un été sur la péninsule de Kii (3)

Nous arrivons en fin d’après-midi près de notre hôtel situé dans les terres au niveau de Kumano. Depuis celui-ci, nous avons une belle vue sur la chaîne de montagnes de Kumano que l’on découvrira un peu plus le lendemain. Ce paysage devant notre hôtel dispersé en maisonnettes sur un flanc de colline me rappelle des vacances passées dans les Alpes lorsque j’étais beaucoup plus jeune. Je ne saurais identifier un endroit précis, mais c’est l’ambiance des lieux qui me remémore ces souvenirs lointains. Le lendemain, nous partons en direction du sanctuaire de Tamaki (玉置神社) perdu en haut de la montagne du même nom. D’une manière similaire au sanctuaire Mitsumine à Chichibu, on dit du sanctuaire de Tamaki que seuls ceux qui sont invités peuvent s’y rendre, et que certaines personnes peuvent être même prises de malaise et ne pas être en mesure de s’y rendre. Il s’agit certainement là d’une légende que l’on associe parfois au Power Spot, mais j’y pense forcément et le soir avant le départ, je ne me sentais pas très bien. C’est certainement dû à la fatigue accumulée de la conduite des deux premiers jours, mais je pense qu’il s’agissait également d’une certaine appréhension en pensant à la route qui nous attendait jusqu’au sanctuaire Tamaki. On dit que le sanctuaire est difficilement accessible car perdu dans les forêts de montagne et que la route pour s’y rendre est étroite. J’ai étudié le chemin avant de partir puis finis par suivre le conseil de Google maps proposant la Route 169. On se rendra vite compte que cette route est vraiment très étroite, ne permettant que rarement le passage de deux voitures en même temps. Cette route à flanc de montagne passe dans les forêts mais frôle parfois les corniches. On roule lentement en espérant qu’une voiture n’arrive pas en face à toute vitesse. Le pire est que cette route constituée uniquement de virage fait plus de 10 kms avant de finalement rejoindre le sanctuaire Tamaki. Mais une fois engagé, on ne peut de toute façon plus faire demi-tour et il faut donc se concentrer sur chaque virage. La route est bien heureusement praticable même si des blocs de pierre et des branchages sont parfois tombés sur la chaussée. On croise en tout deux voitures, certainement des locaux, qui ont la gentillesse de reculer pour trouver un espace de route plus large pour nous laisser passer. Cette route sinueuse de montagne est certainement la plus difficile que j’ai été amené à pratiquer en voiture. Cette difficulté pourtant prévue ne nous empêche pas d’arriver à bon port. Le parking du sanctuaire est plus grand que je l’imaginais, ce qui laisse penser qu’il doit certainement y avoir une autre route menant au sanctuaire de Tamaki. Il y a en fait une Route 168 qui est un peu plus longue. Peut-être que les deux gros 4WD garés sur le parking sont passés par cette route, car je ne les imagine pas vraiment emprunter la route que nous avons pris. Avec cette assurance qu’on ne sera à priori pas obligé de prendre la même route pour le chemin du retour, nous pouvons entrer sereinement dans l’enceinte du sanctuaire.

