les esprits de Kitaguchi Hongu Fuji Sengen Jinja

Nous avions le sanctuaire Kitaguchi Hongu Fuji Sengen Jinja (北口本宮冨士浅間神社) dans notre liste de lieux à visiter depuis longtemps. Il se trouve au pied du Mont Fuji, dans la ville de Fujiyoshida (富士吉田市), à mi-chemin entre les lacs Kawaguchiko et Yamanakako. Les lecteurs attentifs auront peut-être remarqué que nous allons souvent près du Mont Fuji depuis le début de cette année. Il s’agit en fait de la troisième fois. Sans vouer un culte (le fuji-ko) à cette montagne certes sacrée, on reste à chaque fois impressionné par cet immense volcan qui ne s’est pas réveillé depuis plus de 300 ans (la dernière éruption était celle de Hōei en 1707). Le sanctuaire Kitaguchi Hongu Fuji Sengen Jinja fait partie des ~1300 sanctuaires de type Asama, disposés autour du Mont Fuji pour tenter de calmer ses futures ardeurs en le vénérant. On dit que les origines remontent à l’an 100 pour célébrer la visite du prince Yamato Takeru-no Mikoto, fils du douzième empereur Keikō, lors d’un voyage entre Hakone et la province de Kai (l’actuelle préfecture de Yamanashi). Un autel y fut ensuite construit en 788 pour tenter de stopper les éruptions qui étaient nombreuses à cette époque. Wikipedia indique qu’il y a eu en effet seize éruptions enregistrées depuis 781 dont douze entre 800 et 1083. Espérons que cette barrière spirituelle entourant le Mont Fuji soit efficace. Une éruption pourrait rejeter des débris jusqu’à Tokyo.

La beauté de ce sanctuaire vient en partie de son emplacement à l’entrée d’une immense et dense forêt aux arbres gigantesques souvent très anciens. Tout près du hall principal du sanctuaire, on note au moins quatre grands arbres millénaires, vénérés comme des dieux de la forêt. L’approche est magnifique. L’allée qui mène au sanctuaire est bordée d’arbres dont les racines se regroupent, couvertes de mousse tout comme les lanternes de pierre. On pourrait presque voir les esprits circuler entre les arbres. Les taches de lumière sur plusieurs photographies ci-dessus ne sont d’ailleurs pas volontaires. La journée n’était pas vraiment ensoleillée et la lumière ne m’a pas semblé transparaître à travers les branches des arbres. Malgré cela, des halos de lumière apparaissent sur plusieurs photographies. J’ai d’ailleurs eu du mal à prendre le hall principal en photo d’une manière nette sous certains angles en raison de ces étranges lumières vaporeuses. La composition des miroirs a l’intérieur de l’objectif de mon appareil explique très certainement ces effets de lumière, mais j’aime à penser que certains esprits sont venus nous accueillir.

Derrière le sanctuaire, on trouve un sentier historique qui permet de monter jusqu’à la cinquième station du Mont Fuji et ainsi continuer l’ascension jusqu’au sommet. A l’époque Edo, les adeptes du culte Fujikō (富士講) commençaient leur ascension depuis ce point là, mais cette route n’est plus beaucoup utilisée à notre époque. Voir cette entrée vers le Mont Fuji m’a rappelé ma propre ascension à partir de la classique cinquième station en Juillet 1999. C’était il y a 25 ans mais mes souvenirs sont encore très précis. Je me souviens encore du froid au sommet et du fait qu’on était bien mal équipé, de la foule en haut pour les derniers mètres, de la fatigue qui nous avait pris soudainement après un déjeuner chaud dans un restaurant de soba d’altitude, de la descente en courant sur les roches volcaniques, et de la brulure solaire mémorable alors qu’on avait eu la mauvaise idée de s’endormir sans protection sur le parking de la cinquième station en attendant les autres et le bus pour le retour vers Tokyo. J’y repense maintenant en souriant.

