monsters deep inside

Le dimanche 5 Mai vers 9h30 du matin, je prends le train de la ligne Yamanote en direction de Kanda. Ma destination est Sotokanda (外神田) à quelques centaines de mètres de la station d’Akihabara se trouvant de l’autre côté de la grande avenue Chuo-Dori (中央通り). Je ne connais pas l’emplacement exact mais un événement doit s’y dérouler à 11h. Ayant largement assez de temps devant moi, je me décide à quitter la ligne Yamanote au niveau de la gare de Tokyo en sautant du train (au sens figuré), pour continuer ensuite à pieds jusqu’à Sotokanda. Je suis en fait descendu à la gare de Tokyo car j’avais également dans l’idée d’aller voir dans un des immeubles de Marunouchi une petite exposition qui se terminera dans les deux prochains jours. C’est une matinée qui s’annonce chargée mais j’aime particulièrement marcher dans Tokyo avec un ou plusieurs objectifs précis en tête. Je n’ai pas parcouru les rues de la gare de Tokyo jusqu’à Akihabara depuis longtemps et je choisis volontairement un chemin que je n’ai pas encore emprunté. On quitte d’abord rapidement les hauts immeubles de Marunouchi pour pénétrer à l’intérieur de Kanda après avoir traversé une passerelle piétonne prise en sandwich entre deux portions d’autoroutes. Après avoir traversé cette passerelle, j’aperçois la station service ENEOS de Nihonbashi Hongokucho (日本橋本石町) qui a la particularité d’avoir d’étranges panneaux solaires accrochés à une structure de tubes en acier. La structure semble précaire et provisoire mais je pense qu’elle au contraire là depuis longtemps. Je l’ai en fait déjà aperçu, très certainement en prenant le train dont la voie surélevée passe juste à côté. Sur la même rue, mon regard s’accroche à un bâtiment jaune de quelques étages. Il s’agit d’un établissement scolaire Benesse (ベネッセ 学童クラブ内神田) conçu par Taisei Design. L’aspect ludique de la façade avec des hublots de tailles variées est bien adapté pour un centre d’éducation pour enfants. Je rentre ensuite dans le quartier d’Akihabara en traversant la rivière Kanda par le pont Shohei (昌平橋). Je ne peux m’empêcher de prendre en photo un des trains de la ligne Sobu filant vers la station d’Ochanomizu. Ce point de vue est particulièrement photogénique car la ligne de train vient traverser la rivière Kanda sur un pont métallique qui semble bien léger. On sait qu’on approche d’Akihabara lorsqu’on aperçoit des voitures de sport Itasha (痛車) dessinées de personnages de manga. Les panneaux publicitaires de manga, jeux vidéos et autres maid café se font denses et bruyants dans les rues centrales d’Akihabara. Avant de rejoindre les rues de Sotokanda, je me rends compte que l’évènement que je devais y voir a changé de lieu et d’heure. Je ne suis pas venu pour rien car la promenade urbaine était agréable. Je n’ai par contre pas manqué l’exposition que je voulais absolument voir à Marunouchi.