Depuis les hauteurs du Mont Tamaki, la vue est superbe. Les montagnes se dressent devant nous à perte de vue. On est ici complètement perdu dans les montagnes de Nara. Le village de Totsukawa (十津川村) où se trouve Tamaki fait en fait partie du district de Yoshino dans la préfecture de Nara. Le Mont Tamaki, l’une des montagnes sacrées de la chaîne de montagnes Omine (大峰山系), est une étape de l’une des principales routes de pèlerinage Ōmine Okugakemichi (大峯奥駈道) qui est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2004 sous le regroupement des « Sites sacrés et chemins de pèlerinage des chaînes de montagnes de la péninsule de Kii ». La longue route de pèlerinage Ōmine Okugakemichi parcoure la chaîne montagneuse d’Ōmine dans la préfecture de Nara et celle de Kumano dans la préfecture voisine de Wakayama. Cette route était un terrain d’entrainement spirituel pour les adeptes de la religion Shugendō, qui incorpore des aspects du Taoïsme, du Shintoïsme, du Bouddhisme et d’autres pratiques liées au chamanisme traditionnel japonais. Cette route, très isolée et parfois difficile, comporte 75 lieux spirituels appelés Nabiki (靡), dans des grottes, sur des rochers, près de cascades ou sur les hauteurs des montagnes, où les adeptes priaient et pratiquaient des exercices spirituels. Le Mont Tamaki est référencé comme le Nabiki numéro 66 de cette route. La pratique du Shugendō fit face à des hostilités lors la restoration Meiji, créant une séparation nette entre les pratiques shintoïstes et boudhistes, et le chemin de pèlerinage fut en partie perdu, enfoui à jamais dans les forêts montagneuses. Mais des historiens et des enthousiastes ont tout de même progressivement rétabli cette route, désignée comme site historique national en 2002, avant d’être classée deux années plus tard par l’UNESCO.

On s’empreigne de cette histoire et de cette spiritualité en marchant depuis le torii principal à l’entrée jusqu’aux bâtiments du sanctuaire. Il faut marcher pendant une vingtaine de minutes sur un chemin de forêt en pente pour atteindre le sanctuaire. Des drapeaux marqués des noms de donateurs sont plantés sur la majeure partie du parcours. Entourés par des cèdres géants dont certains sont classés comme monument naturel de la préfecture de Nara, on ressent une grande sérénité et on a même envie de marcher sans parler ou à voix basse. On est loin de tout ici, comme coupés du monde. Nous passerons une bonne heure dans le sanctuaire. La date de sa fondation n’est pas très claire mais on parle de l’an -37. Les bâtiments du sanctuaire sont en tout cas très anciens et on dit que le bâtiment principal date de 1794. Derrière le sanctuaire, on peut monter un peu plus en empruntant un chemin de terre couvert de racines. On atteint l’objet de culte important du sanctuaire, un pavé noir entouré de nombreuses pierres blanches. On dit que seule une toute petite partie de la roche noire est exposée et que la partie cachée sous terre est gigantesque, et qu’elle cacherait des joyaux. Sur le retour, on se procure bien entendu le sceau goshuin du sanctuaire et on en profite pour demander aux prêtres présents qu’elle est la meilleure route pour le retour. Lorsque je lui explique qu’on a pris la Route 169 à l’aller, je note un petit sourire comme pour nous indiquer qu’on ne s’est pas facilité la tâche. On nous conseille la Route 168 et on repart du sanctuaire Tamaki avec le cœur léger.