泣いていたあの子は

Il faut vouloir aller acheté son pain jusqu’à Nezu près d’Ueno à une petite heure de train et de marche, mais je le fais de temps en temps. On y trouve une boulangerie appelée Think dans un regroupement d’anciennes maisons en bois de l’ère Showa appelé Atari situé à Ueno Sakuragi. Se trouvait auparavant au même endroit la boulangerie scandinave Vaner qui a fermé ses portes en Octobre 2023 et que je regrette encore maintenant. La nouvelle boulangerie qui la remplace est également très bonne, comme une bonne partie des boulangeries de Tokyo que je découvre petit à petit sur les conseils de Mari. Découvrir de nouvelles boulangeries est à chaque fois une opportunité de se promener et prendre l’environnement urbain en photo. Depuis la station de Nezu, je parcours à pieds la longue rue Kototoi qui me fait passer devant plusieurs temples et quelques étroites maisons récentes. Je suis toujours attiré par la composition spatiale que propose le temple Ichijōji (一乗寺) et j’ai systématiquement envie de le prendre en photo (la troisième photographie du billet). J’ai parcouru cette rue maintes fois pour des raisons diverses, mais je n’étais pas venu ici depuis longtemps. Je suis en fait revenu dans ce quartier deux fois en l’espace de quelques semaines. Les trois premières photographies datent de mon premier passage, et les quatre autres du suivant. Je suis passé une première fois devant la boulangerie Think mais la longue et inhabituelle file d’attente m’a vite découragé. J’ai en général la patience d’attendre mais la chaleur ambiante du jour ne le permettait pas vraiment. J’ai préféré rebrousser chemin et profiter du peu de temps libre qui me restait pour marcher un peu plus sur la rue Kototoi en direction de la station d’Uguisudani. Je connais bien la portion de rue juste avant le grand virage desservant la station d’Uguisudani, car on avait, il y a longtemps, l’habitude d’aller acheter des petits gâteaux forts en chocolat appelé black dandy à la pâtisserie Inamura Shōzo. Cette pâtisserie réputée est située au bord d’une grande allée bordée d’arbres s’engouffrant sans qu’on le remarque dans le grand cimetière de Yanaka s’étendant jusqu’à la station de Nippori. L’entrée de l’allée du cimetière est desservie par un petit arrêt de bus. Quelques personnes y attendent parfois le bus, assises sur le banc de plastique abîmé aux couleurs délavées ou debout sur le trottoir. On a en fait à peine la place de s’asseoir, car cette portion de trottoir, délimitée par une barrière métallique et un petit muret de briques, est très étroite. Alors que je rejoins la rue Kototoi, je vois d’abord de loin et de dos une jeune fille aux longs cheveux noirs assise sur ce banc. Elle a l’air endormie car sa tête est mollement penchée en avant. Je n’y prête pas plus attention, mais mon parcours vers la station d’Uguisudani me fait passer devant elle. Des larmes coulent de son visage blanchâtre. Elles apparaissent derrière ses cheveux qui cachent une bonne partie de son visage. Elle est quasiment immobile et reste silencieuse, assise seule sur ce banc. Je ralentis le pas car tout cela m’intrigue beaucoup, mais rien n’engage à la questionner sur son état d’être. Sur sa jupe noire est posée un petit boîtier en plastique transparent, qui semble être destiné à accueillir les larmes qui coulent doucement sur ses joues, descendant son visage jusqu’au menton depuis lequel elles entament une chute jusqu’au petit réceptacle. Le flot liquide est anormalement dense et la petite boîte de plastique semble déjà presque pleine. Je m’approche d’elle d’un pas tellement lent qu’on pourrait croire que je fais du surplace. Un petit sac de cuir noir est posé à côté d’elle sur le banc. Il est en grande partie entrouvert et on peut y voir d’autres réceptacles de plastique similaires à l’intérieur. Certains semblent déjà fermés et remplis de liquide lacrimal. La signification de tout cela m’échappe complètement et me fait même un peu peur. Je suis maintenant debout devant elle, mais je préfère accélérer le pas et filer sans me retourner jusqu’à la station d’Uguisudani. Je n’ai heureusement pas vu son visage, car je suis sûr qu’il m’aurait hanté pendant plusieurs jours. J’ai pourtant beaucoup pensé à cette scène dans le train de la ligne Yamanote me ramenant jusqu’à chez moi. Ces images se sont ensuite effacées, emportées par d’autres.