La grande librairie Maruzen installée à plusieurs étages de l’immeuble Oazo de Marunouchi propose régulièrement des expositions intéressantes. J’y ai déjà vu les illustrations de Nakaki Pantz et j’ai manqué de peu celles de Takato Yamamoto. Cette fois-ci, on y montrait des illustrations de Zashiki Warashi (ざしきわらし), qui est un illustrateur né en 1987 à Fukuoka. Zashiki Warashi a fait un grand nombre d’expositions solo et travaille régulièrement sur des commissions. On sait peu de choses sur cet illustrateur et c’est d’ailleurs à peu près tout ce que j’ai pu découvrir à son sujet. Je ne suis même pas certain de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Le nom utilisé par l’artiste ne m’aide pas beaucoup dans mes recherches car zashiki warashi (座敷童) fait plutôt référence à un type de créature surnaturelle japonaise, dite yōkai, qui est un esprit de la maison. On dit que l’arrivée d’un zashiki warashi dans une maison apporterait la bonne fortune tandis que son départ serait synonyme de déclin. L’exposition d’illustrations de Zashiki Warashi avait une durée assez courte, ne se déroulant que sur quelques jours jusqu’au 7 Mai 2024. Ses illustrations sont très pop colorées se composant de portraits de jeunes filles qui pourraient sortir d’un shōjo manga (少女漫画). Le détail qui m’intéresse beaucoup dans ses portraits, outre les expressions charmantes des protagonistes, est l’emploi d’objets technologiques futuristes proches du cyberpunk. Chaque personnage porte un ou plusieurs objets atypiques, ressemblant parfois à des casques audio ou autres protections. En voyant ces jeunes filles dessinées, je ne peux m’empêcher de penser qu’elles pourraient très bien être les petites sœurs de Kaneda dans le manga Akira. On y retrouve ce même attrait du cyberpunk, des couleurs vives (le rouge bien sûr pour Kaneda) et un certain esprit effronté qui transparaît dans les expressions de ces visages. L’exposition prenait pour titre Dandelion qui est également le titre du nouveau livre d’illustrations de Zashiki Warashi que j’ai bien sûr acheté. Avec toutes les couleurs de Dandelion dans mon sac, je reprends la route pour le nouveau point de rendez-vous de l’événement que j’étais venu voir.

Et musicalement parlant, je reviens vers le groupe rock alternatif à tendance math rock, Cö Shu Nie, avec leur premier album intitulé Pure, sorti en Décembre 2019 après une série de mini-albums sur labels indépendants. Je tombe tout à fait par hasard sur cet album dans les rayons du Disk Union de Shimo-Kitazawa et je n’hésite pas longtemps à m’en emparer. De cet album, je connaissais en fait déjà deux morceaux, asphyxia et Zettai Zetsumei (絶体絶命), qui sont deux des singles de l’album. J’en avais déjà parlé dans un précédent billet. Le morceau asphyxia est aussi beau qu’imprévisible et l’imprévisibilité qualifie très bien l’ensemble de cet album. Le troisième single de l’album, Bullet, en est un autre bon exemple même si je ne le trouve pas aussi bon que les deux autres singles. Il faut avoir une oreille attentive et ne pas être trop fatiguée pour apprécier cet album, car ça virevolte dans tous les sens, avec une dextérité qui parait aux premiers abords un peu déconcertante. Les sons incorporants guitares et claviers sont denses et compliqués. J’ai le sentiment que chaque écoute fait travailler mon cerveau pour le faire aller dans des endroits qu’il n’avait pas encore exploré. Un morceau comme le quatrième, scapegoat, peut d’abord paraitre excessif pour ces accords déséquilibrés mais devient après plusieurs écoutes un des plus intéressants de l’album. Les percussions de Ryōsuke Fujita (藤田亮介) y sont très présentes. Ce batteur ne sera présent dans le groupe que de 2018 à 2021, et Cö Shu Nie fonctionne actuellement avec deux membres permanents, à savoir Miku Nakamura (中村未来) au chant, guitare, claviers et Shunsuke Matsumoto (松本駿介) à la guitare basse. J’aime beaucoup la voix de Miku qui lui autorise des tonalités très variées. J’aime aussi beaucoup quand le groupe se pose un peu avec des morceaux plus lents comme iB, inertia ou gray qui conclut brillamment l’album. Dans l’ensemble, l’album démarre très puissamment et décélère progressivement jusqu’au final, avec au centre de l’album, un morceau au refrain assez étrange intitulé Psycho Pool ≒ Lego Pool (サイコプール≒レゴプール). Pure est assez unique, possédant une élégance et une interprétation de la beauté toute particulière. Il faut écouter avant tout le morceau asphyxia pour savoir si on peut accrocher à la musique de Cö Shu Nie, car il s’agit du morceau le plus beau et le plus inspiré que je connaisse du groupe. A vrai dire, j’ai un peu de mal à comprendre comment on peut avoir l’idée de composer un morceau aussi distordu et déséquilibré, qui atteint pourtant une beauté à la fois pure, monstrueuse et transcendante. Le CD de l’album contenait à l’intérieur un mediator de guitare marqué du nom du groupe. Est ce qu’on me suggérait de manière subliminale de racheter une guitare (même si je ne sais jouer aucuns airs connus)?

