Pendant nos courtes vacances d’été, nous avons passé quelques jours à Nasu-Shiobara, sur des collines boisées et près des cours d’eau. C’est le pays des libellules (et des insectes en tous genres). Elles nous survolent, nous croisent de manière désordonnée et se posent parfois, comme sur la photo ci-dessus.
Ces derniers temps, dès que j’en ai l’occasion, j’aime passer un peu de temps en librairie rayon photographies pour feuilleter les livres. Juste à côté du bouquin Northern de Moriyama que j’ai acheté il y a quelques semaines, j’ai aperçu celui de Shuji Yamada: 山田脩二 日本旅 1961-2010 aux éditions Heibonsha. Le titre, Voyage au Japon, nous indique qu’il s’agit de photos prises à différentes époques et divers lieux à travers le pays: Le livre commencent par de belles photos d’un été en 1963 à Shikoku, province d’Iyo, des paysages côtiers, des villages que l’on imagine de pêcheurs et leurs habitants, des enfants dans les rues en labyrinthes ou abrités sous les arbres. On nous emmène ensuite à Osaka avec quelques photos de l’expo de 1970, et ensuite Tokyo, Shibuya, le centre, près de la gare de 1961 à 1964. Le livre alterne le long des pages, les paysages de campagne et d’urbanisme d’une manière plus ou moins chronologique. Les 2 tiers couvrent les années 1960-70, la dernière partie, les années 2000. Il y a très peu de photos des années 1980-90.
Lorsque j’ai feuilleté pour la première fois ce livre, j’ai tout de suite remarqué la beauté des photos des toitures de maison. Plus qu’un décor, elles sont le sujet de nombreuses photos. On ressent un intérêt fort du photographe pour ces toitures japonaises. Je comprendrais ce lien après quelques recherches qui m’apprendront la carrière atypique du photographe Shuji Yamada.
Shuji Yamada commença sa carrière de photographe dans les années 60, à l’époque de ses 20 ans, se spécialisant dans la photo pour magazine d’architecture alors que le Japon commençait son boom économique de l’après-guerre. Il photographia l’insertion des buildings dans le paysage des villes et leur uniformité déprimante. Au début de la quarantaine, il decide de tout laisser tomber pour se rapprocher des valeurs de la terre. Au début des années 1980, il quitte la ville pour l’île de Awajishima dans la préfecture de Hyogo pour y fabriquer des tuiles, dites Kawara, une fascination qu’il a depuis son enfance. On ressent cette fascination dans les photos qu’il prend des toitures et des manufactures dans les annees 1960 et 1970, avant son changement abrupte de vie. On comprend également la période de vide photographique des années 1980-90, certainement plongé dans cette nouvelle carrière débutante.
L’île de Awajishima est réputée pour ses tuiles Kawara: tuiles de toitures, de jardins. Elles sont fabriquées artisanalement dans les ateliers du sud de l’île, dans la zone de Tsui. Malgré le peu d’encouragement et l’accueil glacial de la population locale, il travailla avec acharnement en apprenant le processus de création depuis zéro. Le regard des autres changea lorsque le photographe Kishin Shinoyama, en visite sur l’île, lui accorda sa reconnaissance. Fort d’une nouvelle reconnaissance sociale locale, Shuji Yamada ouvrit ensuite son propre atelier, non pas pour se concentrer sur les toitures, mais plutôt sur les jardins et promenades. Des architectes tels que Toyo Ito intégrèrent son travail dans leurs designs.
Le tremblement de terre du Hanshin en 1995 fut une catastrophe pour l’industrie de la tuile. Les maisons de tuiles furent les plus touchées par le tremblement de terre, ce qui condomna aux yeux du public l’utilisation de ce matériau. Malgré la mise en place de nouvelles techniques de fabrication pour une meilleure résistance aux tremblements de terre, l’industrie de la tuile ne s’en ai pas remis et la fabrication à Awajishima en péril…
Malgré cela, Shuji Yamada persiste, dans ce qui ressemble à un combat pour la survie d’une tradition. Ce livre est un un très beau témoignage d’un métier et de paysages qui disparaissent. En plus de leur qualité esthétique, la connaissance de l’histoire du photographe apporte une toute autre dimension à ces photos. C’est un très beau recueil que je conseille fortement, bien qu’il soit, je pense, pas facile a trouver hors du Japon. En parallèle, de photographe à fabriquant de tuiles Kawara, cette page nous donne une petite idée de l’art de Shuji Yamada.