Je suis revenu à Nezu une deuxième fois et ce second passage était le bon car j’ai pu finalement accéder à la boulangerie tant prisée. Je suis revenu vers Nezu en traversant d’abord le parc d’Ueno depuis la station. Je retrouve dans le parc les étranges formes métalliques du petit poste de police placé à proximité de l’entrée du zoo d’Ueno (上野警察署動物園前交番) conçu en 1992 par Tetsuro Kurokawa (黒川哲郎). En me dirigeant vers Nezu, je passe ensuite devant le Sakura-kan (櫻館) que je montre sur la cinquième photographie et dont je ne connais malheureusement pas le nom de l’architecte. Après avoir acheté mon pain, j’ai d’abord pensé rentrer en empruntant une nouvelle fois le parc, mais une envie irrésistible me pousse à repasser à l’arrêt de bus devant la grande allée du cimetière de Yanaka, où se trouvait l’étrange fille en pleurs. Il faut marcher une bonne vingtaine de minutes et mes pas s’enchaînent à un rythme rapide que j’ai beaucoup de mal à contrôler. La fille est bien là, assise au même endroit sur le banc de l’arrêt de bus. J’en étais en fait certain. Je l’aperçois d’abord de loin mais je la reconnais immédiatement car elle porte la même jupe noire et chemisier blanc aux formes simples. Sa posture, la tête penchée en avant, est identique à la première fois que je l’ai vu. Elle reste immobile avec un petit réceptacle de plastique posé sur les genoux. Mon pas se ralentit naturellement alors que j’approche de la scène. A la différence de la première fois, un homme à la barbe fine grisâtre se tient debout à côté d’elle. Ils n’ont pas l’air de se connaître car il se tient un peu à l’écart, ne semblant pas faire attention à elle. Elle doit attendre le bus, qui doit se faire rare car je n’en ai vu aucun circuler sur la rue Kototoi. Est ce que j’essais de lui parler pour lui demander ce qui lui est arrivé? Je remarque tout d’un coup des marques longilignes rouges, comme des cicatrices, le long de ses deux avant-bras, et cette vision me donne des frissons qui remontent toute ma colonne vertébrale. L’homme d’une cinquantaine d’années debout à côté d’elle a dû noter mon effroi car il m’adresse soudainement la parole alors que j’étais maintenant tout proche. « Elle vient tous les jours, vous savez », me dit il. « Assise là, sur ce banc, à pleurer toutes ses larmes ». Je regarde l’homme fixement dans les yeux, comme pour éviter de la voir, elle. Je n’ai pas besoin de parler pour que l’homme comprenne mes interrogations et mon insistance à en savoir plus sur l’histoire de cette jeune femme en pleurs. « Elle reste inconsolable depuis la mort de son mari il y a quatre ans ». « Elle vient ici tous les jours », répète t’il « car son mari est mort ici, près du cimetière ». « Un petit malfrat mafieux l’avait interpellé pour une raison que j’ignore et l’altercation lui a été fatale ». « Il était policier mais c’était son jour de congé ». « C’était sa première année de service. Il était beaucoup trop jeune pour mourir », continue t’il. « Cette histoire avait fait beaucoup parler. On pense qu’il s’agissait d’un règlement de compte ». J’écoute l’homme attentivement, le visage figé. Il est très bien renseigné sur l’histoire de cette jeune femme. Et les flacons qu’elle garde dans son sac? Je lui pose cette question sans ouvrir la bouche mais en pointant simplement de la main son sac entrouvert. « Elle conserve ses larmes », me dit il. « Peut-être voulait elle les rejeter un jour d’un seul coup d’une vague immense pour inonder de ses larmes toute la vermine qui se cache dans les recoins de la ville ». Après un long silence, il continue: « Mais elle n’a pas eu la force de tenir. Elle a mis fin à ses jours il y a un peu plus d’un an ». Mais elle revient ici tous les jours. La jeune femme semblait nous écouter car elle lève finalement la tête vers moi. Son visage très pâle et humide se dégage petit à petit derrière sa longue chevelure noire. Ses yeux me fixent maintenant. Ils sont injectés de sang, pleins d’une douleur qui me transperce le cœur. Elle ne m’effraie pourtant pas. Je lui demande du doigt, sans avoir le courage de parler, une capsule de plastique que je pourrais reverser sur la tombe de son mari défunt. Elle plonge doucement la main dans son sac et d’un geste lent et posé m’en donne trois. Je ferme les yeux et m’éloigne de l’arrêt de bus. La tombe n’est pas très loin, seule mon intuition me guidera dans les allées du cimetière. Derrière moi, alors que je marche dans la grande allée menant au cimetière de Yanaka, j’entends le bruit du bus qui freine devant l’arrêt. Il s’arrête pendant moins d’une minute pour laisser monter les passagers. La chaleur estivale est accablante mais un léger courant d’air frais m’accompagne. Il me suffit simplement de le suivre, à mon rythme.