once again now where do I start

Ces photographies datent déjà de plus d’un mois et les cerisiers en fleurs semblent déjà bien loin. Je n’avais pas l’intention d’aller observer les sakura à Naka-Meguro imaginant la foule qu’on pourrait y trouver. Le hasard des chemins qui mènent tous à Rome me font tout de même passer après un détour par les bords de la rivière Meguro, pour constater que le pic de floraison est bien passé. Il n’y a par conséquent qu’assez peu de monde aux alentours de la station de Naka-Meguro. Je constate également avec un certain effrois qu’une bonne partie des branches des cerisiers qui recouvraient la rivière à cet endroit là ont été coupées. La raison de cette action drastique et malheureuse m’est inconnue. Je ne suis pas sûr que la foule ait pour autant été dissuadée de venir ici. Depuis l’implantation du grand Starbucks Reserve Roastery, et les visites de quelques chanteurs étrangers, les bords de la rivière au niveau de Naka-Meguro est devenu un lieu à la mode. Je continue en tout cas ma marche en direction de Meguro pour essayer de saisir ce qui reste des fleurs de cerisiers, mais l’effet d’admiration est déjà bien passé.

Une discussion sur le hip-hop japonais dans les commentaires du rapport de concert Option C d’AAAMYYY, qui avait invité plusieurs rappeurs, m’a rappelé quelques unes de mes lacunes dans le domaine. Autant j’avais écouté DJ Krush à l’époque de la sortie de certains de ses albums ou compilations comme Zen ou Code 4109, autant je suis passé involontairement à côté de la musique de Nujabes. J’avais en fait en tête d’écouter Nujabes depuis de nombreuses années, mais l’occasion ne se présente vraiment que maintenant suite à cette discussion dans les commentaires. Le DJ et producteur de Hip-hop et Trip hop Jun Seba (瀬葉淳), aka Nujabes, est originaire des quartiers Nord de Tokyo. Il est mort soudainement d’un accident de voiture sur l’autoroute intra-muros Shuto de Tokyo en Février 2010 à l’âge de 36 ans. Il n’a laissé derrière lui que trois albums dont un posthume et plusieurs compilations. Je commence par son deuxième album Modal Soul sorti en 2005, qui est le plus réputé. La beauté des mélodies et la maîtrise du flot rappé m’attirent, mais c’est surtout le quatrième morceau Luv(sic) Part 3, avec une partie rap assurée par Shing02, qui accapare soudainement toute mon attention. La mélancolie qui se dégage de ce morceau est fabuleuse et me donne des frissons à chaque écoute successive. Je décide en cours de route d’arrêter l’écoute de Modal Soul pour me diriger vers la compilation Luv(sic) Hexalogy qui est une collaboration de Nujabes avec Shing02, de son vrai nom Shingo Annen (安念真吾). Cet album de jazz hip-hop a été finalisé en 2015 en intégrant certains morceaux terminés avant la mort de Jun Seba, les parties 1, 2 et 3 du morceau Luv(sic) et d’autres complétés et finalisés par Shing02 de manière posthume. La composition musicale des parties 4 et 5 était en fait déjà terminée avant sa mort et la superbe boucle de la partie 6 nommée Grande Finale a été retrouvée dans les archives de son iPhone. La page Wikipedia de la compilation donne beaucoup de détails sur la composition progressive de l’album. Savoir que le compositeur a disparu en plein milieu de la conception de cet album ajoute forcément beaucoup à la mélancolie ressentie lorsqu’on l’écoute maintenant. La compilation comprend en tout 13 morceaux avec d’autres versions des six morceaux originaux et un final intitulé Perfect circle. Aucuns des morceaux ne se ressemblent, bien que le beat de base soit similaire, car les mélodies ont à chaque fois des ambiances très différentes. Sur les morceaux que j’ai pu écouter pour l’instant, Nujabes a une approche assez clairement occidentale, l’utilisation de l’anglais expliquant en partie cela, et n’a à priori assez peu d’éléments spécifiques japonais. Les trois premiers morceaux sont pour moi des monuments et ont cette capacité à nous émouvoir à chaque écoute. Étant resté bloqué sur Luv(sic) Hexalogy, je n’ai pas encore écouté Modal Soul en entier, ni son premier album Metaphorical Music sorti en 2003, mais j’hésite à continuer maintenant comme s’il fallait laisser Luv(sic) infuser. Je me demande souvent pourquoi il y a tant de bonnes musiques à écouter, récentes ou plus anciennes. Je n’ai pas le sentiment d’avoir aimé tant de choses différentes il y a 15 ou 20 ans, du moins en musiques japonaises. J’ai parfois la hantise d’arriver au bout de ce que je peux aimer, mais des nouvelles portes s’ouvrent toujours les unes après les autres et celles-ci sont parfois très bien cachées derrière mes propres préconceptions et à prioris. Il suffit parfois qu’on nous communique un mot de passe pour pouvoir les ouvrir. Tout ceci pour dire que j’aime particulièrement quand on me suggère dans l’oreille des conseils musicaux (comme quand on me donne des pistes sur certaines architectures tokyoïtes).