Nikkō au milieu d’une lumière solaire

Nous n’avions pas fait de sortie hors de Tokyo depuis longtemps et ça nous avait manqué. Nous sommes donc allés à Nikkō, histoire de voir si les lieux n’avaient pas changé depuis plus de 15 ans (la dernière fois que j’y suis allé). Nous y sommes allés en voiture. Il faut prévoir environ 2 heures de route, mais c’est sans compter les embouteillages sur l’autoroute à l’allée et au retour. Cela restait relativement raisonnable cependant sur la voie express du Tohoku et sur l’autoroute intra-muros de Tokyo. Je n’imaginais pas par contre qu’il y aurait autant de monde à Nikkō même. Il a fallu galèrer pour avancer vers le parc abritant les fameux temples et sanctuaires classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1999. A tel point que nous avons préféré aller voir les cascades près du lac Chūzenji en premier dans la matinée, en espérant que ça se décante un peu du côté du centre de Nikkō. On accède au lac d’altitude de Chūzenji par une route en lacets et en sens unique qui grimpe la montagne. La multitude des courbes doit faire le bonheur des motards. Elles sont extrêmement acérées. Conduire une moto me semble tellement loin maintenant, mais voir autant de motards sur ces routes a réveillé un peu la flamme. En haut de ces courbes près du lac, à 1269 mètres d’altitude, se trouve la chute d’eau de Kegon. Elle fait 97 mètres de haut et c’est une des trois plus grandes cascades du Japon. Mari connaissait déjà cet endroit pour y être venu il y a longtemps, lorsqu’elle avait dix ans. En ce qui me concerne, j’avais déjà vu d’autres belles cascades près du lac Chūzenji, celles de Ryuzu, mais elles étaient beaucoup moins impressionnantes que celle de Kegon. Elle est directement reliée par la rivière Daiya au lac Chūzenji. Des mouvements de roches volcaniques ont créé ce décrochage de la roche provoquant ce grand saut dans le vide. La chute d’eau de Kegon a d’ailleurs un côté assez sinistre car on y compte dans le passé nombre suicides de couples sautant dans le gouffre depuis les hauteurs de la cascade. Je pense que cette situation a changé depuis. Mari plaisante exprès en disant à Zoa qu’il doit y avoir de nombreux fantômes dans ce coin là. On les devinerait presque d’ailleurs si on regardait attentivement dans la brume créée par la puissance de la cascade. On peut observer la chute d’eau depuis les hauteurs à travers les arbres, mais pour l’approcher il faut acheter un ticket d’ascenseur qui nous amène pratiquement au pied de la cascade, vers une plateforme d’observation. On ne peut pas accéder à cette plateforme sans s’acquitter de ce billet d’entrée. C’est un peu dommage mais cela vaut définitivement le coup de voir cette immense chute d’eau de près.

Nous reprenons ensuite la voiture pour redescendre une autre route extrême en lacets et heureusement en sens unique pour retourner vers le centre de Nikkō, à la recherche d’un parking qui nous permettra de démarrer notre visite du Tōshō-gū. Le hazard des petites rues boisées proposées par un système de navigation souvent capricieux nous amène jusqu’à un tout petit parking près des arrêts de taxi. Il y a une seule place de libre. Une aubaine, mais nous ne sommes pas à 100% certains que l’on peut stationner ici gratuitement. Il n’y a aucun panneau l’interdisant donc on tente le coup. Le parking donne sur la grande allée principale bordée d’arbres centenaires menant directement à l’entrée du Tōshō-gū. Il y a foule sur la place à l’entrée du Tōshō-gū et il en est de même à l’intérieur. Nous sommes le dimanche d’un week-end de trois jours, ce qui doit expliquer la foule. Il y a beaucoup de japonais, mais également beaucoup d’étrangers et j’entends le français parlé dans les rangs. Il semblerait, m’a t’on dit, que le Japon soit devenu une destination touristique en vogue. J’ai des souvenirs d’un Nikkō beaucoup moins « peuplé » lors de mes premières visites de ces lieux. On fera avec de toute façon, mais c’est un peu déplaisant d’avoir à attendre en file avant de visiter la partie intérieure du Tōshō-gū ou pour monter les escaliers qui mènent jusqu’à la tombe du Shogun Ieyasu Tokugawa. C’est le Shogunat Tokugawa qui est à l’origine de la conception de ces lieux religieux, datant de 1617 pour les premiers édifices, perdus dans une forêt de montagne. Malgré la foule, on est tout de même saisi par la beauté et l’extrême richesse des lieux. Le détail des sculptures et les matériaux dorés sur la surface des temples sont extravagants. Même si on connaît déjà ces endroits, les revoir coupe toujours autant le souffle. Peut-être même plus qu’avant car certaines parties des temples ont été rénovées, donnant un nouvel éclat aux dorures et aux couleurs des sculptures. Nous profitons d’une belle journée ensoleillée pour visiter le parc de Nikkō. Il fait moins chaud qu’à Tokyo. Les rayons du soleil sont arrêtés dans leur élan par les troncs des arbres centenaires, mais quelques mouvements de côté viennent nous baigner dans cette lumière. Au milieu d’une lumière solaire, nous sommes éblouis par les reflets de Nikkō.