Le titre du billet qui m’inspire en partie le texte ci-dessus est tiré des paroles du morceau intitulé Tokyo (東京) du groupe de rock indé Yukiguni (雪国). Il s’agit d’un groupe tokyoïte fondé en 2023 et composé de trois jeunes membres tous nés en 2003: Eiichi Kyo (京英一) au chant et à la guitare, Masataka Osawa (大澤優貴) à la guitare basse et Tetsuki Kihata (木幡徹己) à la batterie. Le morceau Tokyo est très sensible avec la mélancolie qui va si bien au rock alternatif japonais. Ce morceau me touche et m’inspire, sans pourtant être original ni particulièrement innovant. Il avance lentement et sans excès, mais se permet tout de même un solo de guitare qui ne vient pourtant par perturber l’équilibre savamment dosé du morceau. Je pense que j’ai accroché à ce morceau dès les premières paroles chantées par Eiichi. Et en plus, le nom de ce groupe me rappelle que j’ai toujours le livre de Yasunari Kawabata (川端康成) du même nom en cours de lecture sur la table de chevet. Le titre du morceau me rappelle aussi qu’il faudrait que j’étende la playlist commencée il y à quelques temps de morceaux intitulés Tokyo. Le morceau Tokyo est présent sur le premier album du groupe, intitulé Pothos et sorti le 5 Juin 2024. Le nom de Kei Sugawara (菅原圭) m’était familier mais je pense que le morceau Shinka (深香) est le premier que j’écoute de ce jeune compositeur et interprète dont je ne sais que peu de choses, à part le fait qu’il a démarré sa carrière en 2020. Ce morceau Shinka est très beau et la voix androgyne de Kei Sugawara est très expressive et émotionnelle. Une partie de la vidéo se passe à Shibuya et notamment sur une passerelle piétonne que je prends souvent en photo, et qui est en cours de destruction depuis un bon petit moment. C’est cette même passerelle que l’on pouvait voir sur la vidéo du morceau Unō Sanō (右脳左脳) de Tricot. Il faudrait que je référence tous les morceaux de ma playlist dont la vidéo utilise cet endroit. Je ne sais pas si c’est une conséquence de cela, mais j’aime parcourir régulièrement cette passerelle.

Le morceau intitulé KIMI (to make your world a better place) de MoadEdge avec Shinjiro au chant m’amène ensuite vers une pop ambiante un peu plus lumineuse. Je ne connaissais pas ce collectif musical formé de DJs et producteurs, de compositeurs et réalisateur d’images, formé à Tokyo en Décembre 2023 et mélangeant les genres. Enfin, le collectif n’a pour le moment sorti que deux singles dont celui-ci, mais c’est très prometteur pour la suite. L’ambiance musicale correspond bien à l’image d’océan qui accompagne ce single, car il nous donne le sentiment de voguer à plusieurs mètres de hauteur au dessus de tout. Le dernier morceau de cette petite playlist est aussi beau qu’étrange. Il est même hypnotique. Il s’intitule bah! par une jeune artiste tokyoïte nommée o.j.o. L’approche créative est expérimentale, que ça soit la composition musicale aux premières notes simples, la vidéo particulièrement sombre et inquiétante, les paroles mélangeant anglais et ce qui ressemble à des onomatopées, les mouvements un peu mécaniques d’o.j.o. J’adore ce morceau qui est tout à fait unique et encore une fois prometteur car il s’agit de son premier single, sorti le 29 Mars 2024.