longing for a happy day

Le Gotanda JP Building a ouvert ses portes le 26 Avril 2024. Nous sommes très souvent passés devant en voiture et ces immenses piliers obliques m’ont beaucoup intrigué. Il ne nous a pas fallu très longtemps pour venir voir de près à quoi ressemble ce bâtiment. On y trouve entre autres un food hall avec plusieurs restaurants dans lequel nous avons déjeuné (dans l’un d’entre eux) et un hôtel nommé OMO5 de la chaîne Hoshino Resorts qui a ouvert ses portes le 11 Avril 2024. L’hôtel occupe les étages hauts du building et la réception se trouve au quatorzième étage. Depuis cette réception, on peut accéder à un café très lumineux et à un jardin extérieur comprenant un bassin et des petits îlots de verdure artificielle sur lesquels on peut s’asseoir. L’endroit est très agréable lorsqu’il fait beau comme cette journée là. Le Gotanda JP Building se trouve à proximité de la rivière Meguro, qui est aménagée pour faciliter la marche piétonne. Je connaissais déjà assez bien les rives allant de Naka-Meguro jusqu’à Meguro, mais beaucoup moins cette zone entre Gotanda et Ozaki.

Mean Machine est ce qu’on appelle un super-groupe créé en 1998 par les chanteuses Chara et YUKI, la musicienne et DJ Mayumi Chiwaki, la saxophoniste tenor Yukarie Tsukagoshi du big-band The Thrill (ザ・スリル) et l’actrice Ayumi Ito (伊藤歩). Le groupe n’a sorti qu’un seul album intitulé Cream en Novembre 2001 que je découvre en ce moment après avoir acheté le CD à un particulier sur Mercari. J’avais pris connaissance du nom Mean Machine alors que j’écoutais intensément, il y a plusieurs mois de cela, les albums du groupe Judy and Mary dans lequel YUKI chantait jusqu’à sa dissolution en Mars 2001. Un passage récent d’Ayumi Ito dans l’émission de variété talk-show Girl’s Barking Night (上田と女が吠える夜) de l’animateur Shinya Ueda (上田晋也) m’a indirectement rappelé l’existence du groupe Mean Machine. Dans l’émission, Ayumi Ito évoque brièvement la difficulté de son rôle dans le film All about Lily Chou-Chou (リリイ・シュシュのすべて) de Shunji Iwai (岩井俊二) alors qu’elle était très jeune. Elle interprétait la collégienne Yōko Kuno (久野陽子), brillante pianiste interprétant notamment le morceau Arabesque de Debussy, dont Yūichi Hasumi (蓮見雄) est secrètement amoureux et qui subira les pires immondices. L’émission m’a fait revenir sur la page Wikipedia d’Ayumi Ito qui m’a rappelé qu’elle chantait dans Mean Machine. J’imagine qu’elle connaît la chanteuse Chara depuis son rôle dans un autre film de Shunji Iwai, Swallowtail Butterfly (スワロウテイル) sorti en 1996. En apprenant tous ces liens se tissant entre des artistes et des films que j’apprécie, je n’ai pu m’empêcher d’acheter l’album qui se trouve être une excellente surprise. C’est d’ailleurs vraiment dommage que le groupe n’ait sorti qu’un seul album. Les carrières solo de chacune des membres ont apparemment créé quelques difficultés pour assurer la continuité des activités de Mean Machine. Un point