Nous entamons la deuxième journée de ces petites vacances de printemps avec l’espoir que la pluie se calmera enfin et que la météo sera plus clémente. Nous reprenons la route en direction de la ville côtière de Maizuru dans la préfecture limitrophe de Kyoto. En chemin, nous nous arrêtons quelques minutes à une station routière (道の駅) vendant des produits locaux au bord du lac Mitaka. Pour rejoindre Maizuru, on doit d’abord traverser la ville d’Obama, dont on a forcément beaucoup parlé au moment de l’élection du président américain. Notre destination initiale est l’étroite bande de terre formant un pont naturel Amanohashidate (天橋立) puis le port de pêcheurs d’Ine (伊根). Mais une fois encore, nous avons dû adapter nos plans. On s’est malheureusement assez vite rendu compte qu’on ne profiterait pas pleinement de ces paysages sous une pluie qui s’intensifie. Nous stopperons donc en route à Maizuru au parc de briques rouges, le Maizuru Red Brick Park (舞鶴赤れんがパーク), que nous comptions visiter de toute façon. Ces grands hagards, construits entre 1900 et 1921, étaient utilisées comme entrepôts de munitions par l’armée de mer japonaise avant la guerre. Sur les 12 bâtiments composant ces entrepôts, huit ont été désignés comme biens culturels importants au niveau national en 2008. On peut visiter la plupart des bâtiments mais, pour être honnête, il y a peu de choses à voir à l’intérieur. On peut apprécier l’agencement des bâtiments qui nous ont rappelé ceux de Yokohama. Le Maizuru Red Brick Park est ouvert au public depuis 2012. J’imagine que certains événements doivent s’y dérouler en fonction des saisons. On peut également voir quelques bateaux militaires des forces d’auto-défense japonaises accostées au port de Maizuru. Ces bateaux ne sont pas gigantesques mais restent tout de même impressionnants. Les heures passent et il est maintenant temps pour nous de descendre vers le centre de Kyoto, qui se trouve à environ 1h30 d’autoroute de Maizuru.
櫻vsミモザ
Les cerisiers sont clairement en retard à fleurir cette année alors on regarde plutôt les mimosas. Ceux des trois dernières photographies du billet viennent d’un arbre aperçu à l’entrée du temple Saihōji (西方寺) situé à Kōhoku (港北) dans la banlieue de Yokohama. Le temple est très fleuri, ce qui est peut être dû au fait qu’il est situé juste en face d’un grand magasin de plantes. C’était en fait notre destination car on avait l’intention d’acheter un petit arbuste mimosa pour le balcon de l’appartement. Il y a bien des cerisiers en fleurs sur ce billet mais ils proviennent d’un tout autre endroit. Nous sommes sur la troisième photographie à l’entrée du petit temple Jufukuji (寿福寺) à Kami-Meguro. Sur la première photo, il s’agit de la résidence Park Homes Nakameguro par IOA Takeda Architects Associates. J’avais en fait déjà mentionné cette résidence dans un billet précédent car ses lignes obliques sont remarquables.
