’était également un prétexte pour m’y rendre car j’aime de toute façon me promener dans les rayons des magasins de disques, que ça soient le Tower Records de Shibuya ou les Disk Union de Shibuya, Shinjuku ou Shimo Kitazawa. J’y vais pour m’imprégner d’images, celles des pochettes de disques. Les images associées à une musique ont pour moi une grande importance dans l’appréhension totale de l’oeuvre. J’aurais par exemple énormément de mal à m’intéresser à un album si sa pochette ne m’attirait pas. Il s’agit d’un tout. Sur la couverture du EP de Kick in the world, une jeune femme regarde l’appareil photo dans les traînées de lumière de la nuit. Je repense à mon début de série Street Holograms, qu’il faudrait d’ailleurs que je continue. Cette jeune femme n’est pas Haru Nemuri, mais une jeune actrice appelée Haruka Imou 芋生悠. Elle apparaît également dans la vidéo de Kick in the world en chanteuse et guitariste d’un groupe fictif appelé Utopia. La vidéo de ce morceau Kick in the world est en fait extraite d’un petit film d’une quinzaine de minutes intitulé The eternal / spring, qui retrace la construction et les separations du groupe Utopia autour du personnage interprété par Haruka Imou. Cette vidéo est accessible par un code disponible dans le petit livret fourni avec le CD. Sur ce même petit film, une version acoustique du morceau est également mise en image. Le EP contient en fait 5 versions alternatives du morceau principal. Elles sont un peu déroutantes au début, mais je suis surpris de leur qualité. En comparaison, j’aimais moins les trois remixes collés à la fin de l’album Haru to Shura. Les remixes de Kick in the world tournent parfois à l’expérimental comme celui intitulé Kick in the hell, très inquiétant et changeant. C’est la version alternative que je préfère et elle a un pendant plus apaisé intitulé Kick in the heaven. Ce dernier morceau n’est pas disponible sur le EP, mais uniquement sur le compte YouTube de Haru Nemuri. Je l’ai tout d’abord entendu sur une émission de radio de la chaîne Nack5 où elle était invitée pour une interview. Entre les codes d’accès cachés dans des livrets et les morceaux additionnels parsemés sur Internet, la discographie de Haru Nemuri devient un vrai jeu de piste. Toujours est il que ce bouillonnement créatif est des plus intéressants.