intéressant de ce groupe de filles est qu’elles ont chacune délibérément choisi des instruments auxquels elles n’étaient pas familières. Chara et YUKI se sont mises à la batterie, tandis que Mayumi Chiwaki assure le jeu de guitare, Yukarie Tsukagoshi la basse et Ayumi Ito le chant. Malgré cela, la qualité des morceaux, très axés rock, est étonnamment très bonne et le jeu très maîtrisé. Ayumi Ito n’est en fait pas la seule à chanter, car tout le monde intervient dans les chœurs et ce mélange des voix, parfois parlées ou criées, rend les morceaux particulièrement savoureux. Il faut dire que Chara et YUKI ont des personnalités des plus marquées, et c’est un régal de les écouter ensemble sur cet album. Le premier single du groupe, Suha (スーハー), qui est également le premier morceau de l’album Cream, donne une bonne idée de l’ambiance générale et de l’énergie rock de Mean Machine, mais la version du morceau disponible sur YouTube n’est malheureusement pas de très bonne qualité. On ne trouve sur YouTube que certains morceaux de l’album comme les excellents Love Mission « M », Lucky Star (ラッキー⭐️スター) et Paper Moon (ペーパームーン). On a le sentiment qu’elles se sont fait plaisir et se sont amusées sur cet album, et ça se ressent à l’écoute sur les différents morceaux. Il y a cette approche du chant à plusieurs voix qui a un côté ludique tout en restant cool et sérieux. Le morceau Love Mission « M » en est un excellent exemple. En même temps, les morceaux ne lésinent pas sur la puissance des guitares et des percussions, car, il faut le rappeler, elles sont deux à la batterie. L’album comporte 14 titres pour 53 minutes, sans réelle faiblesse, ce qui me fait d’autant plus regretter que Mean Machine n’ait sorti qu’un seul album.

tunnels et cascades de la vallée de Yōrō

Avec tous ces cerisiers en fleurs qui ont accaparé toute mon attention pour un certain nombre de mes précédents billets, j’allais presque oublier que nous avons également fait quelques semaines auparavant une visite de la vallée de Yōrō (養老渓谷) à Ōtaki (大多喜町) dans la préfecture de Chiba. Cette vallée se trouve quelque part perdue au centre de la péninsule de Bōsō (房総半島). On y trouve de nombreuses cascades dont celle d’Awamata (粟又の滝) qui est la plus réputée des lieux et qui était un des objectifs de notre visite. Cette cascade d’une hauteur et largeur d’environ 30m pour une longueur de 100m se trouve sur le cours principal de la rivière Yōrō (養老川), qui forme la vallée du même nom. On peut descendre au pied de la cascade donnant sur un petit bassin, puis ensuite grimper le long de la rivière pour la remonter. Le découpage des roches est remarquable à cet endroit. On serait tenté de se lancer depuis le haut de la cascade pour glisser comme sur un toboggan jusqu’en bas dans le bassin. Malgré l’angle de pente relativement faible de la cascade, le courant a l’air tout de même très fort et je me ravise donc très rapidement de cette idée saugrenue.