Le morceau Zezezezettai Seiiki (絶絶絶絶対聖域) interprété par Ano (あの) avec Lilas Ikuta (幾田りら) de Yoasobi est le thème d’un film d’animation en deux parties intitulé Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction (デッドデッドデーモンズデデデデデストラクション) tiré d’un manga du même nom créé par Inio Asano (浅野 いにお). Les voix des deux protagonistes principales, les lycéennes Kadode Koyama (小山門出) et Ouran Nakagawa (中川凰蘭), sont assurées par Lilas Ikuta et Ano respectivement, ce qui explique certainement cette association inhabituelle pour le thème du film. J’ai entendu ce morceau pour la première fois lors de l’émission Music Station du 22 Mars 2024 et j’ai été très agréablement surpris par la voix d’Ano qui peut être très inégale suivant les morceaux qu’elle chante. Je pense aussi que la voix d’Ikura (diminutif de Lilas Ikuta) en duo place les parties chantées au bon niveau. Ano s’en sort en général bien pour les morceaux ayant une agressivité certaine et c’est le cas sur ce morceau lorsqu’elle crie à plusieurs reprises “DeDeDeDe Destruction”. En comparaison, la voix d’Ikura est clairement moins à l’aise sur ces parties agressives. Ce contre-emploi est en tout cas très intéressant, car on se dit qu’Ano apporte un élément musical qu’elle maitrise très bien par rapport à Ikura qui semble sortir de son domaine de prédilection. Ano a écrit les paroles du morceau et la composition musicale est de TK from Ling tosite Sigure (凛として時雨). On ressent fortement la touche musicale de TK sur ce morceau et on croirait même entendre TK chanter, et crier comme il sait si bien le faire, sur certaines parties du morceau. La vidéo du morceau est très réussie, reprenant à priori des éléments du film d’animation et des scènes ressemblant à un jeu vidéo de tir à la première personne qui dépasserait la réalité. Cette vidéo a été réalisée par Mizuno Cabbage du groupe UNDEFINED (アンディファインド) qui a également réalisé plusieurs vidéos pour Vaundy dont Tokyo Flash (東京フラッシュ) et Naki jizō (泣き地蔵), et un teaser pour un Live et documentaire du groupe PEDRO intitulé 1-Shūkan tōbō Seikatsu (1週間逃亡生活). Je vois aussi qu’UNDEFINED a créé une partie des effets spéciaux (CG) de la fabuleuse vidéo du single SPECIALZ de King Gnu.
En parcourant les rayons du Disk Union de Shimokitazawa, je prends en passant un petit livret gratuit avec justement Ano en couverture dans les rayons du dit magasin de disques. Ano sera en fait l’ambassadrice du RECORD STORE DAY JAPAN 2024 qui aura lieu le 20 Avril 2024. Je ne prête en général pas beaucoup attention à cette date annuelle car je ne collectionne pas les disques vinyles. Le petit livret contient une interview d’Ano et de son groupe rock I’s, également retranscrite sur une page web. L’interview n’a rien de transcendant à part le fait de nous apprendre qu’Ano choisit ses albums en fonction de la pochette. Je comprends bien cette approche dans la découverte de nouvelles musiques car je l’utilise également, bien que ça ne soit pas bien sûr mon seul critère de sélection. J’aurais par contre tendance à passer mon chemin si un ou une artiste ou un groupe a une approche artistique qui me déplaît. Ça dit à mon avis quelque chose sur sa musique. Dans cette interview, les membres de I’s choisissent certains albums dans les rayons du magasin, comme ils le montrent sur la photo ci-dessus extraite du livret. Ano choisit l’album rock alternatif Bandwagonesque du groupe écossais Teenage Fanclub, que je prends plaisir à réécouter en écrivant ce billet. L’album date de 1991 mais je ne l’avais malheureusement pas découvert à cette époque, bien que je me souvienne très bien de la pochette vue maintes fois dans les magazines musicaux que je dévorais pendant mes années adolescentes. La sélection du groupe m’est intéressante car on y trouve d’autres albums que j’apprécie, notamment Goo de Sonic Youth qui est le premier CD du groupe que j’ai acheté en 1991, peu de temps après Nevermind de Nirvana (toujours de 1991). Colors (2017) de Beck est également un album que j’aime beaucoup et que je réécoute assez souvent, bien que très différents des chefs d’oeuvre que sont Mellow Gold (1994) et Odelay (1996). Je ne connais pas par contre le groupe londonien The Hit Parade et l’album More pop songs, présenté sur la photo ci-dessus par un des membres du groupe. J’écoute par curiosité le morceau Hitomi évoquant Tokyo, mais cette pop indé ne me convient qu’à moitié. En lisant cette interview, je me dis que j’aimerais aussi pouvoir choisir des albums au feeling en ne connaissant absolument rien d’un groupe, mais ça m’est difficile. Peut-être est ce dû au fait que quand j’étais adolescent, l’accès à la musique alternative sans internet n’était pas aussi simple que maintenant. Il fallait se déplacer dans la ville voisine à plusieurs kilomètres en voiture et acheter un album en ne connaissant au mieux qu’un ou deux titres. Il fallait donc se renseigner en se fiant aux critiques d’albums publiées dans la presse musicale. Et quand on se trompait et achetait un album qu’on aimait plus que moyennement, on se forçait quand même à l’écouter vue la somme dépensée dans l’achat du CD. J’ai de ce fait un peu de mal à choisir des albums à la légère. Il faut parfois des années pour apprécier la juste valeur d’un album. C’était le cas de Heaven or Las Vegas de Cocteau Twins (1990) que j’ai mis beaucoup de temps à aimer, et dont certains morceaux comme Cherry-Coloured Funk et Heaven or Las Vegas sont pourtant de véritables chefs-d’œuvre.