depuis la rivière jusqu’au sanctuaire d’Ikisu

Après avoir visité le sanctuaire Kashima Jingū (鹿島神宮) au Sud de la préfecture d’Ibaraki, nous descendons un peu en longeant les nombreux lacs et rivières de cette région jusqu’au sanctuaire Ikisu (息栖神社). Il se trouve à proximité de la rivière Hitachi Tone qui se jette dans le grand fleuve Tone (利根川) séparant les préfectures d’Ibaraki et de Chiba. Le sanctuaire Ikisu se trouve dans la petite ville de Kamisu. Son histoire remonte à plus de 2,000 ans, mais les bâtiments du sanctuaire sont beaucoup plus récents. On dit que les habitants du Kanto devaient visiter les trois sanctuaires Kashima Jingū, Katori et Ikisu pour obtenir pleine purification. Nous avions visité le sanctuaire de Katori, pour la deuxième fois, au premier de l’an et il ne nous restait plus que le sanctuaire d’Ikisu. Il est certes beaucoup moins grand et intéressant que les deux autres. A la gauche du bâtiment principal du sanctuaire, on trouve bien un arbre millénaire impressionnant, mais la partie la plus intéressante est l’approche du sanctuaire qui démarre depuis les bords de la rivière Hitachi Tone. On trouve trois portes torii, un grand au centre entouré par deux plus petits, destinés aux femmes à gauche et aux hommes à droite. On pouvait longer le canal placé devant ces portes, en passant sous les arbres et en suivant un chat accompagnant une fillette. Le chat semblait sauvage mais suivait tout de même la fillette dans ses moindres mouvements. Nous décidons de les suivre jusqu’à la grande rivière Hitachi Tone. De l’autre côté du canal, une veille demeure impose par la taille de sa porte de bois. Je suppose qu’on ne l’ouvre pas souvent et que les habitants de cette grande maison traditionnelle utilisent une autre entrée plus aisée. Une entreprise est installée juste à côté, et on comprend vite que le propriétaire de la maison est également responsable de cette entreprise liée aux produits de la mer.

Les deux dernières photographies de ce billet sont clairement celles que je préfère. Je me demande même en écrivant ces lignes si je n’aurais pas dû seulement montrer ces deux dernières photographies et enlever toutes les autres qui sont plutôt descriptives. Deux photographies sans aucun commentaire de la part auraient peut-être été suffisantes pour construire ce billet, et susciter peut-être des questions transmises dans les commentaires. Je me dis parfois que j’écris trop au point où il ne reste rien à demander ou à éclaircir. Les températures estivales éprouvantes me coupent un peu le courage d’écrire. Ce n’est pas inhabituel en été où le rythme de ce blog devrait normalement ralentir pour passer en mode estival.

完璧にバグってる生き物で

Je n’étais pas revenu vers cette forme de composition photographique que j’appelle moi-même Shoegazing Photography depuis très longtemps. Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque d’apporter des perturbations à des photographies plutôt classiques, prises ici à Daikanyama et Ebisu. Tout comme le shoegaze en musique rock, des nappes viennent se superposer au dessus d’espaces clairs et lisibles pour y introduire un univers vaporeux proche du rêve. Avec l’été qui est déjà bien présent en ce tout début du mois de Juillet, me viennent des envies de mirages, comme si la moiteur ambiante rendait flou le contour des choses. La ville devient un immense désert de solitude, bien que la présence humaine soit omniprésente dans le décor urbain tout autour de moi. Elle n’est qu’images qui passent puis disparaissent à jamais. Ces images défilent et m’effleurent délicatement, s’échappant du bruit insaisissable qui les envelope, mais ne viennent pas altérer mon espace vital. Je m’extrais de ce bruit pour en écouter un autre dans mes écouteurs. Mais ce bruit là, celui des guitares, est accompagné d’une voix qui m’élève loin au dessus de ce monde urbain.