La deuxième étape de notre visite de la vallée de Yōrō est très particulière car il s’agit d’un double tunnel tout à fait étonnant. Le tunnel Mukaiyama a d’abord été creusé dans les années 1940, puis un deuxième tunnel plus récent nommé Kyōei a ensuite été creusé en dessous dans les années 1970. On aperçoit la sortie de l’ancien tunnel Mukaiyama au dessus du nouveau tunnel Kyōei, ce qui donne cette impression unique en son genre de double tunnel. On ne peut bien sûr plus accéder à l’ancien tunnel mais on peut par contre traverser le tunnel récent qui s’ouvre ensuite sur un pont du même nom, le pont Kyōei (共栄橋). Juste avant se pont, on trouve un hôtel nommé Kawanoya (川の家) perché en hauteur par rapport à la rivière Yōrō. Il semble être en service. On peut légitimement se poser la question car ce lieu qui n’est pourtant pas très reculé, est tout de même assez éloigné des circuits touristiques classiques. Nombreux sont les commerces qui ont dû connaître leurs heures de gloire il y plusieurs dizaines d’années, et qui sont désormais fermés et laissés à l’abandon. C’est malheureusement une des facettes du Japon des campagnes. En traversant le pont Kyōei, on aurait voulu longer un peu la rivière Yōrō car les rives sont très boisées. Le chemin est malheureusement fermé. On se dit qu’on peut quand même marcher quelques mètres pour voir jusqu’où on peut aller. Des branchages coupent parfois le chemin, certainement suite à une tempête récente, mais rien ne nous empêche vraiment d’avancer. Des blocs de ciment nous permettent ensuite de traverser la rivière. En remontant ensuite le talus, nous nous trouvons en face d’une très belle vue d’un croisement de rivières. Il aurait vraiment été dommage de ne pas voir ce paysage que je montre sur la septième photographie du billet. Je lirais ensuite que cet endroit s’appelle Kōbundō-ato (弘文洞跡). Il s’agit en fait de vestiges d’un ancien tunnel qui a été construit au début de la période Meiji pour détourner la rivière Yuki, un affluent de la rivière Yōrō. Ce tunnel a été construit comme un court-circuit dans un des coudes de la rivière, dans le but de développer des terres arables. Le 24 mai 1979 au petit matin, la partie supérieure du tunnel s’est soudainement effondrée, ce qui a créé le paysage actuel que nous avons devant les yeux. Cette découverte hasardeuse était bienvenue. Il est ensuite difficile de continuer notre chemin et nous décidons finalement de faire demi-tour. Le nom particulier de cet endroit appelé Kōbundō-ato vient du fait que ce tunnel a été creusé entre deux sanctuaires qui sont tous les deux liés à l’empereur Kobun.

Nous avions récupéré une carte de la vallée dans le centre d’information au centre de la vallée. La carte nous indique un autre lieu que j’étais très curieux de voir, la cascade de Nōmizo (濃溝の滝) et la grotte de Kameiwa (亀岩の洞窟). La carte n’étant bizarrement pas à l’échelle, on nous laisse croire qu’il faut seulement cinq minutes en voiture pour s’y rendre, mais il nous a fallu plus d’une demi-heure. Cette cascade se trouve dans le parc naturel de Shimizu à Kimitsu. Cet endroit que je montre sur l’avant-dernière photographie est devenu soudainement célèbre en raison de l’influence de quelques Instagrammeurs ayant pris cet endroit en photographie au bon moment sous la lumière du matin. La folie Instagram qui s’est apparemment déclenchée à cet endroit depuis 2015 est visiblement un peu tombé car on n’y trouvait heureusement pas une foule de photographes. Cet endroit n’est en fait pas complètement naturel car il s’agit également d’un tunnel creusé dans les années 1960 pour détourner une rivière faisant des lacets afin d’irriguer des rizières. L’endroit n’en demeure pas moins magnifique et a un petit côté magique que certains rapprochent du monde de Ghibli. Beaucoup de lieux peuvent nous ramener vers cet univers là qu’on souhaite inconsciemment toucher du doigt. Si on regarde bien la photographie de la grotte et de la cascade, on aperçoit dans le fond derrière les branches une oreille de Totoro. Il nous observait pendant tout ce temps à peine caché derrière les branchages, mais nous ne l’avons pas remarqué.