青い空をかえせ!①
Nos courtes vacances de printemps ont commencé sous la pluie et cette pluie a malheureusement perduré pendant une bonne partie de notre séjour et perturbé le programme initialement prévu. Nous ne sommes en général pas contre changer nos plans à la dernière minute car ça nous arrive souvent, mais ça devient particulièrement compliqué quand les principaux centres d’intérêts de notre voyage sont à l’extérieur et qu’il s’agit en grande partie de paysages à admirer. Notre première étape était la baie de Wakasa (若狭湾) dans la préfecture de Fukui. Nous sommes déjà passé par la préfecture limitrophe de Shiga où se trouve l’immense lac Biwa, mais ne ne sommes jamais remonté jusqu’à Fukui. Il nous a fallu à peu près six heures d’autoroute depuis Tokyo en empruntant la Shin-Tomei nous faisant traverser les montagnes. On espérait très fort que le temps change à notre arrivée vers la baie de Wakasa mais la brume nous attendait avec une pluie fine. Nous voulions d’abord nous arrêter quelques instants à la plage bordée de pins Kehi no Matsubara (気比の松原) au niveau de la ville de Tsuruga (敦賀市). On s’est finalement dit que l’interêt serait limité sans soleil radieux. Nous sortons de l’autoroute au niveau de Wakasa Mikata pour suivre ensuite la route Rainbow Line (mais où était l’arc-en-ciel?) qui longe en partie cinq lacs (三方五湖) dont ceux appelés Mitaka (三方) et Suigetsu (水月). La route traverse de nombreux champs de pruniers et nous fait passer au plus près de lacs. On s’arrête quelques instants pour prendre les deux premières photographies de ce billet. On imagine ce que peut donner ce paysage lorsqu’il fait beau temps, mais cette ambiance est en fait loin de me déplaire. On dirait un paysage d’ukiyo-e. La dame de l’hotel nous appelle pour confirmer notre arrivée et surtout vérifier que nous ne nous sommes pas perdus. On soupçonne un appel pour nous rappeler qu’on doit arriver pas trop tard pour le dîner qui sera à 18h pile. Nous ne sommes plus très loin mais l’entrée de l’hôtel dans une crique au bord de la mer du Japon n’est en effet pas facile à trouver. L’hôtel se trouve dans un petit village isolé de pêcheurs appelé Shakushi (塩坂越) en direction du cap de Tsunegami (常神半島). Il y a seulement quelques maisons habitées de ce côté de la crique où se trouve l’hôtel. Nous sommes arrivés juste avant la tombée de la nuit sous une pluie fine. Elle ne s’est jamais vraiment arrêtée. Une fois dans les chambres, on ne peut que regarder l’océan. C’est la principale attraction des lieux, sans bien sûr oublier le dîner et le bain chaud à l’extérieur que j’apprécie énormément après la longue route. Pour le dîner, nous goûterons au poisson fugu péché dans la baie de Wakasa. Ce n’est pas la première fois que je mange du fugu, mais c’est bien la première fois que je goûte au shirako (白子) de fugu. Ce qu’on appelle shirako correspond aux testicules blanc laiteux sur le ventre des poissons mâles. C’était très bon, bien accompagné avec un alcool de fugu. Le futon nous attend à notre retour dans les chambres. Il fait nuit noire dehors. Le lendemain matin, je me réveille à 6h comme d’habitude. En ouvrant les stores, on se rend compte que la météo n’a pas changé. Mais cette brume sur l’océan m’inspire pour écrire. Une petite table étroite est posée sur le bord de la baie vitrée. On peut s’asseoir sur le tatami pour y écrire ou regarder la mer. Je me décide à reprendre mon histoire du songe à la lumière, en écoutant Movement de New Order. Je retiendrai ce moment très particulier.