Je découvre parfois des pépites dont je ne soupçonnais pas l’existence, c’est la cas de l’album Time Machine ga Kowareru mae ni (タイムマシンが壊れる前に) d’abord sorti en 2015 puis ré-enregistré en 2021. C’est cette dernière version que j’écoute en ce moment avec passion. Il s’agit d’un album du groupe Tokenainamae (溶けない名前) formé en 2012 à Nagoya et composé d’Uran Uratani (うらたにうらん) au chant et aux claviers, Ryūta Itō (イトウリュウタ) à la guitare et au chant, Takuya Shimamoto (シマモトタクヤ) à la basse, Naoki Sogabe (ソガベナオキ) également à la basse et Kiyoshi Niwa (ニワキヨシ) à la batterie. Tokenainamae compose une musique shoegaze et noise-pop qui se caractérise par une certaine nostalgie et innocence adolescente, à chaque fois représentée en photo sur les couvertures des albums et EPs. Le groupe n’a en fait sorti que deux albums: Time Machine ga Kowareru mae ni en 2015/21, et Seifuku Kanro Kurabu (制服甘露倶楽部) en 2017, ainsi que trois EPs dont deux à leurs débuts (おやすみA感覚 et おしえてV感覚) puis un en 2022 intitulé Kasuka ni sō matou (幽かにそう纏う). L’album Time Machine ga Kowareru mae ni (タイムマシンが壊れる前に) est tout à fait remarquable et je le classifie facilement dans ma liste des meilleurs albums shoegaze japonais. On y trouve bien sûr les plages de bruits de guitares caractéristiques du genre depuis lesquelles s’élève la voix légèrement vaporeuse d’Uran Uratani. La particularité qui fait toute la différence est l’utilisation des claviers qui apportent une pointe de pop à l’ensemble et une dynamique assez inattendue pour du shoegaze. Les morceaux sont étonnement rapides, le chant d’Uran quasi-omniprésent assez souvent accompagné par une deuxième voix masculine, celle du guitariste Ryūta Itō. L’album de huit morceaux pour 37 minutes est fabuleux de bout en bout sans faiblesse. J’adore absolument tous les morceaux qui ont tous cette même beauté mélancolique mais j‘attends toujours avec une certaine impatience le quatrième morceau √2四 pour l’introduction aux claviers pleine de réverbération. Je trouve que cet album parvient à une sorte de perfection dans sa balance entre la légèreté flottante et délicate du chant et la densité pesante des guitares. Et puis le morceau final de sept minutes Dream Memorandum (睡眠抄) touche au sublime. J’écoute également le EP Kasuka ni sō matou (幽かにそう纏う) et l’album Seifuku Kanro Kurabu (制服甘露倶楽部) qui sont également très beaux mais qui n’arrivent pas au même niveau que Time Machine ga Kowareru mae ni, même si on y trouve de très beaux morceaux comme Double Platonic Suicide (ダブル・プラトニツク・スウイサイド) ou Mahoroba no Reactance (まほろばのリアクタンス). Leur dernière sortie date de 2022, et je ne sais pas si le groupe est toujours en activité car ils ne sont pas très actifs sur Twitter et le dernier billet sur leur page Tumblr semble également dater de cette période. En regardant le fil Twitter du groupe j’ai d’ailleurs été amusé par une reinterpretation de la couverture et du titre de l’album Time Machine ga Kowareru mae ni en montrant Bocchi de l’anime Bocchi The Rock (ぼっち・ざ・ろっく!) avec un nouveau nom d’album ぼっちちゃんが壊れる前に (avant que Bocchi ne se casse) attribué au Kessoku Band (結束バンド), le groupe de l’anime. Dans l’anime, l’instabilité émotionnelle de Bocchi fait qu’elle se « casse » souvent d’une manière similaire. C’est intéressant de voir comme cet anime est encore très présent. On trouve souvent des posters dans les magasins Disk Union et à certains endroits de Shimokitazawa (où se déroule l’histoire). Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence de cet anime sur la jeune génération. La fille d’un ami a par exemple commencé à jouer de la guitare après avoir vu cet anime. Il y aura peut-être dans les années qui viennent de nombreux jeunes groupes de rock influencés par Bocchi The Rock qui verront le jour.

retour dans la forêt sacrée de Kashima Jingū

Nous voilà de retour dans la forêt du grand sanctuaire Kashima Jingū (鹿島神宮) situé dans la préfecture d’Ibaraki. Notre première visite datait de Novembre 2021. J’ai l’impression que nous y sommes allés beaucoup plus récemment tant je garde un souvenir marquant de la longue allée de terre entourée d’arbres gigantesques. Elle relie le sanctuaire principal vers l’Oku no Miya (奥宮), un petit sanctuaire situé au fond de la forêt. Il était en phase de rénovation lors de notre première visite, mais on a pu l’apprécier dans son intégralité cette fois-ci. La grande porte Rōmon (楼門) était par contre en rénovation à notre passage. Depuis le sanctuaire Oku no Miya, on redescend une nouvelle fois vers le petit étang à l’eau claire Mitarashi (御手洗池). Au centre de cet étang alimenté par une petite source, un torii de pierre semble retenir une immense branche d’arbre. On peut s’asseoir à proximité sur quelques bancs posés devant une petite boutique de bois, tout en buvant de l’amazake et en mangeant des dango.