feeling toooo lazy

C’est peut être l’effet Golden Week, mais je me sens paresseux pour écrire de nouveaux billets sur ce blog, même si les photographies à montrer ne manquent pas, car nous sommes allés à différents endroits ces dernières semaines. J’ai en fait tellement de billets en brouillon en attente d’écriture que je ne sais pas par lequel commencer. Ces billets ont déjà des photos allouées et un titre provisoire mais il me reste les textes à écrire pour une douzaine d’entre eux, dont celui-ci. Nous sommes actuellement entrés dans une des deux meilleures périodes de l’année au Japon et l’envie de prendre des photos est très forte. Celles de ce billet sont relativement classiques, prises à Daikanyama, Ebisu et Shibuya. Sur l’avant-dernière photographie, je montre une nouvelle fois mais en contre-plongée l’unité d’appartements haut de gamme conçue par Toyo Ito à Shibuya Tokiwamatsu. J’ai également déjà montré le bâtiment rond couvert de bois de la première photographie. On y trouve actuellement un café et une galerie appelés Monkey Café & Gallery D.K.Y. Ce bâtiment a été conçu par Hiroshi Nakamura (中村拓志) & NAP et se nomme Sarugaku Cyclone. Les plaquettes de bois du haut du bâtiment subissent malheureusement l’usure du temps et ont perdu de leur fraîcheur d’origine. On peut voir un phénomène similaire sur certains bâtiments de Kengo Kuma, qui ne vieillissent pas très bien par rapport, par exemple, au béton de Tadao Ando.

Les petits tunnels de Biku et de Koshin sous la voie ferrée entre les gares d’Ebisu et de Shibuya sont souvent taggés en long et en large, puis nettoyés et re-taggés dans une boucle infinie qui n’est pas sans intérêt pour le photographe que je suis. Depuis quelques semaines, une grande fresque de l’artiste californien Barry McGee vient occuper un des murs du tunnel sur une surface de 16m de large sur 3.5m de long. L’art de Barry McGee combine des graphismes géométriques très riches en couleurs avec des dessins de portraits. Cette fresque vient s’inscrire dans un projet appelé Shibuya Arrow qui a été lancé en 2017 dans le but de diffuser des informations sur les sites d’évacuation temporaires et les itinéraires d’évacuation en cas de catastrophe tel qu’un tremblement de terre. En regardant bien les dessins de Barry McGee, j’ai quand même beaucoup de mal à y déceler des informations d’évacuation en cas de tremblement de terre. Toujours est-il que ces dessins viennent embellir un tunnel qui ne l’était pas et je suis curieux de voir apparaître soudainement d’autres œuvres de ce projet. Voici donc un nouveau sujet à suivre de près. Tout comme les toilettes publiques d’architectes dans Shibuya, j’imagine que la découverte de nouvelles fresques dans Shibuya créera de nouvelles vocations de guides pour les touristes venus de loin. Et comme je le mentionnais au début du billet, nous terminons la deuxième partie de la Golden Week, période pendant laquelle on voit apparaître aux quatre coins du pays des carpes colorées accrochées en haut de mâts et se laissant porter par les vents.