city scape with film 9
(une disparition)
Je suis moi-même surpris de revoir la tour Nakagin de Kisho Kurokawa parmi les photographies argentiques prises il y a quelques années. J’aurais dû mal à dater exactement les quelques photos de la tour que je montre ci-dessus, mais c’était en tout cas avant l’annonce officielle de sa disparition définitive. Le parc Hamarikyū se trouve dans le même quartier que Nakagin, en se rapprochant de la baie. Je me souviens avoir observé pendant un petit moment le chat de la septième photo. Il s’y promenait comme s’il était le propriétaire, d’un air sûr et d’une allure royale, d’autant plus qu’il n’y avait pas un chat dans ce parc, sauf lui et moi. Enfin, moi, je ne suis pas un chat, sauf la nuit dans mes rêves. Je m’échappe toujours par les toits. La partie Sud de la résidence est plus basse et donne facilement accès au parc adjacent qui donne ensuite un accès facile à la rue. Découvrir la ville la nuit avec les yeux d’un chat est une expérience très différente de ce que j’éprouve le jour dans les rues de Tokyo. Il arrive parfois que je me vois rentrer du bureau d’un pas rapide, les écouteurs dans les oreilles et le regard fixé vers l’avant. Il ne me voit pas car je me cache toujours à son passage. Je disparais dans la pénombre. Je l’observe tranquillement puis repars quand la voie est libre. Je ne peux malheureusement pas ramener d’images de ces virées la nuit. Ces images ne me restent pas en tête pour pouvoir les raconter ensuite, car je ne me souviens jamais de mes rêves. Les autres photographies du billet se mélangent à celles d’Hamarikyū et de la tour Nakagin. Elles ont été prises dans le parc Inokashira et à Shibuya.
city scape with film 8
(une énergie)
Ces quelques photographies sur film proviennent d’une pellicule que j’avais démarré il y a plusieurs années et que je n’ai fait développer que récemment. Une des premières photographies de cette pellicule montre l’affiche de l’album Sandokushi de Sheena Ringo posée au coin du Tower Records de Shibuya, ce qui m’indique qu’elle a été démarrée vers le mois de Mai 2019. J’avais dû prendre quelques photos en 2019 puis délaisser cette pellicule pendant plusieurs mois voire années. Ce qui est amusant c’est que je mentionnais déjà cette pellicule noir et blanc dans un billet de Juin 2019 en me demandant quand je pourrais bien la finir. J’étais loin de me douter que ça me prendrait plusieurs années. Je pense l’avoir terminé il y a plus d’un an mais elle est resté près de l’ordinateur sans que j’y touche jusqu’à maintenant. De ce fait, je n’ai plus de souvenirs très précis de ces photographies, et c’est ce qui me plait d’une certaine manière. Je ne suis par contre pas certain de reprendre des photos argentiques avec mon EOS10, car le coût de développement est assez prohibitif, même sur CD comme c’était le cas pour cette pellicule noir et blanc. Il m’a fallu attendre dix jours pour le développement par un petit magasin de photo. On est pour sûr très loin de l’immédiateté du numérique. Ça m’étonne moi-même mais je n’avais pas montré de photos argentiques depuis Octobre 2015, avec une série de sept billets intitulé city scape with film. La présente série en noir et blanc ne fera que deux épisodes mais vient en quelque sorte compléter celle déjà commencée. Pour ce premier billet, on passe par le centre de Shibuya, le parc Inokashira à Kichijōji, celui d’Hibiya, le bâtiment Nissan Crossing à Ginza et pour terminer, un vieil arbre posé dans le parc de La Croix Rouge à Hiroo. Ce grand arbre est tenu par des béquilles mais semble rester fort. Je le regarde toujours quelques instants lorsque je passe devant, histoire d’emprunter un peu de son énergie.