Lors du concert final de For Tracy Hyde, le 25 Mars 2023 dans la salle WWWX de Shibuya, Azusa Suga (管梓) nous avait fait part qu’il continuerait à composer pour son autre groupe April Blue (エイプリルブルー) mais également plus occasionnellement pour des groupes d’idoles alternatives. Je pensais à RAY pour lesquelles il a déjà composé un certain nombre de titres rock. J’ai appris à travers son fil Twitter qu’il compose également pour un autre groupe appelé airattic (エアラティック) que je ne connaissais pas. Le morceau Film Reel of Our Youth (フィルムリールを回して) est sorti il y a plus d’un d’un an, en Septembre 2022, mais je ne le découvre que maintenant. Dès les premiers accords de guitares, on reconnaît tout de suite les compositions d’Azusa Suga pour ses ambiances de rock indé au style Dream pop légèrement mélancolique. Le titre même du morceau m’évoque tout de suite For Tracy Hyde, ce qui me fait penser que ce morceau aurait très bien pu être chanté par Eureka si le groupe n’avait pas pris fin le 25 Mars 2023, d’autant plus qu’il s’agit de Mav, également un ancien de For Tracy Hyde, qui y joue de la basse. Le morceau est donc chanté à plusieurs voix, celles des cinq idoles alternatives d’airattic, à savoir Hinari Koizumi (小泉日菜莉), Nene Kagura (神楽寧々), Madoka Momose (百瀬円香), Honoka Sakuragi (桜木穂乃花) et Ami Mukai (向日葵海). La production du groupe, dirigée par un certain Shota Homma (本間翔太), nous indique que le nom de la formation provient des mots air (空気) et attic (屋根裏), mais je ne peux m’empêcher d’entendre phonétiquement le mot Erratique, qui ne caractérise pourtant pas la musique du groupe. Tout comme pour RAY, plusieurs compositeurs indépendants rock ou électro composent pour airattic. J’aime beaucoup le morceau Film Reel of Our Youth mais je lui préfère celui intitulé Lightning (閃光) sorti en Décembre 2022. Ce deuxième single a une approche complètement différente, beaucoup plus rapide et dynamique. On dirait un single de Nogizaka 46 qui serait passé en accéléré. Ce qui fonctionne très bien sur ce morceau, c’est le rythme vocal soutenue des filles du groupe tenant très bien la route et n’ayant pour le coup absolument rien d’erratique. La vitesse excessive du morceau a même quelque chose de ludique, tout comme leur chorégraphie, dans la pénombre d’un vieil hangar. Parmi les autres découvertes musicales récentes, je ne suis pas mécontent de revenir vers le beat électronique de type house music de tofubeats avec le morceau I CAN FEEL IT sur son nouvel EP NOBODY sorti le 26 Avril 2024. La vidéo du morceau est concentrée sur l’actrice et cascadeuse (notamment dans l’épisode de John Wick sorti en 2023), Saori Izawa (伊澤彩織) devant des claviers ou au volant d’un 4WD sur l’autoroute express de Tokyo intra-muros. Ce n’est pourtant pas elle qui chante sur ce morceau, car tofubeats utilise ici un software vocal appelé Synthetiser V doté d’intelligence artificielle. La voix auto-tunée qui en ressort a quelque de neutre et d’inorganique mais elle n’en reste pas moins expressive, ce qui est au final assez étonnant. Pour être très honnête, j’aurais préféré qu’il utilise une véritable voix, car ce ne sont pas les belles voix qui manquent dans le paysage musical japonais. Cette voix artificielle combinée aux beats plein de cascades de tofubeats rendent tout de même ce morceau extrêmement intéressant et accrocheur. Depuis qu’elle a signé sur une major, je trouve que les vidéos d’a子 gagnent en qualité. Son dernier single intitulé Lazy est sorti le 17 Avril 2024, date facile à retenir car c’était le même jour que la sortie du dernier single de Sheena Ringo. L’amateur que je suis des compositions et de la voix d’a子 n’est pas déçu par ce nouveau single qui continue vers des terrains musicaux qu’on lui connaît. J’ai un avis un peu partagé sur les derniers singles d’a子 car j’aimerais qu’elle explore des horizons un peu différents, mais j’ai en même temps le sentiment qu’elle a trouvé une ambiance qui lui convient et lui correspond, à mi-chemin entre rock indé et pop. Continuer sur cette voie lui permet en même temps de se construire une identité immédiatement reconnaissable. On est en tout cas très loin de s’ennuyer en écoutant ce nouveau single car a子 parvient à chaque fois à attraper notre attention avec un refrain bien vu. Le quatrième morceau de cette playlist me fait particulièrement plaisir à écouter car il s’agit du dernier single intitulé Yogensha (預言者) du groupe Tempalay sur leur cinquième album ((ika)) sorti le 1er Mai 2024. Tempalay est le groupe dans lequel AAAMYYY joue du clavier et assure les chœurs, avec Ryōto Ohara (小原綾斗), le chanteur, guitariste et compositeur du groupe, et Natsuki Fujimoto (藤本夏樹), le batteur. Sachant qu’AAAMYYY jouait dans ce groupe, j’ai eu à plusieurs reprises envie de découvrir Tempalay, sans être malheureusement très convaincu par le rock un peu psychédélique qui les caractérise. Je trouve par contre ce dernier single excellent, avec une bonne balance entre les voix d’AAAMYYY et de Ryōto Ohara. En fait j’adore quand AAAMYYY vient mélanger sa voix avec celle d’un autre chanteur car elle a une tonalité un peu différente, très légèrement rugueuse qui complète bien l’autre voix. Le single a une atmosphère très cool et on s’y sent bien. J’ai du coup très envie de découvrir cet album de Tempalay, car j’y retrouve assez clairement l’empreinte d’AAAMYYY.